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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
dimanche 18 octobre 2015
Crimes contre l'humanité et droits de la partie civile
jeudi 15 octobre 2015
Le grand mystère des crèches de Noël
La question de droit posée au Conseil
Ce refus était cependant prévisible, dès lors qu'une telle demande n'est recevable que si la question est nouvelle en droit, si elle présente une difficulté sérieuse et se pose dans de nombreux litiges.
La définition de "l'emblème religieux"
L'absence du critère du prosélytisme
On observe qu'aucune des deux juridictions ne reprend le raisonnement développé par le tribunal administratif de Montpellier à propos de la crèche de Béziers. Dans son jugement du 15 juillet 2015, il a considéré que ne présente pas le caractère d'un "emblème religieux" l'installation qui ne symbolise pas "la revendication d'opinions religieuses". Cette décision définit ainsi l'"emblème religieux" comme celui qui répond à une finalité de prosélytisme religieux.
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme
Sur la laïcité et l'installation des crèches de Noël : Chap 10, section 1 § 2, B du manuel de libertés publiques.
lundi 12 octobre 2015
Vincent Lambert : la place de la collégialité dans la procédure
On se souvient que le Conseil d'Etat, le 24 juin 2014, a considéré, sur la base de plusieurs expertises médicales, que le maintien de l'alimentation et de l'hydratation de Vincent Lambert constituait "obstination déraisonnable" au sens de la loi Léonetti du 22 avril 2005. La Cour européenne, quant à elle, statuant le 5 juin 2015, a jugé que le droit français offrait des garanties et des recours suffisants dans un domaine qui, en l'absence de consensus au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe, relève de la compétence exclusive des Etats. A l'issue de ces procédures, il semblait que Vincent Lambert allait pouvoir s'éteindre dans la dignité.
Le problème est que le chef du service dans lequel il était hospitalisé a quitté ses fonctions. Son successeur a décidé de reprendre la procédure à son début, et donc de solliciter une nouvelle fois l'avis de la famille, avant de prendre la décision d'interrompre, ou non, l'alimentation et l'hydratation du patient. Confronté à des pressions et à des menaces diverses, il a ensuite suspendu la procédure au motif que "les conditions de sérénité et de sécurité nécessaires" n'étaient pas réunies. Le neveu de Vincent Lambert conteste les deux décisions devant le tribunal administratif.
La suspension de la procédure consultative
Le juge déclare irrecevable le recours contre la suspension de la procédure consultative. La solution n'a rien de surprenant, car un acte n'est administratif n'existe que s'il a une portée normative. Autrement dit, il doit modifier la situation juridique du requérant. Tel n'est pas le cas en l'espèce car la procédure est seulement interrompue. Son irrégularité éventuelle ne pourra donc être contestée qu'à l'occasion d'un éventuel recours contre la décision qui sera finalement prise par l'équipe médicale.
La décision de reprendre la procédure consultative à son début suscite une question plus délicate : le second chef de service est-il lié, ou non, par la décision du premier qui avait conclu à l'arrêt des traitements ?
La rencontre des trois morts et des trois vifs. Maître du manuscrit latin, circa 1490 |
L'indépendance professionnelle des médecins
Le tribunal administratif affirme que le second médecin n'est pas lié par la décision du premier, justifiant ainsi la reprise de la procédure ab initio. Il fonde son raisonnement sur la notion d'indépendance professionnelle des médecins, affirmé dans l'article R 4127-5 du code de la santé publique (csp) : "Un médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit". De son côté, l'article L 162-2 du code de la sécurité sociale évoque "la liberté d'exercice et (..) l'indépendance professionnelle et morale des médecins".
Ce principe est surtout invoqué dans le contentieux de la responsabilité, lorsqu'un établissement hospitalier est condamné à indemniser le dommage causé par une erreur médicale. Il permet alors de justifier alors l'action diligentée contre le médecin auteur de l'erreur par l'assureur de l'établissement (par exemple : Cass. Civ. 1ère. 13 novembre 2002).
De manière plus exceptionnelle, il est invoqué devant le juge administratif à propos d'une décision administrative. Dans un arrêt du 2 octobre 2009 Pierre A. ,le Conseil d'Etat affirme ainsi que le principe d'indépendance des médecins interdit que les décisions médicales d'une praticien hospitalier soient soumises à l'accord préalable du chef de service.
De ces dispositions et sans doute de ces jurisprudences, le tribunal administratif déduit que ce principe d'indépendance professionnelle "fait obstacle à ce qu'un médecin puisse être considéré comme un simple exécutant d'une décision prise par un autre médecin".
Le refus de la collégialité.
L'analyse montre cependant les limites de la procédure consultative prévue par la loi Léonetti. La collégialité impose précisément la consultation de la famille, et même une consultation aussi élargie que possible, principe affirmé par le Conseil d'Etat, dans sa décision du 24 juin 2014. En l'espèce, on sait que onze proches de Vincent Lambert ont participé à cette procédure. La collégialité s'impose aussi au niveau de l'équipe médicale, et les textes affirment que le chef de service ne peut prendre la décision seul. Cette collégialité présente l'avantage de ne pas faire reposer sur une seule personne une décision extrêmement difficile à prendre. La responsabilité est en quelque sorte diluée dans un ensemble réunissant l'équipe médicale et le cercle de famille.
En affirmant le caractère unilatéral de la décision, le tribunal administratif fait peser cette responsabilité sur une personne seule. Sur ce point, la décision suscite quelque surprise. Dans son premier jugement de mai 2013, ce même tribunal administratif avait précisément suspendu une première décision d'interruption de l'alimentation et de l'hydratation de Vincent Lambert, au motif que l'équipe médicale n'avait pas consulté l'ensemble de sa famille mais seulement ceux qui étaient les plus proches géographiquement, son frère et son épouse.
Quoi qu'il en soit, l'analyse du tribunal administratif repose sur un principe simple : la procédure est collégiale, mais pas la décision.
Comment permettre l'application de la loi ?
Reste à s'interroger sur les conséquences d'une telle analyse. Elle offre en effet la possibilité aux parents de Vincent Lambert, et à tous ceux qui veulent freiner la mise en oeuvre de la loi Léonetti, de retarder, peut-être indéfiniment la décision d'interrompre tout traitement.
N'oublions pas que ceux qui menacent l'équipe médicale et empêchent le déroulement d'une procédure sereine sont aussi ceux qui la refusent, pour des motifs essentiellement religieux. Ils n'ont qu'à continuer leurs menaces et à attendre le départ des chefs de service, épuisés par les pressions. Ils sont en effet que la procédure sera, à chaque fois, reprise ab initio. Autant dire que cette jurisprudence leur offre les moyens d'empêcher l'application de la loi de la République. Il ne reste donc qu'à espérer que le débat parlementaire qui a lieu sur la proposition de loi relative à la fin de vie saura trouver les moyens de pallier ce type de manoeuvre, peut-être en consacrant simplement le caractère collégial, non pas de la procédure, mais de la décision.
jeudi 8 octobre 2015
Le "Safe Harbor" invalidé par la Cour de justice de l'Union européenne
Une question préjudicielle
Mais si la Commission peut déclarer qu'un Etat n'offre pas une protection "adéquate", elle peut aussi déclarer le contraire, et c'est précisément ce qui avait été fait en l'espèce. A la suite d'un accord dit "Safe Harbor" passé en l'an 2000 entre le Département du commerce des Etats-Unis et la Commission, celle-ci a pris une décision, le 26 juillet 2000, déclarant que le niveau de protection des données des Etats-Unis est d'un niveau équivalent à celui qui existe au sein de l'Union européenne.
L'autorité indépendante chargée en Irlande de la protection des données personnelles se trouve ainsi confrontée à une appréciation délicate. Confrontée à un requérant qui soutient que le droit et les pratiques des Etats-Unis n'offrent pas de protection adéquate de la vie privée de la vie privée, elle peut soit mener sa propre enquête, soit s'estimer liée par la décision de la Commission qui affirme que ce niveau de protection est effectivement satisfaisant. C'est exactement l'objet de la question préjudicielle posée à la CJUE.
Le "Safe Harbor"
La CJUE se montre très sévère à l'égard de la décision de l'an 2000 adoptée par la Commission. Elle affirme que celle-ci aurait dû vérifier que les Etats-Unis assuraient effectivement, à la fois dans les textes de droit interne et dans leurs engagements internationaux, "un niveau de protection des droits fondamentaux substantiellement équivalent à celui garanti au sein de l’Union en vertu de la directive lue à la lumière de la Charte ». Or, elle n'en a rien fait, et l'accord passé avec les Etats-Unis montre que ce pays est bien loin d'offrir un niveau de protection équivalent aux exigences européennes.
La lecture de la décision de l'an 2000 est, sur ce point, particulièrement éclairante. Le caractère "adéquat" de la protection américaine relève de l'auto-proclamation. Les entreprises américaines déclarent adhérer aux principes du "Safe Harbor", c'est-à-dire offrir un espace de sécurité aux données personnelles provenant de pays de l'Union européenne. Quant au contrôle, il se fait par certification. Mais que l'on ne s'y trompe pas. Il ne s'agit pas d'un système de certification par un organisme indépendant, mais d'un système d'"auto-certification" par laquelle l'entreprise déclare respecter les principes généraux de protection des données, et se contrôle elle-même. On imagine aisément l'efficacité du système.
Quant à l'accès des autorités publiques américaines à ces données provenant d'Europe, il est évidemment acquis. Comment peut-on songer un seul instant que Google ou Facebook pourraient se soustraire à une injonction provenant des services de renseignement américains, injonction prise sur le fondement d'une législation d'ordre public, en invoquant une clause de Safe Harbor imposée par une décision de la Commission européenne ? Cette dernière a d'ailleurs déjà admis, dans deux communications de 2013, que cet accès des autorités publiques américaines aux données personnelles transférées de l'Union européenne ne s'accompagnait d'aucun contrôle ni d'aucun recours offert aux intéressés.
Constatant que la décision de 2000 n'offre ainsi aucune garantie effective, la CJUE décide tout simplement de l'invalider. Ce pouvoir d'invalidation, qui appartient à la CJUE et à elle seule, conduit à écarter l'application de la décision non seulement dans le droit de l'Etat qui est à l'origine du contentieux mais aussi dans l'ensemble des systèmes juridiques de l'Union européenne.
Les suites de la décision
On pourrait s'interroger longtemps sur les raisons qui avaient poussé la Commission à prendre cette invraisemblable décision, et il serait sans doute intéressant de s'interroger sur le rôle des lobbies dans son adoption. Aujourd'hui cependant, la question posée est plutôt celle des conséquences de cette décision.
La renégociation d'un accord Safe Harbor est envisagée, et même péniblement commencée. Mais comment pourrait-on considérer que les Etats-Unis offrent un niveau de protection équivalent à celui existant au sein de l'Union européenne, alors que le droit américain n'a pas évolué depuis l'an 2000 ? Rappelons en effet qu'il ignore les législations informatique et libertés, et que la protection des données personnelles est plus ou moins abandonnée aux entreprises du secteur qui l'intègrent, fort modestement, dans des documents contractuels. En cas de contentieux, le requérant européen est prié de s'adresser au tribunal compétent, à Palo Alto ou à New York.
Pour le moment, la décision de la CJUE interdit désormais aux entreprises américaines de s'abriter derrière leur adhésion aux principes du Safe Harbor pour se soustraire aux obligations issues du droit européen. Encore faut-il, bien entendu, que les CNIL européennes, et notamment le G29 qui les regroupe, dispose de moyens de pression importants et notamment d'un pouvoir de sanction suffisamment dissuasif. Peut-être pourrait-on, sur ce point, s'inspirer du droit américain et regarder le montant des sanctions infligées à BNP, et bientôt à Volkswagen ?
samedi 3 octobre 2015
"Love" au Palais Royal
Une police spéciale
Dans le cas de Love, les scènes de sexe ne sont pas simulées et ce fait n'est pas contesté. Les requérants s'appuient cependant sur les termes mêmes de l'article R 211-12 ccia qui autorise de telles scènes, si elles sont justifiées par "la manière dont elles sont filmées et la nature du thème traité".
Les critères dégagés par les juges
Pour interpréter cette disposition quelque peu obscure, la jurisprudence se réfère à la fois à des critères objectifs et, élément plus subjectif, aux intentions du réalisateur.
Dans l'arrêt du 30 juin 2000 portant sur le film Baise-moi de Virginie Despentes, le Conseil d'Etat est ainsi conduit à apprécier une oeuvre "composée pour l'essentiel d'une succession de scènes de grande violence et de scènes de sexe non simulées". De l'importance quantitative de ces scènes, il déduit que le film comporte un "message pornographique et d'incitation à la violence". Le juge observe en outre, de manière sans doute un peu plus subjective, qu'aucune scène ne dénonce les violences faites aux femmes. Il décide par conséquent l'interdiction aux mineurs de moins de dix-huit ans et le classement comme oeuvre pornographique.
Nymphomania, volume 1 de Lars von Trier fait l'objet d'une analyse toute différente du juge des référés du tribunal administratif de Paris, alors même qu'il comporte aussi des scènes de sexe non simulées. Dans un jugement du 28 janvier 2014, le juge refuse de considérer le film comme pornographique et maintient l'interdiction aux moins de seize ans. Certes, il fait observer que le fait que les scènes de sexe aient été doublées par des acteurs de films pornographiques ne saurait, en soi, leur retirer leur caractère non simulé. En revanche, il observe que ces scènes sont brèves et s'intègrent dans un véritable scénario. Elles sont donc, en quelque sorte, acceptables, d'autant qu'elles ne s'accompagnent pas d'une violence particulière.