Le droit au travail
Le droit au travail est une notion au contenu incertain. Il est certes mentionné dans l'article 23 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui garantit à chacun le "droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail (...)" mais on sait que cette Déclaration n'est pas invocable devant les juges français. Il figure aussi dans l'article 6 du Pacte international de 1966 sur les droits économiques, sociaux et culturels qui énonce que "les Etats parties (...) reconnaissent le droit au travail". Le juge administratif considère que ces dispositions ne sont pas suffisamment précises pour produire des effets dans l'ordre interne. Le juge judiciaire, quant à lui, ne s'y réfère que de manière très exceptionnelle, par exemple en matière de repos dominical.
La Convention européenne des droits de l'homme n'apporte guère de précision. Son texte ignore le droit au travail, et la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) ne l'a intégré, qu'en le rattachant à l'article 8 qui garantit le droit à la vie privée et familiale. Cette consécration est d'ailleurs relativement récente. L'arrêt Sidabras et Dziautas c. Lituanie du 27 juillet 2004 sanctionne ainsi la politique de "lustration" lituanienne qui interdisait l'accès à certains professions aux anciens agents du KGB. Pour la CEDH, une telle mesure portait atteinte au droit de nouer des relations avec l'extérieur et à celui de gagner sa vie.
Cette décision éclaire la distinction que fait le droit positif entre la liberté du travail et le droit à l'emploi. La première permet à chacun de travailler sans entraves excessives. Le second fait peser sur l'Etat l'obligation de mettre en oeuvre une politique publique destinée à aider ceux qui n'ont pas de travail, par une assistance financière et par une aide à la recherche d'emploi. Ces deux éléments sont clairement mentionnés dans le Préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel "chacun a le devoir de travail et le droit d'obtenir un emploi". Sur ce fondement, le Conseil constitutionnel considère, depuis une décision du 26 juin 1986, que le droit au travail fait partie des "règles et principes constitutionnels".
Les projets d'ordonnances ne concernent la liberté de travail qu'à la marge. Encore ne s'agit-il, pour la plupart des mesures envisagées, que d'étendre la liberté de l'entrepreneur. La liberté du travail se rapproche alors considérablement de la liberté d'entreprendre. Qu'il s'agisse de faciliter le recours au contrat de chantier, ou d'autoriser la "rupture conventionnelle collective", toutes ces procédures ont pour objet d'assouplir les conditions d'adaptation au marché, en espérant que la simplification du licenciement incitera l'entreprise à embaucher. De même, les projets visent à limiter autant que possible le contentieux du licenciement, d'une part avec la mise en place de formulaires-types permettant à l'employeur de ne pas faire d'erreur de procédure susceptible d'être sanctionnée par le juge, d'autre part en réduisant le délai de prescription. Il est désormais unifié à un an pour tout type de licenciement, alors qu'il était auparavant d'un an en cas de licenciement économique et de deux ans dans tous les autres cas.
Ouvriers et travailleurs sur les quais de Sèvres. Maximilien Luce. 1858-1941 |
Les droits dans le travail : la négociation collective
L'essentiel du dispositif présenté par le gouvernement concerne non pas le droit au travail, mais les droits dans le travail, au premier rang desquels figure le droit à la négociation collective. Il est mentionné dans le Préambule de la Constitution de 1946 qui affirme le droit de "tout travailleur de participer, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective de ses conditions de travail ainsi qu'à la gestion de l'entreprise". Ce n'est que récemment que le Conseil constitutionnel a attribué à ces dispositions une réelle portée juridique. Dans une décision QPC du 9 décembre 2011, il abroge ainsi une disposition refusant aux agents contractuels de droit public de Nouvelle Calédonie l'exercice du droit à la négociation collective.
Sans entrer dans ses détails, qui relèvent du droit du travail, on observe que les projets d'ordonnances reposent sur trois principes.
La simplification des structures de dialogue est d'abord recherchée. Dans toutes les entreprises de plus de 50 salariés, un unique Comité Social et Economique (CSE) exercera les fonctions auparavant dévolues à trois instances, délégués du personnel, comité d'entreprise et comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). L'objet d'une telle réforme est d'accroître l'efficacité du dialogue social en offrant à l'entreprise une simplification et aux salariés un poids accru dans la négociation.
L'entreprise, et c'est le second principe, doit redevenir le centre du dialogue social. Si les accords de branche ne sont pas abandonnés, l'idée demeure d'accroître la décentralisation en privilégiant le niveau de l'entreprise. Chaque structure pourra ainsi définir son agenda de négociation au sein de l'espace unique que constitue le CSE.
Enfin, le dernier élément essentiel réside dans la remise en cause du poids des structures syndicales dans la négociation collective. C'est ainsi que les TPE, entreprises de moins de 20 salariés, pourront négocier un accord d'entreprise, sans intervention syndicale. La pratique du référendum d'entreprise est désormais institutionnalisée, moyen de court-circuiter le monopole syndical. Il ne fait guère de doute que ces dispositions vont susciter l'irritation des syndicats, mais elles n'ont rien d'inconstitutionnel. Rappelons en effet que le Préambule de 1946 se borne à affirmer un droit de "tout travailleur" à participer à la "détermination collective de ses conditions de travail". Et si le texte mentionne qu'il exerce ce droit "par l'intermédiaire de ses délégués", rien ne précise que ces délégués sont des délégués syndicaux. Surtout, cette évolution apparaît comme la conséquence de la chute de la représentation syndicale. En 2016, le taux de syndicalisation était de 8,7 % dans le secteur privé, chiffre qui met en question la notion même de représentation syndicale.
L'office du juge
Les projets d'ordonnance s'inscrivent donc dans une logique libérale. L'idée est d'assouplir, de simplifier, pour permettre une meilleure adaptation de l'entreprise au marché.
Il reste cependant à se poser la question du contrôle de ces nouvelles procédures. Aucune réforme des conseils des prud'hommes n'est envisagée, alors même que le poids des syndicats dans ces juridictions est souvent mis en cause et que la jurisprudence est bien souvent déterminée par une appréciation des faits largement subjective. Les projets d'ordonnances s'efforcent néanmoins de réduire l'autonomie de ces juridictions en prévoyant, en cas de licenciement, des barèmes d'indemnisation prévus par la loi.
Une telle disposition témoigne d'une grande méfiance à l'égard de l'office du juge et on peut s'interroger sur sa constitutionnalité. En effet, le principe d'individualisation des décisions de justice doit laisser au juge la possibilité de moduler la réparation octroyée, au regard de l'examen particulier de chaque dossier. Or, les ordonnances n'offrent au juge la possibilité de sortir du barème que lorsque le salarié a fait l'objet d'un licenciement pour des motifs discriminatoires ou de harcèlement. Dans tous les autres cas, le juge est lié par le barème qui lui est imposé. On peut évidemment comprendre la méfiance du gouvernement à l'égard de la juridiction du travail. Mais il aurait sans doute été plus judicieux d'engager enfin une réforme d'ampleur des prud'hommes plutôt que de porter atteinte à l'office du juge et au principe d'individualisation des décisions de justice.
Sur le droit au travail : Chapitre 13 section 2 § 1 du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.