Une histoire chaotique
Une troisième tentative rencontre davantage de succès avec un amendement sénatorial à la loi du 3 juin 2016, finalement adopté et maintenu en commission mixte paritaire, alors même que Jean-Jacques Urvoas, le Garde des Sceaux de l'époque, s'y était opposé. Quant au rapporteur du texte à l'Assemblée, il affirmait "émettre des réserves sur sa constitutionnalité" (...) "La jurisprudence tranchera sans doute rapidement sur ce point". La loi n'a cependant pas été immédiatement déférée au Conseil constitutionnel, et le nouveau délit n'a été abrogé que par la QPC de février 2017.
Dans cette première décision, le Conseil s'appuyait sur l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. qui consacre la liberté d'expression, et par extension, celle de communication, généralement définie comme garantissant le droit de diffuser et de recevoir des idées. Appliquant la jurisprudence issue de sa décision du 10 juin 2009 rendue à propos de la loi Hadopi, le Conseil exerce un contrôle de proportionnalité. En février 2017, il estime ainsi que le délit de consultation habituelle des sites terroristes, dans sa rédaction issue de la loi du 3 juin 2016, ne répond pas aux conditions de nécessité, d'adaptation et de proportionnalité à l'objectif poursuivi de lutte contre le terrorisme. Concrètement, c'est surtout l'absence de nécessité du nouveau délit qui est sanctionnée, le Conseil estimant que de nombreuses dispositions du code pénal permettent déjà de sanctionner la préparation d'un acte terroriste et que les services de police comme de renseignement disposent de tous les moyens utiles à la recherche des faits, y compris en matière de consultation de sites sur internet.
L'oreille cassée. Hergé. |
La seconde rédaction
La seconde rédaction est aussi malencontreuse que la première. Certes, le législateur de février 2017 s'efforce d'être un peu plus précis. C'est ainsi qu'il écarte toute référence à la bonne foi des personnes qui ont un motif légitime pour consulter un tel site, qu'il s'agisse des journalistes, des chercheurs ou des services de police et de justice. La notion était en effet totalement incertaine, car il était pratiquement impossible de démontrer la mauvaise foi de personnes agissant dans l'exercice normal de leur profession.
Voulant sans doute rassurer le Conseil constitutionnel, le législateur a aussi ajouté que le délit de consultation habituelle de sites terroristes ne serait constitué que si cette consultation "s'accompagne d'une manifestation de l'adhésion à l'idéologie exprimée sur ce service". Hélas, cette rédaction fait plus de mal que de bien... La définition même de cette "manifestation de l'adhésion à l'idéologie exprimée" reste obscure. Si l'individu est seul devant son ordinateur, comment caractériser cette "manifestation" ? S'il n'est plus seul, et communique avec d'autres personnes, son comportement relève alors de l'apologie du terrorisme, infraction qui figure déjà dans le code pénal.
La mise en oeuvre de l'infraction n'est pas plus simple que sa définition. L'adhésion à l'idéologie est un élément constitutif de l'infraction, mais pas la volonté de commettre un acte terroriste. La consultation de sites internet ne suffit donc pas à établir l'existence d'une volonté de commettre des actes terroristes, quand bien même l'internaute manifesterait son adhésion à l'idéologie. En l'absence d'intention terroriste, caractérisée par des éléments factuels, le Conseil en déduit qu'une peine de deux ans d'emprisonnement est bien lourde, lorsqu'il s'agit de réprimer "le seul fait de consulter à plusieurs reprises un service de communication au public en ligne ". Dès lors, l'infraction est disproportionnée à l'objectif de lutte contre le terrorisme, tout simplement parce qu'il n'y a pas de projet terroriste constitué. Et le Conseil d'ajouter, comme dans sa première décision, que le droit offre à la justice ainsi qu'aux services de police et de renseignement toute une série de moyens pour leur permettre de prouver cette intention terroriste.
Entêtement du Conseil constitutionnel ou acharnement du Parlement ? Le Conseil se borne à reprendre sa jurisprudence antérieure, par laquelle il avait montré clairement sa volonté d'enterrer purement et simplement ce nouveau délit. Comme d'habitude, on constate d'ailleurs une remarquable coïncidence entre la position exprimée par le Conseil d'Etat dans son avis préalable à la loi du 3 juin 2016 et la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Le Parlement, quant à lui, à rétabli le délit de consultation habituelles de sites terroristes dans la loi de février 2017 par un amendement du sénateur Philippe Bas (LR, Manche), finalement accepté en commission mixte paritaire. Lors des débats, le vice-président de la commission des lois, Dominique Raimbourg (PS, Loire Atlantique) avait pourtant mis en garde ses collègues, en affirmant que "le Conseil constitutionnel avait, dans sa (première) décision, fermé toutes les portes". Son avertissement n'a pas été entendu, tant il est vrai qu'une majorité des parlementaires de l'époque étaient prêts à voter une disposition mal écrite mais qu'ils espéraient payantes sur le plan électoral. Nul n'a saisi le Conseil constitutionnel avant promulgation de la loi, et le contrôle de constitutionnalité ne pouvait donc intervenir que par une QPC, après les élections. La bonne nouvelle, car il y en a une, est qu'en l'absence d'élection imminente, il est peu probable que le Parlement tente une troisième rédaction du délit de consultation habituelle de sites terroristes.
Sur la nécessité de la peine et le terrorisme : Chapitre 4, section 1 § 1 A du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.
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