Une telle décision suscite débat. Pour ses détracteurs, la suspension du RSA constitue une atteinte à un droit et le titulaire d'une prestation peut dépenser son argent comme il l'entend, y comprend dans l'achat d'alcool, sans que les autorités aient à voir avec ses choix. Les partisans de cette suspension, et d'abord l'élu, font valoir d'autres arguments, en particulier l'ordre public qui serait troublé par les débordements de quelques joyeux ivrognes, suscitant l'irritation de la population locale et des commerçants de Pont-Sainte-Maxence. Derrière l'anecdote se cachent souvent des problèmes juridiques de fond, et c'est le cas en l'espèce.
Le RSA est-il un droit ?
La première question posée est la suivante : le RSA est-il un droit ? On peut répondre positivement à cette question dès lors qu'il n'est pas attribué sur le fondement d'un pouvoir purement discrétionnaire, comme le serait, par exemple, une aide attribuée par une commune à une famille particulièrement méritante et provisoirement dans les difficultés. Le RSA n'est pas la charité.
Le RSA a remplacé à la fois le revenu minimum d'insertion (RMI) et l'allocation de parent isolé (API) le 1er juin 2009. Il est attribué si l'intéressé répond à un certain nombre de conditions fixées de manière extrêmement précises :
- être âgé de plus de 25 ans ou assumer la charge d'un ou une plusieurs enfants, ou encore avoir exercé une activité professionnelle pendant au moins au moins deux durant les trois dernières années précédant la demande de RSA ;
- résider de manière stable et régulière sur le territoire français (sans condition de nationalité) ;
- disposer de ressources inférieures à un revenu garanti fixé par les textes ; A partir de ce montant forfaitaire, le RSA est calculé individuellement pour chaque demandeur
Considéré sous cet angle, le RSA est un droit. Le Conseil constitutionnel consacre d'ailleurs un droit à des moyens convenables d'existence, en particulier dans sa décision du 29 décembre 2009. Il trouve son fondement dans le Préambule de la Constitution de 1946, d'abord dans l'alinéa 10 selon lequel "la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement", ensuite dans l'alinéa 11 qui affirme que "tout individu qui (...) se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence". Cette formulation généreuse ne doit cependant pas faire illusion. Le Conseil estime en effet qu'il appartient au législateur d'organiser l'exercice de ce droit comme il l'entend, selon des modalités que le Conseil laisse à sa libre appréciation.
Un droit et des devoirs
Le droit au RSA s'exerce donc dans le cadre des lois qui le réglementent. Et il faut bien reconnaître que la reconnaissance d'un droit social s'accompagne aussi d'un devoir imposé à son titulaire. En juin 1792, le projet de décret sur l'organisation générale des secours publics était ainsi présenté à l'assemblée législative : "L'assistance du pauvre ne doit point être gratuite et (celui-ci) doit donner à la société son travail en échange des secours qu'il reçoit ». De nos jours, les alinéas 10 et 11 du Préambule de 1946 qui reconnaissent le droit à l'assistance doivent s'articuler avec l'alinéa 5 qui énonce que "chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi".
En matière de RSA, nul n'ignore que la plupart des bénéficiaires préféreraient nettement travailler plutôt que vivre avec l'aide de la collectivité publique. Si la crise économique ne permet pas de leur imposer un véritable devoir de travailler, l'organisation du RSA leur impose tout de même de chercher un emploi et de se plier à une obligation d'insertion. C'est ainsi qu'un "référent" les accompagne dans leur parcours de retour à la vie active, en leur proposant, soit un projet personnalisé d'accès à l'emploi (PPAE), soit un contrat d'insertion. En dehors de cette obligation d'ordre général, ils sont également tenus de solliciter toutes les aides auxquelles ils peuvent prétendre avant de faire leur demande de RSA.
Il n'est dit nulle part, cependant, que le RSA est versé sous condition de sobriété. Sur le plan strictement juridique, il n'est donc pas possible de refuser la prestation à un demandeur, ou de la suspendre, parce qu'il est alcoolique ou de la lui retirer pour les mêmes motifs. Or une telle décision doit être motivée, élément essentiel dans l'hypothèse d'un recours contentieux.
Cette impossibilité de se fonder sur l'alcoolisme du bénéficiaire ne signifie pas cependant que les élus locaux soient sans moyens juridiques face à une telle situation. La décision de suspension de 80 % du RSA notifiée à l'intéressé n'a pas été publiée et n'a pas à l'être. Il serait pourtant bien utile de connaître sa motivation. Si le présidence du conseil départemental se fonde uniquement sur l'alcoolisme de l'intéressé, sa légalité est sans doute très contestable. En revanche, si l'on en croit le portrait de l'intéressé brossé par le maire de Pont-Sainte-Maxence, il est certainement possible de se fonder sur le non-respect de son obligation d'insertion. Apparemment sans domicile fixe et en permanence alcoolisé, rétif à toute proposition d'aide formulée par les services sociaux de la commune, il est très probable qu'il ne se préoccupe guère de sa réinsertion. Or, parmi les causes de suspension prévues par l'article L 262-27 du code de l'action sociale et des familles (CASF), figure en effet le non-respect, "sans motif légitime" de ses obligations par le titulaire du RSA. Nul doute que l'alcool n'est pas vraiment un motif légitime justifiant par une interruption dans la recherche d'un emploi ou dans la démarche d'insertion.
L'échec du RSA
Sur le droit au travail : Chap 13 section 2 du manuel de libertés publiques.