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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
lundi 28 mars 2016
Le "Revenge Porn" à la recherche d'une sanction
vendredi 25 mars 2016
Ecoutes de Nicolas Sarkozy : droits de la défense ou droit à la délinquance ?
Le secret professionnel
Le "filet dérivant"
dimanche 20 mars 2016
Salah Abdeslam : la défense élastique
Moins de deux jours plus tard, la ligne de défense se précise et que l'avocat soit décidé à ralentir autant que possible toutes les décisions judiciaires concernant son client, y compris en attaquant directement les juges français. Le problème est que cette agitation quelque peu brouillonne fait peu de cas du cadre juridique dans lequel s'inscrit cette affaire pénale. Maître Sven Mary s'engage donc résolument dans une défense de rupture.
Extradition et mandat d'arrêt
Quoi qu'il en soit, Maître Mary ne peut tout de même pas ignorer que son client fait l'objet d'un mandat d'arrêt européen, ce qui signifie qu'il sera "remis" aux autorités françaises et non pas "extradé". La différence n'est pas seulement terminologique, loin de là. Rappelons que le mandat d'arrêt européen repose sur l'idée d'un espace judiciaire commun au sein de l'Union européenne, ce qui signifie que les procédures sont sensiblement identiques dans le droit de chaque Etat membre. Son originalité essentielle par rapport à l'extradition est qu'il s'agit d'une procédure exclusivement judiciaire, alors que la décision d'extradition est prise par décret, après avis de la Cour de cassation.
Le mandat d'arrêt est défini par l'article 695-11 du code de procédure pénale français, et par la loi belge du 19 décembre 2003, comme "une décision judiciaire émise par un Etat membre de l'Union européenne (...) en vue de l'arrestation et de la remise par un autre Etat membre (...) d'une personne recherchée pour l'exercice de poursuites pénales ou pour l'exécution d'une peine (...)". La finalité du mandat d'arrêt européen est de simplifier la remise aux autorités d'un Etat membre d'une personne recherchée. Il s'applique aux faits susceptibles d'être punis d'une peine égale ou supérieure à trois années d'emprisonnement. Le terrorisme est spécifiquement visé parmi les trente-deux infractions pour lesquelles il n'est même pas nécessaire de poser la question de la double incrimination (art. 5 de la loi belge). La question ne se pose pas en l'espèce, car la participation à un acte terroriste constitue un crime aussi bien en droit belge qu'en droit française.
Sur le plan de la procédure, c'est évidemment le droit belge qui va être appliqué à Salah Abdeslam, c'est-à-dire concrètement la loi du 19 décembre 2003. Conformément à ce texte, il a été présenté, dans un délai de 48 heures après son arrestation, à un juge d'instruction, afin d'être informé de sa faculté de consentir ou de s'opposer à sa remise aux autorités judiciaires de l'Etat demandeur. Maître Savy annonce donc que son client s'oppose à cette remise. Certes, mais ce choix a pour unique conséquence de ralentir quelque peu la procédure. Dans les quinze jours après l'arrestation, la Chambre du conseil rendra une première décision, rendue dans le strict respect des droits de la défense. Ensuite Salah Abdeslam pourra faire des recours devant la Chambre des mises en accusation, puis devant la Cour de cassation belge. Tout cela peut sembler fort lourd, mais ces recours successifs sont enfermés dans des délais relativement brefs. En tout état de cause, la décision définitive doit intervenir dans un délai maximum de quatre-vingt-dix jours.
La seule hypothèse de retard pourrait être du fait des autorités judiciaires belges. Estimant que Salah Abdeslam a commis des infractions sur le territoire belge, elles pourraient être tentées de le juger pour ces faits, avant de le remettre aux autorités françaises. Cela semble peu probable. On se souvient que, dans le cas de Mehdi Nommouche, poursuivi pour l'attentat du musée juif de Bruxelles en mai 2014, l'intéressé à été arrêté à Marseille. Les autorités françaises ont alors eu la courtoisie de ne pas s'intéresser aux infractions qu'il avait commises en France, par exemple la détention illégale d'armes, et de le remettre rapidement aux autorités belges. Arrêté le 30 mai 2014, il a été remis à la fin du mois de juillet, c'est à dire à peine deux mois plus tard. On peut donc espérer que les autorités belges feront preuve de la même courtoisie.
Pierre de Belay. Au Palais de Justice de Bruxelles. 1936 |
Plainte contre le procureur
De manière un peu plus surprenante, Maître Mary annonce que son client va porter plainte contre le procureur de Paris, François Molins. Rien que çela. Le fondement de cette plainte résiderait dans une prétendue violation du secret de l'instruction. Mais où porte-t-il plainte ? En Belgique ou en France ?
Si l'on s'en tient au droit français, Maître Mary ne peut tout de même pas ignorer que le secret de l'instruction n'est pas opposable au ministère public. Ce principe traditionnel a été consacré dans la loi du 15 juin 2000. A l'article 11 du code de procédure pénale consacrant le secret de l'instruction a été ajouté un alinéa ainsi rédigé : « Toutefois, afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public, le procureur de la République peut, d'office et à la demande de la juridiction d'instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs, tirés de la procédure, ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause". On observe d'ailleurs que des dispositions comparables existent en droit belge. Certes, en principe, le parquet belge est lié par le secret, mais la loi autorise néanmoins le Procureur du Roi à communiquer, avec l’accord du juge d’instruction et lorsque l’intérêt public l’exige, des informations à la presse à propos d’affaires en cours d’instruction.
Quoi qu'il en soit, le procureur Molins s'est montré extrêmement prudent, se bornant à citer les premières déclarations de Sarah Abdeslam, et affirmant ensuite qu'il fallait les "prendre avec précaution", et qu'elles "laissent en suspens toute une série d'interrogations sur lesquelles l'intéressé devra s'expliquer". A aucun moment, le procureur ne s'est prononcé sur les charges retenues.
Les premières mesures prises par la défense de Salah Abdeslam suscitent donc des interrogations sur la suite de l'affaire. On ignore si Maître Sven Mary a le droit de plaider en France, mais, en tout cas, une petite mise à niveau en droit français semble d'ores et déjà s'imposer.
vendredi 18 mars 2016
L'avant projet de loi El Khomri et la laïcité
Quoi qu'il en soit, l'une de ses dispositions ne suscite que fort peu de commentaires. Il s'agit de l'article 6 du Préambule qui affirme que "la liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses, ne peut connaître de restrictions que si elles sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessité du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché". Certes, les rectifications transmises au Conseil d'Etat écartent la référence à un Préambule, mais c'est pour lui substituer des principes essentiels dont le contenu n'est pas modifié.
Laïcité et secteur privé
Nul ne peut contester que la question de l'élargissement du principe de laïcité au secteur privé est pourtant aujourd'hui une question qui mérite d'être posée. La Cour européenne des droits de l'homme nous y incite. Dans un arrêt Leyla Sahin c. Turquie du 24 juin 2004, elle affirme ainsi que la loi de l'Etat peut imposer une ingérence dans la liberté religieuse, dès lors que cette ingérence peut être considérée comme "nécessaire dans une société démocratique". Et, dans un arrêt Eweida et autres c. Royaume-Uni du 15 janvier 2013, elle accepte d'exercer son contrôle de proportionnalité sur l'obligation de neutralité imposée aux employés d'une compagnie aérienne privée.
Le droit français évolue dans le même sens. Dans une décision du 25 juin 2014, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, dans une démarche comparable, exerce un contrôle de proportionnalité, cette fois à propos de la célèbre affaire Baby Loup. Elle affirme ainsi que l'atteinte à la liberté religieuse qu'impose le règlement intérieur d'une crèche de droit privé interdisant le port du voile aux salariées d'une crèche privée n'est pas excessive par rapport aux finalités poursuivies par l'établissement. La décision permet ainsi l'application de facto de l'obligation de neutralité dans le secteur privé. Depuis cette date, une proposition de loi, votée en première lecture à l'Assemblée et actuellement devant cette date, vise à l'étendre de jure à l'ensemble des établissements accueillant des enfants.
Opinions et convictions
L'avant-projet de loi El Khomry n'envisage pas d'imposer le respect du principe de neutralité dans l'entreprise. Au contraire, il affirme un principe général selon lequel "la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses ne peut connaître de restrictions". La formulation n'est pas neutre. Il ne s'agit pas d'opinions, mais de convictions, formulation qui fait sortir le fait religieux de la sphère privée pour le faire pénétrer dans un espace public. L'opinion relève de l'intime, la conviction est exprimée, affirmée aux autres.
Nature de la tâche à accomplir et fonctionnement de l'entreprise
Il est vrai qu'il est possible de déroger à cette liberté du salarié. Ce n'est d'ailleurs pas chose nouvelle et l'article L 1121-1 du code du travail affirme déjà que "nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché". S'appuyant sur cette disposition, les auteurs du projet de loi considèrent qu'il demeure "à droit constant".
Ce n'est pas si évident. Le code du travail se réfère ainsi à la "nature de la tâche à accomplir" alors que le texte proposé préfère évoquer les "nécessités du fonctionnement de l'entreprise". Certes, la formulation retenue semble offrir au chef d'entreprise une possibilité plus large de refuser l'affirmation des convictions religieuses des salariés. Mais la formulation est aussi plus subjective que la référence à la tâche à accomplir et elle risque donc de susciter des divergences d'interprétation. La prière sur le lieu de travail pourra-t-elle être refusée au nom du "fonctionnement de l'entreprise" ? Les contentieux ne manqueront sans doute pas, et le juge devra donner un contenu à une notion bien incertaine comme il devra en donner un au contrôle de proportionnalité.
Au-delà de ces problèmes de rédaction qui pourront, du moins on l'espère, être résolus lors du débat parlementaire, l'avant-projet de loi illustre parfaitement une tendance récente qui consiste à inverser la logique du droit français de la laïcité.
La juge Carolyn Walter-Diallo prête serment sur le Coran. Brooklyn. 16 décembre 2015 |
Une évolution vers le droit anglo-saxon
Celui repose sur l'idée que le salarié doit se plier aux contraintes de l'entreprise, et que c'est à elle de les définir. C'est ainsi, par exemple, que le port du voile peut être interdit pour des raisons de sécurité, ou pour des motifs liés à la diversité de la population à laquelle l'entreprise apporte un service (affaire Baby Loup). L'avant-projet El Khomry, quant à lui, affirme "la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses", liberté qui "ne peut connaître de restrictions". Ce n'est donc pas l'entreprise qui est au coeur de la décision mais le salarié lui-même. Rien ne lui interdit, a priori, de porter un signe religieux, de solliciter un lieu de culte, de faire sa prière à son poste de travail etc. Il appartiendra ensuite à l'entreprise d'essayer de trouver un fondement juridique susceptible de mettre un frein à ces revendications.
L'avant-projet rejoint, sur ce point, la conception anglo-saxonne de la laïcité. Elle repose entièrement sur la primauté de la liberté religieuse, ou plus exactement de la liberté d'exprimer ses convictions religieuses. Ce n'est plus le salarié qui doit se soumettre au règlement intérieur de l'entreprise, comme dans l'affaire Baby-Loup, mais l'entreprise qui doit s'adapter, et offrir au salarié les moyens d'affirmer ses convictions religieuses. Sur ce point, l'avant-projet peut être considéré comme une sorte de ballon d'essai visant à intégrer la conception nord américaine de la laïcité, celle qui considère la liberté religieuse comme autorisant l'expression de tous les communautarismes et de tous les prosélytismes. Espérons que le Parlement ouvrira le débat.
lundi 14 mars 2016
La réforme de la prescription en matière pénale
L'apparence de la simplicité
La loi est intervenue, à de multiples reprises, pour établir des régimes dérogatoires. Il s'agit, le plus souvent, d'allonger les délais de prescription de l'action publique. C'est ainsi que les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles, que le délai est allongé à trente ans en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants. S'il demeure fixé à vingt ans pour les infractions commises sur les mineurs, il ne commence à courir qu'à partir de la majorité de la victime. Celle-ci peut donc porter plainte jusqu'à son trente-huitième anniversaire. A l'inverse, les délits de presse figurant dans la loi du 29 juillet 1881 bénéficient d'un délai de prescription abrégé, soit trois mois à compter de la publication, délai porté à un an pour les infractions liées à la discrimination.
De leur côté, les juges n'ont pas contribué à simplifier le régime juridique de la prescription. S'agissant des infractions dissimulées par leurs auteurs, ils ont repoussé le point de départ du délai au jour où les faits délictueux ont été constatés. De même, ils ont adopté une jurisprudence de plus en plus souple sur les actes susceptibles d'interrompre le délai de prescription. Dans un arrêt du 7 novembre 2014 l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a ainsi admis la suspension du délai en matière d'infanticide lorsqu'un "obstacle insurmontable" rend les poursuites impossibles. Tel est le cas lorsque les grossesses d'une femme ont été masquées par son obésité, qu'elle n'ont pas été déclarées et que ses accouchements ont eu lieu dans la clandestinité. Le point de départ du délai de prescription a donc été repoussé au jour de la découverte, dans son congélateur, des cadavres des nouveaux-nés.
Toutes ces évolutions répondent à des finalités incontestables. Ne s'agit-il pas d'empêcher que des infraction graves demeurent impunies ? Il n'empêche que le résultat global est une certain confusion, d'autant que les critères développés par les juges ne sont pas toujours d'une grande limpidité.
La proposition de loi Tourret vise à clarifier le droit, d'une part en renforçant les droits des parties civiles par un allongement, au moins partiel, des délais de prescription, d'autre part en donnant des définitions claires des notions utilisées pour fixer le point de départ du délai ou sa suspension.
Allongement de certains délais
Le texte prévoit l'allongement de dix à vingt ans du délai de prescription de l'action publique en matière criminelle, et de trois à six ans en matière délictuelle. Dans une volonté de clarté, le législateur procède à l'alignement du délai de prescription des peines, ce qui conduit à allonger de cinq à six ans celui visant les délits.
En matière criminelle, ce doublement de la durée de prescription de l'action publique vise à offrir aux parties civiles l'assurance que la recherche du coupable sera poursuivie aussi longtemps qu'il est nécessaire. Il tient compte surtout des progrès considérables de la preuve scientifique. C'est ainsi que des traces ADN qui n'étaient pas exploitables au moment des faits peuvent le devenir vingt ans après.
D'une manière générale, la loi ne touche pas aux délais dérogatoires, si ce n'est qu'ils figurent désormais clairement dans le texte et ne sont donc plus disséminés entre le code pénal et le code de procédure pénale. Dans une préoccupation d'égalité, le texte original de la proposition affirmait l'imprescriptibilité des crimes de guerre, au même titre que les crimes contre l'humanité. Le Conseil d'Etat, sollicité pour avis, a estimé que l'imprescriptibilité devait rester exceptionnelle, d'autant que tous les crimes de guerre ne présentent pas le même caractère de gravité. Le texte voté en première lecture est donc d'une portée plus modeste : seuls sont imprescriptibles les crimes de guerre connexes à un ou plusieurs crimes contre l'humanité.
Sécurité juridique
jeudi 10 mars 2016
L'impossible définition de la manifestation
La manifestation, sans mégaphone et sans banderole
Pollier Andrée. La foule bleue. La Manifestation. Triptyque n° 1. |