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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
lundi 23 mai 2016
Sanctions contre les parlementaires : le repli stratégique de la Cour européenne
mercredi 18 mai 2016
Libertés : la corruption du vocabulaire
L'interdiction du concert de Black M
L'interdiction de manifester
La qualification en interdiction de manifester permet, comme pour Black M, de dénoncer une décision autoritaire. Au-delà, elle conduit à un raisonnement juridique extrêmement séduisant. Le décret-loi du 23 octobre 1935, aujourd'hui codifié dans le code de la sécurité intérieure, subordonne en effet la liberté de manifester à une déclaration préalable, déclaration effectuée auprès de la préfecture de police et destinée à organiser le maintien de l'ordre. Toutefois lorsque la menace pour l'ordre public est telle que les forces de police ne sont pas en mesure de le garantir, l'autorité de police conserve la possibilité de prononcer une interdiction. Le décret-loi de 1935 offre donc la possibilité de prononcer une interdiction générale de manifester, mais ne confère aucun fondement juridique à d'éventuelles interdictions individuelles. Le raisonnement semble implacable : les arrêtés individuels interdisant de manifester sont illégaux.
Si ce n'est que les arrêtés pris par le préfet de police ne prononcent pas d'interdiction de manifester. Ils reposent sur l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence qui offre au préfet la possibilité "d'interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics". Il ne s'agit donc pas d'une interdiction de manifester mais d'une interdiction de séjour dans une zone géographique définie par l'arrêté. Certes, l'arrêté emporte une impossibilité matérielle de manifester, dès lors que le cortège doit précisément passer dans cette zone, mais il n'en demeure pas moins que l'arrêté bénéficie, dans ce cas, d'un fondement juridique solide.
La dictature
Cela ne signifie qu'il ne puisse pas être discuté devant un juge. Le tribunal administratif de Paris, dans des ordonnances du 17 mai 2016, a ainsi suspendu l'exécution de neuf arrêtés sur les dix qui lui avaient été déférés, suspendant en même temps l'interdiction de séjour imposée aux militants requérants. Le tribunal prend bien soin, lui, d'employer un vocabulaire correct, en précisant qu'il s'agit d'arrêtés d'interdiction de séjour. A chaque fois, le juge a considéré que la condition d'urgence était satisfaite, dès lors que l'impossibilité de participer à la manifestation du lendemain était la conséquence de l'arrêté. Il a surtout exigé des pouvoirs publics, comme il l'avait fait en matière d'assignation à résidence et de perquisition, de fournir au juge un dossier solidement étayé, montrant très concrètement que les intéressés avaient personnellement participé à des violences ou à des dégradations. En l'absence de justifications convaincantes, il a donc suspendu les arrêtés.
Ces décisions de justice ne vont pas tout à fait dans le sens de ceux qui dénoncent la mise en place en France d'une dictature, terme qui témoigne d'une volonté de frapper les esprits dans une perspective mobilisatrice. Peut-on réellement se croire en dictature lorsqu'un juge suspend neuf arrêtés sur les dix pris par le préfet de police ? Lorsque des militants occupent la Place de la République en permanence ? Lorsque des idéologues de tous genres peuvent librement dénoncer la dictature dans des médias qui leurs sont acquis ? Réjouissons nous au contraire, car les dictatures, les vraies, suppriment les débats et imposent le silence.
dimanche 15 mai 2016
La guerre du 49-3 n'aura pas lieu
Une procédure complexe
La responsabilité de la crise
Quoi qu'il en soit, l'article 49 al. 3 ne saurait s'analyser comme un déni de démocratie dès lors qu'il laisse finalement le dernier mot aux représentants du peuple. A eux de se saisir ou non du pouvoir qui leur est donné. Selon la formule employée par le doyen Vedel : "De deux choses l'une : ou bien l'Assemblée veut que le gouvernement reste en fonction et alors elle doit lui accorder tout ce dont il a besoin ; ou bien, elle ne vaut pas lui accorder les moyens exigés, mais alors elle doit prendre la responsabilité de le renverser". Il convient d'ailleurs de noter que le débat sur la loi, interrompu à l'Assemblée, continuera au Sénat, dans les conditions du droit commun. De même, si la motion de censure est adoptée, l'un des choix possibles, et même le plus probable, du Président de la République est de prononcer la dissolution, ce qui conduit à renvoyer les députés devant leurs électeurs. A cet égard, l'article 49 al. 3 suscite au contraire le retour du principe démocratique.
Un élément du parlementarisme rationalisé
Le fait de constater que l'article 49 al. 3 est parfaitement conforme au principe démocratique ne nous renseigne cependant pas sur sa fonction. Il a été conçu en effet par les rédacteurs de la Constitution de 1958 comme un instrument du parlementarisme rationalisé. Comme d'autres dispositions de la norme fondamentale, il a pour objet de garantir l'existence d'une majorité stable et ainsi d'empêcher le retour du régime d'assemblée en vigueur sous les IIIè et IVè Républiques. A l'époque en effet, le parlement pouvait très facilement, trop facilement, mettre en cause la responsabilité des gouvernements qui chutaient parfois pour des motifs conjoncturels ou sur des textes dont l'intérêt était modeste. L'article 49 al. 3 a donc pour objet, et on vient précisément de le voir, de maintenir une majorité et d'assurer la stabilité gouvernementale.
L'article 49 al. 3 ne s'analyse pas comme un "acharnement thérapeutique" visant à maintenir une majorité qui n'existe plus. Cette jolie formule employée par Dominique Rousseau ne résiste guère à l'analyse, car l'article 49 al. 3 constitue un élément de notre régime, et il n'a rien de pathologique. Son objet même est de maintenir une majorité, voire d'en dégager une nouvelle.
Une pratique constante
L'article 49 al. 3 arrange tout le monde
vendredi 13 mai 2016
L'Euro 2016 : le dispositif de lutte contre le hooliganisme
La répression pénale
La remise en cause du régime répressif
Les organisateurs
Le fichier automatisé
Un droit dérogatoire
mercredi 11 mai 2016
Infractions sexuelles : ce que dit le droit
Le harcèlement sexuel
Par une décision rendue sur question prioritaire de constitutionnalité du 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel a abrogé l'ancienne définition du délit de harcèlement sexuel jugée très imprécise. A la suite de cette abrogation et pour combler ce vide juridique, le législateur est intervenu rapidement avec la loi du 6 août 2012. Le délit de harcèlement sexuel tel qu'il figure dans l'article 222-33 du codé pénal et dans l'article L 1153-1 du code du travail est-il plus précis ? Il comporte désormais deux infractions distinctes.
Dans le cas des faits reprochés à Denis Baupin, il ne fait guère de doute cependant qu'ils peuvent s'analyser comme des atteintes à la dignité de la personne ou comme la création d'un "environnement intimidant, hostile ou offensant". On songe évidemment à la femme plaquée dans un couloir pendant la pause d'une réunion, ou aux courses autour d'une table etc. Si l'on examine les travaux préparatoires à la loi, on s'aperçoit que, pour ses auteurs, l'élément constitutif du délit réside d'abord dans l'absence de consentement de la victime. Ils ajoutent cependant que cette absence de consentement pourra être appréciée à partir du contexte de l'affaire, par exemple lorsque la victime s'est plainte auprès de ses supérieurs hiérarchiques ou de ses collègues. Tout reposera donc, comme par le passé, sur le témoignage des victimes et de leur entourage.
Reste évidemment la condition de répétition exigée par la loi. La circulaire d'application impose seulement que l'acte prohibé se soit produit "à deux reprises", ce qui constitue, on en conviendra, le minimum en matière de répétition. Sur ce point, la question demeure posée dans le cas de Denis Baupin. Si certaines femmes se plaignent de comportements réitérés comme l'envoi d'une multitude de SMS à connotation sexuelle, d'autres ne mentionnent qu'un seul acte.
La seconde infraction prévue par la loi offre une seconde définition du harcèlement "résultant d'un acte unique". Le second alinéa de l'article 222-33 dispose : "Est assimilé à un harcèlement sexuel" le fait, "même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers". Cette notion de pression renvoie à ce que l'on appelle généralement un "chantage sexuel", par exemple lorsqu'une personne tente d'imposer un acte sexuel à la victime, en lui promettant un emploi... ou en la menaçant d'un licenciement. C'est évidemment ce qui s'est produit dans au moins un cas, lorsque le député aurait affirmé à une salariée du parti qu'elle n'aurait jamais de poste parce qu'elle avait refusé une relation sexuelle.
Dans tous les cas, les peines peuvent aller jusqu'a deux ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende (voire trois ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende s'il y a abus d'autorité).
L'agression sexuelle
dimanche 8 mai 2016
Etat d'urgence : nouvelle prorogation
Moins de trois mois
La réalité de la menace terroriste est largement invoquée. Les attentats de Bruxelles et les liens de leurs auteurs avec ceux de Paris témoignent de sa permanence. De manière plus conjoncturelle, l'Exécutif fait état de deux grandes manifestations sportives qui vont se dérouler sur le territoire français durant cette période, d'une part le championnat d'Europe de football du 10 juin au 10 juillet, d'autre par le Tour de France cycliste, du 3 au 24 juillet. Ces deux évènements présentent la particularité de constituer des cibles éventuelles pour des attentats terroristes, avec notamment la création de "Fan Zones" pour les supporteurs de football. Le maintien de l'ordre sera d'autant plus délicat que qu'ils se dérouleront sur l'ensemble du territoire, dix villes différentes pour l'Euro 2016, et dix-sept étapes pour le Tour de France. Les risques pour la sécurité suscités par ces évènements permettent donc de qualifier un "péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public" au sens de l'article premier de la loi de 1955.
Exclusion des perquisitions
L'adaptation des mesures envisagées à la menace est également envisagée, et l'Exécutif prend soin de réduire le champ de l'état d'urgence. Le projet de loi exclut en effet l'application de l'article 11 de la loi de 1955 qui confère à l'autorité administrative le pouvoir "d'ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit (...) lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics".
Pour justifier cette exclusion, l'Exécutif invoque les succès rencontrés par la mise en oeuvre de l'état d'urgence. Le "coup de pied dans la fourmilière" destiné à désorganiser les milieux islamistes radicaux serait donc une réussite, et il ne serait plus nécessaire de sortir du droit commun en matière de perquisitions.
Vers la fin de l'état d'urgence ?
Certes, mais l'Exécutif oublie de mentionner que l'article 11 est désormais largement inutile. Le projet de loi Police et sécurité : lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement prévoit en effet une nouvelle rédaction de l'article 706-90 du code de procédure pénale, rédaction qui offre la possibilité de recourir aux perquisitions de nuit. Les termes mêmes de cette disposition sont encore discutés, l'Assemblée nationale préférant les limiter aux enquêtes préliminaires, alors que le Sénat envisage d'autoriser les perquisitions de nuit "en cas d'urgence" et durant les enquêtes préliminaires. Mais cette discussion n'en modifie guère le principe.
Cette disposition entrera rapidement en vigueur. On sait que le gouvernement a décidé la procédure accélérée pour le vote de la loi Police et sécurité. Cette procédure devrait rapidement venir à son terme puisque la commission mixte paritaire doit se réunir très prochainement. La disposition devrait donc être adoptée avant l'entrée en vigueur de la future loi de prorogation de l'état d'urgence.
Comme il avait été annoncé, la loi Police et sécurité a pour conséquence de rendre largement inutile l'état d'urgence, par la substitution de dispositions pérennes à un droit provisoire. On peut donc raisonnablement penser que le présent projet de prorogation est le dernier. Ceux qui s'étaient opposés à l'état d'urgence ne manqueront pas de s'en réjouir et revendiqueront peut-être même une grande victoire de l'opposition "citoyenne". D'ici là, la loi Police et sécurité sera tranquillement entrée en vigueur. Le débat sur l'état d'urgence aura alors admirablement joué un rôle de leurre.