« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
Une femme de cinquante-deux ans s'introduit dans un cabinet dentaire et vole la sacoche du dentiste, posée derrière le bureau d'accueil. Les caméras de surveillance ont filmé la scène, et le dentiste diffuse aussitôt les images de sa voleuse sur Facebook afin de permettre son identification. L'opération est un franc succès, les images ayant été vues plus de 175 000 fois. Se sachant identifiée, la voleuse préfère se rendre à la police, où elle reconnaît son larcin. Elle prétend toutefois que la sacoche ne contenait pas d'argent, alors que son propriétaire déclare y avoir conservé mille euros en liquide ainsi que des chèques de ses patients. Elle va donc être jugée en comparution immédiate dans le courant du mois de mai.
L'affaire ne mériterait pas tant de bruit si la voleuse, sans doute bien conseillée par son avocat, n'avait pas porté plainte pour atteinte à la vie privée contre le dentiste qui a diffusé son image sur Facebook.
L'impossible action civile
Observons d'emblée que la voleuse n'introduit pas une action civile. L'article 9 du code civil, qui trouve son origine dans la loi du 17 juillet 1970, affirme que "chacun a droit au respect de la vie privée". Il permet de fonder des poursuites pénales ou d'engager une action uniquement civile. En l'espèce toutefois, l'action civile est bien délicate.
Il n'est pourtant pas question d'invoquer le célèbre adage "Nemo auditur propriam turpitudem allegans"pour rejeter ses prétentions, car la voleuse n'appuie pas sa revendication sur son larcin. Cet adage n'est appliqué, en droit français, que pour empêcher une personne de tirer bénéfice d'une infraction qu'elle a commise. Par exemple, une femme qui a assassiné son mari ne peut demander à bénéficier d'une pension de réversion.
En revanche, l'action civile pourrait être écartée en se fondant sur le caractère non légitime du préjudice. Depuis un arrêt de 1968, la Cour de cassation considère ainsi que le porteur de mauvaise foi d'un chèque sans provision ne dispose d'aucun recours. Il ne peut obtenir ni le remboursement du chèque, ni des dommages et intérêts. Aux yeux des juges, il n'avait qu'à refuser le chèque qu'il savait sans provision. Dans le cas de la voleuse du sac du dentiste, on peut penser qu'elle pourrait difficilement engager une action en responsabilité civile, alors que l'image dont elle se plaint ne fait que montrer une infraction dont elle reconnaît être coupable.
L'action pénale
On comprend que la voleuse préfère engager une action pénale. Sur ce point, il convient d'observer la stricte séparation entre les deux procédures en cours. D'un côté, la voleuse est poursuivie devant le tribunal correctionnel pour son larcin. De l'autre, elle engage des poursuite contre le dentiste pour la diffusion de son image sur Facebook.
La vidéosurveillance
Dans une décision du 10 mai 2005, la Cour de cassation affirme que "le respect dû à la vie privée et celui dû à l'image constituent des droits distincts". Ce
droit n'a rien de récent. Sur le fondement de l'article 1382 du code
civil, le tribunal civil de la Seine avait jugé, dès 1855 "qu'un
artiste n'a pas le droit d'exposer un portrait, même au Salon des
Beaux-Arts, sans le consentement et surtout contre la volonté de la
personne représentée". Depuis cette date, on a inventé la
photographie, le cinéma, et Facebook. Le principe n'a pourtant guère changé, même
si le droit affirme plus clairement que l'atteinte au droit à l'image
peut donner lieu aussi bien à des poursuites pénales (art. 226-1 du code
pénal) qu'à une action en responsabilité civile (art. 9 du code
civil).
Dans le cas de la voleuse du dentiste, la captation des images ne pose guère de problème. La loi du 6 janvier 1978 sur l'informatique, les fichiers et les libertés ainsi que l'article 10 de la loi Pasqua du 21 janvier 1995 définissent un cadre juridique applicable à la vidéosurveillance. Un cabinet médical est considéré comme un lieu privé ouvert au public, et des caméras peuvent donc être installées, après autorisation préfectorale. Aux termes de l'article L 251-2 du code de la sécurité intérieure, cette autorisation est donnée lorsque le cabinet est particulièrement exposé à des risques d'agression ou de vol, par exemple lorsqu'il est accessible sans contrôle particulier.
Certes, les images des patients sont des données personnelles qui ne peuvent être captées et conservées qu'avec leur autorisation. Mais en l'espèce, le consentement est présumé, dès lors que l'information du public est assurée par un affichage permanent et visible indiquant la présence de caméras de surveillance. De la même manière, la demande d'autorisation doit mentionner la durée de conservation des images, au-delà de laquelle elles seront détruites.
Gilbert Bécaud. L'orange. 1964
La diffusion des images
Le problème essentiel n'est donc pas la captation de l'image de la voleuse mais sa diffusion sur Facebook. A ce propos, il convient d'observer que le dentiste n'est pas compétent pour lancer un appel à témoins, procédure réservée aux autorités de police et de justice. Cette ingérence n'est cependant pas, en soi, constitutive d'une infraction.
Reste évidemment ce dont se plaint la voleuse, c'est-à-dire la diffusion de son image. Sur ce point la jurisprudence utilise trois critères pour apprécier sa licéité.
Le
premier est la célébrité de la personne dont l'image est diffusée. D'une
manière générale, les juges se montrent réticents à sanctionner pour
manquement au droit à l'image la diffusion de l'image d'une personne célèbre dans
une activité publique. En exerçant une telle activité, l'intéressé est
présumé consentir à la captation et à la diffusion de son image. La Cour
européenne impose d'ailleurs une définition étroite de cette
jurisprudence, considérant dans un arrêt du 24 juin 2004 von Hannover c. Allemagneque
la princesse Caroline de Monaco qui n'exerce aucune fonction officielle
dans la Principauté doit pouvoir bénéficier d'un droit au respect de
son image lorsqu'elle y réside.
Pour le simple quidam
en revanche, le juge se montre plus intransigeant. Il admet ainsi qu'un enfant est titulaire d'un droit à l'image dès sa naissance. Dans un arrêt Reklos et Davourlis c. Grèce du 15 janvier 2009, la Cour européenne des droits de l'homme a ainsi admis qu'un nourrisson photographié dans une maternité était titulaire d'un tel droit, quand bien même il n'en avait pas la moindre conscience. Les clichés doivent donc être remis à ses parents, dans le but d'empêcher leur diffusion intempestive. Dans le cas de la voleuse du dentiste, il est clair qu'il ne s'agit pas d'une personne célèbre dans une activité publique, mais bien davantage d'une personne tout-à-fait obscure et qui s'efforce de le rester.
Le second critère est le consentement de l'intéressé, et il est évident que la voleuse n'a pas consenti à la diffusion de son image sur Facebook. Celle-ci a en effet permis son identification, la contraignant finalement à se livrer à la police. Le droit positif reconnaît une exception au principe du consentement, au profit exclusif des médias. Ces derniers peuvent diffuser des éléments de la vie privée d'une personne utiles au développement d'un débat général. Là encore, le dentiste n'a rien à voir avec un journaliste et il diffuse le film de la caméra de surveillance dans son intérêt personnel. Il veut seulement retrouver l'auteur du forfait. Sur le plan strictement juridique, le principe du consentement n'est donc pas écarté.
Le dernier critère est celui du lieu de la captation. En principe, l'image d'une personne prise dans un espace public, ou lors d'un évènement public n'est pas considérée comme une atteinte
au droit à l'image. Les images captées dans l'espace privé sont, en revanche, constitutives d'une telle atteinte. Or, les textes affirment clairement qu'un cabinet médical est un espace privé, même s'il est ouvert aux public. Dans ce cas, la jurisprudence refuse généralement la diffusion d'images provenant d'un espace privé, qu'il s'agisse du domicile de la personne, de sa voiture personnelle, d'une chambre d'hôpital et, on peut le penser, d'un cabinet médical.
En l'état actuel du droit, on est donc contraint de constater que le dentiste a effectivement porté atteinte au droit à l'image de sa voleuse. Il n'en demeure pas moins qu'il a apporté une aide effective à la police et à la justice en permettant l'arrestation d'une délinquante, et que cette aide n'a pu être efficace qu'au prix d'une atteinte au droit à l'image. Il est fort probable que les juges tiendront compte de ces circonstances très particulières. Dans ce cas, le principe d'opportunité des poursuites les autorisent à renoncer à toute procédure à l'encontre du dentiste à moins que les juges choisissent de formuler un simple rappel à la loi. Ces solutions sont les plus souhaitables. Pour le dentiste sans doute, mais peut-être aussi pour sa voleuse car son recours intempestif pourrait peut être agacer d'autres juges, ceux-là mêmes qui seront chargés de la juger.
Les journaux se sont fait l'écho, ces dernières semaines, du cas d'une jeune femme espagnole, Mariana G.T., vivant à Paris, où son mari italien, Nicola, est décédé d'un cancer en juillet 2016, à l'âge de trente ans. Les médecins conseillent généralement aux patients risquant de devenir stériles en raison du traitement par chimiothérapie de prendre la précaution de congeler leur sperme. Une fois guéris, ils peuvent ensuite mener à bien un projet parental, grâce à une simple insémination artificielle.
Dans le cas présent, Nicola a malheureusement succombé à la maladie. Son épouse demande de pouvoir bénéficier de cette insémination, dès lors que les gamètes de Nicola ont effectivement été conservés dans un Centre d'étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) parisien. Et elle se voit opposer un refus qui fait actuellement l'objet d'un recours devant le juge administratif.
L'obstacle du code de la santé publique
Ce refus repose sur l'article L 2141-2 du code de la santé publique, extrêmement clair sur ce point. Il réserve en effet les techniques d'assistance médicale à la procréation, et l'insémination artificielle en est une, à la "demande parentale d'un couple". Force est de constater que Mariana ne forme plus un "couple", et l'alinéa 3 du même article ajoute d'ailleurs que "l'homme et la femme formant le couple doivent être vivants".
Cette formulation trouve son origine dans la loi bioéthique du 29 juillet 1994. Ce texte avait pour objet de mettre fin à une position beaucoup plus nuancée du comité national d'éthique. Celui-ci s'était exprimé, non pas sur la question de l'insémination artificielle mais sur celle de la fécondation in vitro avant transfert d'embryon (Fivete). Dans un avis du 17 décembre 1993, il avait alors estimé que "la disparition de l'homme ne fait pas disparaître les droits que la femme peut considérer avoir sur ces embryons qui procèdent conjointement d'elle et de son partenaire défunt". Certes, le produit congelé ne procède pas de Mariana dans le cas d'une insémination, mais on pourrait considérer qu'elle détient des droits sur des gamètes qui ont été congelées dans le but de mener à bien un projet commun.
On sait que les lois de bioéthique présentent la particularité de contenir des clauses de révision qui imposent un nouvel examen par le parlement. Lors de la révision qui a abouti à la loi du 6 août 2004, la question de l'insémination post-mortem a été reposée et le rapport d'information préparatoire suggérait de l'autoriser, comme d'ailleurs la réimplantation d'embryons, à la condition que le père ait exprimer son accord de son vivant. Dans cette hypothèse, la volonté du défunt devenait l'élément essentiel à prendre en considération, l'insémination post mortem pouvant être considérée comme un élément du testament du donneur.
Quoi qu'il en soit, la loi de 2004 ne retient pas cette suggestion. Plus tard, lors des débats qui ont précédé la troisième loi bioéthique du 7 juillet 2011, la majorité parlementaire écarte un amendement adopté en commission visant à autoriser l'insémination post mortem, sous certaines conditions. Elle considère en effet que l'assistance médicale à la procréation ne pourrait avoir pour résultat de fonder une famille mono-parentale (par exemple : Civ. 1ère 9 janvier 1996). Derrière cette idée, apparaît en filigrane, le sentiment qu'il est préférable qu'une jeune veuve fasse son deuil, avant de reconstruire une vie nouvelle avec un nouveau partenaire, et une autre famille.
Keith Haring. Man holding a baby. &988
Protéger la femme contre elle-même
C'est exactement ce qu'affirme l'agence de biomédecine. Dans un article consacré à cette affaire, le Monde fait état d'un mémoire envoyé au Conseil d'Etat, dans lequel elle rappelle que l'interdiction est conforme à l'intérêt de l'enfant, dès lors qu'il s'agit d'empêcher qu'il soit "délibérément privé de père" et confronté au "poids psychologique et social qui pèserait sur lui d'être (...) né d'un deuil". L'agence invoque également l'intérêt de la mère " qui déciderait d'entreprendre une grossesse seule, alors qu'elle vient de perdre son conjoint, et qu'elle se trouve dans un état de vulnérabilité psychologique".
En 2016, cet argument apparaît singulièrement désuet. La femme est-elle donc un petit oiseau fragile qu'il faut protéger contre elle-même ? Aucune disposition juridique n'interdit pourtant à une femme de fonder une famille mono-parentale. Et la nécessité de recourir à une insémination artificielle n'est plus un obstacle sérieux au désir d'enfant. C'est ainsi qu'une femme homosexuelle n'a pas beaucoup de difficulté à bénéficier de cette technique, soit à l'étranger, soit en France où il n'est pas impossible de trouver un médecin qui accepte de l'aider. La norme juridique doit-elle apprécier le bien-fondé du désir d'enfant ? Est-il plus légitime pour une célibataire qui refuse de vivre en couple, pour une couple d'homosexuelles ou pour une jeune veuve ?
La question même semble absurde, d'autant que les Etats de l'Union européenne ont, sur ce point, fait des choix très différents. Si Nicola avait confié la congélation et la conservation des paillettes à un service espagnol ou italien, Mariana aurait pu bénéficier, sans aucune restriction, d'une insémination post-mortem. L'interdiction du droit français va donc susciter la création de "paradis de banques de sperme" comme il existe déjà des paradis fiscaux. On ira donner son sperme en Italie ou en Espagne pour être certain qu'il pourra être utilisé, même post-mortem.
Tout récemment, le 20 avril 2016, Laurence Rossignol, actuelle ministre "des familles, de l'enfance et des droits des femmes", a annoncé que l'assistance médicale à la procréation serait étendue aux femmes seules et aux couples d'homosexuelles bientôt, mais pas avant les élections présidentielles. Cette intervention montre que les pouvoirs publics sont conscients que le droit français n'est plus en harmonie avec les besoins de notre société. Alors pourquoi ne pas intervenir plus rapidement ? En attendant, pourquoi ne pas accepter tout simplement le transfert des paillettes de Nicola dans une clinique espagnole ? Ce serait une solution élégante pour permettre à Mariana de bénéficier d'une insémination, sans pour autant violer le droit français.
Le débat sur le TAFTA se développe dans l'opinion publique, au moment précis où les observateurs se montrent de plus en plus sceptiques sur son avenir. A dire vrai, on ne sait pas grand-chose du TAFTA, si ce n'est qu'il a pour objet de
créer une zone de libre-échange entre les Etats-Unis et l'Union
européenne. Les négociations, commencées en 2013 concernent donc à la
fois la suppression des barrières douanières, mais aussi des
réglementations qui entravent la libre circulation.
Alors que s'ouvre le treizième round de négociation, les critiques s'amplifient. Du côté américain, on sait que les deux principaux candidats à la Maison Blanche, Hilary Clinton et Donald Trump n'y sont pas favorables. Les Etats membres de l'Union européenne sont également divisés. Angela Merkel soutient les efforts d'Obama en faveur d'une signature rapide mais François Hollande prend nettement ses distances, affirmant qu'il n'est pas prêt à s'engager dans un dispositif qui porterait notamment atteinte aux intérêts de l'agriculture française. Si le moteur franco-allemand semble en panne, la Commission européenne continue, quant à elle, à négocier le TAFTA, comme si la volonté de l'Union n'était plus la somme de celles de ses Etats membres.
La bataille de la terminologie
Le TAFTA a déjà perdu la bataille de la terminologie. Son nom officiel est Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) ou, en français, Partenariat Transatlantique de Commerce et d'Investissement (PTCI). En fait, le TAFTA est le nom donné au traité par ses opposants, le Transatlantic Free Trade Agreement désignant tout simplement un accord de libre échange.L'évolution est loin d'être neutre : alors qu'un partenariat repose sur l'égalité entre les parties, une zone de libre échange n'est pas nécessairement égalitaire. On perçoit déjà, en filigrane, l'idée que le TAFTA trouve son origine dans la volonté américaine de promouvoir ses intérêts et ceux de ses entreprises.
Considéré à travers le prisme des libertés publiques, le TAFTA apparaît comme un véritable cas d'école illustrant le déficit démocratique dont souffre l'Union européenne.
Opacité de la procédure
En 2013, les 28 Etats membres ont délégué à l'Union européenne la
mission de négocier le TAFTA. Le mandat, qui comporte 46 articles, a été rendu public quelques mois après le début des négociations. Il formule des principes généraux et annonce que l'accord comportera trois volets : "l'accès aux marchés, la convergence réglementaire et les règles commerciales permettant de relever les défis mondiaux".
Sur cette base, est créé un "groupe de travail de haut niveau"
UE/Etats-Unis. Ses premières
recommandations sont toutes formulées dans des termes extrêmement vagues.
C'est ainsi qu'il déclare, sans davantage de précision, qu'il "faudra renforcer les programmes conçus pour faciliter la reconversion des secteurs les plus affectés par le partenariat". Il doit donc y avoir des "secteurs affectés"...
Les rounds de négociation se déroulent à huis-clos. Du côté américain, le secret des négociations est absolu et aucun document n'est publié. Du côté européen, en revanche, la Commission publie des masses de documents, en insistant sur sa volonté de transparence. Ces documents sont tous diffusés en anglais, et le nouveau partenariat est donc déjà parvenu à créer une vaste de zone... même pas de libres échanges, mais de diffusion unilatérale en anglais. La lecture de ces pièces laisse cependant les commentateurs dans l'incertitude. Elles portent sur les grandes lignes, les principes, qui guident les négociateurs, mais les propositions détaillées demeurent confidentielles. Le rôle des lobbies n'apparaît jamais dans les documents, alors même que sur 130 réunions préparatoires où étaient invitées les "parties prenantes", 119 se sont déroulées en présence d'entreprises et de lobbies industriels.
Dollar. Gilles et Julien. 1932
Opacité du contenu des négociations
D'une manière générale, beaucoup de documents diffusés relèvent davantage de la communication que de la transparence. C'est ainsi qu'un rapport commandé par la Commission au Center for Economic Policy Research (CEPR) annonce que le TAFTA apportera une croissance économique de 119 milliards d'euros par an à l'UE, chiffre que l'on doit plus ou moins croire sur parole. Il est vrai qu'il est toujours préférable de s'adresser à un Think Tank britannique pour connaître les immenses avantages de la coopération avec les Etats-Unis.
Cette pratique du secret est justifiée par deux arguments. Le premier d'entre eux réside dans l'idée que l'on ne peut dévoiler toutes ses armes au début d'une négociation. Certes, mais le temps du début de la négociation est bien passé, alors que le Président Obama fait pression pour que le TAFTA soit signé avant la fin de l'année. Le second argument réside dans le secret des affaires, et l'opacité de cette négociation est le reflet de la nouvelle conception absolutiste de ce secret, développée par la récente directive adoptée par le parlement européen il y a à peine plus d'une semaine. Les mauvais esprits pourraient penser que cette directive constitue un acte préparatoire à la mise en oeuvre du TAFTA.
La justice mise à l'écart
Les entreprises n'ont pas seulement obtenu la reconnaissance d'un secret des affaires quasi-absolu. Le cadeau essentiel que leur fait le TAFTA réside dans le mode de règlement des différends commerciaux. L'"Investor-State Dispute Settlement" (ISDS), système d'arbitrage,
aura pour fonction de régler les litiges, y compris ceux opposant
un Etat à une entreprise.
La justice des Etats est exclue, et elle
n'a d'ailleurs pas eu de porte-parole pour défendre la primauté de
l'état de droit lors des négociations. Les entreprises, surtout les firmes d'outre-atlantique, préfèrent l'arbitrage, plus discret qu'une procédure judiciaire et le plus souvent mis en oeuvre selon une procédure
anglo-saxonne. Le rêve des firmes américaines de se soustraire complètement au droit européen, droit de la concurrence ou droit de la protection des données personnelles par exemple, est donc en passe de se réaliser. Et l'arbitrage permet de rester entre soi, en faisant appel à des arbitres sensibles aux intérêts des entreprises. En témoigne le célèbre arbitrage Tapie.
Les citoyens mis à l'écart
Derrière ces mises à l'écart des citoyens et des juges apparaît, bien plus gravement, une mise à l'écart de la démocratie. Car si le citoyen est exclu de l'information, il est aussi exclu de la participation. La Commission, chacun le sait, n'est pas une institution démocratique. Rappelons que ses membres ne sont pas élus mais désignés par le Conseil européen, le parlement européen n'intervenant que par un vote d'approbation. Quant au Président de la Commission, il est "proposé" au parlement par ce même Conseil, statuant à la majorité qualifiée. Il est vrai que le traité de Lisbonne énonce que cette proposition doit être effectuée « en tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées ». Une telle disposition n'a pourtant pas pour effet de conférer une légitimité démocratique au Président.
Force est donc de constater que l'instance qui négocie le traité a sans doute une légitimité institutionnelle, mais certainement pas une légitimité démocratique. Les citoyens des Etats membres sont en dehors du processus, comme la plupart de leurs dirigeants élus démocratiquement.
L'effet boomerang de la démocratie
Mais la démocratie, exclue de la procédure de négociation, va sans doute reparaître au moment de l'adoption du traité. Et l'effet boomerang risque d'être dévastateur.
Aux Etats-Unis, la ratification du traité sera directement de la compétence du Congrès, et il est très probable que la procédure ne pourra être menée à bien avant la fin du présent mandat. Qu'en sera-t-lors du prochain, si l'on considère qu'Hilary Clinton et Donald Trump sont réservés à l'égard du TAFTA ? Y aura-t-il une majorité au Congrès pour le voter ? Pour le moment, on l'ignore.
Au sein de l'UE, la procédure est plus complexe. Le TAFTA doit d'abord recevoir l'accord des 28 Chefs d'Etat du Conseil qui statue à la majorité qualifiée (55 % des Etats représentant au moins 65 % de la population de l'Union). S'il passe cette étape, il sera soumis au parlement européen puis aux parlements de chaque Etat membre qui devront le ratifier en bloc, sans pouvoir l'amender. D'ores et déjà, la Grèce d'Alexis Tzipras menace d'opposer son veto. Quant aux Pays-Bas, ils prévoient la ratification par référendum, consultation qui a peu de chances d'obtenir une réponse positive. Le retour du processus démocratique dans le TAFTA conduirait ainsi à son abandon. Comme si la démocratie rejetait un corps étranger.
Il n'est guère surprenant que le Conseil ait déclaré conformes à la Constitution les nouvelles règles relatives aux présentations. Le texte impose en effet une obligation de transparence totale des 500 signatures exigées pour que la candidature soit recevable. Celles-ci sont désormais envoyées directement au Conseil par l'élu local et non plus par le candidat. Elles sont publiées au fur et à mesure de leur
arrivée, et non plus, par en une fois au moment du dépôt officiel de la
candidature. Enfin, elles sont toutes publiées, alors qu'auparavant un tirage au sort permettait de sélectionner 500 signatures parmi les milliers que réunissaient les candidats des partis dotés d'une large audience nationale. On ne voit pas sur quel fondement le Conseil aurait déclaré inconstitutionnel ce principe de transparence.
Sa propre jurisprudence ne laissait aucun doute sur la question. Saisi par Marine Le Pen d'une QPC, le Conseil a estimé, le 21 février 2012, que
la publicité des parrainages ne fait que mettre en oeuvre un principe de
transparence et ne saurait portait atteinte au pluralisme des courants
d'opinion. Personne ne nie que cette publication des signatures constitue un sérieux handicap pour les petits partis qui ne disposent pas d'un socle d'élus locaux suffisant pour leur apporter 500 signatures. C'est bien fâcheux, et cet inconvénient était relevé par le Conseil, non plus dans une décision, mais dans son rapport sur l'élection de 2012. Il affirmait alors que "ce dispositif suscite des débats et laisse
subsister une incertitude sur la possibilité de participer au premier
tour du scrutin de représentants de certaines
formations politiques, présentes lors de scrutins
précédents, qui ont obtenu en définitive un très grand nombre de voix". Ce texte avait l'apparence d'un appel au législateur, appel entendu d'une étrange manière, puisque la loi établit certes une transparence totale, mais ne réduit en aucun cas les difficultés rencontrées par les petits partis.
Observons tout de même que le Conseil constitutionnel montre l'intérêt qu'il porte à la question en formulant une réserve d'interprétation sur laquelle les commentateurs ne manqueront pas de se pencher. Notant que les signatures doivent lui être acheminées par "voie postale", il mentionne qu'il lui appartiendra, le cas échéant, de "prendre en considération des circonstances
de force majeure ayant gravement affecté l'expédition et l'acheminement
des présentations dans les jours précédant
l'expiration du délai de présentation des
candidats à l'élection du Président de la République". Autrement dit, si les postiers votent la grève quelques jours avant la clôture des candidatures, le Conseil constitutionnel pourra faire preuve de l'imagination imposée par les circonstances, et accepter des acheminements à pied, à cheval, en voiture ou en bateau à voile, selon une formule chère à Jacques Prévert.
Ferdinand Lop. Les actualités françaises. 1952
Le temps d'antenne
La question du temps d'antenne suscitait des doutes plus importants sur la constitutionnalité des dispositions adoptées. La loi organique réduit la période de stricte d'égalité entre les candidats aux deux
dernières semaines avant le scrutin. Durant la période qui précède, dont
on ne sait d'ailleurs pas quand elle commence, l'exposition médiatique des candidats repose désormais sur le principe d'équité. Il appartiendra au CSA de veiller au traitement "équitable", à partir de la
représentativité de chaque candidat et de sa "contribution à l'animation du débat électoral".
La
représentativité de chaque candidat sera appréciée par le CSA à
partir de différents critères tels que les résultats obtenus aux précédentes consultations électorales ou ceux anticipés par les sondages d'opinion. Au principe d'égalité devant la loi est substitué un principe d'équité qui induit de facto une discrimination entre les candidats.
Quant à "l'animation du débat électoral", force est de constater que cette notion manque de clarté. Les candidats sont-ils des animateurs, comme les clowns dans les cirques ? L'expression témoigne de peu de considération pour l'élection et le corps électoral. N'aurait-il pas été plus judicieux d'évoquer leur "contribution" au débat électoral ?
Il n'est pas impossible que le CSA, et le Conseil constitutionnel comme juge de l'élection présidentielle, se bornent à reprendre le principe affirmé par le Conseil d'Etat, dans son arrêt Corinne Lepage du 7 mars 2007. Il y précise que la représentativité d'un candidat peut être évaluée à l'aune de sa "capacité à manifester concrètement l'intention d'être candidat", c'est-à-dire l'organisation de réunions publiques, la participation à des débats, la création d'instruments de communication spécifiques ou encore la désignation d'un mandataire financier. Le législateur a toutefois préféré la formulation plus large d'"animation du débat électoral", laissant au CSA et au Conseil constitutionnel une très large marge d'interprétation.
Dans ces dispositions, rien ne gêne le Conseil qui décide finalement que le législateur a opéré une "conciliation qui n'est pas déséquilibrée" entre la liberté de communication, le principe d'égalité, le principe de pluralisme des opinions garanti par l'article 4 de la Constitution, et enfin l'objectif de
valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Il procède par affirmation, et sans doute aurait-il pu affirmer le contraire.
L'impartialité du Conseil constitutionnel
Reste un dernier principe à évoquer, qui apparaît clairement à la lecture de la décision. Celle-ci s'achève par la formule usuelle : "Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 avril 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUSprésident,.. (suit le nom des membres présents). Laurent Fabius a prêté serment comme nouveau membre du Conseil constitutionnel le 8 mars 2016, Conseil dont il est immédiatement devenu le président. Il y à peine plus d'un mois, il était membre du gouvernement et soutenait le projet de loi sur la modernisation des règles relatives à l'élection présidentielle. Aujourd'hui, il est appelé à présider l'instance qui en apprécie la constitutionnalité.
Certains mettront en cause l'impartialité de l'individu Laurent Fabius qui aurait pu choisir de se déporter. Mais si la question s'est déjà posée en termes identiques pour bon nombre de ses prédécesseurs et elle se pose avec une acuité encore plus grande pour les membres de droit du Conseil, c'est-à-dire les anciens présidents de la République.
En revanche, l'impartialité objective de l'institution qu'est le Conseil constitutionnel est posée. Rappelons que, aux yeux de la Cour européenne, le procès équitable suppose une institution qui paraît impartiale et qui, à ce titre, inspire confiance au justiciable.
Certes, on objectera que le Conseil constitutionnel n'est pas une juridiction, au sens français du terme. En droit européen cependant, c'est l'ensemble de la procédure contentieuse qui doit présenter des garanties d'impartialité. Or la QPC constitue désormais une étape essentielle dans une telle procédure, et la Cour européenne a déjà accepté d'apprécier une QPC, dans un arrêt Renard du 25 août 2015. En l'espèce, la contestation ne portait que sur le filtre des juridictions suprêmes, le requérant contestant le refus de renvoi d'une QPC qui lui avait été opposé par la Cour de cassation. Il est fort probable cependant que la Cour européenne sera, dans un délai plus ou moins proche, appelée à statuer sur l'impartialité objective de la procédure de QPC devant le Conseil constitutionnel. Que pensera-t- elle d'une institution qui apprécie la conformité à la constitution d'une loi que son président soutenait un mois avant, à une époque où il était ministre ? Pour éviter le risque d'une mise en cause directe du juge constitutionnel, la modification de la composition du Conseil devient une ardente nécessité. Hélas, les débats récents sur l'état d'urgence et la déchéance de nationalité ont montré l'impossibilité actuelle d'engager une réforme constitutionnelle.
Certains ont sans doute perçu le Hijab Day organisé à l'IEP de Paris le 20 avril 2016 comme un canular d'étudiants.
Ils ont rapidement été détrompés par le communiqué embarrassé publié par la direction de l'école. Il y est d'abord mentionné que "l'évènement vise à sensibiliser les étudiants et les professeurs au port du Hijab et au regard porté par notre société sur les femmes faisant le choix de s'en vêtir". Pendant que les enfants gâtés de Sciences Po se promènent entre la rue Saint Guillaume et le boulevard Saint Germain avec un foulard coquettement posé sur des mèches qui sont seules à être rebelles, les femmes iraniennes postent sur les réseaux sociaux des selfies montrant leur visage. Elles font ainsi la démonstration éclatante qu'elles n'ont pas "fait le choix de se vêtir" d'une tenue qui est le symbole de l'oppression et de la soumission.
La direction de Sciences Po, quant à elle, adopte une attitude directement inspirée par Ponce Pilate : elle s'en lave les mains. Dans une même phrase, elle affirme qu'il "est légitime de porter ce débat au sein de notre école", mais que "le mode de communication choisi pour ce faire peut néanmoins interroger et (que) la tenue de cet évènement dans les murs de Sciences Po ne saurait être interprétée comme un quelconque soutien de l'école à cette initiative". Résumons nous : le HijabDay "interroge" les autres, mais pas nous. C'est pas que l'on soit vraiment contre, mais on n'est pas pour non plus. Considéré sous cet angle, le communiqué ressemble à une copie d'étudiant qui prépare l'ENA : un plan en deux parties qui développe un discours aseptisé destiné à plaire à tout le monde.
Quoi qu'il en soit, ce Hijab Day intervient une semaine exactement après les propos tenus par Manuel Valls, lors d'une interview accordée à Libération. Il y déclarait, à propos d'une éventuelle loi interdisant le port du voile à l'Université : " Il faudrait le faire, mais il y a des règles constitutionnelles qui
rendent cette interdiction difficile. Il faut donc être intraitable sur
l’application des règles de la laïcité dans l’enseignement supérieur." Cette petite phrase a suscité un tollé. Le Premier ministre était accusé de remettre en cause les droits des femmes, la liberté religieuse etc etc. Regardons d'un peu plus près ce que dit le droit. Les "règles constitutionnelles" mentionnées par notre Premier ministre empêchent-elles d'interdire le port du voile ou de le réglementer ?
La laïcité, principe constitutionnel
L'article 1er de notre Constitution énonce : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale". En France, la laïcité a donc valeur constitutionnelle et est étroitement liée au principe républicain. Sur le plan de son organisation juridique, elle impose le double respect de la liberté de conscience et de la neutralité de l'Etat.
La liberté de conscience, élément de la liberté de pensée
La liberté de conscience figure dans l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 aux termes duquel "nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses (...)". De même, le Préambule de 1946 énonce que "nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances". De son côté, l'article 1er de la célèbre loi de 1905 de séparation des églises et de l'Etat affirme que "La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes".
Dans une décision rendue sur QPC le 18 octobre 2013, le Conseil constitutionnel rappelle cette nature constitutionnelle de la liberté de conscience. A propos de la "clause de conscience" que certains élus locaux invoquaient pour refuser de célébrer des mariages entre couples de même sexe, le Conseil précise que le législateur, "eu égard aux fonctions de l'officier de l'état civil dans
la célébration du mariage, n'a pas porté atteinte à la liberté de conscience". La liberté de conscience relève de l'opinion, de l'intime, du quant à soi. Sa protection ne s'étend pas à l'affirmation ostentatoire d'une appartenance religieuse, quelle qu'elle soit, affirmation qui, par hypothèse, s'exerce dans le cadre des relations sociales ou des rapports de travail.
Cookie Dingler. Femme libérée. 1984
La neutralité de l'Etat
Dans
les services publics, la laïcité s'exprime par l'obligation de
neutralité. Contrairement à ce qui est parfois affirmé, la neutralité
n'impose pas seulement de
n'afficher aucune préférence pour une religion. Elle impose aussi et
surtout une obligation de ne pas manifester ses croyances
religieuses. Ce devoir ne concerne pas seulement les fonctionnaires mais
aussi tous ceux qui participent au service public de l'enseignement.
Dans un avis du 3 mai 2000 Mlle Marteaux, le Conseil d'Etat affirme ainsi que "les
principes de neutralité et de laïcité s'appliquent à l'ensemble des
services publics et interdisent à tout agent, qu'il assure ou non des
fonctions éducatives ou ayant un caractère pédagogique, d'exprimer ses
croyances religieuses dans l'exercice de ses fonctions". Tous les
personnels de l'Université sont donc soumis à cette obligation et
peuvent être sanctionnés s'ils arborent des signes religieux apparents.
C'est ainsi que le tribunal administratif de Toulouse a admis, en avril 2009,
la légalité du licenciement d'une doctorante allocataire de recherche à
l'Université Paul Sabatier qui refusait de retirer son voile. Salariée
par l'Université, elle était soumise à l'obligation de neutralité.
Le
cas des étudiants est étudiants est un peu différent. On doit
évidemment écarter l'argument selon lequel les
étudiantes des Universités ne seraient pas soumises à l'obligation de
neutralité parce qu'elles sont majeures. Le respect de la laïcité
serait-il donc réservé aux enfants ? En tout cas, le Conseil d'Etat a
déjà confirmé, à plusieurs reprises, l'exclusion de lycéennes majeures
portant le voile au lycée (par exemple : CAA Nancy, 24 mai 2006), ce qui détruit l'argument. La circulaire du 15 mars 2004
précise d'ailleurs que l'interdiction du port de signes religieux
s'applique à tous les élèves des établissements secondaires, "y compris ceux qui sont dans des formations post-baccalauréat". Une étudiante d'hypokhâgne ne peut pas porter le voile, alors qu'une étudiante en licence peut le porter...
Sur le plan strictement juridique, l'interdiction du port du voile à l'Université pourrait ainsi être considéré comme la mise en oeuvre du principe d'égalité. Aucun texte législatif ne l'interdit. C'est ainsi que l'article 50 de la loi du 26 janvier 1984 souvent invoqué dans ce domaine, énonce que les étudiants "disposent de la liberté d'information et d'expression à l'égard des problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels". Force est de constater pourtant que le mot "religion" n'y figure pas. A l'inverse, la loi du 15 mars 2004, aujourd'hui codifiée dans l'article L 141-5-1 du code de l'éducation énonce : "Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes
ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une
appartenance religieuse est interdit". Un mot à ajouter, un seul mot, et
l'Université devient un sanctuaire à l'abri des querelles religieuse et
des marques d'asservissement des femmes. Une telle évolution est-elle impossible ?
La Cour européenne, ou le Grand Augure
Bien entendu, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme sera invoquée dans ce domaine. Ses arrêts ont quelque chose des oracles du Grand Augure et chaque commentateur les scrute à l'aune de ses convictions. La Belle Hélène était-elle voilée ? Bon nombre d'actuels Calchas s'efforcent de démontrer que la Cour consacre un droit d'affirmer ses convictions religieuses dans l'Université.
Ce n'est pas simple. Dans un arrêt Dogru c. France du 4 décembre 2008, elle reconnaît que la laïcité française s'incarne dans la loi de séparation du 9 décembre 1905. Sur ce fondement, elle affirme la conformité à l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme des restrictions apportées par la loi au port d'emblèmes religieux par les agents publics. Certes, la Cour européenne n'a jamais été saisie du cas des étudiantes des Universités françaises, dès lors que le droit n'impose aucune interdiction dans ce domaine. En revanche, la Cour a estimé, dans son arrêt Leyla Sahin c. Turquie du 10 novembre 2005 qu'une telle interdiction décidée par le droit turc, ne portait pas davantage atteinte à l'article 9 de la Convention.
Ce ne sont donc pas les fondements qui font défaut à une telle interdiction, c'est la volonté politique. Heureusement, il y a ces femmes iraniennes qui nous donnent une leçon de courage. A visage découvert.
Le 14 avril 2016, le parlement européen a adopté la directive "protection des secrets d'affaires contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites". Ce texte a été proposé à la fin de l'année 2013 par Michel Barnier, alors commissaire au marché intérieur mais il était alors passé plus ou moins inaperçu. C'est seulement lors de son adoption par le Conseil des ministres un an plus tard qu'il a été découvert par différents groupements et associations qui lui reprochent de vouloir neutraliser les lanceurs d'alerte et entraver le travail de la presse. Comme souvent, leur réaction intervient tardivement, après que le texte ait été soigneusement verrouillé par les milieux industriels, particulièrement efficaces à Bruxelles grâce à l'intervention de cabinets de lobbying actifs et bien rémunérés.
L'intelligence économique
L'idée de protéger le secret des affaires n'a, en soi, rien de scandaleux. Rappelons que ce qu'il est désormais convenu d'appeler l'intelligence économique est un enjeu essentiel dans la compétition entre les entreprises, compétition désormais mondialisées et dans laquelle tous les coups sont permis, ou presque. On se souvient de la stagiaire chinoise de Valeo accusée, et condamnée, pour avoir volé des données informatiques, et de l'employé de chez Michelin qui essayait de vendre à Bridgestone les plans de pneumatiques innovants. Sans doute plus grave, les Etats-Unis n'hésitent pas à mettre au service de leurs industriels les outils d'interceptions électroniques gérés par la NSA. Plusieurs gros contrats d'entreprises françaises n'ont-ils pas capoté parce que leur concurrent américain se trouvait mystérieusement informé du détail des offres ?
Si la nécessité de protéger les secrets des entreprises ne fait aucun doute, il faut néanmoins s'interroger sur la directive européenne et sur son efficacité.
La définition du secret des affaires
La directive présente la caractéristique de ne pas définir son objet. Dans son préambule, elle précise ainsi qu'il "importe d'établir une définition homogène du secret d'affaires sans
imposer de restrictions quant à l'objet à protéger contre
l'appropriation illicite". L"'objet à protéger", ce peut être des savoir-faire ou des informations, dès lors qu'ils peuvent être considérés comme ayant une valeur commerciale, effective ou potentielle et que leur divulgation porte atteinte aux intérêts de l'entreprise (cons. 14).
L'article 2 n'est guère plus explicite. Il précise que peuvent être couvertes par le "secret d'affaires" les informations qui répondent aux trois conditions cumulatives suivantes :
Elles sont secrètes, ce qui signifie qu'elle "ne sont généralement pas connues des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'information en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles". Les informations secrètes sont donc celles qui ne sont pas connues.
Elles ont une valeur commerciale parce qu'elles sont secrètes. Observons que l'entreprise qui décide de l'étendue de son secret est également seule à pouvoir apprécier sa valeur commerciale.
Enfin, elles ont fait l'objet de "dispositions raisonnables" destinées à les garder secrètes. Ces dispositions signifient que l'entreprise doit avoir organisé une procédure de protection de ses informations confidentielles, notamment un système d'habilitation et de classification interne.
En résumé, la définition du secret des affaires est purement tautologique : est secrète l'information que l'entreprise considère comme secrète.
Sur ce point, la directive se montre encore plus laxiste que la proposition Carayon adoptée par l'Assemblée nationale en janvier 2012. Il définissait alors l'information couverte par le secret des affaires comme celle "dont la divulgation non autorisée serait de nature à compromettre gravement les intérêts de l'entreprise en portant atteinte à son potentiel scientifique ou technique, à ses positions stratégiques, à ses intérêts commerciaux ou financiers ou à sa capacité concurrentielle". Certes, la proposition était un couper-coller de l'Economic Espionage Act, loi américaine votée en 1996, sous la présidence de Bill Clinton. Par l'énumération des finalités possibles de la classification faite par les entreprises, elle permettait cependant un éventuel contrôle contentieux. Quoi qu'il en soit, la proposition Carayon a sombré avec l'alternance, son auteur ayant été renvoyé à ses études d'intelligence économique par ses électeurs.
On nous cache tout, on nous dit rien. Jacques Dutronc. 1967
Les lanceurs d'alerte
Le texte de la directive n'offre, en effet, aucune protection effective des lanceurs d'alerte. Cette formule, inspirée du terme anglo-saxon "Whistleblower", désigne toute personne qui décide de signaler à sa hiérarchie ou de mettre à la
disposition du public, des informations dont elle a connaissance et qui
mettent en lumière des actions illégales ou dangereuses. Le lanceur
d'alerte n'est pas un délateur, mais bien davantage un informateur qui
agit, ou tout au moins croit agir, dans l'intérêt général.
Si l'on en croit la lettre de la directive, rien n'interdirait, par exemple, aux laboratoires Servier de poursuivre Irène Frachon qui a révélé le scandale du Médiator. N'a-t-elle pas porté à la connaissance du public des éléments qui "ne sont généralement pas connues" du grand public et qui portent préjudice à l'entreprise ?
Il est vrai que le Préambule de la directive énonce que ses dispositions "ne devraient pas entraver
les activités des lanceurs d’alertes. La protection des secrets
d'affaires ne devrait dès lors pas s'étendre aux cas où la divulgation
d'un secret d’affaires sert l'intérêt public dans la mesure où elle
permet de révéler une faute professionnelle ou une autre faute ou une activité
illégale directement
pertinentes". Il convient toutefois de nuancer l'importance de ces dispositions. Elles figurent dans le Préambule et sont dépourvues de contenu normatif. En témoigne l'emploi du conditionnel qui montre bien que les auteurs entendent seulement énoncer le droit tel qu'il devrait être, dans quelques mois, ou dans quelques années, ou jamais.
Un standard de protection moins élevé
Sur ce point, la directive propose un standard de protection inférieur à celui qui existe en droit français. Celui-ci n'est pourtant guère développé dans le domaine de la protection des lanceurs d'alerte.
Pour les fonctionnaires, il se limite à l'article 6 du statut de 1983, issu de la loi du 6 août 2012.
Il y est précisé qu'aucune mesure concernant notamment le recrutement,
la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la
promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard
d'un fonctionnaire parce qu'il a formulé un recours auprès d'un supérieur
hiérarchique ou engagé une action en justice, ou encore apporté son
témoignage dans des affaires touchant au harcèlement sexuel ou moral, ou
encore à des pratiques discriminatoires.
Dans les entreprises privées, le seul texte est la loi du 6 décembre 2013 relative à la fraude fiscale et à la grande délinquance économique et financière. Son article 35 énonce qu'"aucune
personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de
l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun
salarié ne peut être sanctionné ou faire l'objet d'une mesure
discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de
rémunération, d'intéressement (..), de formation, de reclassement,
d'affectation, (...) de mutation ou de renouvellement de contrat pour
avoir relaté ou témoigné, de bonne fois, de faits constitutifs d'un
délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de
ses fonctions". Pour sanctionner de telles pratiques, la loi prévoit
de renverser la charge de la preuve. En cas de contentieux, le chef
d'entreprise devra démontrer que la mesure prise à l'encontre du salarié
n'est pas motivée par les dénonciations effectuées par ce dernier.
Ces dispositions sont modestes, mais elles ont le mérite d'exister. La directive européenne, quant à elle, se borne à envisager un statut des lanceurs d'alerte, dans un avenir incertain. Le Parlement européen a ainsi refuser de lier son vote à l'adoption préalable d'un tel statut.
Sur ce point, la directive semble aller à contre-courant du droit français. En effet, la question des lanceurs d'alerte est un sujet actuel, et on se souvient que le Président Hollande a remercié les lanceurs d'alerte au lendemain de la divulgation du scandale des Panama Papers. Le projet de loi Sapin II de lutte contre la corruption déposé à l'Assemblée nationale tout récemment, le 30 mars 2016, va dans le sens d'une meilleure protection, avec la création d'une Agence nationale de détection et de prévention de la corruption, chargée de conseiller les lanceurs d'alerte, voire de reprendre à son compte leurs révélations pour leur permettre de demeurer dans l'anonymat, ou encore de reprendre à sa charge les frais liés à d'éventuelles procédures judiciaires. De son côté, le Conseil d'Etat rend public son rapport 2016 sur "le droit d'alerte : signaler, traiter, protéger". Tout cela n'est sans doute par parfait et c'est un droit en cours de construction, mais c'est tout de même mieux que le vide abyssal de la directive européenne. Il est vrai que le lobbying est un peu moins développé à Paris qu'à Bruxelles.