« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 15 juillet 2016

Diffamation et contrôle de proportionnalité

La Cour européenne des droits de l'homme, dans un arrêt du 12 juillet 2016 Reichman c. France, impose l'intégration du contrôle de proportionnalité dans la sanction de la diffamation. 

Le requérant a précisément été reconnu coupable de cette infraction. Responsable de l'émission Libre Journal à Radio Courtoisie en 2006, il intervient à l'antenne à propos de la situation de cette station après le décès son fondateur, Jean Ferré. Il raconte le déroulement d'une réunion du conseil d'administration durant laquelle le nouveau vice-président, M. L., aurait empêché, avec le concours de quelques vigiles, les participants de s'exprimer et décidé de définir seul la ligne éditoriale de la station. Il ajoute " que la situation financière de la radio a donné lieu à certaines... j'allais dire acrobaties... enfin, disons à certains comportements dont l'orthodoxie demande à être vérifiée". En 2009, M. Reichman est condamné à 1000 € d'amende et 1500 € de dommages-intérêts versé à M. L. Ce jugement est confirmé en appel, mais, pour des motifs de procédure, le pourvoi en cassation du requérant est déclaré irrecevable.

Un "excès de formalisme"


Cette question de procédure est au coeur du premier moyen articulé par le requérant qui estime être victime d'une violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal (...)". 

En l'espèce, son avocat a commis l'erreur de lui faire signer un pouvoir spécial l'autorisant à se pourvoir en cassation deux jours avant la décision de la Cour d'appel. Cette précaution était sans doute liée à la brièveté du délai de pourvoi qui est de cinq jours francs à compter du prononcé de la décision attaquée (article 568 code de procédure pénale).  Aux yeux de la Cour de cassation, le document visant une décision de justice non encore prononcée ne saurait s'analyser comme un mandat spécial, au sens où l'entendait alors l'article 576 du code de procédure pénale. Elle déclare donc le pourvoi irrecevable. 

Pour le requérant, cette décision d'irrecevabilité porte atteinte à son droit d'accès à un tribunal, et il fait observer que cette exigence d'un mandat spécial a été supprimée par la loi du 25 janvier 2011. Pour les autorités françaises, cette contrainte de procédure répond à une préoccupation de bonne administration de la justice et de sécurité juridique. Elles s'appuient sur l'arrêt Bertogliati c. France du 4 mai 2000, dans lequel la Cour européenne avait estimé qu'une irrecevabilité prononcée sur ce fondement n'entraînait aucune atteinte à l'article 6 § 1. Elles ajoutent, non sans perfidie, qu'il appartient précisément à l'avocat d'éclairer son client sur les règles de procédure qu'il est censé connaître. 

La Cour européenne des droits de l'homme écarte cette analyse au profit d'une formulation inspirée de son arrêt Walchli c. France du 26 juillet 2007. Elle estime que  "les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité de la procédure, et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par les lois". Dans le cas présent, elle sanctionne un "excès de formalisme", dès lors que la volonté du requérant de se pourvoir en cassation était évidente et qu'il n'a pu exercer cette voie de recours. 

On pourrait évidemment souligner, comme le fait le juge Nussberger dans son opinion dissidente, une certaine contradiction dans le raisonnement de la Cour. Elle admet en effet que la règle de procédure poursuit un but légitime, pour déclarer ensuite que son application conduit à un "formalisme excessif". Mais la Cour se place résolument du côté du requérant dont la Cour de cassation a écarté le recours alors qu'il n'était pas responsable du vice de procédure.

Radio-Pirate. Le Grand Orchestre du Splendid. 1991

L'ingérence dans la liberté d'expression


Le requérant invoque un second moyen, de fond cette fois, reposant sur une violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il considère que sa condamnation pour diffamation constitue une ingérence disproportionnée dans sa liberté d'expression. 

L'ingérence dans la liberté d'expression est, en l'espèce, prévue par la loi du 29 juillet 1881 qui réprime la diffamation. Nul ne conteste qu'elle poursuit un but légitime de protection de la réputation d'autrui. Le débat se concentre sur le caractère proportionné ou non de cette ingérence, c'est-à-dire sur le point de savoir si elle est "nécessaire dans une société démocratique".

Dans le cas du requérant, la marge d'appréciation de l'Etat est particulièrement étroite, pour deux motifs. 

Le premier trouve son origine dans les propos tenus par le requérant lors de son émission de radio. Ils relèvent du "débat d'intérêt général" au sens où l'entend la Cour européenne. Il s'agissait en effet d'informer les auditeurs sur la remise en cause de la ligne éditoriale du journal et sur sa situation financière. 

Le second réside dans la qualité de journaliste de M. Reichman. Certes, il ne dispose pas formellement d'une carte de presse, mais il est l'un des fondateurs de Radio Courtoisie et l'un de ses animateurs historiques. Le tribunal correctionnel lui a donc reconnu la qualité de journaliste et la Cour fait de même. Cette qualité renforce sa situation car la Cour rappelle traditionnellement qu'une certaine dose d'exagération, voire de provocation, est permise aux journalistes, à la condition qu'ils fournissent des informations exactes et qu'ils soient de bonne foi (CEDH, 27 mars 1996, Goodwin c. Royaume-Uni).  

En l'espèce, la question de l'exactitude des informations est évidemment discutée. La Cour distingue clairement, notamment dans son arrêt Morice c. France du 23 avril 2015, les jugements de fait qui se prêtent à la démonstration de leur exactitude des jugements de valeur qui en sont dispensés. Dans le cas présent, M. Reichman a été condamné pour diffamation parce que, précisément, il n'a pas été en mesure de prouver l'exactitude de ses propos sur "les acrobaties" et les "comportements dont l'orthodoxie demande à être vérifiée" dans la gestion financière de Radio Courtoisie. 
Pour la Cour, les juges internes n'ont pas recherché si le requérant avait procédé à un jugement de fait ou à un jugement de valeur. La question se posait pourtant. Certes le requérant avait produit quelques documents relatifs à la dégradation de la situation financière de la station, montrant ainsi que son propos ne pouvait être assimilé à une invective gratuite et qu'il reposait sur des éléments factuels. Mais certains points de son intervention s'inscrivaient dans un contexte plus général de dissensions au sein de la radio et pouvaient s'analyser comme un jugement de valeur à l'égard de sa nouvelle direction. Entre ces deux options, la Cour européenne ne tranche pas. Elle se borne à considérer que la la condamnation de M. Reichman porte une atteinte disproportionnée à sa liberté d'expression, dès lors que les juges internes n'ont pas exercé ce contrôle. 

In fine, la décision de la Cour laisse une impression mitigée. Il est vrai que la condamnation de M. Reichman pouvait sembler lourde, surtout si l'on considère qu'il avait pris soin de ne pas se livrer à des attaques personnelles, se limitant à des propos sur la situation de la station et sa ligne éditoriale. Au-delà de la situation personnelle du requérant, la décision risque de susciter davantage de difficultés qu'elle n'en résout. Car la Cour européenne des droits de l'homme ne se limite pas à contrôler l'appréciation faite par les juges internes mais leur dicte les critères d'appréciation auxquels ils doivent recourir. Cette distinction ainsi imposée entre jugement de fait et jugement de valeur est tout-à-fait étrangère au droit français. Est-elle pour autant plus facile à utiliser que la jurisprudence classique sur la diffamation ? Ce n'est pas certain, et les circonstances de l'affaire montrent bien qu'il était possible de privilégier l'un ou l'autre de ces critères, laissant une large place à la subjectivité des juges. Il reste à voir si les tribunaux français seront disciplinés ou considéreront simplement qu'il n'appartient pas à la Cour de leur imposer des critères d'appréciation.



lundi 11 juillet 2016

La bonne foi du lanceur d'alerte

Au fil des décisions, le statut juridique du lanceur d'alerte se précise. Il y a quelques jours, la Chambre sociale de la Cour de cassation consacrait un véritable droit de signaler des comportements illicites qu'elle rattachait à la liberté d'expression. En même temps, dans un arrêt Soares c. Portugal du 21 juin 2016, la Cour européenne des droits de l'homme précise qu'un tel signalement doit être fait de bonne foi pour que son auteur puisse être qualifié de lanceur d'alerte. 

Fin 2009, Antonio Soares, caporal-chef de la garde nationale républicaine portugaise à Gois, a dénoncé le commandant du poste territorial d'Arganil à l'inspection générale de l'administration interne. Faisant état de différentes rumeurs selon lesquelles l'intéressé aurait détourné des fonds publics, il demandait l'ouverture d'une enquête. Il a obtenu satisfaction et deux enquêtes ont été diligentées, l'une par l'inspection générale, l'autre par la Garde nationale républicaine elle-même. Aucune n'est parvenue à trouver un quelconque fondement à ces allégations. Le résultat est qu'Antonio Soares a été poursuivi et condamné par le juge pénal à 750 € d'amende pour diffamation aggravée. Il a dû verser 1000 € au commandant qu'il avait accusé pour réparation du préjudice. Ayant épuisé les recours internes, il a saisi la Cour européenne des droits de l'homme, estimant que sa condamnation constituait une atteinte à la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.

La Cour européenne ne lui a pas donné satisfaction. En l'espèce, elle est confrontée à un conflit de normes entre le droit à la vie privée et à la réputation du commandant et la liberté d'expression de celui qui se considère comme un lanceur d'alerte. Elle écarte pourtant cette liberté d'expression en précisant que le lanceur d'alerte ne peut être considéré comme tel, et donc s'en prévaloir, que s'il est de bonne foi.

L'ingérence dans la liberté d'expression 


Rappelons qu'il n'est pas contesté que la condamnation du requérant constitue une ingérence dans sa liberté d'expression. Celle-ci peut cependant être licite si elle est prévue par la loi, si elle poursuite un but légitime, et si elle se révèle "nécessaire dans une société démocratique". Les deux premières conditions sont facilement remplies : la diffamation aggravée est une incrimination qui figure dans le code pénal portugais, et la volonté de protéger la réputation d'une personne injustement calomniée est un but parfaitement légitime. 

Reste le caractère "nécessaire dans une société démocratique", notion qui conduit la Cour à apprécier le caractère proportionné de la restriction apportée à la liberté d'expression du requérant par rapport au but de protection de la vie privée du commandant victime de la dénonciation.

"Bouche de lion". Boîte aux lettres pour les dénonciations anonymes. Venise. Palais des Doges


Les lanceurs d'alerte dans le secteur public


La Cour commence par rappeler que la liberté d'expression doit pouvoir s'exercer dans l'ensemble du monde du travail, y compris  dans le secteur public, principe acquis depuis la décision Vogt c. Allemagne de 1995. Dans l'arrêt Guja c. Moldavie du 12 février 2008, la Cour reconnaît ainsi, sans pourtant mentionner le terme de "lanceur d'alerte", que la "dénonciation de conduites illicites" sur son lieu de travail par un fonctionnaire peut être protégée "dans certaines circonstances". Elle considère en conséquence comme disproportionnée la révocation d'un procureur moldave révoqué pout avoir donné à la presse des lettres des autorités policières faisant pression sur la justice pour que des poursuites engagées à l'encontre de policiers corrompus soint abandonnées.

Ces circonstances sont appréciées par la Cour à travers une série de critères qui ont été étendus aux lanceurs d'alerte du secteur privé par l'arrêt Heinisch c. Allemagne du 21 juillet 2011 et auxquels la Cour se réfère dans sa décision Soares, pour considérer comme proportionnée la sanction pénale prise à son encontre. Dans ce cas, le critère que retient la Cour est d'abord celui du préjudice causé à la victime. La diffamation dont elle a été victime a, en effet, été à l'origine de deux enquêtes successives.

En revanche, la Cour écarte les critères qui auraient pu jouer en faveur du lanceur d'alerte. Certes, l'intérêt public de la divulgation pouvait être invoqué, dès lors qu'il s'agissait de dénoncer des détournements de fond commis par un fonctionnaire d'autorité. Les faits rapportés n'ont cependant pas pu être prouvés, M. Soares lui-même reconnaissant s'être borné à rapporter des rumeurs. Sur ce point, l'authenticité des faits divulgués, critère essentiel aux yeux de la Cour pour se voir reconnaître l'atteinte à la liberté d'expression du lanceur d'alerte, n'est pas avérée. Dans un arrêt Pinto Pinheiro Marques c. Portugal du 22 janvier 2015, la Cour précise ainsi qu'une telle dénonciation ne peut porter que sur des faits et non pas sur de simples jugements de valeur, car seuls les faits peuvent être prouvés.

La bonne foi du dénonciateur


Si l'authenticité des faits n'est pas démontrée, la bonne foi du dénonciateur ne l'est pas davantage. La Cour européenne estime ainsi que le juge pénal portugais a pu, sans violer l'article 10 de la Convention, condamner pour diffamation aggravée un fonctionnaire public, auteur d'une dénonciation grave sur le seul fondement de rumeurs. Dans le cas de M. Soares, cette absence de bonne foi est aggravée par l'absence du dernier critère qui repose sur le respect des procédures légales. Toute plainte d'un membre de la Garde nationale portugaise contre un officier doit en effet suivre la voie hiérarchique, selon une procédure fixée par la loi. En l'espèce, le requérant a donc écarté la chaine de commandement et empêché l'officier mis en cause de se défendre devant les instances internes.

La dénonciation publique ne peut donc exister que lorsqu'il n'existe aucune autre procédure possible, et lorsque son auteur est de bonne foi. Ces deux éléments font défaut, et la Cour européenne en tire la conclusion, cette fois en prononçant le mot, que le requérant ne saurait être qualifié de "lanceur d'alerte". La solution semble logique mais elle risque de conduire à une appréciation parfois délicate, car le lanceur peut parfois être contraint d'ignorer les procédures internes, lorsqu'elles n'ont pas d'autre fonction que d'enterrer les éventuelles dénonciations de faits de corruption.

Quoi qu'il en soit, la Cour veut manifestement éviter que le statut de lanceur d'alerte soit invoqué à tort et à travers par des spécialistes de la délation ou de la rumeur : " Tout à coup, on ne sait comment, vous voyez calomnie se dresser, siffler, s’enfler, grandir à vue d’œil ; elle s’élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate et tonne, et devient, grâce au Ciel, un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription". Les juges auront alors la rude mission de définir la frontière entre l'alerte et la calomnie.

Sur la protection des lanceurs d'alerte : Chapitre 9, section 1 B du manuel de libertés publiques sur internet.

vendredi 8 juillet 2016

La vie privée de Salah Abdeslam

Frank Berton, avocat de Salah Abdeslam, annonce son intention de porter plainte pour atteinte à la vie privée de son client, à la suite de la visite à Fleury-Mérogis du député Thierry Solère (LR Hauts de Seine). Ce dernier a pu en effet visionner les images de la vidéo-surveillance dont le détenu fait l'objet, jour et nuit. Il a ensuite raconté certains détails de la vie quotidienne du détenu, de la rapidité avec laquelle il se brosse les dents à la longueur de ses prières. Il s'est également étonné que l'administration pénitentiaire ait aménagé une "salle de sport" particulière à Salah Abdeslam. 

Aux yeux de Frank Berton, le député a "méprisé" les droits de son client. Le visionnage et le récit qui a suivi relèvent, selon lui, du délit d'atteinte à la vie privée puni d'un an d'emprisonnement et de 45000 € d'amende (article 226-1 du code pénal). Bien entendu, les propos de l'avocat s'analysent largement comme une posture médiatique et il n'envisage certainement pas sérieusement d'obtenir la condamnation de Thierry Solère ni même, du moins on l'espère pour lui, de mobiliser l'opinion en faveur de Salah Abdeslam. 

La "salle de sport"


Il est vrai que Thierry Solère commet une erreur lorsqu'il s'élève contre la "salle de sport" attribuée au détenu. Rappelons tout de même que le régime d'isolement des personnes détenues trouve son origine dans le décret du 21 mars 2006, signé du ministre de la justice de l'époque, Pascal Clément. Dans un arrêt du 31 octobre 2008, le Conseil d'Etat a annulé pour incompétence certaines dispositions de ce décret au motif que la décision de placer un détenu en isolement devait reposer sur un fondement législatif et non pas réglementaire. La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a donc permis de conférer un fondement juridique incontestable à la mesure d'isolement. Un décret du 23 décembre 2010 est ensuite venu préciser les conditions de mise en oeuvre de cette nouvelle loi, complété par une circulaire du 14 avril 2011, texte spécifiquement consacré "au placement à l'isolement des personnes détenues". Il n'aura échappé à personne que ces textes ont été adoptés durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

C'est donc à Nicolas Sarkozy et au gouvernement de François Fillon que nous devons la "salle de sport" que dénonce avec véhémence Thierry Solère. La circulaire de 2011 précise en effet le régime de l'isolement en précisant nettement qu'il ne s'agit pas d'une mesure disciplinaire. Les détenus conservent donc le droit de pratiquer leur religion, d'échanger de la correspondance, de disposer de livres et d'une télévision, de faire une promenade d'une heure par jour à l'air libre. La circulaire précise que "le quartier d'isolement doit impérativement permettre l'organisation d'activités sportives, seul ou en petit groupe". L'administration a parfois eu des soupçons sur une utilisation par des détenus en isolement d'installations sportives à des fins de communication. C'est la raison pour laquelle elle a préféré placer un rameur dans la cellule voisine. La "salle de sport" demeure donc modeste et s'analyse comme une obligation mise à la charge de l'administration pénitentiaire.
I can see the whole room... and there's nobody in it ! Roy Lichtenstein. 1961

Le droit de visite des parlementaires


Si Thierry Solère se trompe en matière d'installations sportives, il ne fait aucun doute qu'il avait parfaitement le droit de visiter un établissement pénitentiaire et de visionner les vidéos de surveillance de la cellule d'Abdeslam. 

La loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes autorise en effet les députés et sénateurs à visiter à tout moment les établissements pénitentiaires (art. 720-1-A du code de procédure pénale). Depuis la loi du 17 avril 2015, le parlementaire peut même être accompagné de journalistes, ce qui était le cas en l'espèce, Thierry Solère étant accompagné de deux journalistes du Journal du dimanche.

Ce droit de visite implique-t-il le droit de visionner les enregistrements de vidéosurveillance de la cellule d'Abdeslam ? La circulaire du 25 juillet 2011 qui organise ce droit de visite ne mentionne aucune interdiction de ce type. Elle ne mentionne que deux restrictions. D'une part, ce droit de visite concerne la prison et non pas les personnes incarcérées. Si le parlementaire veut rencontre un détenu, il droit user des procédures habituelles relatives au droit de visite. D'autre part, il n'est pas autorisé à effectuer des enregistrement audio ou vidéo. En dehors de ces deux restrictions, les parlementaires visitent librement l'établissement, tout l'établissement. 

L'arrêté du 9 juin 2016 se montre plus précis. Ce texte publié au moment précis où Abdeslam intégrait les prisons françaises institue la surveillance permanente vidéo pour les personnes "dont l'évasion ou le suicide pourraient avoir un impact important sur l'ordre public eu égard aux circonstances particulières à l'origine de leur incarcération et l'impact de celles-ci sur l'opinion publique". Il précise que seuls ont accès aux données de vidéosurveillance les personnes qui ont besoin d'en connaître, "pour les besoins du service", c'est à dire les agents de l'administration pénitentiaire, le chef d'établissement et le correspondant local informatique et libertés. Les parlementaires ne figurent pas dans la liste.

L'accès de Thierry Solère à ces vidéos a donc un fondement juridique pour le moins incertain. L'arrêté de juin 2016 pourrait peut-être conduire à reconnaître une faute de l'administration pénitentiaire qui lui a communiqué ces enregistrements. En revanche, le parlementaire lui-même peut estimer détenir un droit général d'accès sur le fondement de la loi qui l'autorise à visiter les établissements pénitentiaires.

Le droit à la vie privée des personnes détenues


Il reste tout de même à s'interroger sur le récit qu'a fait le député de ce qu'il a vu sur ces enregistrements, récit largement diffusé dans la presse. L'avocat d'Abdeslam y voit une atteinte intolérable à la vie privée de son client, dès lors que le député évoque la manière dont il se brosse les dents ou fait sa prière. 

Il n'est pas contesté que les personnes détenues bénéficient du droit au respect de la vie privée. Dans sa délibération du 19 mai 2016 sur l'arrêté du 9 juin 2016 la CNIL rappelait l'existence de droit garanti par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

La Cour européenne des droits de l'homme n'a été saisie qu'une seule fois d'une requête émanant d'un détenu se plaignant d'être placé sous vidéo-surveillance de manière permanente. Elle n'a pas eu à se prononcer sur le fond, le requérant n'ayant pas, sur ce point, épuisé les voies de recours internes (CEDH 3 avril 2014, Salvatore Riina c. Italie). Elle a, en revanche, admis, dès son arrêt Ilascu et autres c. Moldavie et Russie du 8 juillet 2004, qu'un traitement particulier, reposant sur l'isolement cellulaire, peut être infligé aux détenus considérés comme particulièrement dangereux. Le régime de surveillance entraine alors nécessairement une ingérence plus grande dans la vie privée du détenu.

Doit-elle pour autant être rapportée dans les médias ? Si l'on considère la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, la réponse ne fait guère de doute, car la manière dont Salah Abdeslam est traité en prison relève du "débat d'intérêt général", qui justifie, aux yeux de la Cour, que la liberté d'expression l'emporte sur le droit au respect de la vie privée. A l'inverse, il n'est pas tout à fait impossible de plaider la divulgation illicites de données couvertes par le secret professionnel, dès lors que l'arrêté de juin 2016 précise la liste des personnes habilitées à connaître ces données.

Sur ce plan, la plainte de Frank Berton, si elle est finalement déposée, présente l'intérêt de mettre en lumière le caractère inachevé de l'ensemble normatif actuellement en vigueur. Des arrêtés successifs, rédigés à la hâte et mal coordonnés, conduisent à une remise en cause, insidieuse mais réelle, d'un droit accordé aux parlementaires par la voie législative. La hiérarchie des normes est ainsi bousculée et les droits du parlement doublement méprisés. Deux atteintes beaucoup plus graves que celles portées à la vie privée de Salah Abdeslam.


dimanche 3 juillet 2016

Le droit d'être lanceur d'alerte, élément de la liberté d'expression

Le statut juridique des lanceurs d'alerte ressemble à un chantier en construction, auquel la décision rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 30 juin 2016 vient apporter une nouvelle pierre. Elle a saisi l'occasion d'un contentieux ignoré de tous, parfaitement à l'écart des scandales financiers qui font les délices des médias.

L'action ne se passe pas au Luxembourg, ni au siège social d'une grande banque, mais à Basse-Terre, au sein de l'"association guadeloupéenne de gestion et de réalisation des examens de santé et de promotion de la santé". En 2009, M. X. est recruté comme directeur administratif et financier de cette structure qui gère un centre de santé publique en Guadeloupe. Très rapidement, il constate certaines irrégularités et finit par informer le procureur de la République que le directeur du centre, le docteur Y., a tenté de se faire payer des salaires pour un travail fictif, et qu'il a obtenu du Président de l'association la signature d'un contrat de travail alors qu'il est en même temps administrateur de l'association. Ces faits peuvent en effet laisser penser que l'association est le cadre d'escroqueries et de détournements de fonds publics. 

La réaction ne se fait pas attendre. En mars 2011, le lanceur d'alerte est licencié pour faute lourde. Le conseil des prud'hommes n'a rien trouvé à redire, mais la Cour d'appel de Basse Terre considère, quant à elle, que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. En revanche, elle refuse de prononcer la nullité du licenciement et la réintégration de M. X., aucun texte législatif applicable à l'époque des faits ne lui permettant de considérer l'intéressé comme un lanceur d'alerte. 

Des textes insuffisants


Il est vrai qu'en 2009, au moment du licenciement de M. X. la question des lanceurs d'alerte n'avait pas été soulevée. Il a fallu attendre que les noms d'Edward Snowden et de Julian Assange deviennent célèbres pour que le droit se penche sur ce problème. Encore ne l'a-t-il fait qu'avec une extrême prudence. 

Pour les fonctionnaires, l'article 6 du statut, issu de la loi du 6 août 20102 interdit de sanctionner les lanceurs d'alerte. Les effets de ce texte demeurent cependant modestes, d'abord parce qu'il ne s'applique qu'aux fonctionnaires statutaires et excluent donc de sa protection les agents contractuels, ensuite parce qu'il ne concerne que les mauvais traitements ou harcèlements infligés à un autre agent public. Autrement dit, le lanceur d'alerte qui dénonce la mise au placard d'un collègue peut être protégé, mais pas celui qui dénonce des faits de corruption dans sa hiérarchie. 

Dans le secteur privé, la loi du 6 décembre 2013 affirme qu'un salarié ne peut faire l'objet d'une sanction ou d'un refus d'avancement pour avoir témoigné d'infractions dont il a eu connaissance durant ses fonctions. La loi prévoit alors un renversement de la charge de la preuve : en cas de contentieux, il appartient au chef d'entreprise de démontrer que la mesure prise à l'encontre du salarié n'est pas motivée par ses dénonciations. In fine, le juge peut prononcer la nullité d'une sanction ou d'un licenciement prononcé à l'encontre d'un lanceur d'alerte.

M. X. est salarié d'une association, et la loi du 6 décembre 2013 lui aurait été fort utile. En effet, ses employeurs ne contestent même pas que son licenciement repose sur ses dénonciations. Hélas, ce texte, postérieur aux faits, n'est pas applicable.

Guy Béart. La Vérité. Enregistrement public mars 1968

Le droit de signaler des comportements illicites


Devant ce vide juridique, la Chambre sociale trouve un autre fondement pour prononcer la nullité du licenciement de M. X. Elle invoque l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit le droit à la liberté d'expression. Elle y est largement incitée par la jurisprudence de la Cour européenne qui, dès un arrêt Guja c. Moldavie du 12 février 2008, considère comme une atteinte à la liberté d'expression le renvoi d'un fonctionnaire du parquet général qui avait donné à la presse des informations sur une ingérence du gouvernement dans la justice pénale. Plus tard, dans une décision Sosinowska c. Pologne du 18 octobre 2011, la Cour sanctionne sur le même fondement le licenciement d'un médecin qui avait dénoncé les erreurs médicales commises par un praticien chef de service dans un hôpital. De cette jurisprudence, la Chambre sociale déduit l'existence d'un droit des salariés de signaler les comportements illicites qu'ils constatent sur leur lieu de travail et dans l'exercice de leurs fonctions.

Une liberté fondamentale


Le plus intéressant, dans cette décision, réside dans le fait qu'elle consacre ce droit comme une liberté fondamentale. Dans sa décision du 28 mars 2006, la Chambre sociale admettait ainsi la nullité d'une licenciement portant atteinte à une liberté fondamentale, en l'espèce la liberté de témoigner en justice (voir aussi : Soc., 29 octobre 2013).

Le droit de signaler un comportement illicite est donc désormais garanti comme une liberté fondamentale, ce qui signifie notamment, que sa violation peut donner lieu à une action en référé demandant au juge de prononcer la nullité d'une mesure qui lui porte atteinte. 

Sur ce point, l'arrêt est évidemment positif, surtout si on le compare à la récente décision du juge pénal luxembourgeois saisi du cas de lanceurs d'alerte qui avaient dénoncé des pratiques de blanchiment et d'évasion fiscale. Le juge commence par reconnaître que les prévenus "ont contribué à une plus grande transparence et équité fiscale (...) et qu'ils ont agi dans l'intérêt général et contre des pratiques d'optimisation fiscale moralement douteuses", avant de les condamner à des peines de prison avec sursis. 

Reste que la décision de la Chambre sociale française apparaît davantage comme une sorte de pansement jurisprudentiel destiné à soigner les blessures causées par un vide législatif. Sur ce point, elle constitue un appel au législateur, appel qui intervient fort opportunément. Le  projet de loi Sapin II de lutte contre la corruption déposé à l'Assemblée nationale le 30 mars 2016 arrive en effet en discussion au Sénat pour une première et dernière lecture, puisqu'il fait l'objet d'une procédure accélérée. De toute évidence, la Chambre sociale attend avec impatience la création de l'Agence nationale de détection et de prévention de la corruption, chargée de conseiller les lanceurs d'alerte, voire de reprendre à son compte leurs révélations pour leur permettre de demeurer dans l'anonymat, ou encore de reprendre à sa charge les frais liés à d'éventuelles procédures judiciaires. Espérons que les sénateurs, toujours prompts à détruire les projets gouvernementaux, sauront entendre le souhait de la Chambre sociale de la Cour de cassation.



Sur la protection des lanceurs d'alerte : Chapitre 9, section 1 B du manuel de libertés publiques sur internet.




jeudi 30 juin 2016

Le secret du délibéré ou l'infaillibilité des juges

Le 25 mai 2016, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu une décision illustrant le caractère absolu du secret du délibéré. 

Le requérant est un ancien juré d'une cour d'assises qui, en appel a confirmé une condamnation pour viol sur mineur prononcée en première instance. Rien que de très banal si ce n'est que cet ancien juré a cru bon, ensuite, de faire des révélations sur le déroulement du délibéré. Le Parisien, publie ainsi, en avril 2011, un article intitulé : « La présidente essayait d’orienter notre vote ». Selon le juré, avec lequel un journaliste s'est entretenu, la Présidente aurait interdit aux jurés de voter blanc. Elle aurait qualifié un premier vote à main levée de "moment d'égarement" parce qu'il ne comportait pas de majorité en faveur de la condamnation mais exprimait au contraire les doutes du jury. Après avoir finalement obtenu un vote sur la condamnation, elle aurait insisté pour que la peine soit identique à celle prononcée en première instance. 

Rappelons que ces accusations, fort graves car elles mettent en cause l'impartialité de la présidente d'une cour d'assises, demeurent cependant isolées. Elles émanent d'un seul juré, dont on ignore s'il n'a pas été plus ou moins instrumentalisé par la défense de la personne condamnée. On peut d'ailleurs se demander comment il est possible que les pressions de la présidente aient rencontré un écho aussi important au sein du jury.  Quoi qu'il en soit, les conséquences se sont révélées catastrophiques pour celui qui s'est confié aux journalistes, puisqu'il a été été condamné à deux mois de prison avec sursis pour avoir commis l'infraction de violation du secret professionnel prévue par l'article 226-13 du code pénal. Cette condamnation a été confirmée en appel et la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté son pourvoi.

Secret du délibéré et impartialité


La Cour de cassation protège avec la plus grande rigueur le secret du délibéré, et elle l'affirme une fois encore. Il est vrai que ce secret repose sur un fondement législatif. Aux termes de l'article 304 du code de procédure pénale (cpp), chaque juré, "debout et découvert", jure en effet de "conserver le secret des délibérations, même après la cessation de ses fonctions". Personne ne peut contester que le juré bavard a violé son serment. 

Une telle rigueur s'explique par la finalité est du secret du délibéré, qui est d'assurer l'indépendance des juges et l'impartialité de la justice. Ce principe d'impartialité a désormais valeur constitutionnelle, depuis une décision du Conseil constitutionnel rendue le 29 août 2002, et confirmée par une QPC du 8 juillet 2011. Aux yeux du Conseil, ce principe d'impartialité trouve son fondement constitutionnel dans l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. 

De son côté, la Cour européenne des droits de l'homme trouve le fondement juridique du principe d'impartialité dans le droit au procès équitable garanti par l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans son arrêt Adamkiewicz c. Pologne du 2 mars 2010, elle précise que le principe d'impartialité peut donner lieu à deux types d'atteintes. Des atteintes objectives tout d'abord, liées à l'organisation ou la composition de la juridiction qui n'inspireraient pas la confiance dans son impartialité. Des atteintes subjectives ensuite, lorsqu'un juge ou un juré cherche à favoriser un plaideur ou à nuire à un justiciable. Tel est le cas, dans l'arrêt Remli c. France du 23 avril 1996,  qui déclare non conforme à la Convention la condamnation par une Cour d'assises d'un Français d'origine algérienne, alors que l'un des jurés avait tenu des propos racistes, hors de la salle d'audience mais devant la presse.

Sur ce plan, la décision rendue par la Chambre criminelle le 25 mai 2016 n'a rien de choquant, si ce n'est qu'elle pose tout de même quelques problèmes car l'intéressé est finalement privé du droit de se défendre.

Douze hommes en colère. Sidney Lumet. 1957


La défense impossible


Le juré bavard se trouve dans une position franchement détestable. Comment pourrait-il prouver l'exactitude des accusations qu'il porte à l'encontre de la présidente de la Cour d'assises ? Le délibéré n'est pas enregistré et ne donne lieu à aucun compte-rendu, dès lors qu'il a précisément pour vocation de demeurer confidentiel. Sa seule voie de droit serait donc le témoignage des autres membres du jury. C'est la raison pour laquelle ses avocats ont demandé devant la cour d'appel un complément d'information, qui leur a été refusé. 

Sur le plan juridique, ce refus est parfaitement fondé, car la preuve ainsi recueillie serait elle-même illégale. Elle ne pourrait être obtenue que par de nouvelles violations du secret du délibéré, cette fois par d'autres jurés. Ils se rendraient alors coupables, à leur tour, de l'infraction prévue à l'article 226-13 du code pénal. Au-delà de ce problème de preuve, la Cour de cassation affirme que notre juré "n'a pas compris le principe du délibéré et la nature des responsabilités qui étaient les siennes" et que "c'est de manière erronée qu'il se considère comme fondé à dénoncer une violation supposée" du principe d'impartialité. La formulation est sans nuance, mais tout aussi fondée en droit. Un juré est un juré et il n'est pas juge du délibéré, d'autant que les accusations formulées à l'encontre de la Présidente de la Cour d'assises ne donnent à aucune procédure contradictoire. Comme les jurés, cette dernière est en effet soumise au secret et elle le respecte. 

Des lanceurs d'alerte dans la justice ?


aux motifs que le complément d’information sollicité par la défense pour établir le bien fondé des anomalies du délibéré justifiant les révélations du juré à la presse ne peut être ordonné au regard du caractère illégal de la preuve recherchée ;

Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/CASS/2016/JURITEXT000032597802

Les motifs de la Cour de cassation sont donc indiscutables. Alors pourquoi laissent-ils un sentiment d'insatisfaction ? D'abord parce que la défense de l'intéressé n'est pas infondée mais impossible, situation qui porte évidemment atteinte à ses droits, dès lors qu'il est lui aussi poursuivi pénalement. Ensuite, parce que l'on en vient à conclure que toute dénonciation d'une violation du principe d'impartialité par un juge durant un délibéré est impensable. Les citoyens sont tout simplement invités à croire en l'infaillibilité des juges. A une époque où on envisage un statut juridique des lanceurs d'alerte, la justice se met à l'abri.
le juré n’a pas compris le principe du délibéré et la nature des responsabilités qui étaient les siennes ; qu’il a manifestement été déstabilisé par une plaidoirie de la défense incitant au vote blanc ; que c’est donc de manière erronée qu’il se considère comme fondé à dénoncer une violation supposée par le président de la cour d’assises des articles 356 et 358 du code de procédure pénale ; que l’avocat du prévenu, qui était également celui du condamné, a vainement sollicité du garde des sceaux une enquête administrative relative à l’affaire ; que les conseils du prévenu ont encore considéré que leur client avait en fait dénoncé des violations de la loi, notamment, quant aux modalités du vote de la cour d’assises ; qu’ils s’indignent de ce que le secret absolu qui protège les délibérations serait de nature à couvrir des violations du code de procédure pénale qu’ils assimilent à des infractions ; que le fait qu’ils s’érigent ainsi en juge du délibéré – affranchis du principe du contradictoire – ne saurait davantage justifier le comportement de M. X… qui, une fois de plus, tire de son absence d’adhésion à une décision collégiale, le droit de remettre en cause des règles qu’il a juré de respecter 

Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/CASS/2016/JURITEXT000032597802

lundi 27 juin 2016

Les Invités de LLC : Jean-Noël Luc et Serge Sur : Le doctorat pour les nuls


Le Monde a publié dans son édition du jeudi 9 juin 2016 une opinion des professeurs Jean-Noël Luc, de Paris-Sorbonne,  et Serge Sur, de Panthéon-Assas, au sujet de la réforme du doctorat par un arrêté du 25 mai 2016.

Liberté, libertés chéries reproduit ici de larges extraits du texte original, avec renvoi pour l’intégralité au site internet du Monde….


 
Le doctorat pour les nuls


Voulez-vous devenir docteur ? Foin de la thèse ! La réforme du 25 mai 2016 vous évite des travaux surannés. Fini les recherches approfondies, les méditations prolongées, l’effort de rédaction soignée d’un ouvrage qui atteste la qualité de votre formation. Qu’a la société à faire de votre savoir, l’université de votre talent, la connaissance de votre apport ? Il vous suffira bientôt, à côté d’un mémoire hâtif, d’un « portfolio » exaltant vos « activités », comme la validation de « modules professionnalisants », dont le terme, mais pas l’idée, a été retiré de l’arrêté. Vous ne possédiez pas de master, gage d’une initiation à la recherche ? Peu importe. Le tampon « VAE » (validation des acquis de l’expérience) vous a ouvert l’inscription en doctorat par dérogation. Autre tampon – « docteur »  – en fin du cursus, et l’affaire est bouclée ! Vive les réseaux, les copinages, les influences, qui couronneront votre habileté conviviale.

Voilà un texte qui s’applique à merveille à des élus, des énarques, sans parler de syndicalistes professionnels. Bienheureux hasard ! Aujourd’hui tous avocats, demain tous docteurs – ou plutôt pseudo-docteurs. Seuls les besogneux, amis de l’effort intellectuel et des vastes corpus documentaires de première main continueront à préparer de véritables thèses. Or d’une thèse, on ne sort pas comme y on est entré. Elle comporte une valeur intellectuelle ajoutée, elle apprend à rechercher, à construire, à rédiger, elle est un capital pour la vie entière, fruit d’une concentration exigeante et austère dont tous tirent le bénéfice, enseignants, chercheurs ou actifs d’autres professions.

Et le directeur de thèse ? Voilà l’ennemi ! N’est-il pas, et le texte le dit bien, un harceleur en puissance, qu’il faut contrôler ? En tout directeur de thèse, un DSK sommeille. Un « comité de suivi individuel du doctorant » le tiendra à l’œil. De même, ne participera-t-il plus à la délibération du jury de soutenance. Sa connaissance du sujet, du candidat, de la thèse, n’est elle pas dangereuse pour l’évaluation ? Ne risquerait-il pas d’influencer ses collègues, incapables de se faire une opinion ? La délibération elle-même est-elle utile ? Comme on supprime les mentions pour les remplacer par un simple « admis-refusé », il suffira là encore d’un tampon. Et l’on voit mal comment une thèse admise à soutenance pourrait être refusée. 


Deux mandarins fâchés. 
Chine. Paire de figurines en or représentant des signes du zodiaque. 
Dynastie Song (Xè-XIIIè s.)