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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
jeudi 2 juin 2016
Insémination post mortem : le débat est ouvert
mardi 31 mai 2016
Droits des personnes détenues : une victoire à la Pyrrhus
La section française de l'Observatoire international des prisons (OIP) est une association dont l'objet est de "promouvoir le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes incarcérées". Elle a contesté, par question prioritaire de constitutionnalité (QPC) la conformité à la Constitution des articles 35 et 39 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 qui organisent les droits de visite et de téléphoner des personnes détenues. Est également contesté l'alinéa 4 de l'article 145-4 du code de procédure pénale qui concerne plus précisément les personnes placées en détention provisoire.
De l'articulation entre ces textes, il apparaît que le droit positif ne prévoit aucune voie de recours à l'encontre d'une décision refusant un permis de visite à une personne placée en détention provisoire, lorsque la demande est formulée par une personne qui n'est pas membre de sa famille. Il en est de même dans l'hypothèse où le permis de visite est sollicité après la clôture de l'instruction, ou en l'absence d'instruction. Cette absence de recours existe également lorsqu'une personne placée en détention provisoire se voit refuser l'accès au téléphone.
Le champ de la QPC
Le Conseil constitutionnel commence par réduire le champ de la QPC. Les demandeurs invoquaient en effet l'inconstitutionnalité de l'ensemble des articles concernant les visites et l'accès au téléphone des personnes détenues, alors que les moyens développés ne visaient que la situation des personnes en détention provisoire. A partir de ce champ plus étroit, le Conseil s'appuie sur l'absence de droit au recours pour déclarer inconstitutionnelles les dispositions litigieuses. L'association requérante obtient donc satisfaction, même s'il s'agit essentiellement d'une satisfaction morale.
Le Conseil se fonde sur l'absence de droit au recours qui suffit à fonder l'inconstitutionnalité des dispositions contestées.
Le droit au recours
Depuis sa décision du 9 avril 1996, le Conseil constitutionnel déduit l'existence d'un droit au recours juridictionnel effectif des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : 'Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution". Il est désormais acquis, en particulier depuis la décision Albin R. du 25 novembre 2011, que cet article 16 fait partie des "droits et libertés que la Constitution garantit" et peut donc être invoqué à l'appui d'une QPC.
En l'espèce, le Conseil constitutionnel sanctionne l'absence totale de voie de recours, lorsque le permis de visite concerne un proche non membre de la famille ou est demandé après la clôture de l'instruction, ou encore lorsque l'autorisation de téléphoner est refusée pour des motifs liés aux nécessités de l'information. Sur ce point, la position du Conseil doit être rapprochée de celle développée dans sa décision QPC du 16 octobre 2015 relative à la destruction d'objets saisis. Le procureur de la République pouvait en effet décider la destruction de biens saisis sans que leur propriétaire puisse contester la décision et, le cas échéant, demander leur restitution. Aux yeux du Conseil, l'absence totale de recours emporte une violation de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Derrière cette décision, on peut déceler une référence implicite aux principes d'égalité et de présomption d'innocence, dès lors que les membres de la famille peuvent contester un refus de visite devant le président de la chambre de l'instruction et que les détenus qui purgent leur peine peuvent également contester le refus d'accès au téléphone. Il serait donc pour le moins choquant que les uns disposent d'un droit de recours et pas les autres, alors même que les personnes en détention provisoire sont innocentes tant qu'elles n'ont pas été déclarées coupables.
Hergé. L'oreille cassée. |
Le droit au respect de la vie privée
Une victoire à la Pyrrhus
jeudi 26 mai 2016
Encadrement de la QPC
Des justifications sommaires
La rapporteure affirme que cette réforme est réclamée à la fois par le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation. A dire vrai, cette affirmation vient du Garde des Sceaux. En mars 2013, alors qu'il présidait la Commission des lois de l'Assemblée nationale, il avait présenté un rapport "Trois ans et déjà grande" faisant un premier bilan de la QPC. Il avait alors évoqué une telle réforme pour lutter contre les procédures dilatoires, mais il employait alors le conditionnel et ne semblait pas faire preuve d'un enthousiasme débordant. Aujourd'hui, cette demande est, semble-t-il relayée, par une démarche commune du premier président de la Cour de cassation, du vice-président du Conseil d'Etat et du président du Conseil constitutionnel qui auraient envoyé à la Chancellerie une note en ce sens, en mars 2015. Observons cependant que le Président du Conseil constitutionnel a changé depuis cette date et que l'on ignore si Laurent Fabius a repris à son compte cette suggestion.
Le champ d'application de la réforme
Il semble pourtant que cette réforme n'ait pas donné lieu à une analyse juridique substantielle. Son champ d'application semble, a priori, reposer sur le simple bon sens : il s'agit de soumettre à un régime unique l'ensemble du domaine pénal, dès lors qu'il est déjà impossible de poser une QPC devant la Cour d'assises. Mais une analyse une peu plus fine permet de mettre en lumière la spécificité de la Cour d'assises. L'impossibilité de déposer une QPC devant elle s'explique en effet aisément par sa composition particulièrement, un jury populaire n'étant pas en mesure d'apprécier le caractère sérieux des moyens développés.
Le stade de l'instruction
Pour ce qui est de l'interdiction de la QPC au stade de l'instruction, la mention des tribunaux de police semble superflue, dès lors que les faits constitutifs d'une contravention ne donnent en principe pas lieu à une instruction. Il est donc matériellement impossible de poser une QPC dès ce stade. Les QPC portant sur la mise en oeuvre de contraventions sont d'ailleurs rares et il serait étrange d'affirmer que les QPC dilatoires y sont nombreuses et qu'elles nuisent à la bonne organisation de la justice.
Quant à l'interdiction du dépôt au cours de l'audience du tribunal correctionnel, il est incontestable qu'elle a pour effet de bousculer quelque peu le calendrier judiciaire. Reste qu'il faut se demander si l'inconvénient n'est pas pratiquement aussi grand lorsque la QPC est présentée à la fin de l'instruction, juste avant l'audience. Il conviendrait surtout de se demander si ce n'est pas le calendrier qui doit s'adapter à la QPC, et non pas la QPC qui doit disparaître pour faciliter la gestion du calendrier. Si l'on considère, et c'est comme cela qu'elle est présentée depuis l'origine, que la QPC est un droit du justiciable, la réponse à la question ne fait guère de doute.
Le stade de l'appel
L'interdiction de la QPC au stade de l'appel pose encore davantage de questions. En effet, elle refuse d'envisager la survenance de faits nouveaux. Rappelons, en particulier, que l'une des conditions de recevabilité d'une QPC réside dans le fait que le Conseil ne doit pas avoir déjà examiné la conformité à la Constitution de la disposition contestée, sauf changement de circonstances de droit ou de fait. Or ce changement de circonstances peut intervenir entre la procès de première instance et l'appel. De la même manière, il n'est pas inconcevable qu'un problème de conformité de la loi à la Constitution se pose durant l'instance, de manière quelque peu imprévue. Pourquoi priver alors l'intéressé de son droit de déposer une QPC ?
De manière plus générale, on sait qu'un procès d'appel doit reprendre l'affaire dans son intégralité, sous toutes ses facettes, comme si le premier jugement n'avait pas existé. Il peut donc sembler étrange de priver le justiciable, au stade de l'appel, d'un droit dont il disposait en première instance.
Quel sera l'avenir de cette réforme ? Elle sera évidemment déférée au Conseil constitutionnel puisqu'elle est adoptée par une loi organique. Certes, il n'est guère contestable qu'une loi organique peut modifier le champ d'application de la QPC, puisque c'est la loi organique du 10 décembre 2009 qui a décidé l'interdiction de cette procédure devant la Cour d'assises. En revanche, la restriction à l'ensemble du domaine pénal ainsi qu'à l'appel devra être examinée par le Conseil. Rappelons que l'article 61-1 de la Constitution établit un véritable droit de saisir le Conseil "à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction". Il est clair que, dans l'esprit du constituant de 2008, il s'agissait d'offrir à tout justiciable, à toute personne partie dans un procès, un droit d'accéder au contrôle de constitutionnalité, devant n'importe quel juge et à n'importe quel stade de la procédure. En limitant ce droit, le projet actuel envoie un message particulièrement négatif de restriction d'une liberté et de méfiance à l'égard de l'intervention des citoyens dans le contrôle de constitutionnalité. On assiste ainsi au retour d'un discours selon lequel le droit, et plus particulièrement le droit constitutionnel, devrait rester l'affaire des spécialistes. Un discours incongru pour un gouvernement de gauche.
Sur la QPC : chapitre 3, section 2 § 1 du manuel de libertés publiques sur internet.
lundi 23 mai 2016
Sanctions contre les parlementaires : le repli stratégique de la Cour européenne
L'épuisement des voies de recours
L'ingérence dans la liberté d'expression
Le repli stratégique
mercredi 18 mai 2016
Libertés : la corruption du vocabulaire
L'interdiction du concert de Black M
L'interdiction de manifester
La qualification en interdiction de manifester permet, comme pour Black M, de dénoncer une décision autoritaire. Au-delà, elle conduit à un raisonnement juridique extrêmement séduisant. Le décret-loi du 23 octobre 1935, aujourd'hui codifié dans le code de la sécurité intérieure, subordonne en effet la liberté de manifester à une déclaration préalable, déclaration effectuée auprès de la préfecture de police et destinée à organiser le maintien de l'ordre. Toutefois lorsque la menace pour l'ordre public est telle que les forces de police ne sont pas en mesure de le garantir, l'autorité de police conserve la possibilité de prononcer une interdiction. Le décret-loi de 1935 offre donc la possibilité de prononcer une interdiction générale de manifester, mais ne confère aucun fondement juridique à d'éventuelles interdictions individuelles. Le raisonnement semble implacable : les arrêtés individuels interdisant de manifester sont illégaux.
Si ce n'est que les arrêtés pris par le préfet de police ne prononcent pas d'interdiction de manifester. Ils reposent sur l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence qui offre au préfet la possibilité "d'interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics". Il ne s'agit donc pas d'une interdiction de manifester mais d'une interdiction de séjour dans une zone géographique définie par l'arrêté. Certes, l'arrêté emporte une impossibilité matérielle de manifester, dès lors que le cortège doit précisément passer dans cette zone, mais il n'en demeure pas moins que l'arrêté bénéficie, dans ce cas, d'un fondement juridique solide.
La dictature
Cela ne signifie qu'il ne puisse pas être discuté devant un juge. Le tribunal administratif de Paris, dans des ordonnances du 17 mai 2016, a ainsi suspendu l'exécution de neuf arrêtés sur les dix qui lui avaient été déférés, suspendant en même temps l'interdiction de séjour imposée aux militants requérants. Le tribunal prend bien soin, lui, d'employer un vocabulaire correct, en précisant qu'il s'agit d'arrêtés d'interdiction de séjour. A chaque fois, le juge a considéré que la condition d'urgence était satisfaite, dès lors que l'impossibilité de participer à la manifestation du lendemain était la conséquence de l'arrêté. Il a surtout exigé des pouvoirs publics, comme il l'avait fait en matière d'assignation à résidence et de perquisition, de fournir au juge un dossier solidement étayé, montrant très concrètement que les intéressés avaient personnellement participé à des violences ou à des dégradations. En l'absence de justifications convaincantes, il a donc suspendu les arrêtés.
Ces décisions de justice ne vont pas tout à fait dans le sens de ceux qui dénoncent la mise en place en France d'une dictature, terme qui témoigne d'une volonté de frapper les esprits dans une perspective mobilisatrice. Peut-on réellement se croire en dictature lorsqu'un juge suspend neuf arrêtés sur les dix pris par le préfet de police ? Lorsque des militants occupent la Place de la République en permanence ? Lorsque des idéologues de tous genres peuvent librement dénoncer la dictature dans des médias qui leurs sont acquis ? Réjouissons nous au contraire, car les dictatures, les vraies, suppriment les débats et imposent le silence.
dimanche 15 mai 2016
La guerre du 49-3 n'aura pas lieu
Une procédure complexe
La responsabilité de la crise
Quoi qu'il en soit, l'article 49 al. 3 ne saurait s'analyser comme un déni de démocratie dès lors qu'il laisse finalement le dernier mot aux représentants du peuple. A eux de se saisir ou non du pouvoir qui leur est donné. Selon la formule employée par le doyen Vedel : "De deux choses l'une : ou bien l'Assemblée veut que le gouvernement reste en fonction et alors elle doit lui accorder tout ce dont il a besoin ; ou bien, elle ne vaut pas lui accorder les moyens exigés, mais alors elle doit prendre la responsabilité de le renverser". Il convient d'ailleurs de noter que le débat sur la loi, interrompu à l'Assemblée, continuera au Sénat, dans les conditions du droit commun. De même, si la motion de censure est adoptée, l'un des choix possibles, et même le plus probable, du Président de la République est de prononcer la dissolution, ce qui conduit à renvoyer les députés devant leurs électeurs. A cet égard, l'article 49 al. 3 suscite au contraire le retour du principe démocratique.
Un élément du parlementarisme rationalisé
Le fait de constater que l'article 49 al. 3 est parfaitement conforme au principe démocratique ne nous renseigne cependant pas sur sa fonction. Il a été conçu en effet par les rédacteurs de la Constitution de 1958 comme un instrument du parlementarisme rationalisé. Comme d'autres dispositions de la norme fondamentale, il a pour objet de garantir l'existence d'une majorité stable et ainsi d'empêcher le retour du régime d'assemblée en vigueur sous les IIIè et IVè Républiques. A l'époque en effet, le parlement pouvait très facilement, trop facilement, mettre en cause la responsabilité des gouvernements qui chutaient parfois pour des motifs conjoncturels ou sur des textes dont l'intérêt était modeste. L'article 49 al. 3 a donc pour objet, et on vient précisément de le voir, de maintenir une majorité et d'assurer la stabilité gouvernementale.
L'article 49 al. 3 ne s'analyse pas comme un "acharnement thérapeutique" visant à maintenir une majorité qui n'existe plus. Cette jolie formule employée par Dominique Rousseau ne résiste guère à l'analyse, car l'article 49 al. 3 constitue un élément de notre régime, et il n'a rien de pathologique. Son objet même est de maintenir une majorité, voire d'en dégager une nouvelle.