« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 8 septembre 2015

Le recours contre un décret non publié ou comment concilier secret défense et contradictoire

Le 1er juillet 2015, l'Obs publiait un article faisant des "révélations sur un vaste plan de la DGSE pour intercepter les communications internationales", et plus particulièrement celles qui transitent par des fibres optiques, via des cables sous-marins. Le journal mentionnait l'existence d'un décret de 2008,  non publié car classé "Très secret Défense" et autorisant des interceptions sur les câbles à l'endroit où ils arrivent sur le territoire français. 

Trois associations La Quadrature du Net, French Data Network, et la Fédération des fournisseurs d'accès à internet associatifs ont annoncé le 3 septembre avoir déposé devant le Conseil d'Etat un recours contestant la légalité de ce décret et demandant au juge des référés la suspension de son exécution. 

Absence d'illégalité de principe


Contrairement à ce que l'on pourrait penser, un décret non publié n'est pas, en soi, illégal. Certes, on a raison de se méfier des textes secrets. Depuis l'affaire Dreyfus, chacun sait qu'une condamnation ou une sanction reposant sur une pièce secrète n'a pas grand-chose à voir avec le droit à un juste procès. En l'espèce, la situation est bien différente, car le texte contesté est un règlement, c'est-à-dire une mesure d'ordre général et non pas une décision individuelle. Il ne fait donc pas directement grief à une personne. La situation serait différente si une personne sa plaignait d'une interception de sécurité décidée sur le fondement du décret classifié, à la condition que cette écoute ait produit des effets de droit, par exemple des poursuites judiciaires. Encore faudrait-il, et c'est bien le problème, que l'intéressé connaisse l'existence du décret pour pouvoir contester la mesure prise sur son fondement.

Secret défense v. Publication


Un texte couvert par le secret de la défense ne peut être publié sans emporter une violation de ce secret. Dans le cas présent, les requérants font état d'un article de L'Obs mentionnant un texte de 2008. Ils n'en connaissent pas la date et ne l'ont pas vu. C'est d'ailleurs fort heureux pour eux car, dans le cas contraire, ils pourraient être poursuivis sur le fondement de l'article 413-11 du code pénal qui interdit de détenir et/ou de porter à la connaissance du public des informations couvertes par le secret de la défense nationale. Les contrevenants risquent une peine de cinq années de prison et 75000 € d'amende.

Les requérants sont donc confrontés à une question bien délicate, celle de l'existence même du décret. Ils la déduisent du fait que le gouvernement n'ait pas démenti son existence après l'article de l'Obs.  Ce raisonnement est  dépourvu de fondement juridique, tout simplement parce que le secret défense s'étend à son existence même. Autrement dit, affirmer qu'une pièce couverte par le secret n'existe pas, c'est déjà violer le secret. Dans cette hypothèse, seul le silence des agents concernés est conforme à l'obligation de respect du secret défense qui leur est imposée par la loi.

Il est vrai que l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 sur l'informatique et des libertés prévoit qu'un décret en Conseil d'Etat, publié celui-là, doit formellement dispenser de publication l'acte réglementaire qui crée un fichier couvert par le secret de la défense nationale ou de la sécurité publique. En l'espèce, cependant, il ne s'agit pas de la création d'un fichier, mais d'un décret autorisant des interceptions. La loi du 6 janvier 1978 n'est donc pas applicable en l'espèce.

Observons que les requérants n'ont pas cru bon de demander préalablement communication du décret sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978 relative à l'accès aux documents administratifs. Ils ont considéré, et c'est une évidence, qu'un décret couvert par le secret défense entre dans les exceptions au droit d'accès aux documents administratifs définies par son article 6. Certes, l'article 6 autorise les autorités à ne pas communiquer, mais il ne leur interdit pas de communiquer. On doit donc en déduire que cette absence de demande de communication, avec saisine éventuelle de la CADA, a empêché de développer un contentieux à partir d'une décision solide et datée, en l'espèce le refus de communication.

En l'état actuel du droit, il suffit donc que le ministre compétent affirme tranquillement que le décret évoqué par L'Obs n'existe que dans l'imagination des journalistes pour rendre le recours irrecevable.

Secret défense v. Procédure contradictoire


Il faut évidemment se demander si le juge administratif peut faire quelque chose... Quels sont ses pouvoirs, lorsqu'il est confronté à un recours dirigé contre un texte classifié ? Peut-il se faire communiquer le décret litigieux ?

Il se trouve dans une position étrange. S'il exige de l'administration la communication du décret, et s'il l'obtient, le principe du contradictoire l'oblige à communiquer le document au requérant, ce qui emporte une violation du secret défense. S'il refuse cette communication au requérant, il ne viole plus le secret de défense, mais il porte une atteinte grave au principe du contradictoire.

Cette situation juridique un peu compliquée a permis de justifier une opposabilité totale du secret défense au juge, solution pour le moins brutale. La justification habituellement donnée, et que cette opposabilité protège les juges, puisque leur communiquer un document secret-défense revient à les rendre coupables d'une compromission de ce même secret. L'argument ne manque pas d'humour, surtout si l'on considère que d'autres Etats, notamment le Royaume-Uni, considèrent tout simplement qu'un juge peut être habilité secret-défense, dès lors qu'il a intérêt à connaître de telles informations, dans l'exercice de ses fonctions.

Quoi qu'il en soit, ce partage du secret n'est pas admis par le droit positif. Le Conseil d'Etat, il faut bien le reconnaître, ne s'en plaint guère. N'a-t-il pas, durant bien des années, rendu des décisions contentieuses sur le fondement d'avis consultatifs donnés par lui-même et non publiés ?

En matière de secret défense, il a cependant utilisé quelques expédients lui permettant d'exercer un contrôle, très modeste, sur l'usage de ce secret par les autorités. Avec l'arrêt Coulon du 11 mars 1955 il a été confronté à une sanction disciplinaire prise sur le fondement de pièces classifiées. Si l'administration refuse au juge la communication de ces éléments couverts par le secret, il peut lui demander de justifier sa décision de classement. Si ces justifications ne parviennent pas à le convaincre, il peut alors déclarer l'acte illégal. Certes, mais cela ne concerne que les décisions individuelles, et la jurisprudence Coulon n'est donc pas applicable au cas d'un décret non publié.

La loi du 8 juillet 1998 a mis en place une procédure qui permet à n'importe quel juge, judiciaire ou administratif, de demander au ministre compétent la  déclassification du document. Celui-ci saisit alors la Commission consultative du secret défense (CCSDN) qui rend un avis, que le ministre suit, ou pas. In fine, la communication au juge d'une pièce classifiée relève donc du pouvoir discrétionnaire du ministre. 

Les bijoux de la Castafiore. Hergé. 1963
La Cour européenne, quant à elle, n'a jamais considéré que le refus d'accès à une pièce classifiée portait atteinte au droit à juste procès. Dans un arrêt Doorson c. Pays-Bas de 1996, elle reconnaît au contraire qu'"il peut être nécessaire de dissimuler certaines preuves à défense, de façon à préserver les droits fondamentaux d'un individu ou à sauvegarder un intérêt public important". Il ne fait guère de doute que la défense nationale constitue un "intérêt public important", et la Cour se borne alors à exiger que les mesures restreignant les droits de la défense soient "absolument nécessaires" (CEDH, 23 avril 1997 Van Meschelen c. Pays-Bas). 

Il faut bien le reconnaître, le droit positif n'ouvre guère de brèche permettant au juge d'obtenir la communication d'un décret non publié. 

Le précédent du fichier Cristina


Dans la présente affaire, les requérants invoquent l'arrêt du Conseil d'Etat rendu le 17 avril 2010 à propos du fichier Cristina, fichier restructurant les anciens traitements initiés par les Renseignements Généraux (RG) et la Direction de la surveillance du territoire (DST). Il est vrai que, dans une décision avant-dire droit, le Conseil d'Etat a demandé communication du décret portant création de Cristina. Il a ensuite dérogé au principe du contradictoire en refusant la communication du décret aux parties et a finalement décidé que le classement de ce décret était parfaitement fondé.

Quoi qu'il en soit, cette jurisprudence ne constitue pas un moyen très solide. En effet, son fondement juridique réside dans l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978, et un décret en Conseil d'Etat avait été publié, autorisant le pouvoir réglementaire à ne pas publier le décret de création du fichier. Le Conseil d'Etat sera-t-il tenté de généraliser cette jurisprudence initiée à propos d'une loi spéciale ? Rien n'est moins certain.

La décision du Conseil constitutionnel du 23 juillet 2015


Le dernier moyen invoqué par les associations requérantes réside dans la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi renseignement, le 23 juillet 2015. Elle déclare inconstitutionnelles les dispositions organisant la surveillance des communications émises ou reçues à l'étranger, surveillance qui était autorisée au nom des "intérêts fondamentaux de la Nation". Pour le Conseil, le législateur n'a pas défini les conditions d'exploitation, de conservation et de destruction des données ainsi collectées, mais s'est borné à renvoyer ces questions à un décret en Conseil d'Etat.

La disposition n'est pas censurée parce qu'il s'agit d'une surveillance internationale, mais tout simplement parce que le législateur a ignoré l'étendue de sa compétence.  Dans sa décision du 13 mars 2003, le Conseil constitutionnel affirme ainsi qu'il appartient au législateur, et à lui seul, d'assurer la conciliation entre les nécessités de l'ordre public et le respect de la vie privée. Certes, on pourrait considérer que le décret non publié de 2008 a été pris par une autorité incompétente. Mais on pourrait tout aussi bien estimer que la loi renseignement du 24 juillet 2015 a précisément pour objet de donner un fondement législatif - fondement rétroactif - à l'action de ces services.

Le recours déposé contre le décret non publié évoqué par L'Obs n'a donc que peu de chances de prospérer. On ne s'attardera d'ailleurs pas sur la demande de référé, car on ne voit pas très bien comment le juge pourrait estimer qu'il est urgent d'annuler un texte de 2008.

La démarche contentieuse vise probablement davantage à attirer l'attention sur le pouvoir exorbitant dont disposent les services de renseignement qu'à obtenir l'annulation du décret. N'est-il pas irréaliste de plaider l'illégalité d'un texte au seul motif qu'il n'est pas publié ? Cela revient, en effet, à rejeter en bloc la notion de secret défense. Une vision gentiment idéaliste et pétrie de bons sentiments, mais sans doute pas la manière la plus efficace d'améliorer le droit du secret défense qui mériterait effectivement une réforme sérieuse.


Sur le secret de la défense nationale : Chapitre 9 section 2 du manuel de libertés publiques


jeudi 3 septembre 2015

Migrants, demandeurs d'asile, réfugiés, quelques précisions terminologiques et juridiques

Les phénomènes migratoires auxquels l'Union européenne est actuellement confrontée suscitent des réactions diverses. Certains Etats, comme la Hongrie, construisent des murs ou bloquent les gares dans le but de fermer leurs frontières. D'autres, comme la France et l'Allemagne, se déclarent en faveur d'une politique commune visant à répartir équitablement les migrants dans l'Union européenne. Les opinions, quant à elles, sont partagées entre la peur, la compassion ou l'indifférence. Ces divergences révèlent l'ampleur de la crise, mais aussi les limites d'une approche juridique du phénomène. 

Le droit existe pourtant, même si le cadre juridique défini en matière de migrations apparaît incapable de résister à l'ampleur du phénomène. Même la terminologie employée semble inadaptée à cette crise. C'est ainsi que la presse préfère désormais parler de "migrants" ou de "migrations", et ne se réfère plus aux "demandeurs d'asile" ou aux "réfugiés". Or, les termes de "migrants" ou de "migrations" sont dépourvus de contenu juridique. Ils désignent seulement des déplacements volontaires de populations ou d'individus d'un pays à un autre, sans précision sur leurs motifs, qu'ils soient politiques ou économiques. 

Dans la crise actuelle, ces mouvements de population ont des origines très diverses. Certains fuient des zones de guerre et plus particulièrement les régions contrôlées par Daesch ou d'autres groupes terroristes, d'autres espèrent simplement trouver une vie meilleure. Le problème est que le système juridique les traite de manière différente au regard de leur entrée sur le territoire.

Ecartons les ressortissants de l'Union européenne qui bénéficient du droit à la libre circulation dans l'espace européen.

Les migrations économiques


L'ordonnance du 2 novembre 1945 définit les conditions d'entrée sur le territoire, imposant à l'étranger de produire un visa mais aussi des éléments sur ses conditions d'accueil et ses moyens d'existence. Dans la crise actuelle, cette procédure ne s'applique pas, et les étrangers entrent directement sur le territoire de l'Union européenne, puis sur le territoire français, sans aucun document.

Les autorités ont alors le choix entre deux décisions. Elles peuvent prononcer une reconduite à la frontière ou une obligation de quitter le territoire, deux mesures bien difficiles à mettre en oeuvre lorsqu'un Etat est confronté à une migration de masse. Elles peuvent aussi choisir de régulariser ces étrangers, ou du moins certains d'entre eux. Cette régularisation a pour effet de transformer une situation de fait en situation de droit, et d'accorder ainsi le droit au séjour sur le territoire.

Le Conseil d'Etat rappelle régulièrement, par exemple dans un arrêt Emmanuel X. du 26 octobre 1990 qu'il n'existe pas de droit à la régularisation. Elle est au contraire présentée comme une "mesure gracieuse" ou une "mesure de bienveillance". La circulaire Valls du 28 novembre 2012 autorise ainsi la délivrance d'un titre de séjour aux étrangers qui répondent à l'un des critères suivants : une vie privée et familiale ancrée en France, une activité professionnelle qui s'y exerce, ou encore l'ancienneté de la résidence dans notre pays. Le Conseil d'Etat, dans un arrêt M.B.A. du 4 février 2015 précise que cette circulaire n'est pas invocable devant un juge, protégeant ainsi le pouvoir purement discrétionnaire de l'administration.

Cette circulaire ne vise qu'à donner aux préfets des éléments d'appréciation de la situation individuelle des étrangers concernés. Rien n'interdit aux autorités françaises de se fonder sur d'autres éléments, d'autant que la procédure de régularisation implique un examen particulier de chaque dossier et qu'elle peut être écartée si l'on considère que la présence de l'étranger sur le territoire emporterait une menace pour l'ordre public.

Géricault. Le radeau de La Méduse. 1819


Un droit d'asile ou des droits d'asile


La situation est plus complexe lorsque le migrant invoque les persécutions dont il est victime dans son pays d'origine. Dans ce cas, il demande la reconnaissance de la qualité de réfugié qui s'obtient par la reconnaissance du droit d'asile.

On distingue traditionnellement trois types de droit d'asile.

  • L'asile constitutionnel trouve son fondement dans le Préambule de 1946 qui peut être accordé à "tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté". 
  • L'asile conventionnel, quant à lui, repose sur la Convention de Genève du 28 juillet 1951 à laquelle la France est partie. Son article 1er al. 2 énonce que le terme "réfugié" "s'applique à toute personne (...) qui (...) craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politique, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut (...) se réclamer de la protection de ce pays". Sur le fondement direct de la Convention de Genève, le droit français accorde ainsi le statut de réfugié à toute personne menacée de persécutions. Un bon  nombre des migrants qui s'enfuient de Syrie peuvent certainement prétendre à cette protection.
  • La "protection subsidiaire" enfin, prévue par la loi du 10 décembre 2003, permet d'accorder l'asile aux personnes qui sont menacées de persécutions, sans toutefois entrer dans le cadre défini par la Convention de Genève. Tel est le cas, par exemple, de la personne qui risque la peine de mort, des traitements inhumains et dégradants, voire qui risque d'être victime de la violence générée par un conflit armé. Là encore, ce fondement peut être utilisé pour toutes les personnes qui s'enfuient des zones contrôlées par Daesch.
Ces trois fondements distincts permettent donc l'octroi de la qualité de réfugié. Des problèmes importants subsistent cependant. Un migrant entré en France pour des motifs économiques peut ainsi être tenté de demander la qualité de réfugié dans le but de bénéficier du droit au maintien sur le territoire dont est titulaire tout demandeur d'asile, jusqu'à ce que les autorités compétentes aient statué. Cette situation contribue à l'engorgement de ces dernières, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). La loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile se borne à renforcer l'exercice des droits de la défense lors de ces procédures, mais n'apporte aucun élément de nature à résoudre ce problème d'engorgement.

Le rôle unificateur de l'Union européenne


Ces difficultés sont accrues par l'existence d'un droit de l'Union européenne qui, disons-le franchement, ne fonctionne pas. Contrairement à ce qui a été quelquefois affirmé, il existe bien une politique européenne de l'asile. Elle est le fruit de la création de l'espace Schengen. En effet, à partir du moment où le principe de suppression des contrôles aux frontières intérieures était acquis, il fallait éviter qu'un demandeur d'asile débouté dans un Etat membre ne fasse une nouvelle demande dans un autre.

Cette politique commune a été amorcée dans la Convention de Dublin de 1990, précisée par le règlement "Dublin II" du 18 février 2003 et complétée par le règlement "Dublin III" du 26 juin 2013. L'ensemble du dispositif repose sur un principe apparemment simple : un Etat, et un seul, est chargé d'instruire la demande d'asile formulée par un étranger. Le dispositif est complété par un fichier Eurodac qui établit une base de données conservant les empreintes digitales des demandeurs. Si un étranger formule une seconde demande dans un autre Etat de l'Union, il fait l'objet d'un transfert rapide vers celui où il avait formulé sa demande initiale.

La Cour de justice de l'Union européenne dans un arrêt Cimade c. France du 26 octobre 2012 rappelle que ce transfert "automatique" ne dispense pas les autorités de l'examen particulier du dossier. De manière plus précise, dans un second arrêt Cimade c. France du 13 novembre 2013, elle impose aux autorités de contrôler la conformité de ce renvoi à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme qui prohibe les traitement inhumains ou dégradants.

Le système est très cohérent, sur le papier. Le problème est qu'il ne fonctionne pas, en particulier dans une crise caractérisée par des migrations de masse. L'absence de contrôle aux frontières extérieures de l'Union conduit à faire peser sur certains Etats comme l'Italie ou la Grèce la charge de la gestion de ces demandeurs qui arrivent en masse sur leurs plages, quand ils ne meurent pas en mer. Et certains Etats membres comme la Hongrie, la Slovaquie ou les Etats baltes ne songent qu'à fermer leurs frontières. Quant à la proposition de définir des quotas permettant de répartir la charge de ces migrants, elle oublie sans doute qu'ils veulent surtout rejoindre certains Etats comme le Royaume-Uni ou l'Allemagne. Qui peut croire qu'il sera possible de les contraindre à demeurer dans un Etat qui n'est pas celui qu'ils voulaient rejoindre ? Derrière ces immenses difficultés apparaît une autre réalité, celle de l'absence totale de solidarité européenne. Comme si l'Union européenne n'était plus qu'un espace sur lequel s'affrontent les égoïsmes nationaux. 

Sur l'entrée des étrangers sur le territoire : Chapitre 5 section 2 du manuel de Libertés publiques


mardi 1 septembre 2015

La signature de la Charte de la laïcité, ou comment affaiblir la loi de la République

La lettre envoyée aux parents d'élèves par Najat Valaut-Belkacem, ministre de l'Education nationale, à l'occasion de la rentrée 2015 pourrait être analysée comme un simple exercice de langue de bois. On y retrouve les "valeurs républicaines" ainsi que les "valeurs fondatrices de notre destin collectif", sans oublier cette "valeur fondamentale qu'est la laïcité". Rien de bien nouveau derrière cette accumulation de valeurs en tous genres. Si ce n'est que la laïcité n'est pas seulement une valeur, c'est aussi et surtout la loi de la République. 

Or voilà que cette même lettre informe les parents qu'ils seront "invités à signer la Charte de la laïcité à l'Ecole". La loi de la République deviendrait-elle contractuelle ? La question mérite d'être posée.

Un rappel du droit existant


Observons d'emblée que la Charte de la laïcité est dépourvue de valeur juridique. Il s'agit d'un texte rédigé par l'Observatoire de la laïcité, commission créée par un décret du 27 mars 2007, dont la mission est d'"assister le Gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité dans les services publics". A cette fin, il peut mener "des études permettant d'éclairer les pouvoirs publics" et même faire des propositions pour assurer une meilleure information des agents et des usagers. 

Deux mois après le décret de 2007, Nicolas Sarkozy était élu Président de la République... Mais il préférait le curé à l'instituteur, ce qui explique que les membres de l'Observatoire aient été nommés par un arrêté du Premier ministre du 5 avril 2013. C'est à ce moment qu'il lui a été demandé de rédiger une Charte de la laïcité, dont le contenu se borne à reprendre le droit positif, en particulier les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des églises et de l'Etat et les règles relatives au principe de neutralité dans les services publics. 

Cette Charte a été rendue publique par Vincent Peillon, ministre de l'Education nationale de l'époque, le 9 septembre 2013, lors d'une cérémonie organisée dans un lycée de La Ferté-sous-Jouarre. Selon le ministre, la Charte a pour objet de "rappeler les règles qui nous permettent de vivre ensemble dans l'espace scolaire" et de permettre à chacun de s'approprier le principe de laïcité. Il s'agit donc d'un "rappel" du droit positif, d'une information et d'un support pédagogique.

Cette interprétation est confirmée par le seul texte juridique mentionnant la Charte de la laïcité. C'est une circulaire du 6 septembre 2013 du ministre de l'Education imposant l'affichage de la Charte dans tous les établissements scolaires publics, primaires et secondaires. Ce même texte demande en même temps à tous les établissements, y compris cette fois les établissements privés sous contrat, de s'assurer de la mise en oeuvre de l'article L 111-1-11 du code de l'éducation. Il impose que la devise de la République, le drapeau tricolore et le drapeau européen soient apposés sur la façade et que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 soit affichée de manière visible dans les locaux. De toute évidence, la circulaire du 6 septembre 2013 vise seulement à l'affichage d'un texte qui constitue que le "rappel" du droit existant.

Pancho. La Charte de la laïcité à l'école. 2013.


Donner un levier aux groupes religieux


Aujourd'hui, Najat Valaut-Belkacem "invite" les parents à signer un texte qui se borne à énoncer le droit positif. Il est clair que certains refuseront de signer. Sur ce plan, la lettre constitue un élément essentiel sur lequel s'appuieront des actions militantes visant à autoriser les manifestations de la religion dans les établissements d'enseignement. Nul doute que certains groupes religieux inciteront leurs membres à ne pas signer, d'autant que cette attitude de refus ne présente aucun danger. La lettre envoyée par la ministre ne prévoit aucune sanction en cas de refus de signature. Elle ne le peut d'ailleurs pas, car la lettre elle-même n'est pas un acte juridique, et ne peut donc imposer aucune sanction, ni pénale, ni disciplinaire.

La mesure ainsi annoncée a donc comme premier effet d'offrir un levier au prosélytisme religieux, d'où qu'il vienne. Mais il y a plus grave, car cette initiative vient aussi fragiliser le principe de laïcité, qui n'avait vraiment pas besoin de ce mauvais coup.

Remettre en débat le principe de laïcité


La Charte a pour fonction de rappeler le droit positif. En "invitant" les parents à la signer, c'est donc le droit positif qui est présenté comme ayant, en quelque sorte, une nature contractuelle. Car les destinataires de cette lettre comprendront qu'ils peuvent consentir au respect du principe de laïcité, ou ne pas y consentir. La laïcité devient une simple "valeur" à laquelle on peut adhérer, ou pas. En affirmant vouloir consolider le principe de laïcité, on l'affaiblit. 

A la loi républicaine, on préfère le "droit mou", l'affichage, au sens propre dans le cas présent, de "valeurs" en quelque sorte détachées de leur fondement législatif. On préfère communiquer plutôt qu'appliquer. On affaiblit par ricochet la loi républicaine dans son ensemble. Car ceux qui ne signeront pas estimeront que la loi ne leur est pas applicable. Et ils rêveront d'un système juridique à la carte, dans lequel on ne se soumet qu'aux lois auxquelles chacun a individuellement consenti. A ce moment, ce ne serait plus la loi républicaine qui serait menacée mais la République elle-même.


Sur la laïcité dans l'enseignement public : Chapitre 11 section 1 du manuel de libertés publiques


samedi 29 août 2015

Le don d'embryons à des fins de recherche

L'arrêt de Grande Chambre du 27 août 2015 Parrillo c. Italie précise la position de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) sur le don d'embryons à des fins de recherche.

Depuis la naissance en 1982 d'Amandine, premier bébé issu d'une fécondation in vitro avec transfert embryonnaire (FIVETE), cette technique s'est considérablement répandue. Elle consiste à créer des embryons in vitro avec les cellules procréatrices d'un couple, avant d'en réimplanter un ou plusieurs dans l'utérus de la femme. Dans la plupart des cas, il est créé plusieurs embryons qui sont congelés, afin de permettre au couple de mener à terme plusieurs grossesses échelonnées dans le temps. 

Les embryons surnuméraires 


Madame Parrillo et son compagnon ont créé cinq embryons en 2002, congelés et destinés à la réimplantation. Hélas, le compagnon est décédé et la requérante a décidé de ne pas mener à bien le projet parental. Elle a donc décidé de faire don de ces embryons à la recherche scientifique.

La question posée à la Cour est celle des embryons surnuméraires, dans l'hypothèse, très fréquente, où le couple n'utilise pas tous ceux qui ont été congelés. Ils ne sont plus l'objet d'un projet parental et ne seront donc pas réimplantés in utero. Peuvent-ils être utilisés à des fins de recherche, avec l'accord des géniteurs ? Les opinions sont, sur ce point, très divisées. Les uns redoutent l'utilisation de l'embryon comme matériel de laboratoire, les autres insistent sur le fait que l'étude des cellules souches ne peut être réalisée qu'avec des embryons et que cette étude est à l'origine de nombreux progrès thérapeutiques. 

La loi italienne du 19 février 2004 interdit tout expérimentation sur des embryons humains et donc tout don d'embryons à des fins de recherche. Elle interdit de créer plus de trois embryons par couple, et tous sont destinés à une réimplantation. Autrement dit, ceux qui ne sont pas réimplantés restent congelés indéfiniment. C'est précisément ce texte que conteste la requérante devant la CEDH, texte qui lui a interdit de faire don d'embryons deux ans avant son vote. Elle considère qu'il viole l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui protège la vie privée.

2001 Odyssée de l'espace. Stanley Kubrick. 1968


Le don d'embryons et le respect de la vie privée


La jurisprudence de la Cour européenne ne laisse guère de doute sur le fait que le don d'embryons relève de la vie privée. La Cour estime ainsi, depuis son arrêt Evans c. Royaume-Uni du 10 avril 2007,  que le droit d'avoir un enfant, ou de ne pas en avoir, est garanti par l'article 8. Plus tard, dans une décision du 2 octobre 2012 Knecht c. Roumanie, la CEDH a estimé que le refus des autorités roumaines d'autoriser le transfert d'embryons congelés d'un hôpital vers une clinique choisie par les géniteurs porte atteinte à leur vie privée. D'une manière générale, la jurisprudence de la Cour considère,  depuis une décision du 3 novembre 2011 S.H et a. c. Autriche, que l'accès à la procréation médicalement assistée constitue un choix qui relève du droit au respect de la vie privée et familiale. Celui de renoncer à une telle procréation doit donc également être rattaché à la vie privée.

Rappelons cependant qu'une ingérence dans la vie privée peut être licite aux yeux de la CEDH si elle est prévue par la loi et "nécessaire dans une société démocratique". La première condition est évidemment remplie puisque le législateur italien est intervenu pour prohiber formellement le don d'embryons. La seconde condition est moins évidente. Dans un arrêt du 28 août 2012 Pavan c. Italie, la Cour a déja sanctionné le droit italien qui interdisait le diagnostic in vitro permettant de déceler une affection génétique sur l'embryon. Pour la Cour, l'ingérence dans la vie privée était excessive, car elle privait les parents d'avoir un enfant indemne de toute maladie génétique. Elle les obligeait de surcroit à commencer une grossesse pour éventuellement l'interrompre ensuite, après un diagnostic pré-natal. 

Dans l'arrêt Parrillo, la Cour se montre plus nuancée. Certes, elle refuse d'entrer dans le raisonnement de certains groupements intervenant comme amici curiae, que l'on serait tenté de considérer plutôt comme des "amis de la Curie"... A leurs yeux, le refus du don d'embryon repose sur la "vie potentielle" qui fait de l'embryon une personne en devenir. Cet argument, repris depuis des décennies par les milieux catholiques devant la Cour pour contester aussi bien l'IVG que les techniques de procréation médicalement assistée n'a jamais prospéré devant les juges européens. En revanche, la Cour observe que la question du don d'embryons soulève des questions éthiques particulièrement délicates. 

L'absence de consensus


Comme dans beaucoup de décisions, et encore tout récemment dans l'arrêt Oliari c. Italie à propos de l'union des couples de même sexe, la Cour recherche donc l'existence d'un consensus européen sur la question. Elle observe que seulement dix-sept Etats sur quarante acceptent le don d'embryons surnuméraires à des fins de recherche scientifique. La majorité n'est donc pas atteinte, et l'Italie peut donc continuer à interdire le dons d'embryons et, par voie de conséquence, à interdire aux chercheurs italiens les recherches sur les cellules souches.

Observons que le droit français, quant à lui, n'a autorisé que très récemment l'expérimentation sur l'embryon, avec la loi du 6 août 2013. Cette recherche est désormais autorisée s'il n'existe pas d'autre moyen de parvenir au résultat escompté et si la "finalité médicale" est avérée. Bien entendu, les deux membres du couple géniteur doivent donner leur consentement à cette recherche. 

Une nouvelle fois, la Cour européenne se fonde sur l'existence ou l'absence d'un consensus au sein des Etats du Conseil de l'Europe pour apprécier la conformité du droit d'un Etat membre à la Convention européenne des droits de l'homme. Certes, cette jurisprudence laisse une grande latitude aux Etats dans des domaines sensibles dans lesquelles les convictions éthiques et religieuses interviennent largement. Il n'en demeure que l'on conserve le sentiment, un peu fâcheux, que le droit européen devient le produit d'une sorte de décompte mathématique. Madame Parillo pourra-t-elle faire un nouveau recours lorsque vingt et un Etats sur quarante autoriseront le don d'embryon ?



vendredi 28 août 2015

Un manuel de Libertés publiques sur internet

Le manuel de "Libertés publiques" publié sur Amazon présente l'originalité d'être accessible par téléchargement sur internet pour la somme de six euros. Il peut être lu sur n'importe quel ordinateur.

Ce choix de changer le support d'un ouvrage universitaire s'explique d'abord par la volonté d'offrir aux étudiants un manuel adapté à leur budget mais aussi à leurs méthodes de travail. Ils trouvent aujourd'hui l'essentiel de leur documentation sur internet, mais ils ne sont pas toujours en mesure d'en apprécier la pertinence. Bien souvent, ils piochent un peu au hasard, entre des informations anciennes ou fantaisistes.

Le manuel de "Libertés publiques" qui leur est proposé sur Amazon répond aux exigences académiques et il est actualisé au 20 août 2015. Il fait l'objet d'une actualisation en temps réel, grâce au site "Liberté Libertés Chéries" qui suit et analyse l'actualité des libertés dans notre pays. Le manuel et le site sont donc conçus comme complémentaires.

Nombre d'écrits sur les libertés et les droits de l'homme relèvent de la rhétorique et du militantisme, au risque de déformer la réalité juridique.  Cette publication nouvelle ne s'adresse pas seulement au public universitaire,  étudiants et enseignants, mais aussi à tous ceux qui ont à pratiquer ces libertés. Une connaissance précise du droit positif en la matière est nécessaire, aussi bien sur le plan académique que sur celui de la citoyenneté. C'est un panorama très large des libertés et de la manière dont le droit positif les garantit qui est ici développé. En témoigne le plan sommaire que LLC met à disposition de ses lecteurs : 



Ière Partie : Le droit des libertés publiques

Chapitre 1 : La construction des libertés publiques 
La construction historique des libertés et leur régime constitutionnel. Leur internationalisation avec l'émergence d'un standard européen des libertés marqué par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et la jurisprudence de la Cour européenne.

Chapitre 2 : L'aménagement des libertés publiques  
Les régimes répressif, préventif, et de déclaration préalable qui organisent les libertés dans le droit positif

Chapitre 3 : Les garanties juridiques
Le contrôle de la loi par le juge constitutionnel ; La primauté des traités ; Les actes de l'administration et les contrôles des autorités indépendantes et du juge administratif.

IIème Partie : Les libertés de la vie individuelle

Chapitre 4 : La sûreté
La sûreté, situation de la personne qui n'est ni arrêtée ni détenue, est la condition d'exercice de toutes les autres libertés. Elle fonde les principes essentiels du droit pénal et de la procédure pénale. Elle connaît cependant certaines limitations avant le jugement comme le contrôle d'identité, la garde à vue ou la détention provisoire. Plus grave, d'autres restrictions peuvent intervenir sans jugement, en matière de rétention des étrangers ou d'hospitalisation des malades mentaux.

Chapitre 5 : La liberté d'aller et venir
Elle implique la libre circulation des nationaux, le droit de circuler sur le territoire et aussi celui de le quitter. Les restrictions sont plus grandes pour les étrangers, tant pour leur entrée sur le territoire que pour leur éloignement (reconduite à la frontière, expulsion, extradition...)

Chapitre 6 : Le droit de propriété
Le droit de propriété est étroitement lié aux valeurs libérales, et il fait l'objet d'une consécration aussi bien par les traités internationaux que par la Déclaration de 1789 et le code civil. Largement consacré, il fait pourtant l'objet d'atteintes importantes qui sont licites, dès lors qu'elles reposent sur des motifs d'intérêt général.

Chapitre 7 : Le droit à l'intégrité de la personne
Le droit humanitaire impose la répression des actes de torture, des traitements inhumains et dégradants ainsi que des crimes contre l'humanité et des génocides. Mais le respect du corps humain dépasse aujourd'hui le cadre du droit humanitaire. En témoignent notamment les évolutions en cours sur le droit de mourir dans la dignité ou les droits attachés à la procréation.

Chapitre 8 : Les libertés de la vie privée
Les espaces les plus traditionnels de la vie privée sont la santé et l'orientation sexuelle, la famille et la vie privée. Ils font eux-même l'objet d'une évolution, avec notamment l'ouverture du mariage des couples de même sexe. Mais le droit de l'internet et des réseaux sociaux tend aujourd'hui à donner une nouvelle définition de la vie privée. Elle implique l'émergence de droits nouveaux comme le droit à l'identité numérique ou le droit à l'oubli.

IIIème Partie : Les libertés de la vie collective

Chapitre 9 : La liberté d'expression
L'expression est d'abord celle du citoyen, avec un droit de participation incarné dans le droit de suffrage. Au-delà, l'expression est aussi une liberté de l'esprit affirmée dans le droit de la presse, de la communication audiovisuelle et du cinéma. 

Chapitre 10 : Laïcité et liberté des cultes
La laïcité est un principe d'organisation de l'Etat directement rattaché à l'idée républicaine. Elle s'exprime par le principe de neutralité et par l'intervention de la loi pour organiser les cultes. Les mouvements sectaires, quant à eux, font l'objet d'une approche uniquement pénale, à travers les infractions qu'ils sont susceptibles de commettre. 

Chapitre 11 : La liberté de l'enseignement
L'enseignement public est organisé à partir des principes de gratuité et de neutralité. L'enseignement privé, quant à lui, bénéficie d'une aide de l'Etat qui s'accompagne d'un certain contrôle exercé sur une base contractuelle.

Chapitre 12 : Le droit de participer à des groupements
Certains groupements sont purement occasionnels et on évoque alors les libertés de réunion et de manifestation. D'autres sont institutionnels, comme les associations et les syndicats. 

Chapitre 13 : Les libertés de la vie économique et du travail
La liberté du commerce et de l'industrie a évolué vers une notion plus englobante de liberté d'entreprendre. A ces libertés de l'entrepreneur s'ajoutent celles du salarié qui bénéficie du droit au travail, mais aussi de droits dans le travail, à commencer par le droit de grève.



mercredi 26 août 2015

L'expulsion des islamistes étrangers

L'attentat contre le Thalys suscite un débat nouveau sur l'expulsion éventuelle des étrangers résidant en France et fichés par les services de renseignement en raison de leur lien avec l'islam radical. Marine Le Pen demande leur expulsion, sans davantage de précision. François Fillon demande l'expulsion, mais seulement de ceux qui sont incarcérés pour des faits de terrorisme. Quant à Jean-Christophe Cambadélis, il affirme qu'une telle mesure entrainerait l'expulsion de quatre millions de personnes. D'autres enfin assurent qu'elle constituerait une terrible atteinte aux libertés, totalement illégale en l'état actuel du droit. 

Justement, parlons un peu du droit positif qui semble bien oublié dans le débat. Avant toutes choses, il convient de préciser que l'expulsion est une décision administrative qui permet l'éloignement d'un étranger pour des motifs d'ordre public. 

L'expulsion


Par cet objet même, elle se distingue donc d'autres mesures d'éloignement. La reconduite à la frontière et l'obligation de quitter le territoire visent ainsi les étrangers qui ont pénétré ou sont restés sur le territoire de manière irrégulière. Ces mesures sont prises par l'autorité administrative comme l'expulsion, mais elles s'en distinguent à deux égards. D'une part, l'étranger n'est pas reconduit pour des motifs liés à l'atteinte à l'ordre public qu'il peut représenter mais tout simplement parce qu'il n'est pas autorisé à demeurer sur le territoire. D'autre part, l'étranger reconduit peut toujours revenir en France, dans des conditions régulières cette fois, alors que la personne expulsée n'est pas autorisée à revenir sur le territoire.

L'extradition et le mandat d'arrêt européen concernent ceux qui sont demandés par un autre Etat pour des motifs d'ordre pénal. Dans ce cas, la différence est très évidente, car il s'agit de procédures faisant intervenir l'autorité judiciaire alors que l'expulsion est une décision purement administrative.

Des garanties procédurales


Cela ne signifie pas que l'expulsion soit un mesure purement arbitraire, car elle est entourée d'importantes garanties procédurales.

La première d'entre elles, que semble ignorer Jean-Christophe Cambadélis alors qu'elle constitue un principe général de notre droit, est la règle de l'examen particulier du dossier. Applicable à l'éloignement des étrangers, elle figure dans l'article 4 du Protocole n° 4 à la Convention européenne des droits de l'homme qui interdit "les expulsions collectives d'étrangers". Dans son arrêt du 5 février 2002 Conka c. Belgique, la Cour a précisé qu'il est possible d'expulser plusieurs étrangers en même temps, à la condition que chaque cas ait fait l'objet d'un examen particulier. Le Conseil d'Etat s'assure, de la même manière, que l'arrêté d'expulsion a donné lieu à un "examen objectif de la situation particulière" de chacun des expulsés.

La seconde garantie essentielle réside dans le respect des droits de la défense qui donne lieu à une organisation spécifique en matière d'expulsion. Ils s'exercent en effet devant une commission d'expulsion (Comex) composé de deux magistrats de l'ordre judiciaire et d'un conseiller de tribunal administratif. L'étranger est assisté d'un conseil et il dispose de quinze jours pour préparer sa défense. La Comex rend un avis qui est transmis au préfet ou au ministre de l'intérieur qui peut alors décider l'expulsion, par une décision motivée. Elle est susceptible de recours devant le juge administratif qui exerce un contrôle très approfondi sur les motifs de la décision d'expulsion.

Adam et Eve expulsés du Paradis terrestre. Michel-Ange. Plafond de la Chapelle Sixtine.


La notion d'ordre public


L'article 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (ceseda) énonce que l'expulsion peut être prononcée si la présence sur le territoire français d'un étranger constitue une "menace grave pour l'ordre public". Dans le cas des ressortissants de l'Union européenne, la Cour de justice estime même , depuis un arrêt Bouchereau de 1977, que la menace pour l'ordre public doit affecter "un intérêt fondamental de la société", condition plus rigoureuse que le droit commun.

Certes, le plus souvent, l'étranger qui menace l'ordre public est celui qui, précisément, a été condamné par le juge pénal. Le Conseil d'Etat apprécie cette menace à l'aune de la gravité du dossier pénal de l'intéressé. C'est ainsi que, dans un arrêt du 12 février 2014, M. A., il affirme que la présence de sept condamnations sur le casier judiciaire d'un étranger ne suffit pas à fonder son expulsion, dès lors qu'il s'agit de petits délits d'atteintes aux biens. En revanche, la Cour administrative d'appel de Nancy le 23 juin 2014, considère comme justifiée l'expulsion fondée sur une condamnation pour une gravec atteinte aux personnes.


Le fichage "S"



En l'espèce, la question posée est celle d'une expulsion reposant non pas sur une condamnation pénale mais sur le fait que l'intéressé soit fiché par les services de renseignement comme menaçant la "Sûreté du territoire" (fiche "S").

La réponse se trouve fort simplement dans la jurisprudence du Conseil d'Etat. Dans un arrêt du 4 octobre 2004, ministre de l'intérieur c. Bouziane, celui-ci a été saisi d'une décision d'expulsion prononcée par le ministre de l'intérieur et visant l'imam de Vénissieux. Or, cette décision reposait sur des notes des services de renseignement mentionnant que le religieux appartenait à la mouvance salafiste et déclarait que la religion musulmane permettait de battre sa femme. En l'espèce, le Conseil d'Etat mentionne ces notes comme un élément de nature à fonder la décision d'expulsion. Observons que, dans cette affaire, il n'est pas question de terrorisme : l'imam est expulsé parce qu'il tient des propos discriminatoires qui ne sont pas conformes à l'ordre public français.
 

Contrairement à ce qui a été affirmé ici ou là, le droit positif n'interdit pas d'expulser un étranger sur le fondement d'informations communiquées au ministre par les services de renseignement. Il n'est donc pas utile de modifier la loi pour procéder à de tels éloignements. Le contrôle très approfondi du juge administratif sur les motifs de l'expulsion permet en outre d'assurer le respect de l'Etat de droit. Il n'en demeure pas moins que le débat actuel témoigne surtout de la grande ignorance du droit de l'éloignement des étrangers par les politiques. En tout cas, s'ils veulent s'informer, ils sont tous les bienvenus sur Liberté Libertés Chéries.