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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
mercredi 14 mars 2018
Bertrand Cantat : "Jamais au criminel son crime ne pardonne"
dimanche 11 mars 2018
Les Chantiers de la Justice ou la démolition des cours d'assises
Démolir les cours d'assises
Dans le document présentant la réforme, l'annonce tient dans cette seule phrase : "l'expérimentation d'un tribunal criminel département composé de magistrats professionnels pour accélérer le jugement des affaires criminelles". Edouard Philippe a précisé à Reims qu'il "s'agit de désengorger les cours d'assises et de limiter la détention provisoire". Les crimes susceptibles d'une peine égale ou inférieure à vingt années de prison seraient donc jugés par ces nouveaux tribunaux criminels, alors que ceux justifiant un emprisonnement plus long, comme les meurtres ou les assassinats, demeureraient du ressort des cours d'assises.
Les tribunaux criminels, quant à eux, risquent de rendre une justice criminelle dans la forme correctionnelle, avec les mêmes contraintes de temps et probablement d'engorgement. Une justice à deux vitesses en quelque sorte. La cour d'assises qui est probablement l'institution judiciaire la plus respectueuse des droits de l'accusé se trouve ainsi écartée au profit d'une justice plus rapide, sorte de prêt-à-porter judiciaire. Le problème est que nous sommes en matière criminelle et que rien ne saurait justifier une atteinte à la qualité de la justice dans ce domaine.
La lutte contre la surpopulation carcérale
L'état d'abandon du service public
La situation des prisons n'est cependant qu'un débat dans un ensemble plus vaste. Les propositions informent, en creux, sur la situation matérielle des juridictions. Comment ne pas être consterné lorsque le premier ministre propose de déployer le haut débit dans les cours d'appel et les quarante-quatre plus grands tribunaux de grande instance, de développer la visio-conférence, de mettre en place une plateforme d'échange de documents volumineux, ou encore un système de prise de rendez-vous en ligne ? L'absence de ces technologies les plus élémentaires témoigne de l'abandon du service public de la justice, laissé dans la misère depuis bon nombre d'années. Sur ce point, on ne peut que se réjouir de l'annonce d'un plan de 530 millions d'euros sur cinq ans, car cette modernisation a évidemment un coût.
L'acquisition de ces technologies permettra peut-être de rattraper les retards du passé, mais l'intérêt pour l'avenir semble étrangement absent. Tout au plus apprend-on qu'il s'agit désormais de "s'inscrire dans une vision prospective, en s'appuyant de manière raisonnée sur les Legal Tech, notamment dans le domaine de la médiation en ligne", formulation qui cultive soigneusement l'ambiguïté. Il n'est pas question de politique volontariste dans le domaine de l'Open Data des décisions de justice, alors même qu'il s'agit désormais d'une obligation imposée par la loi et que les décrets d'application se font attendre. A fortiori, la justice prédictive est-elle purement et simplement ignorée, comme si elle relevait de la science fiction. Sur ce point, on ne peut qu'être frappé du décalage entre les propositions du premier ministre et la réalité des préoccupations des magistrats, à un moment où se multiplient colloques et études sur la justice prédictive.
jeudi 8 mars 2018
Cour d'assises : motivation de la peine
La distinction entre la culpabilité et la peine
Cette distinction entre la motivation de la culpabilité et celle de la peine n'est pas, en soi, surprenante. A l'issue des débats d'une cour d'assises, les magistrats et le jury se retirent pour délibérer. La délibération, si elle forme un tout indivisible, est cependant acquise à l'issue de deux phases successives clairement identifiées par le code de procédure pénale.
La Cour délibère d'abord, par des scrutins successifs, sur le fait principal, puis sur les éventuelles circonstances aggravantes et questions subsidiaires. Concrètement, elle répond par oui ou non à des questions posées, toute décision défavorable à l'accusé ne pouvant être acquise qu'à une majorité de six voix sur neuf membres de la Cour, ou huit voix sur douze en appel.
Si elle a conclu à la culpabilité, la Cour délibère ensuite "sans désemparer sur l'application de la peine", dans des conditions fixées par l'article 362 cpp. Elle doit alors l'individualiser "en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale". Le vote intervient au scrutin secret pour chaque accusé. La majorité absolue des votants est exigée pour que soit prononcée la peine maximum encourue. Si cette majorité absolue n'est pas atteinte au premier tour, une peine moins forte est proposée, à son tour écartée si la majorité absolue n'est toujours pas atteinte... et ainsi de suite jusqu'à ce qu'une majorité absolue soit atteinte.
La motivation de la déclaration de culpabilité a mis beaucoup de temps à s'imposer. L'article 15 de la loi des 16-24 août 1789 fixait les principes gouvernant la rédaction des décisions de justice en affirmant que "les motifs qui auront déterminé le jugement, seront exprimés". Mais cette expression des motifs, définition même de la motivation, ne s'appliquait pas aux cours d'assises. Leurs décisions reposaient en effet sur l'intime conviction des jurés, considérée comme impossible à traduire dans une motivation.
Motivation de la culpabilité
Ce régime dérogatoire a d'abord été remis en cause par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Dans un arrêt Taxquet concernant un système belge très proche du système français, la Grande Chambre, en novembre 2010, n'a pas sanctionné le recours au jury populaire et à l'intime conviction. Elle a néanmoins affirmé que la décision devait permettre à l'intéressé de comprendre sa condamnation, et a exigé que les questions posées aux jurés soient suffisamment précises. Cette jurisprudence a conduit à la condamnation de la France dans plusieurs décisions du 10 janvier 2013, dont le célèbre arrêt Agnelet.
De son côté, le Conseil constitutionnel, dans une QPC Xavier P. et autres du 1er avril 2011, a adopté sur la question une position pour le moins embarrassée. D'un côté, il affirmé que l'absence de motivation des arrêts d'assises n'était pas, en soi, inconstitutionnel. De l'autre, il a reconnu que ce principe de non motivation était dépourvu de fondement constitutionnel et que le législateur pouvait y déroger. C'est donc ce qui a été fait avec la loi du 10 août 2011. Une "feuille de motivation" signée du président doit donc être rédigée dans les trois jours suivant la fin du procès et transmise au condamné.
Il est important de rappeler ces débats et ces évolutions, ne serait-ce que pour remarquer qu'ils ont concerné exclusivement la motivation de la culpabilité, celle de la peine n'étant jamais évoquée. Michel Huyette, dans une chronique au Dalloz, résumait en ces termes la situation : "La décision sur la peine n'étant pas une réponse à une question posée, comment la motiver autrement que par un nombre d'années de prison" ? Dès lors, constatant l'absence de fondement juridique de la motivation de la peine, la Cour de cassation l'a exclue dans trois arrêts du 8 février 2017. Cette jurisprudence a été mal comprise par une partie de la doctrine, dès lors qu'une semaine auparavant, le 1er février 2017, cette même Cour de cassation avait imposé aux tribunaux correctionnels une motivation de l'ensemble des peines prononcées, principales et complémentaires.
La motivation du Conseil constitutionnel
La présente QPC offrait une excellente opportunité de remettre en cause cette jurisprudence. Le premier requérant a été condamné à 20 ans d'emprisonnement, peine portée à 22 ans en appel, le deuxième a été acquitté en première instance puis condamné à 15 ans en appel, le troisième enfin a vu sa peine de 15 années d'emprisonnement confirmée en appel. Maître Dupont-Moretti, plaidant la QPC pour deux des requérants, a ainsi pris l'exemple d'une personne d'abord acquittée puis condamnée successivement à 30 ans, puis à 12 en appel, puis à 16 et à 22 ans, après une décision de la CEDH sanctionnant la première procédure.. Et de conclure "0 - 30 - 12 - 16 - 22, n° complémentaire le 4".
Il ne fait guère de doute que le Conseil constitutionnel entendait étendre l'obligation de motivation à la peine, et il ne s'est guère attardé sur sa propre motivation. Il cite rapidement les articles 7, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui énoncent les principes de sûreté, de nécessité de la peine et de présomption d'innocence. Mais au sein de cet ensemble, c'est surtout l'individualisation des peines, conséquence du principe de nécessité, qui est invoquée. Elle implique qu'une sanction pénale ne peut être appliquée que si le juge l'a prononcée en tenant compte des circonstances propres à l'espèce. Cette exigence constitutionnelle impose donc la motivation des arrêts d'assises, tant pour la culpabilité que pour la peine.
Le raisonnement semble simple, mais l'apport est essentiel. La QPC du 2 mars 2018 confère ainsi à l'obligation du motiver les jugements une valeur constitutionnelle. Elle s'impose à toutes les décisions de justice et concerne à la fois la culpabilité et la peine. Il appartiendra évidemment au législateur de définir les conditions matérielles de la mise en oeuvre de cette exigence nouvelle. C'est la raison pour laquelle le Conseil a repoussé l'abrogation de la disposition contestée au 1er mars 2019, le temps de voter une loi organisant la motivation des peines.
La décision du Conseil s'intègre parfaitement dans un mouvement général qui vise à rendre une justice à la fois plus transparente et plus pédagogique. L'idée générale est qu'une peine ne peut être comprise et acceptée que si elle est expliquée. Reste que, comme en matière de culpabilité, il est désormais nécessaire de formuler l'intime conviction, et que ce n'est pas un exercice facile.
dimanche 4 mars 2018
La fin des fonctions de Mathieu Gallet, ou les questions non posées
Absence d'intérêt pour agir
La liberté de communication
Les turbulences du pouvoir de nomination
Des questions pas posées
mercredi 28 février 2018
Rapport Clavreul : une pierre dans le jardin de l'Observatoire de la laïcité
Observatoire v. Dilcrah
"Difficulté à produire du consensus"
La Charte de la laïcité
Le rapport Clavreul propose de reprendre cette idée, non plus au niveau des territoires mais à celui de l'Etat. Il s'appuie sur l'exemple du dispositif mis en oeuvre depuis fin 2015 par les caisses d'allocations familiales (CAF). La charte des CAF rappelle le principe de neutralité applicable au personnel, y compris à celui relevant du droit privé mais chargé d'une mission de service public. Elle invite les partenaires associatifs à proscrire le "prosélytisme abusif". La formule peut faire sourire tant elle ressemble à un pléonasme, mais le rapport Clavreul mentionne, non sans malice, que cette formule a été élaborée à l'issue d'une concertation entre les CAF et l'Observatoire de la laïcité.
Quoi qu'il en soit, le rapport Clavreul suggère une Charte opposable systématiquement annexée aux conventions attributives de financement. On distinguerait alors, un peu comme dans l'enseignement, les associations signataires de la Charte qui acceptent un financement de l'Etat et doivent respecter le principe de laïcité, et celles qui, refusant d'adhérer à ce principe, renoncent à un financement de l'Etat. L'avantage du système est de s'assurer que la loi de 1905 est appliquée et que l'argent public n'est pas utilisé pour subventionner des groupements pratiquant le prosélytisme religieux.
Une doctrine de laïcité
Le rapport distingue deux discours de contestation du principe de laïcité. Le premier conteste une laïcité "radicale" ou "fermée" mais n'est pas hostile au respect d'une certaine neutralité. Le second réside dans une attaque frontale, généralement le fruit d'un certain radicalisme religieux, quelle que soit la religion en cause. L'enquête menée sur le terrain révèle les hésitations des acteurs locaux confrontés à ces deux discours. La laïcité "ouverte" prônée par l'Observatoire de la laïcité n'est pas une réponse facile à mettre en oeuvre sans renoncement au principe même de laïcité. Quant à l'attaque frontale, elle n'est pas réellement prévue par les politiques publiques. Le rapport Clavreul cite ainsi de nombreux cas de professeurs confrontés à des élèves qui estiment que le principe de laïcité est une agression contre leur religion, ou de travailleurs sociaux qui finissent par renoncer à travailler sur certains marchés ou dans certaines cités. Ils sont tout aussi démunis devant une résistance passive qui se développe considérablement. Le rapport fait ainsi état d'un nombre considérable d'allergies au chlore chez les jeunes filles qui, de fait, ne peuvent se rendre à la piscine, situation d'autant plus préoccupante que la piscine utilisée par leur établissement scolaire n'est pas assainie au chlore...
Face à de telles situations, les acteurs sont à la recherche de la conduite à tenir. Or aucun diagnostic sérieux n'a été réalisé et aucune remontée des incidents n'est prévue. Ils se retrouvent seuls pour gérer des situations délicates. S'ils demandent le respect du principe de laïcité, ils redoutent d'être suspectés de discrimination, voire d'être dénoncés comme racistes, anti-sémites, ou pire, soupçonnés d'être membre de la désormais célèbre "fachosphère". Dans une telle situation, la tentation est grande de pratiquer une stratégie d'évitement qui consiste à ne rien faire, en attendant une doctrine claire. Le rapport demande la rédaction de cette doctrine, ainsi qu'un pilotage des problèmes au plus près possible du terrain.
Raidissement identitaire et droits des femmes
dimanche 25 février 2018
La circulaire Collomb : tout le monde est content
Une procédure de référé, un débat de fond
La circulaire précise que l'objet de recensement est "d'assurer l'orientation individuelle adaptée" de quatre catégories d'étrangers susceptibles de résider dans des centres d'hébergement d'urgence. Les bénéficiaires du droit d'asile devront être orientés vers un logement pérenne. Les demandeurs d'asile devront être accueillis dans les centres d'hébergement spécifiques, le temps de l'instruction de leur demande par l'OFPRA et, le cas échéant, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Les "personnes dont la situation au regard du séjour n'a pas fait l'objet d'une actualisation" seront soumises à un examen particulier afin de déterminer si elles sont en mesure d'obtenir un titre de séjour ou si une mesure d'éloignement doit être prise. Enfin, les personnes en situation irrégulière faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) devront être "orientées vers un dispositif adapté en vue de leur départ contraint".
Né quelque part. Maxime Le Forestier. 1987