L'article 1er du projet de révision est rédigé en ces termes, après passage en Commission : "
L'état d'urgence est décrété en conseil des ministres, sur tout ou partie du territoire de la République, soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'évènements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique". La seule modification proposée par la Commission des lois est la substitution du mot "
décrété" au mot "
déclaré" qui figurait dans le projet initial. Il s'agit là d'une modification de rédaction, destinée à montrer le caractère collégial de la décision prise en conseil des ministres.
La loi devra fixer la liste des mesures susceptibles d'être prises en matière de police administrative durant l'état d'urgence, mesures placées sous le contrôle du juge administratif. Au-delà de ces principes qui sont actuellement en vigueur, la Commission propose d'inscrire dans la Constitution l'existence même d'un contrôle parlementaire de l'état d'urgence, dont l'organisation sera précisée par le législateur. Afin de garantir son effectivité, le Parlement sera réuni de plein droit durant l'état d'urgence et l'Assemblée nationale ne pourra être dissoute. L'ancien président de la Commission des lois a manifestement voulu inscrire dans la loi
le dispositif mis en place en novembre 2015, conférant à la Commission des compétences qui sont sensiblement celles d'une commission d'enquête.
Sur la durée de cette période exceptionnelle, le projet de révision reprend le principe d'un décret déclarant l'état d'urgence pour douze jours. Ensuite, selon le dispositif
de la loi de 1955, la loi de prorogation fixe la "
durée définitive" de la prorogation. Cette formulation n'est pas dépourvue d’ambiguïté. Le pouvoir législatif ne peut, en effet, véritablement imposer une durée "définitive", sans limiter ses propres compétences. Rien ne lui interdit, en effet, de passer outre cette durée "définitive", tout simplement en votant une nouvelle loi. Le projet de révision propose donc une formulation plus respectueuse des pouvoirs parlementaires, en mentionnant que la loi de prorogation "
fixe la durée" de l'état d'urgence. Lors de sa récente intervention, le Premier ministre a d'ailleurs affirmé qu'il était prêt à accepter un plafond de quatre mois, sans empêcher le recours à plusieurs prorogations successives. Il appartiendra donc au parlement de statuer sur ce point.
La déchéance de nationalité
La question de la déchéance de la nationalité apparaît plus complexe, d'autant que le débat juridique a été largement écarté au profit du débat politique. L'article 2 du projet de révision se borne à modifier l'article 34 de la Constitution, celui qui définit le domaine de la loi. Parmi les "règles" qui doivent être adoptées par la voie législative doit désormais figurer "
la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne peut être déchue de la nationalité française lorsqu'elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation". Le projet de révision ne prévoit donc pas expressément la déchéance de la nationalité, mais se limite à affirmer la compétence du Parlement pour l'inscrire dans le droit positif.
Les débats en commission font apparaître deux points qui vont être largement évoqués durant les débats parlementaires.
Le projet initial limite la déchéance aux personnes condamnées pour des crimes constituant une atteinte grave à la vie de la Nation. La Commission des lois, quant à elle, propose d'étendre la déchéance aux crimes et aux délits, c'est-à-dire de maintenir, sur ce point, le dispositif existant. En effet
l'article 25 du code civil énonce qu'un Français par acquisition de la nationalité peut être déchu "
s''il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation". Selon
l'article 410-1 du code pénal, les intérêts fondamentaux de la Nation comprennent notamment son indépendance, l'intégrité de son territoire, sa sécurité, la forme républicaine des institutions, les moyens de la défense et de la diplomatie, la sauvegarde de la population etc. Cette liste comporte des crimes et des délits.
Le second point qui sera évoqué concerne les personnes susceptibles d'être touchées par une décision de déchéance de nationalité, sujet essentiel du débat développé depuis de longues semaines.
Avant toutes choses, il convient d'examiner le droit existant, somme toute relativement simple.
Condition de nationalité : le droit existant
Envisageons d'abord les cas de déchéance qui concerne tous les Français, qu'ils soient mononationaux binationaux ou multinationaux. Tout Français peut perdre sa nationalité s'il n'a aucun parent français et ne réside jamais en France (
art. 23-8 du code civil), ou s'il est employé dans une armée étrangère ou un service public étranger (
art. 23-8 du code civil).
En ce qui concerne les Français qui ont plus d'une seule nationalité, qu'ils soient binationaux ou multinationaux, on distingue deux types de déchéance qui les concerne spécifiquement, toutes deux prononcées par décret. L'une vise la personne qui se comporte "
comme le national d'un pays étranger" (
art. 23-7 du code civil). L'acte juridique prend ainsi acte de l'absence d'allégeance, de loyauté, envers notre pays. L'autre est la conséquence d'une condamnation pénale pour atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour des infractions particulièrement graves ayant entrainé une condamnation d'au moins cinq années d'emprisonnement.
Nationaux ou multinationaux
Le projet de révision choisit de ne pas distinguer entre les Français mononationaux et les Français binationaux ou multinationaux.
C'est une évolution importante par rapport à la rédaction initiale qui proposait de limiter la déchéance aux binationaux. Cette restriction était liée à la volonté de ne pas créer d'apatrides, principe affirmé par l'article 25 du code civil qui reconnaît la possibilité de déchoir un binational, "s
auf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride". Les opposant à la réforme ont immédiatement mis en avant l'atteinte au principe d'égalité, dès lors que les binationaux n'étaient pas dans la même situation que les mononationaux. Ils ont également invoqué la violation des textes internationaux qui interdisent l'apatridie, même s'ils n'imposent aucune contrainte particulière aux autorités françaises.
Sur le plan strictement juridique, il faut bien reconnaître la faiblesse des arguments. Dans sa récente
décision Ahmed S. rendue sur QPC le 15 janvier 2015, le Conseil constitutionnel affirme ainsi que la déchéance de nationalité visant des personnes qui ont acquis la nationalité n'entraine pas une différence de traitement qui viole le principe d'égalité. On ne voit pas pourquoi il en jugerait autrement à propos de la distinction de régime juridique entre mononationaux et multinationaux.
Reste le droit international.
L'avis rendu par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) affirme que l'article 25 du code civil "
est une application de l'article 15 de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui énonce que "tout individu a droit une nationalité". La formule est sympathique, mais une disposition législative ne saurait s'analyser comme "
l'application" d'un texte dépourvu de valeur juridique en droit interne. Tout au plus pourrait-on dire que l'article 25 fait écho à la Déclaration, formulation qui juridiquement n'engage à rien. Quant à la disposition selon laquelle, "
tout individu a droit une nationalité", force est de constater, même si la réalité juridique est cruelle, qu'elle n'impose pas que cette nationalité soit celle de l'Etat qui prononce la déchéance.
Quoi qu'il en soit, le fondement international le plus solide dans ce domaine n'est pas la Déclaration universelle, mais deux traités internationaux qui ne sont d'ailleurs pas mentionnés dans l'avis de la CNCDH. La première convention est celle
28 septembre 1954
relative au statut des apatrides, ratifiée par la France, ce qui signifie qu'elle s'impose effectivement au
législateur. Son contenu porte sur la situation des apatrides et impose à
l'Etat qui les accueille un certain nombre d'obligations, parmi lesquelles le maintien sur le territoire tant qu'ils n'ont pas trouvé un pays d'accueil. Considérée sous cet angle, la convention de 1954 rend la déchéance inefficace, dès lors qu'elle ne permet pas l'éloignement du territoire.
La seconde convention, la plus souvent invoquée dans le débat actuel, est celle
du 30 août 1961 sur la réduction des cas d'apatridie dont l'article 1er affirme que "
tout Etat contractant accorde sa nationalité à l'individu né sur son territoire et qui, autrement, serait apatride". Hélas, la France a signé cette convention le 31 mai 1962, mais
elle ne l'a jamais ratifiée.
En d'autre termes, ce traité n'impose aucune contrainte aux autorités
françaises. Les juges français ont d'ailleurs toujours écarté les moyens
fondés sur son non-respect. Dans un
arrêt du 1er mars 2013, la Cour administrative d'appel de Nantes affirme ainsi que "
si la France est signataire de la convention de New York du 30 août 1961 sur la réduction des cas d'apatridie,
ce traité n'a fait l'objet, ni de la ratification ou de l'approbation,
ni de la publication prévues par l'article 55 de la Constitution du 4
octobre 1958 ; que le moyen tiré d'une méconnaissance de cette
convention est, en conséquence, inopérant". Cette rigueur jurisprudentielle ne doit cependant pas être surévaluée. L'article 25 du code civil, s'il ne constitue pas une "application" de la Convention, semble tout de même y trouver directement son inspiration.