Deux textes votés le 5 avril 2016, à partir de propositions parlementaires émanant de membres du Parti socialiste, ont pour objet la "
modernisation de la campagne présidentielle". Le premier est une
loi organique, le second une
loi ordinaire. Cette dernière autorise la Commission nationale des comptes de campagne à recruter des experts et harmonise les sanctions pénales susceptibles d'être prononcées en cas de publication de sondages "sortie des urnes" avant la fin des opérations de vote. Ces points ne sont pas négligeables, mais ils demeurent marginaux par rapport aux questions traitées par la loi organique.
Rappelons qu'une loi organique porte sur le fonctionnement des pouvoirs publics et a pour objet de mettre en oeuvre la Constitution. Elle est soumise à une procédure un peu plus rigoureuse que les lois ordinaires, qui se traduit en particulier par une condition de majorité absolue à l'Assemblée nationale dans l'hypothèse où elle doit trancher après un désaccord entre les deux assemblées, ainsi que par une saisine obligatoire du Conseil constitutionnel. Cette saisine a été effectuée par le Premier ministre le 6 avril 2016.
Ce texte a connu un cheminement parlementaire agité et le dernier mot a été finalement donné à l'Assemblée nationale, après l'échec de la navette parlementaire. D'une manière générale, elle suscite une réaction extrêmement négative de tous les responsables des petits partis. De Philippe Poutou à Nicolas Dupont-Aignan, tous sont d'accord pour dénoncer un texte qui, à leurs yeux, rend la compagne présidentielle plus inégalitaire.
Les présentations
La première source de mécontentement réside dans une nouvelle organisation des présentations. Leur nombre n'est pas modifié et il est toujours indispensable d'obtenir 500 signatures d'élus d'au moins 30 départements
différents pour pouvoir se porter candidat aux élections présidentielles. Les élus concernés sont les maires des 36 000
communes auxquels il faut ajouter les parlementaires, les conseillers
régionaux et généraux ainsi que les membres de l'assemblée corse et des
assemblées d'outre-mer, soit un collège potentiel d'environ 48 000
signataires.
Ces présentations ont pour objet de réduire le nombre de candidats, en excluant les candidatures fantaisistes. La première d'entre elles est
celle de Pierre Dac, qui s'était déclaré candidat en
1965, comme chef du Parti d'en rire et Président du Mouvement ondulatoire
unifié (MOU), doté d'une devise très actuelle : "Les
temps sont durs, vive le MOU". Depuis cette date, d'autres se sont manifestés comme Coluche ou Dieudonné, mais aucun n'a finalement conduit sa candidature à son terme. Il faut bien reconnaître que les candidatures fantaisistes ne constituent pas une menace bien inquiétante pour notre démocratie.
Dans un premier temps, ces présentations ont suscité des manoeuvres politiciennes. Les grands partis n'ont pas hésité à faire pression sur les élus locaux. N'est il pas tentant de parrainer
un candidat d'opposition qui
risque de mordre sur l'électorat de l'adversaire principal ? N'est-il
pas tentant de signer pour le Front National si on pense que son candidat peut empêcher le leader du parti adverse d'être présent au second tour ?
Pour empêcher de telles manoeuvres, a été décidée la publication des signatures. Celles-ci sont transmises au Conseil constitutionnel par le candidat, et le Conseil en publie 500, par tirage au sort. Toutes les signatures ne sont donc pas publiées, loin de là, dès lors que les partis les plus importants en obtiennent un nombre bien plus élevé que le minimum exigé par la loi. La situation est différente pour les partis plus modestes, Ils ont beaucoup de difficultés à obtenir leurs 500 signatures, et, de fait, elles sont toutes publiées.
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Lucky Luke contre Joss Jamon. Morris et René Goscinny. 1958 |
La nécessaire intervention du législateur
Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par Marine Le Pen, le Conseil constitutionnel s'est prononcé,
le 21 février 2012 sur la conformité à la Constitution de ces dispositions. Il a estimé que la publicité des parrainages ne fait que mettre en oeuvre un principe de transparence et ne saurait portait atteinte au pluralisme des courants d'opinion. A ses yeux, le principe d'égalité devant la loi n'est pas davantage mis en cause par le tirage au sort des signatures. Une personne qui a signé pour un candidat ayant obtenu juste
cinq cents signatures a pourtant 100 % de chances de voir son nom porté à la
connaissance du public, et donc de ses électeurs, alors que celle qui
a signé pour un candidat qui recueille des milliers de signatures a
très peu de probabilité de voir son nom publié. Aux yeux du Conseil, cette différence de traitement a été voulue par le législateur dans le but de permettre un contrôle plus rapide et efficace des signatures.
Il appartient donc au législateur, s'il le souhaite de revenir sur cette règle. Dans ses observations sur les élections de 2012, le Conseil constitutionnel l'y incitait, affirmant que "ce dispositif suscite des débats et laisse
subsister une incertitude sur la possibilité de participer au premier
tour du scrutin de représentants de certaines
formations politiques, présentes lors de scrutins
précédents, qui ont obtenu en définitive un très grand nombre de voix". L'allusion à la situation du FN est transparente, même si les succès de ce parti aux élections locales lui permettant désormais de disposer de suffisamment d'élus pour signer en faveur de sa candidate.
L'intervention législative de 2016 était donc attendue. Le parlement a fait le choix d'une transparence totale en imposant la transmission des présentations au Conseil constitutionnel par le signataire lui-même et non plus par le candidat. Ces signatures seront ensuite publiées au fur et à mesure de leur arrivée, et non plus en une fois au moment du dépôt officiel de la candidature. Certains avaient rêvé une dose de parrainages effectués directement par les électeurs, d'autres avaient souhaité le retour au secret, favorisant les petits partis. En choisissant la transparence totale, le législateur ne prend pas de risque constitutionnel. Conformément à sa décision de 2012, le Conseil décidera probablement que la transparence ne peut pas, en tant que telle, porter atteinte au pluralisme. En revanche, la question de l'inégalité de traitement des petits partis, question qui était pourtant le coeur du débat, demeure non résolue.
Le temps d'antenne
La seconde source de l'irritation des membres des petits partis réside dans l'accès aux médias audiovisuels. Dans l'état actuel du droit, les radios et les télévisions doivent assurer une exposition médiatique absolument identique entre les différents candidats pendant les cinq dernières semaines précédant l'élection. En 2012, Nicolas Dupont-Aignan et Philippe Poutou ont donc eu le même temps de parole que Nicolas Sarkozy et François Hollande durant les cinq dernières semaines.
La loi votée le 5 avril réduit cette période de stricte égalité aux deux dernières semaines avant le scrutin. Durant la période précédente dont on ne sait d'ailleurs pas quand elle commence, c'est l'équité qui doit dominer, notion qui figure dans l'article 4 du texte. Elle renvoie à l'idée que l'exposition médiatique de chaque parti doit être proportionnée à son audience. Aux termes de la loi, il appartiendra au CSA de veiller à ce traitement "équitable", à partir de la représentativité de chaque candidat et de sa "contribution à l'animation du débat électoral".
La représentativité de chaque candidat sera donc appréciée par le CSA à partir de deux critères. D'une part, ses résultats aux élections précédentes, critère qui repose sur une analyse du passé et non pas du présent. D'autre part, les sondages utilisés pour apprécier l'état actuel de l'opinion. Cette confiance accordée aux sondages peut surprendre, du moins si l'on considère les erreurs relativement nombreuses qu'ils ont faites sur les résultats estimés de certaines consultations électorales. Surtout, le législateur confère aux sondages un rôle tout-à-fait extraordinaire : il ne sont plus le reflet, toujours imparfait, de l'opinion, mais l'instrument utilisé pour créer l'opinion. Ce ne sont plus les médias qui suivent l'élection, mais l'élection qui suit les médias.
Reste évidemment la notion d'"animation du débat électoral", dont on ne voit pas quel pourrait être le contenu juridique. Cela signifie-t-il que le CSA pourra considérer que tel candidat aux qualités de tribun est plus amusant que tel autre, légèrement bègue ? On espère que l'interprétation n'ira pas jusque là, mais, à dire vrai, on n'en sait rien.
La question de la constitutionnalité d'une telle disposition est évidemment posée. La notion d'"
animation du débat électoral" pourrait être considérée comme emportant une atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Dans plusieurs décisions, et notamment celle du
28 décembre 2011, le Conseil constitutionnel affirme ainsi que ce principe impose au législateur d'adopter "
des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques".
De manière plus évidente, le principe d'égalité devant la loi peut être invoqué. Nul n'ignore qu'il trouve son origine dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, son
article 6 affirmant que "
la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse". Le Conseil constitutionnel affirme néanmoins qu'une rupture d'égalité peut intervenir par la voie législative, dès lors qu'il s'agit de "
régler de façon différente des situations différentes". En l'espèce, les petits partis ne sont pas dans une situation différente de celle des grands partis, du moins au regard de la campagne aux élections présidentielles. Le Conseil constitutionnel affirmera-t-il que l'indication d'un sondage suffit à constituer une "
situation différente" au sens juridique du terme ? Intéressante question, dont on attend la réponse avec impatience.