« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 29 décembre 2017

Protocole n° 16 : Le Conseil constitutionnel qualifié de "Juridiction" par lui-même


Le 20 décembre 2017, le Conseil constitutionnel a publié un discret communiqué, après que le Président Macron ait annoncé, lors d'une visite à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) le 31 octobre 2017, la ratification par la France du Protocole n° 16 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Ce texte organise une procédure facultative de consultation de la CEDH par les "plus hautes juridictions" des Etats parties. Un projet de loi de ratification a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 20 décembre, exactement le même jour que le communiqué du Conseil constitutionnel.

Aussi discret soit-il, ce communiqué est intéressant, car il traduit deux revendications du  Conseil constitutionnel. L'une est apparente et clairement mise en avant, l'autre avance masquée mais ses enjeux dépassent largement la simple mise en oeuvre du Protocole n° 16.

La procédure consultative


Le Conseil constitutionnel souhaite d'abord, et c'est la revendication clairement mise en avant, pouvoir user de la procédure consultative mise en place par le Protocole n° 16. Elle autorise les "hautes juridictions nationales" à demander à la CEDH un avis consultatif sur "des questions de principes relatives à l'interprétation ou à l'application des droits et libertés définis par la Convention pour ses protocoles". Encore faut-il que la juridiction demanderesse intervienne "dans le cadre d'une affaire pendante devant elle". Elle doit en outre motiver sa demande et produire les éléments pertinents du contexte juridique et factuel de l'affaire pendante.

L'utilisation de cette procédure ne pose aucun problème juridique dans le contentieux électoral dans lequel le Conseil n'est pas juge de la conformité de la loi à la Constitution et peut donc se fonder sur la convention européenne des droits de l'homme. Dans son communiqué, le Conseil admet ainsi qu'il "ne juge du respect de certaines stipulations de la Convention européenne que pour une part de son rôle juridictionnel, à savoir le contentieux des élections législatives et sénatoriales".

Le Conseil ne limite cependant pas sa revendication au seul contentieux électoral. Il reconnaît certes que "dans le contrôle de la constitutionnalité des lois qu'il effectue sur le fondement des articles 61 et 61-1 de la Constitution, il ne procède pas au contrôle de la « conventionnalité » de la loi", mais c'est pour ajouter immédiatement que "cette situation n'est pas remise en cause par la possibilité qu'il aura de saisir pour avis la Cour de Strasbourg (...)".  Par cette formulation, le Conseil constitutionnel reconnaît que les engagements internationaux ne constituent, en aucun cas, des normes de référence dans l'exercice de son contrôle de constitutionnalité. Selon une formulation aujourd'hui bien connue, il affirme ainsi régulièrement : "S'il revient au Conseil constitutionnel (...) de s'assurer que la loi respecte le champ de l'article 55 de la Constitution, il ne lui appartient pas en revanche d'examiner la conformité de celles-ci aux stipulations d'un traité ou d'un accord international". En d'autres termes, le Conseil n'a pas à examiner la loi qui lui est déférée au regard de la Convention européenne des droits de l'homme. 

Il ne s'agit pas d'un détail car un traité n'est obligatoire en droit français que sur l'unique fondement de l'article 55 de la Constitution. Celui-ci précise qu'un traité régulièrement ratifié, et c'est évidemment le cas de la Convention européenne des droits de l'homme, a "une autorité supérieure à celle des lois". Un traité est donc supérieur à la loi, mais inférieur à la Constitution dès lors qu'il trouve en elle le fondement de sa validité. Il appartient donc aux juges du fond et aux juridictions suprêmes, tant de l'ordre judiciaire qu'administratif, d'apprécier les actes qu'ils ont à juger au regard de la Convention européenne des droits de l'homme et de la jurisprudence de la CEDH. Le Conseil constitutionnel, quant à lui, ne peut apprécier la conformité de la loi par rapport à une convention.

La demande d'un avis purement consultatif n'implique pas que le Conseil constitutionnel décide désormais d'exercer un contrôle de conventionnalité. Sans doute, mais on peut alors se demander pourquoi il demande un avis, s'il ne lui sert à rien.
 
Dans sa célèbre décision QPC du 4 avril 2013,  le Conseil a saisi pour question préjudicielle non pas la CEDH mais la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Il lui a demandé comment il convenait d'interpréter les termes d'une décision-cadre de l'UE de 2002, à l'origine de dispositions législatives organisant le mandat d'arrêt européen. Cette décision peut cependant difficilement être considérée comme un précédent, une sorte d'anticipation de la procédure mise en oeuvre par le Protocole n° 16. Le Conseil se prononce en effet sur le fondement de l'article 88-2 de la Constitution qui énonce que "la loi fixe les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris par les institutions de l'Union européenne". En l'espèce, l'article 88-2 précise que le législateur met en oeuvre la décision de l'UE, selon des principes fixés par l'Union elle-même. Si le Conseil s'interdisait de demander à la CJUE des précisions sur le contenu et l'interprétation de ces principes, son contrôle de la loi se trouverait paralysé. Tel n'est pas le cas dans l'hypothèse du contrôle de constitutionnalité de droit commun qui n'a pas réellement besoin d'interpréter la Convention européenne pour s'exercer. 

On pourrait néanmoins considérer la procédure consultative revendiquée par le Conseil trouve sa justification dans le dialogue des juges. Le juge constitutionnel demanderait ainsi son avis à la CEDH par curiosité intellectuelle, pour bénéficier d'éléments contextuels. L'idée est séduisante, mais sa mise en oeuvre délicate car la question posée est celle de la réception de l'avis. Supposons un instant que le Conseil demande un avis à la CEDH à l'occasion d'une QPC en cours. Il n'a alors que deux solutions. Soit il applique l'avis, et il risque d'être suspecté de se soumettre purement et simplement à la CEDH, au mépris de la hiérarchie des normes. Soit il ne l'applique pas et, dans ce cas, le dialogue des juges risque de conduire à un constat de divergence, voire à un conflit.

On en vient donc à se demander si le Conseil constitutionnel ne revendique pas l'usage de cette procédure non pas pour s'en servir, mais pour d'autres motifs.

Dialogue des juges
Les catcheurs. Les Frères Jacques. 1966. Archives de l'INA

 

Une "haute juridiction nationale"


Derrière cette revendication s'en cache une autre, qui est sans doute l'enjeu de la démarche. Si le Conseil se voit accorder le droit de faire usage de cette procédure, il sera qualifié de "haute juridiction nationale". Or il faut observer que le Conseil constitutionnel n'a jamais été officiellement qualifié de juridiction. La Constitution ne précise pas sa nature juridique et le  considère comme une institution sui generis. Elle lui consacre un titre spécifique, le titre VII, distinct du titre VIII qui, quant à lui, traite "De l'autorité judiciaire". Les membres du Conseil, quant à eux, n'ont pas le statut de magistrats.

Bien entendu, il n'est pas contestable que le Conseil est qualifié de juridiction dans le langage courant, par référence à la notion de "juris-dictio".  N'a t il pas pour mission de dire le droit ? On parle ainsi volontiers des "juges" constitutionnels alors que le droit positif les qualifie seulement de "membres du Conseil constitutionnel". Il n'empêche que la qualification de "juridiction" demeure un enjeu non négligeable, en particulier dans le contexte des relations du Conseil avec la CEDH.
L'examen de la jurisprudence de la CEDH incite en effet à penser que le Conseil constitutionnel ne saurait être considéré comme une juridiction au regard de la convention européenne des droits de l'homme. Or, il n'est pas impossible que celle-ci soit un jour saisie de cette question. La CEDH ne s'interdit pas, en effet, d'apprécier la procédure mise en oeuvre devant les tribunaux constitutionnels des Etats. Dans un arrêt Süssmann c. Allemagne de 1996, elle contrôle ainsi que le tribunal de Karlsruhe respecte les règles du procès équitable garanties par l'article 6 § 1 de la Convention européenne. Depuis l'intégration de la QPC dans le droit positif, on doit envisager l'hypothèse du requérant débouté après une QPC, qui choisira d'aller jusqu'au bout du parcours contentieux, et saisira la CEDH en invoquant notamment le défaut d'impartialité du Conseil constitutionnel.

Pourquoi pas, dès lors que le principe d'impartialité trouve précisément son fondement dans l'article 6 § 1 de la Convention ? Dans sa décision Adamkiewicz c. Pologne du 2 mars 2010, la CEDH rappelle que le respect du principe d'impartialité ne se limite pas à interdire aux membres du tribunal de prendre parti publiquement sur un dossier en cours, prohibition que la Cour qualifie d'impartialité subjective. Elle s'étend à l'impartialité "objective" qui affirme qu'une institution est impartiale quand elle a les apparences de l'impartialité, quand elle inspire la confiance aux requérants. Ce n'est donc pas l'attitude des juges qui est en cause mais l'organisation elle-même. Que penserait la CEDH d'une institution dont le Président assume en même temps des fonctions auprès d'une organisation internationale ? dont les membres interrompent parfois leurs activités pour aller faire une campagne référendaire ? Pire encore, accepterait-elle une institution appelée à juger du compte de campagne d'un ancien Président de la République au moment où celui-ci en devient membre de droit ? D'une manière générale, ces membres de droit constituent une sorte de bombe à retardement juridictionnelle devant la CEDH, car on n'imagine guère qu'elle les considère comme des "magistrats" au sens de la Convention européenne.

Si l'on revient au communiqué du Conseil constitutionnel, on s'aperçoit alors qu'il ne manque pas de sel. En effet, le Conseil instrumentalise la procédure d'avis à la Cour européenne pour être qualifié de juridiction, alors que la jurisprudence de cette même Cour va à l'encontre d'une telle qualification. Cela prouve au moins que le Conseil constitutionnel ne s'estime pas lié par la jurisprudence de la CEDH, du moins pas encore.

Il reste évidemment à envisager les suites de cette demande. Au regard du Protocole n° 16, ce sont les "Hautes Parties Contractantes", c'est-à-dire les Etats membres qui dressent eux-mêmes la liste des "plus hautes juridictions" concernées par la procédure nouvelle. Le communiqué du Conseil constitutionnel montre seulement qu'il s'attribue lui-même cette qualité. Mais le point de savoir s'il est une juridiction, ou s'il doit faire l'objet de certaines réformes pour être qualifié comme telle ne saurait résulter de sa seule volonté. C'est évidemment au parlement d'apprécier cette question et on espère qu'il l'examinera lors du débat qui va s'ouvrir sur le projet de loi de ratification du Protocole n° 16.

Sur l'indépendance et l'impartialité du Conseil constitutionnel : Chapitre 3 section 2 § 1 A du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier

mardi 26 décembre 2017

Le droit de réponse à l'Université : éloge de la disputatio

Libération du 22 décembre 2017 publie une tribune portant sur le droit de réponse dans la presse, sujet finalement peu étudié, sauf lorsqu'il fâche. C'est précisément le cas, car il s'agit, pour ses auteurs, de voler au secours d'une collègue professeure de droit injustement agressée par... un droit de réponse. En l'espèce, les faits sont résumés en ces termes : "Un maire, mécontent de l'analyse rédigée par une professeure de droit dans une revue juridique, a obtenu d'y publier un droit de réponse venimeux et diffamatoire. Une nouvelle manière d'intimider les universitaires et de brider leur expression".

On apprend ensuite que l'article commentait un jugement du tribunal administratif de Dijon annulant la décision du maire de Châlon-sur-Saône de mettre fin aux menus de substitution dans les cantines scolaires de sa ville. Dans son droit de réponse, l'élu accuse l'auteur de "faire un amalgame malhonnête et hâtif", de "défaut de neutralité", "de militantisme affiché".

La liberté d'expression des enseignants chercheurs


Peu importe le fond du débat. Un professeur de droit est fondé à commenter le droit, mais aussi à donner son opinion sur la manière dont il pourrait évoluer. Il bénéficie d'une protection particulière dans ce domaine, puisque le Conseil constitutionnel a fait de l'indépendance des enseignants chercheur un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Cette indépendance suppose, à l'évidence, le droit de s'exprimer librement. La Cour d'appel de Paris, dans sa décision du 28 septembre 2017, affirme ainsi que l'auteur d'une note de jurisprudence doit se sentir libre de critiquer l'arrêt , "y compris sous forme de parti pris". Elle ajoute, rendant ainsi un bel hommage à la doctrine : "Cette liberté d'expression intéresse un professionnel du droit dont l'activité, pour une part importante, tient à l'analyse de décisions judiciaires qui n'a pas pour objet d'être seulement didactique, mais doit encore nourrir le débat sur les orientations de la jurisprudence, qu'il s'agisse d'y adhérer ou de proposer des évolutions souhaitées. C'est de cette confrontation entre la doctrine et la jurisprudence que se nourrit le droit positif". La liberté d'expression des enseignants chercheurs est donc largement garantie par le droit et protégée par les juges. La Rédaction de l'AJDA a, de son côté, affirmé son attachement à ce principe lors de la publication du droit de réponse du maire de Châlon.

 

Le droit de réponse



Dès lors que les professeurs expriment leur opinion dans des notes de jurisprudence, ils doivent s'attendre à ce que les personnes éventuellement désignées dans l'article exercent le droit de réponse. Celui-ci trouve son origine dans l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 qui énonce : "le directeur de la publication sera tenu d'insérer dans les trois jours de leur réception, les réponses de toute personne nommée ou désignée dans le journal ou écrit périodique quotidien sous peine de 3 750 euros d'amende sans préjudice des autres peines et dommages-intérêts auxquels l'article pourrait donner lieu". En l'espèce, saisie d'une demande de droit de réponse par le maire de Châlon, l'AJDA n'a fait qu'appliquer la loi en publiant cette réponse. 

Ce droit permet à une "personne nommée ou désignée, de faire connaître ses explications ou ses protestations sur les circonstances et dans les conditions mêmes qui ont provoqué sa désignation".  Le contenu de la mise en cause est parfaitement indifférent et le simple désaccord avec l'analyse du professeur de droit suffit à justifier son exercice. La seule condition est que la personne qui répond soit "nommée au désignée" dans l'article. Tel est le cas en l'espèce, car le commentaire de la décision de justice ne peut éviter de mentionner son auteur, dès la première ligne. Il s'agit du "maire de Châlon-sur-Saône, nouvellement élu sous l'étiquette Les Républicains". L'élu est donc aisément identifiable, ce qui est suffisant pour fonder son droit de réponse.  Dans un arrêt du 24 septembre 1996, la Chambre criminelle de la Cour de cassation considère d'ailleurs que le droit de réponse peut être exercé par le maire ou son adjoint. Dès lors qu'il ne s'agit pas d'une action en justice, il relève des actes d'administration effectués sur le fondement de l'article L 2122-18 du code général des collectivités territoriales.

Si les textes définissent de manière très stricte la taille de la réponse, afin qu'elle ne soit pas exagérément supérieure à celle des propos contestés, ils sont muets sur son contenu. C'est donc à la jurisprudence qu'est revenue le soin d'en poser les bornes, ce qu'elle a fait avec un très grand libéralisme.

Une décision du 28 mars 1995 affirme ainsi que le droit de réponse ne peut être limité par le juge que si les termes de cette réponse sont contraires "aux bonnes moeurs, à l'intérêt légitime des tiers ou à l'honneur du journaliste". Aucune de ces conditions n'est remplie dans le cas du droit de réponse exercé par le maire de Châlon. Il accuse certes la professeure d'avoir une démarche militante et lui reproche de souhaiter l'intégration des "accommodements raisonnables" dans le droit français de la laïcité. Que l'on soit d'accord ou pas, ces propos ne portent atteinte ni aux bonnes moeurs, ni à l'intérêt des tiers et encore moins à l'honneur de l'auteur. Ils relèvent du débat doctrinal, certes un peu vif, auquel sont habitués les enseignants chercheurs qui étudient les libertés publiques.

La présente affaire montre que le droit de réponse n'est pas en mesure de "brider l'expression" des enseignants-chercheurs. La professeure de droit a publié son article dans le numéro de l'AJDA daté du 13 novembre 2017, et la réponse figure dans celui du 18 décembre, soit plus d'un mois plus tard. L'article demeure aujourd'hui parfaitement accessible aux lecteurs, tant dans l'AJDA que sur le site Dalloz où la revue peut être consultée en ligne.

Affiche de Mai 1968


La "procédure-baillon"


Plus dangereux est l'amalgame réalisé entre le droit de réponse et la "procédure baillon". Cette formule est  employée pour désigner tout-à-fait autre chose. Alors que le droit de réponse n'implique aucune procédure juridictionnelle, la procédure baillon consiste, à l'inverse, à instrumentaliser les juges.

C'est ce qu'a fait un chef d'entreprise mécontent d'une note de jurisprudence rédigée par un professeur de droit spécialisé dans le domaine de l'environnement, note qui s'intitulait : "Trafic de déchets dangereux : quand les dépollueurs se font pollueurs". L'industriel a porté plainte pour diffamation, invoquant l'atteinte portée par l'auteur à son honneur et à sa considération. Dans le cas des délits de presse, la mise en examen est automatique et la personne poursuivie se retrouve donc devant la 17è Chambre correctionnelle. En l'espèce, la Cour d'appel de Paris, dans la décision du 28 septembre 2017, estime que le simple fait de porter plainte pour diffamation contre l'auteur de la note de jurisprudence entraine une atteinte à sa liberté d'expression. Des poursuites peuvent donc être engagées contre le chef d'entreprise pour abus de constitution de partie civile.

Dans cette même décision, le juge observe que le chef d'entreprise reproche, entre autres choses, à l'universitaire de ne pas avoir mentionné que le jugement qu'il commentait était frappé d'appel. Sans doute le commentateur l'ignorait-il, mais on peut comprendre que le chef d'entreprise n'ait pas apprécié que la décision soit présentée comme définitive, comme s'il acceptait une condamnation qu'il a au contraire l'intention de contester. Il a d'ailleurs obtenu une relaxe partielle en juin 2017.  Cette absence de mention de l'appel dans la note est peut-être un oubli, mais elle n'est pas pour autant constitutive d'une diffamation dès lors qu'elle n'implique nulle animosité particulière à l'égard du plaignant. Ce dernier aurait été mieux inspiré d'user de son droit de réponse pour mentionner cette circonstance. Considéré sous cet angle, le droit de réponse est plutôt un moyen d'éviter la procédure baillon qu'une manoeuvre de même nature.

La saisine du juge intervient en effet dans le but d'intimider le professeur de droit, et c'est précisément cette intimidation qui distingue la procédure baillon du droit de réponse. Attaqué au contentieux, l'auteur d'une note de jurisprudence se trouve automatiquement placé en position de défense, face à une armée d'avocats généralement bien rémunérés et prêts à en découdre. Sa propre défense lui coûte de l'argent, et l'existence même de ces poursuites pénales nuit à sa réputation. La multiplication de ces procédures risquerait donc, à terme, de conduire à une forme d'auto-censure. Pour éviter cette utilisation perverse de la plainte pénale, et conformément aux préconisations du Rapport Mazeaud  remis en avril 2017,  une circulaire du 9 mai 2017 accorde aux enseignants-chercheurs la protection fonctionnelle de leur Université lorsqu'ils sont poursuivis pour diffamation ou dénigrement, sauf hypothèse d'une faute détachable du service. L'Université est donc désormais tenue d'accompagner et de soutenir son agent placé dans une telle situation et le contentieux apparaît un peu moins déséquilibré.

Le droit de réponse ne relève pas d'une démarche contentieuse. La seule hypothèse dans laquelle le juge pourrait être saisi est celle d'un refus d'insertion par l'éditeur. Mais dans ce cas, la responsabilité du contentieux pèserait sur celui-ci, pas sur l'auteur. Evoquer une "intimidation" dans ce cas revient donc à considérer qu'un professeur d'Université, parfaitement indépendant et libre de ses propos, ne serait pas en mesure de résister psychologiquement à une simple réponse. Dans un domaine aussi sensible que la laïcité, il est assez fréquent que les auteurs soient mis en cause, parfois de manière violente, y compris par des collègues peu portés à la distance académique. Doit-il en être troublé ou, au contraire, se réjouir du débat qu'il a su développer ?

La tribune parue dans Libération sera sans doute rapidement oubliée, tant il est vrai que le droit de réponse du maire de Châlon n'est tout de même pas le principal sujet d'inquiétudes dans l'Université. Son intérêt essentiel réside sans doute dans l'ambiguïté du regard porté sur l'enseignant-chercheur par lui-même. Il revendique et obtient une liberté d'expression pleine et entière, liberté qui s'étend aux engagements de nature militante ou politique. On ne peut que s'en réjouir, dès lors qu'il est dans la Cité et qu'il est évidemment fondé, comme tout le monde, à intervenir dans le débat public.

Censurer au nom de la liberté d'expression


En même temps, il souhaite être à l'abri du débat, isolé sur l'Aventin de la Science. C'est ainsi que les auteurs de la tribune de Libération proposent de réfléchir sur "la possibilité d'exclure les revues scientifiques du champ d'application du droit de la presse et en particulier du droit de réponse". La suggestion est plaisante, car personne ne sait comment définir juridiquement une revue scientifique. Personne n'a oublié qu'une revue spécialisée en droit de la famille, dotée du comité de lecture exigé par les canons universitaires, n'a pas hésité à publier un numéro spécial sur l'ouverture du mariage aux couples de même sexe... dont tous les articles étaient hostiles à la réforme. S'agit-il d'une revue scientifique ? ou pas ? Dans leur grande magnanimité, les auteurs de la tribune offrent volontiers à la personne mise en cause la possibilité de solliciter de la rédaction la publication d'un "point de vue, lequel serait examiné selon les mêmes critères que ceux des autres articles par le comité de rédaction ou le conseil scientifique". On imagine facilement la réaction du comité dans lequel siègent des collègues de l'auteur de l'article, d'autant que cette instance serait contrainte d'évaluer le point de vue avec les mêmes critères scientifiques que ceux utilisés pour les autres publications.

Au-delà de ses modalités d'organisation, la proposition peut surprendre. Il s'agit en effet d'opérer un contrôle a priori du contenu de la réponse, ce qui revient à effectuer une censure préalable, au nom de la liberté d'expression. Provenant de spécialistes des libertés publiques, l'idée à quelque chose de baroque. Mais la proposition est néanmoins intéressante dans ce qu'elle révèle : l'image idéale d'une Université  intervenant dans les affaires du monde, expliquant aux gouvernants comment ils doivent gérer tel ou tel problème, mais une Université repliée dans ses remparts, diffusant une parole verticale, refusant la contradiction et le débat, écartant la disputatio. Au risque d'être critiqué précisément au nom du principe de laïcité, on a envie de citer le Pape Jean-Paul II : "N'ayez pas peur"...


Sur la liberté d'expression : Chapitre 9 du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.




jeudi 21 décembre 2017

CEDH : Première procédure en manquement

Le 5 décembre 2017, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a décidé d'engager une procédure en manquement contre l'Azerbaïdjan. C'est la première fois qu'une telle procédure est mise en oeuvre, depuis qu'elle a été inscrite dans la Convention européenne des droits de l'homme par le Protocole n° 14 de 2010. L'article 46 § 4 du traité énonce désormais : "Lorsque le Comité des Ministres estime qu’une Haute Partie contractante refuse de se conformer à un arrêt définitif dans un litige auquel elle est partie, il peut, après avoir mis en demeure cette Partie et par décision prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité, saisir la Cour de la question du respect par cette Partie de son obligation au regard du paragraphe 1".

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) est désormais saisie du cas de l'Azerbaïdjan qui persiste dans son refus d'appliquer l'arrêt Ilgar Mammadov du 22 mai 2014. Rappelons que M. Mammadov dirigeait le principal parti d'opposition à Ilham Aliyev, le Mouvement de l'alternative républicaine (REAL). Arrêté en février 2013 après avoir annoncé son intention d'être candidat aux élections présidentielles d'octobre 2013, il a condamné à sept ans de prison pour "troubles à grande échelle". Dans son arrêt du 22 mai 2014, la CEDH estime qu'une telle condamnation viole différents articles de la Convention européenne. D'une part, il n'est pas établi que M. Mammadov ait commis des actes justifiant une sanction pénale et son incarcération a en réalité un motif politique. D'autre part, les principes fondamentaux des droits de la défense ont à peu près tous été bafoués durant la procédure. 

L'arrêt, pourtant très sévère, de la CEDH n'a eu aucune conséquence en Azerbaïdjan. Les autorités sont restées sourdes à la dizaine de résolutions qui ont suivi, émanant tant de la Cour que du Comité des ministres, appelant à appliquer l'arrêt et à libérer M. Mammadov. La procédure en manquement apparaît ainsi comme l'arme ultime, lorsque tout autre moyen de pression pour faire exécuter un arrêt a échoué.

Un lien avec la fonction juridictionnelle


Certes, la procédure en manquement n'est pas sans lien avec la fonction juridictionnelle exercée par la CEDH.  Il s'agit en effet d'obtenir l'exécution d'un arrêt, nécessairement liée au droit de recours individuel. Dans la célèbre décision Airey du 9 octobre 1979, la Cour déclare ainsi que "la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires mais concrets et effectifs". L'exécution des arrêts constitue donc la garantie essentielle de l'effectivité du droit européen. C'est si vrai que la CEDH s'efforce de contrôler elle-même l'exécution des décisions qu'elle rend.

La procédure de l'arrêt pilote s'applique aux affaires répétitives qui trouvent leur origine dans un dysfonctionnement chronique du droit interne d'un Etat. Saisie d'un grand nombre de requêtes, la CEDH traite alors en priorité une ou plusieurs d'entre elles et indique au gouvernement concerné les mesures qu'il doit prendre pour remédier à une situation qui viole la Convention européenne. Les autres affaires pendantes sont alors gelées jusqu'à ce que les mesures adéquates soient prises. Si les autorités n'exécutent pas l'arrêt-pilote, la Cour peut toujours "dégeler" les affaires pendantes et prononcer de nouvelles condamnations. Le seul problème est que l'arrêt-pilote ne s'applique qu'aux contentieux de masse, pas à la condamnation d'un opposant politique. 

La Cour s'est aussi reconnue compétente pour juger de nouvelles violations de la Convention provoquées par un nouveau recours devant les juges internes, en vue de faire exécuter un premier arrêt. Cette fois, le problème réside plutôt dans la lenteur de la procédure, surtout si l'on considère que le requérant est victime d'une détention arbitraire et que le plus urgent est de contraindre l'Azerbaïdjan à le libérer.

Arme ultime du contrôle de l'exécution des arrêts de la Cour, le recours en manquement s'analyse aussi comme un constat d'échec du contrôle juridictionnel de cette exécution. Il se traduit en effet par un déplacement du champ juridictionnel au champ politique.


Tartares de Bakou. Alexandre Michon. 1888

Une arme politique

 

Le comité des ministres, composé des ministres des affaires étrangères des Etats membres, est un organe intergouvernemental. Lui seul dispose de l'initiative du recours en manquement, qu'il peut mettre en oeuvre à la majorité des 2/3 de ses membres, après mise en demeure de l'Etat mis en cause. Cette procédure est très proche de celle prévue par l'article 94 de la Charte des Nations Unies, qui donne compétence au Conseil de sécurité en cas d'inexécution par un Etat d'un arrêt de la Cour internationale de justice (CIJ). Ce dernier peut alors "faire des recommandations ou décider des mesures à prendre pour faire exécuter l'arrêt". Cette procédure ne s'exerce cependant que si le Conseil de sécurité "le juge nécessaire", ce qui n'a jamais été le cas jusqu'à aujourd'hui. La formule renvoie à l'idée d'un pouvoir discrétionnaire de nature politique.

Il en est de même du Comité des ministres du Conseil de l'Europe, qui est libre d'engager une procédure en manquement, ou de ne pas l'engager. L'affaire Mammadov est la première décision suscitant la mise en oeuvre de l'article 46 § 4 et la CEDH est donc saisie pour constater le manquement. Si elle estime que l'Azerbaïdjan a effectivement manqué à son engagement de se conformer à l'arrêt de la Cour, l'affaire reviendra au Comité des ministres pour qu'il "examine les mesures à prendre". Ces dernières peuvent aller de la simple pression diplomatique à la suspension, voire à l'exclusion du Conseil de l'Europe. Il y a bien peu de chances cependant que l'on arrive à de telles extrémités, car les premières victimes seraient les citoyens azerbaïdjanais eux-mêmes, privés de la protection de la Cour européenne à un moment où ils ne peuvent compter sur celle de leur système juridique.

L'Azerbaïdjan offre ainsi au Comité des ministres l'occasion de montrer à l'ensemble des Etats membres du Conseil de l'Europe que la procédure de manquement n'est pas simplement une disposition inscrite dans un traité dans un but de dissuasion, pour ne pas en faire usage. L'exemple est bien choisi, car les autorités azerbaïdjanaises ne trouveront certainement pas beaucoup d'Etats prêts à les défendre, et l'éventuelle constatation du manquement par la CEDH n'entrainera aucune crise internationale. L'étude de la jurisprudence de la Cour montre cependant que l'arrêt Mammadov n'est pas le premier à être demeuré inappliqué. Il est vrai que les décisions de la CEDH, comme celles de la plupart des juridictions, sont déclaratoires, et que tout le problème est de les rendre exécutoires.

D'autres Etats, et pas des moindres au sein du Conseil de l'Europe, ont été condamnés à plusieurs reprises pour les mêmes violations de la Convention, sans qu'aucune mesure sérieuse ait été prise par le Comité des ministres pour assurer l'effectivité des arrêts.

C'est ainsi, et ce n'est qu'un exemple, que le Royaume-Uni a été condamné pour sa législation qui interdit l'exercice du droit de vote aux personnes détenues, sans même que cette interdiction soit prononcée par un juge.  Inaugurée par une décision Hirst du 6 octobre   2005,  cette jurisprudence a été réaffirmée dans un arrêt pilote Greens et M. T. c. Royaume Uni du 23 décembre 2010, qui donnait au Royaume-Uni six mois pour accorder le droit de vote aux détenus. A l'issue de ce délai, le Royaume-Uni n'avait toujours pas obtempéré et une nouvelle condamnation est intervenue avec la décision Firth du 11 août 2014.

Dans une décision du même jour que celle qui a visé l'Azerbaïdjan, le Comité des ministres fait preuve d'une remarquable indulgence à l'égard du refus d'exécuter un arrêt pendant plus de douze ans. C'est ainsi qu'il "note avec satisfaction" l'évolution du droit britannique qui accorde désormais le droit de vote aux détenus... en libération conditionnelle. Il estime même qu'elle "répond aux arrêts de la Cour européenne". Fin d'alerte donc, et les détenus britanniques demeureront privés du droit de vote, sauf s'ils ne sont plus en prison. Il est vrai que le Royaume-Uni, ce n'est pas l'Azerbaïdjan. Ses relations avec la CEDH ont toujours été difficiles et certains Eurosceptiques n'hésitent pas à agiter la menace d'un nouveau "Brexit des droits de l'homme" qui conférerait aux juges internes britanniques une primauté dans l'interprétation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ramenant la CEDH à un simple rôle consultatif au regard du droit britannique.

Certes, le Comité des ministres a pu considérer que droit de vote des détenus ne présentait pas le même caractère d'urgence que la situation de M. Mammadov, prisonnier politique depuis plus de trois ans. Il n'en demeure pas moins qu'un arrêt vieux de douze ans demeurera finalement inappliqué. Doit-on s'en étonner ? Sans doute pas.  Dès lors que l'exécution des arrêts de la Cour fait l'objet d'un contrôle politique, il n'est pas surprenant que le poids politique des Etats ait une influence sur la procédure. Nous touchons là les limites que sont celles de toute juridiction internationale.


Sur la Cour européenne : Chapitre 1, section 2 § 2 B du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.


dimanche 17 décembre 2017

Consultation habituelle de sites terroristes : saison 2

La décision rendue sur question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel le 15 décembre 2017 est tout à fait remarquable. C'est en effet la seconde abrogation du délit de consultation habituelle de sites terroristes figurant à l'article 421-2-5-2 du code pénal. Une première rédaction avait déjà été censurée par QPC le 10 février 2017, il y a dix mois. Quelques jours après cette première décision, la loi du 28 février 2017 réintroduisait l'infraction dans l'ordre juridique. La seconde rédaction, sans doute réalisée dans la précipitation, donne aujourd'hui lieu à une seconde censure.

Une telle situation n'est pas fréquente. Doit-on y voir l'entêtement du Conseil constitutionnel qui, décidément, ne veut pas entendre parler du délit de consultation habituelle des sites terroristes ?  S'agit-il au contraire d'un acharnement du parlement qui persiste à voter des dispositions déjà jugées inconstitutionnelles ?

Une histoire chaotique


Jamais mise en oeuvre, cette infraction a pourtant une histoire déjà longue et chaotique. A l'issue de l'assaut donné à l'appartement de Mohamed Merah, en mars 2012, le Président de la République de l'époque, Nicolas Sarkozy, annonçait la création d'un nouveau délit "de consultation habituelle de sites faisant l'apologie du terrorisme ou qui appellent à la haine ou à la violence". Dans un avis du 5 avril 2012 rendu à propos du projet de loi de prévention et lutte contre le terrorisme, le Conseil d'Etat avait considéré que de "telles dispositions portaient à la liberté de communication (...) une atteinte qui ne pouvait être regardée comme nécessaire, proportionnée et adaptée à l'objectif de lutte contre le terrorisme".  Elles avaient alors été retirées du texte qui allait devenir la loi du 21 décembre 2012

Une seconde tentative d'introduction de ce délit dans l'ordre juridique a échoué en décembre 2015, avec une proposition de loi "tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste", proposition qui n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

Une troisième tentative rencontre davantage de succès avec un amendement sénatorial à la loi du 3 juin 2016, finalement adopté et maintenu en commission mixte paritaire, alors même que Jean-Jacques Urvoas, le Garde des Sceaux de l'époque, s'y était opposé. Quant au rapporteur du texte à l'Assemblée, il affirmait "émettre des réserves sur sa constitutionnalité" (...) "La jurisprudence tranchera sans doute rapidement sur ce point". La loi n'a cependant pas été immédiatement déférée au Conseil constitutionnel, et le nouveau délit n'a été abrogé que par la QPC de février 2017.

Dans cette première décision, le Conseil s'appuyait sur l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. qui consacre la liberté d'expression, et par extension, celle de communication, généralement définie comme garantissant le droit de diffuser et de recevoir des idées. Appliquant la jurisprudence issue de sa décision du 10 juin 2009 rendue à propos de la loi Hadopi, le Conseil exerce un contrôle de proportionnalité. En février 2017, il estime ainsi que le délit de consultation habituelle des sites terroristes, dans sa rédaction issue de la loi du 3 juin 2016, ne répond pas aux conditions de nécessité, d'adaptation et de proportionnalité à l'objectif poursuivi de lutte contre le terrorisme. Concrètement, c'est surtout l'absence de nécessité du nouveau délit qui est sanctionnée, le Conseil estimant que de nombreuses dispositions du code pénal permettent déjà de sanctionner la préparation d'un acte terroriste et que les services de police comme de renseignement disposent de tous les moyens utiles à la recherche des faits, y compris en matière de consultation de sites sur internet.

L'oreille cassée. Hergé.

La seconde rédaction 


La seconde rédaction est aussi malencontreuse que la première. Certes, le législateur de février 2017 s'efforce d'être un peu plus précis. C'est ainsi qu'il écarte toute référence à la bonne foi des personnes qui ont un motif légitime pour consulter un tel site, qu'il s'agisse des journalistes, des chercheurs ou des services de police et de justice. La notion était en effet totalement incertaine, car il était pratiquement impossible de démontrer la mauvaise foi de personnes agissant dans l'exercice normal de leur profession.

Voulant sans doute rassurer le Conseil constitutionnel, le législateur a aussi ajouté que le délit de consultation habituelle de sites terroristes ne serait constitué que si cette consultation "s'accompagne d'une manifestation de l'adhésion à l'idéologie exprimée sur ce service". Hélas, cette rédaction fait plus de mal que de bien... La définition même de cette "manifestation de l'adhésion à l'idéologie exprimée" reste obscure. Si l'individu est seul devant son ordinateur, comment caractériser cette "manifestation" ? S'il n'est plus seul, et communique avec d'autres personnes, son comportement relève alors de l'apologie du terrorisme, infraction qui figure déjà dans le code pénal. 


La mise en oeuvre de l'infraction n'est pas plus simple que sa définition. L'adhésion à l'idéologie est un élément constitutif de l'infraction, mais pas la volonté de commettre un acte terroriste. La consultation de sites internet ne suffit donc pas à établir l'existence d'une volonté de commettre des actes terroristes, quand bien même l'internaute manifesterait son adhésion à l'idéologie. En l'absence d'intention terroriste, caractérisée par des éléments factuels, le Conseil en déduit qu'une peine de deux ans d'emprisonnement est bien lourde, lorsqu'il s'agit de réprimer "le seul fait de consulter à plusieurs reprises un service de communication au public en ligne ".  Dès lors, l'infraction est disproportionnée à l'objectif de lutte contre le terrorisme, tout simplement parce qu'il n'y a pas de projet terroriste constitué. Et le Conseil d'ajouter, comme dans sa première décision, que le droit offre à la justice ainsi qu'aux services de police et de renseignement toute une série de moyens pour leur permettre de prouver cette intention terroriste.

Entêtement du Conseil constitutionnel ou acharnement du Parlement ? Le Conseil se borne à reprendre sa jurisprudence antérieure, par laquelle il avait montré clairement sa volonté d'enterrer purement et simplement ce nouveau délit. Comme d'habitude, on constate d'ailleurs une remarquable coïncidence entre la position exprimée par le Conseil d'Etat dans son avis préalable à la loi du 3 juin 2016 et la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Le Parlement, quant à lui, à rétabli le délit de consultation habituelles de sites terroristes dans la loi de février 2017 par un amendement du sénateur Philippe Bas (LR, Manche), finalement accepté en commission mixte paritaire. Lors des débats, le vice-président de la commission des lois, Dominique Raimbourg (PS, Loire Atlantique) avait pourtant mis en garde ses collègues, en affirmant que "le Conseil constitutionnel avait, dans sa (première) décision, fermé toutes les portes". Son avertissement n'a pas été entendu, tant il est vrai qu'une majorité des parlementaires de l'époque étaient prêts à voter une disposition mal écrite mais qu'ils espéraient payantes sur le plan électoral. Nul n'a saisi le Conseil constitutionnel avant promulgation de la loi, et le contrôle de constitutionnalité ne pouvait donc intervenir que par une QPC, après les élections. La bonne nouvelle, car il y en a une, est qu'en l'absence d'élection imminente, il est peu probable que le Parlement tente une troisième rédaction du délit de consultation habituelle de sites terroristes.

Sur la nécessité de la peine et le terrorisme : Chapitre 4, section 1 § 1 A du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.



vendredi 15 décembre 2017

La vidéosurveillance dans les amphis

La vie privée a parfois besoin d'être protégée au coeur même de l'activité professionnelle, en particulier lorsque la vidéosurveillance est utilisée sur le lieu de travail. Dans son arrêt Antovic et Mirkovic c. Montenegro du 28 novembre 2017, la Cour européenne des droits de l'homme sanctionne ainsi la pratique de l'Université du Montenegro qui avait placé des caméras au coeur des amphithéâtres. 

Deux professeurs de mathématiques, Nevenka Antovic et Jovan Mirkovic ont estimé qu'une telle surveillance, mise en place en mars 2011, portait atteinte à leur vie privée même si elle s'exerçait durant leur vie professionnelle. Sur le fond, ils ont finalement obtenu le retrait des caméras litigieuses, à la suite d'une injonction de l'Agence monténégrine de protection des données personnelles intervenue dès janvier 2012. Aux yeux de l'autorité indépendante, l'installation n'était pas conforme à la loi sur les données personnelles, dès lors qu'elle ne se justifiait pas par des motifs liés à la sécurité des personnes et des biens. L'affaire était pourtant loin d'être close, car les requérants ont vainement demandé aux tribunaux monténégrins réparation du préjudice subi. Après avoir épuisé les voies de recours internes, ils s'adressent à la CEDH en invoquant une violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale.




On connaît la chanson. Alain Resnais. 1997. 
Agnès Jaoui, Sabine Azéma, Lambert Wilson, Jean-Paul Roussillon



Espace professionnel et vie privée


Le gouvernement invoquait l'irrecevabilité de la requête, au motif que la vidéosurveillance d'un amphithéâtre ne soulève aucune question relative à la vie privée. L'Université est une institution publique exerçant une mission d'intérêt général. Si le bureau du professeur peut, dans une certaine mesure, constituer un espace d'autonomie personnelle, il n'en est pas de même de l'amphithéâtre, considéré comme un espace public.

Dpuis son arrêt Niemietz c. Allemagne du 16 décembre 1992, la CEDH affirme régulièrement que la vie privée ne se réduit pas au cercle familial le plus intime, l'espace dans lequel l'individu vit à l'abri du monde extérieur. Dans la récente affaire Barbulescu c. Roumanie du 5 septembre 2017, elle va jusqu'à évoquer "le droit de mener une vie sociale privée" à l'appui d'une décision qui sanctionne le licenciement d'un salarié intervenu à la suite d'une surveillance de ses courriels par son employeur, surveillance effectuée à l'insu du salarié concerné. Pour la Cour, les liens sociaux peuvent donc relever de la vie privée, même au sein de l'activité professionnelle. Dans ce même arrêt Barbulescu, elle identifie ainsi un "droit de construire son identité sociale", droit protégé par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

L'amphithéâtre dans lequel le professeur dispense son enseignement est-il un espace dans lequel il construit aussi son identité sociale ? A cette question, la CEDH répond positivement, rappelant qu'un cours implique pour le professeur une interaction avec les étudiants, des relations mutuelles, des échanges dans lesquels sa personnalité se déploie,  son identité sociale se construit. L'utilisation de la vidéosurveillance dans un tel cadre constitue donc une ingérence dans sa vie privée. Cette dernière ne disparaît pas à la porte de l'amphi. Elle continue d'exister à l'intérieur, même si l'intensité de sa protection est nécessairement plus réduite que lorsqu'elle se déploie dans l'intimité du domicile.

La vidéosurveillance, comme d'autres ingérences dans la vie privée, peut cependant être licite si elle est prévue par la loi, si elle a but légitime et si elle est "nécessaire dans une société démocratique" (CEDH, 18 octobre 2016, Vukota-Bojic c. Suisse).


L'absence de fondement législatif


A partir du moment où la CEDH accepte d'apprécier la vidéosurveillance d'un amphithéâtre au regard des conditions posées par l'article 8 alinéa 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, sa décision au fond ne fait plus aucun doute. En effet, les tribunaux monténégrins ont toujours écarté la loi interne sur les données personnelles. A leurs yeux, le texte était inapplicable en l'espèce, puisque l'enseignement ne relevait pas de la vie privée.

Or, la loi monténégrine est très claire. Son article 35 énonce qu'une institution publique, comme une Université, peut utiliser la vidéosurveillance sur ses voies d'accès et dans les parties communes qui desservent les différents bâtiments. A l'intérieur de ceux-ci, des caméras peuvent être installées, seulement si la sécurité des personnes et des biens y est particulièrement menacée ou s'il est nécessaire de protéger des informations particulièrement confidentielles. Encore faut-il qu'il n'existe aucun autre moyen de réaliser ces objectifs. 

Dans le cas présent, la Cour note qu'aucune alternative à la vidéosurveillance n'a été étudiée. Au contraire, l'Agence de protection de données a considéré que la sécurité des personnes et des biens n'était pas spécialement menacée dans les amphithéâtres de l'Université de mathématiques. Il n'est d'ailleurs pas exclu que les caméras aient eu pour objet la surveillance des professeurs, voire du contenu de leurs cours. Dans ces conditions, il apparaît clairement que la vidéosurveillance n'est pas conforme à la loi monténégrine. Aux yeux de la CEDH, elle est donc dépourvue de fondement législatif. Cette constatation permet, à elle seule, de constater la violation de l'article 8, sans qu'il soit nécessaire d'entrer dans un quelconque contrôle de proportionnalité.

L'absence de principes contraignants


La CEDH définit ainsi, au fil de sa jurisprudence, les espaces de vie privée qui doivent demeurer à l'abri de la vidéosurveillance. Ils sont définis a posteriori, au cas par cas, lorsque la Cour est saisie. C'est ainsi que la surveillance d'une voie publique est possible, mais l'atteinte à la vie privée est constituée si les images d'une tentative de suicide captées sur cette même voie publique sont transmises aux médias (CEDH, 28 juin 2003, Peck c. Royaume-Uni). Des caméras peuvent être déployées sur un campus, mais pas dans les amphithéâtres. Pour le moment, la jurisprudence est à la fois rare et impressionniste. Elle juge des situations de fait sans poser de principes réellement contraignants. 

Il ne fait aucun doute que l'arrêt Antovic et Mirkovic c. Montenegro n'aura absolument aucun impact en France. En dehors de toute approche juridique, la pauvreté des Universités constitue un frein extrêmement efficace à l'installation de caméras. Il n'en demeure pas moins que l'arrêt illustre parfaitement un contraste inquiétant. D'un côté, des Etats et des collectivités territoriales qui invoquent la menace terroriste pour développer considérablement la vidéosurveillance, sans réaction de la part d'une opinion publique persuadée que les caméras sont indispensables à sa sécurité. De l'autre côté, l'incapacité du droit européen à développer des standards communs dans ce domaine. Le risque est qu'à terme, le droit au respect de la vie privée perde de sa substance lorsqu'il est confronté aux préoccupations de sécurité. N'entend-on pas déjà, ici et là, que celui qui n'a rien à cacher doit accepter la surveillance comme un mal nécessaire ? Les autres, ceux qui aspirent simplement au respect de leur vie privée ont donc, nécessairement, quelque chose à cacher...

Sur la vidéoprotection : Chapitre 8, section 4 § 2 du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.



lundi 11 décembre 2017

Magistrats du parquet : l'indépendance dans la dépendance

La décision rendue sur QPC le 8 décembre 2017 par le Conseil constitutionnel sur l'indépendance des magistrats du parquet était très attendue. A l'occasion d'un recours contre le décret du 25 avril 2017 effectuant certaines modifications de détail dans l'organisation du ministère de la justice, l'Union syndicale des magistrats (USM) a en effet posé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité à la Constitution de l'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature. Ses dispositions énoncent que "Les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du garde des sceaux, ministre de la justice. A l'audience, leur parole est libre". 

Aux yeux du syndicat requérant, auquel se sont joints devant le Conseil constitutionnel le Syndicat de la magistrature et FO-magistrats, cette disposition porte atteinte à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui consacre la séparation des pouvoirs et à l'article 64 de la Constitution qui garantit l'indépendance de l'autorité judiciaire. Le 27 septembre 2017, le Conseil d'Etat avait jugé la question suffisamment sérieuse pour être renvoyée au Conseil constitutionnel.

Ce dernier ne voit pourtant aucune contradiction entre ces textes. Il juge que la soumission hiérarchique des magistrats du parquet au ministre de la justice n'est pas incompatible avec le principe d'indépendance des magistrats. L'indépendance s'exerce dont dans la dépendance... Sans doute influencé par Hegel et devenu maître dans la conciliation des contraires, le Conseil constitutionnel doit cependant motiver sa décision, et la difficulté de l'entreprise apparaît clairement à la lecture de la décision. Elle est d'une remarquable concision, au point que le raisonnement juridique semble elliptique.

L'article 16 de la Déclaration de 1789


L'article 16 de la Déclaration de 1789, selon lequel "toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution" est certes rappelé parmi les "normes de référence", mais l'analyse tourne court et il n'y est plus fait référence dans la suite de la décision. Le Conseil aurait, au moins, pu rappeler que le constituant de 1958 a choisi d'intituler le titre VIII  "De l'Autorité judiciaire", précisément pour ne pas parler de pouvoir judiciaire et laisser en l'état la question de la subordination du parquet. 

Il n'empêche que la séparation des pouvoirs, telle qu'elle est consacrée dans l'article 16, constitue le fondement des principes d'impartialité et d'indépendance des juridictions, dont le Conseil affirme régulièrement, dans une formulation toujours identique, qu'ils "sont indissociables de l'exercice des fonctions juridictionnelles" (par exemple, décision du 28 décembre 2006). La question essentielle est alors la suivante : Comment admettre que le principe d'indépendance des juridictions soit respecté, alors que certains magistrats sont précisément dans un statut de dépendance ? Le Conseil écarte la question, ce qui lui évite d'avoir à y répondre.

L'Exécutif et la politique pénale


Il préfère s'appuyer sur d'autres dispositions. Il va ainsi opérer une conciliation entre les articles 20 et 64 de la Constitution. Aux termes de l'article 20, "le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation". Le Conseil précise immédiatement que cette compétence gouvernementale s'applique "notamment en ce qui concerne les domaines d'action du ministère public". C'est la première fois que le Conseil affirme ainsi l'existence d'une politique pénale s'exprimant par le pouvoir hiérarchique. Il rappelle donc, comme un fait indiscutable, que "les dispositions contestées placent les magistrats du parquet sous l'autorité du garde des sceaux, ministre de justice". 

Le Conseil affirme ensuite que cette autorité s'exerce avec une légèreté de bon aloi. Certes le Garde des Sceaux exerce un pouvoir de nomination et de sanction  à l'égard des magistrats du parquet. Mais l'un et l'autre sont précédés d'un avis de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Bien entendu, le Conseil constitutionnel ne s'étend pas sur le fait que si le ministre de la justice est obligé de saisir le CSM, il n'est pas tenu de suivre son avis, situation qui maintient intact le pouvoir discrétionnaire de l'Exécutif sur ces pouvoirs de nomination et de sanction.

Le Conseil constitutionnel ajoute que le Garde des sceaux peut, en application du deuxième alinéa de l'article 30 du code de procédure pénale, adresser aux magistrats du ministère public des instructions générales de politique pénale. Leur objet est d'assurer l'égalité devant la loi, en s'assurant que les justiciables sont traités de la même manière sur l'ensemble du territoire. Dans ce cas, la logique de l'article 20 de la Constitution veut que les procureurs soient placés dans une situation de dépendance à l'égard de l'Exécutif.  Le Conseil constitutionnel pourrait limiter son raisonnement à cette constatation.  Affirmant clairement que le pouvoir judiciaire n'existe pas, il en tirerait la conséquence logique que les procureurs sont des fonctionnaires comme les autres, soumis au pouvoir hiérarchique du ministre.

Le contorsionniste ou la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Allégorie
 

Indépendance et impartialité


Mais le Conseil ne s'arrête pas là. Après avoir affirmé la dépendance des magistrats du parquet, il rappelle qu'avec l'article 64, "la Constitution consacre l'indépendance des magistrats du parquet".  Mais celle-ci "n'est pas assurée par les mêmes garanties que celles applicables aux magistrats du siège" et "doit être conciliée avec les prérogatives du Gouvernement" .

Le Conseil énumère ensuite les garanties d'indépendance dont, à ses yeux, bénéficient les membres du parquet. Aux termes de ce même article 30 du code de procédure pénale, ils ne reçoivent aucune instruction du ministre de la justice dans les affaires individuelles. En application de l'article 33, ils développent librement leurs observations orales, et, cette fois sur le fondement de l'article 40-1, ils peuvent décider de l'opportunité des poursuites. L'article 31 fait référence au "principe d'impartialité" auquel ils sont tenus dans l'exercice de l'action publique.

Sans doute, mais il existe une différence entre l'impartialité et l'indépendance. L'impartialité impose certaines procédures destinées à prévenir et sanctionner un parti-pris dans l'opération de juger. L'indépendance est une garantie statutaire qui protège les juges de l'ingérence d'un autre pouvoir, exécutif ou législatif. Le Conseil constitutionnel assimile tout simplement l'impartialité à l'indépendance et... le tour est joué. Il juge que la conciliation entre les compétences gouvernementales et l'indépendance des magistrats du parquet est satisfaisante. Les magistrats du parquet se voient ainsi qualifiés d'indépendants, dans un statut de dépendance.

Absence de dialogue des juges


Dans le cas présent, le dialogue des juges, si souvent loué dans notre système juridique, est singulièrement absent.

On sait que la Cour européenne refuse de considérer les membres du parquet comme des "magistrats habilités à exercer des fonctions judiciaires" au sens de l'article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. En novembre 2010, le désormais célèbre arrêt Moulin sanctionnait ainsi une détention de mise en détention prise par un procureur adjoint. Pour la Cour, les membres du parquet étaient trop dépendants de l'Exécutif pour être considérés comme des "magistrats". Certes, quelques bricolages juridiques ont été mis en oeuvre pour empêcher les sanctions intempestives des juges de Strasbourg. On a élargi les compétences du juge de la liberté et de la détention en réduisant un peu celles des procureurs.. mais cela n'empêche pas que les membres du parquet ne sont toujours pas des magistrats pour la CEDH. Ce n'est pas la décision du Conseil constitutionnel qui va résoudre le problème et empêcher de nouvelles condamnations du système français.

L'acrobatie dialectique à laquelle se livre le Conseil constitutionnel dans sa décision du 8 décembre 2017 était peut-être nécessaire en l'état actuel du droit. Il ne lui appartient pas, en effet, de réécrire une Constitution qui écarte l'idée même de pouvoir judiciaire. La décision montre cependant que la question d'une révision constitutionnelle mettant en oeuvre un véritable régime de séparation des pouvoirs doit désormais être posée. Elle va se heurter à bien des réticences, provenant en particulier des membres du Conseil d'Etat, surprenants magistrats qui ne sont pas rattachés au pouvoir judiciaire. Mais ces résistances ne doivent pas empêcher d'ouvrir le débat.


Sur l'indépendance du parquet : Chapitre 4, section 1 § 1 D du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.