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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
mercredi 27 mai 2015
La motivation du verdict de la Cour d'assises : une vison globale du procès pénal
lundi 25 mai 2015
La liberté d'entreprendre et le duel taxis-VTC
La maraude
Le "retour à la base"
La fixation du prix
vendredi 22 mai 2015
Enfants nés à l'étranger d'une GPA : normalisation en cours
La jurisprudence Mennesson
A dire vrai, le jugement n'a rien de surprenant. Dans deux importantes décisions Mennesson c. France et Labassee c. France rendues le 26 juin 2014, la Cour européenne avait déjà affirmé que l'intérêt supérieur des enfants nés aux Etats Unis d'une gestation pour autrui (GPA) était d'avoir un état civil français, élément de leur identité au sein de la société de notre pays. Le tribunal de Nantes applique donc purement et simplement la jurisprudence de la Cour européenne.
Certes, la jurisprudence du Conseil d'Etat concerne la nationalité, mais le raisonnement peut parfaitement s'appliquer à l'état-civil. Le fait, pour un enfant, d'avoir un état-civil américain, ukrainien ou indien alors qu'il réside en France avec ses parents ne porte-t-il pas atteinte de la même manière à sa vie privée ?
La construction jurisprudentielle semble donc solide, et on peut s'étonner que le procureur de Nantes ait cru bon d'annoncer un appel contre la décision du TGI. S'agit-il d'une démarche purement idéologique manifestant une opposition personnelle à la GPA ? Ce n'est pas impossible, à moins qu'il espère le maintien par la Cour de cassation de sa jurisprudence antérieure à l'arrêt Mennesson de la Cour européenne.
La position traditionnelle de la Cour de cassation
Depuis la décision Mennesson, celle rendue par la Cour européenne des droits de l'homme en 2014, la Cour de cassation n'a pas eu l'occasion de se prononcer sur l'état-civil d'un enfant né d'une GPA à l'étranger. Le procureur de Nantes pouvait donc espérer que la juridiction suprême française maintiendrait sa position, envers et contre tous.
Gelück. Le Chat 1999,9999. 1999 |
Vers une évolution jurisprudentielle ?
Rien n'est moins sûr, du moins si l'on en croit les informations diffusées dans la presse, à propos de deux pourvois que la Cour de cassation devrait prochainement examiner. Ils sont dirigés contre deux décisions rendues par la Cour d'appel de Rennes à propos de l'état-civil d'enfants nés par GPA en Russie. Le 19 mai, le procureur près la Cour de cassation, Jean-Claude Marin, a fait savoir qu'il demanderait l'inscription de ces enfants à l'état-civil français. Reprenant l'argument du Conseil d'Etat, il affirme que "le droit au respect de la vie privée de l’enfant justifie que son état civil mentionne le lien de filiation biologique à l’égard de son père à condition que ce lien soit incontestablement établi". En d'autres termes, il suffira d'une expertise biologique prouvant la filiation paternelle avec un Français pour que l'inscription soit acquise.
Si les réquisitions du procureur sont suivies, la Cour de cassation fera un grand pas en avant dans le sens de la jurisprudence européenne. Il demeure tout de même deux interrogations.
La première réside dans cette répugnance un peu surprenante, que la Cour de cassation partage avec le Conseil d'Etat, à l'égard de la notion d'intérêt supérieur de l'enfant. Or, cette notion figure dans la Convention de 1989 relative aux droits de l'enfant, pourtant signée et ratifiée par la France. Son article 3 énonce que dans "toutes les décisions qui concernent les enfants (...) l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale". De toute évidence, les juges suprêmes internes préfèrent se référer à une notion tirée du droit interne, en l'espèce celle de vie privée.
La seconde interrogation porte sur la situation des couples qui ont besoin non seulement d'une mère porteuse mais aussi d'une fécondation hétérologue. Autrement dit, ils ne peuvent procréer qu'avec des gamètes données par un tiers, soit par insémination avec donneur (IAD), soit par fécondation in vitro. Ces pratiques sont parfaitement licite en droit français. Or, l'exigence d'un lien de filiation biologique risque de conduire à interdire la reconnaissance de l'état-civil de l'enfant, s'il est né à la suite d'un tel don. L'objet d'une telle exigence n'est évidemment pas d'exclure les couples homosexuels, car rien ne les empêche de procéder à l'insémination de la mère porteuse avec les gamètes de l'un des conjoints. Cette exigence conduit cependant à empêcher la reconnaissance de l'état-civil français d'un enfant né par GPA à l'étranger d'un père stérile. Doit-on établir une discrimination uniquement fondée sur cette stérilité, alors que l'intervention d'un donneur est parfaitement licite ? C'est la question actuellement posée. Ceci dit, elle ne résout pas le problème du procureur de Nantes dont la position se trouve singulièrement affaiblie par l'annonce du procureur près la Cour de cassation.
D'une manière générale, ces hésitations jurisprudentielles, voire ces combats d'arrière-garde, ne modifient guère un mouvement global qui tend à reconnaître aux enfants nés à l'étranger par GPA les mêmes droits que les autres enfants nés de parents français. C'est, en soi, une évolution favorable. L'intérêt supérieur de l'enfant ne constitue peut-être pas le fondement de la jurisprudence mais il en est la conséquence.
mercredi 20 mai 2015
Lutte contre la corruption et confiscation des biens, en Adjarie
Droit au respect des biens et droit de propriété
Les requérants invoquent au premier chef la violation de l'article 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme qui énonce que "toute personne a droit au respect de ses biens". Certes, ce texte n'emploie pas formellement le mot "propriété", mais c'est tout de même de cela dont il s'agit. La Cour européenne affirme ainsi, dans son arrêt Marckx c. Belgique du 13 juin 1979, que "le droit de disposer de ses biens constitue un élément traditionnel fondamental du droit de propriété". A partir de la décision Sporrong et Lönnroth c. Suède du 23 septembre 1982, la notion de propriété va d'ailleurs largement se substituer à celle de "droit au respect des biens" dans la jurisprudence de la Cour.
En l'espèce, il n'est pas contesté que la procédure de confiscation constitue une "ingérence" dans le droit de propriété. Les requérants considèrent que la loi qui leur est appliquée viole les principes d'égalité des armes et de non-rétroactivité, et qu'elle est disproportionnée au sens de la jurisprudence de la Cour. Après un recours devant la Cour suprême adjare en septembre 2004, puis devant la Cour constitutionnelle géorgienne en 2005, ils ont donc saisi la Cour européenne des droits de l'homme.
Confiscation "administrative"
La procédure de confiscation est qualifiée d'"administrative" par le droit géorgien. Une loi du 3 février 2004 l'introduit en effet dans le code de procédure administrative géorgien, et la confiscation des biens des requérants est engagée en août 2004.
La qualification de confiscation "administrative" vise seulement à affirmer que cette procédure est indépendante de toute peine pénale. C'est ainsi que l'entend le droit géorgien et la Cour européenne ne remet pas en cause cette terminologie, évoquant cependant la "so-called administrative confiscation". Le caractère administratif renvoie uniquement à l'initiative de la procédure qui appartient à l'Etat, celui-ci décidant de saisir un bien acquis avec l'argent de la corruption. Le contentieux porte cependant sur "des droits et obligations de caractère civil" au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne, et la personne victime de cette confiscation peut saisir les tribunaux de l'ordre judiciaire.
Le renversement de la charge de la preuve
Pour la Cour européenne, ce renversement de la charge de la preuve est licite, dès lors que le contentieux n'est précisément pas de nature pénale. Elle en avait déjà jugé ainsi dans son arrêt Raimondi c. Italie du 22 février 1994 à propos de la législation italienne permettant la confiscation des biens acquis avec l'argent de la mafia. Dans une affaire récente Abouffada c. France du 27 novembre 2014, rendue cette fois à propos de la confiscation de biens achetés avec des fonds provenant du trafic de stupéfiants, la Cour a même admis ce renversement de la charge de la preuve dans le cas d'une peine complémentaire. La culpabilité des intéressés était déjà prononcée par une peine pénale prononcée à l'issue d'une procédure respectueuse de la présomption d'innocence.
La non-rétroactivité
Dès lors que la procédure de confiscation n'est pas de nature pénale, la question de la rétroactivité de la loi de 2004 est rapidement écartée. La Cour européenne fait observer que le droit géorgien de lutte contre la corruption permet de contraindre les personnes à justifier les moyens d'acquisition de leurs biens depuis 1997. Le texte de 2004 est donc une loi de procédure qui se borne à organiser cette confiscation concrètement.
Il reste à la Cour à s'interroger sur la confiscation elle-même et sur sa conformité au Protocole additionnel.
L'atteinte au droit de propriété
Pour être licite, la confiscation des biens acquis par des actes de corruption doit d'abord être prévue par la loi. Ce point n'est pas contesté, puisqu'une loi géorgienne de 2004 l'organise de manière très précise.
La Cour s'assure ensuite que cette législation poursuit un "but légitime". Sur ce point, la Cour dispose d'un argument particulièrement puissant, puisqu'elle a eu à connaître du cas d'une des victimes de l'ancien ministre de l'intérieur d'Adjarie. Le requérant de l'époque avait en effet dû, sous la contrainte, céder sa propriété au ministre pour une somme équivalent à 300 €. Dans son arrêt Tchitchinadze c. Géorgie du 27 mai 2010, la Cour fait observer que la législation géorgienne a pour objet essentiel de restituer des biens à leur légitime propriétaire. C'est seulement si cette restitution est impossible que les biens sont confisqués au profit de l'Etat.
Enfin, la Cour contrôle la proportionnalité de l'atteinte à la propriété par rapport à ce but légitime. Sur ce point, la Cour se limite à réaffirmer la légitimité de la lutte contre la corruption. La mesure de confiscation organisée par le droit géorgien est autorisée par l'article 31 de la Convention des Nations Unies de 2005 sur la lutte contre la corruption, par la Convention du Conseil de l'Europe de 2005 relative au blanchiment et (...) à la confiscation des produits du crime (...)". D'une manière générale, la Cour constate ainsi que la Géorgie, en prévoyant une mesure de confiscation dans son droit interne, ne fait que se conformer au droit international de la lutte contre la corruption.
La Cour encourage ainsi les Etats à développer leur arsenal juridique dans le cadre de la lutte contre la corruption et surtout à en faire usage. C'est ce qu'a fait le droit français, et le principe de confiscation des avoirs criminels est désormais une réalité, notamment depuis la loi du 9 juillet 2010 qui crée l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC). Il n'en demeure pas moins que cette confiscation n'est guère utilisée qu'en matière de grande criminalité et non pas pour lutter contre la corruption du monde politique. Il est vrai que les ministres de l'intérieur corrompus ne se rencontrent qu'en Adjarie.
samedi 16 mai 2015
Le projet de loi renseignement ou l'effet d'aubaine du terrorisme
D'abord, il faut le reconnaître, le texte a obtenu une très large majorité : 438 députés ont voté pour, 86 contre, et 42 se sont abstenus. Si l'opposition au texte a investi l'espace médiatique avec l'intervention de bon nombre d'ONG et d'experts, l'espace politique, lui, est demeuré globalement favorable au texte.
Ensuite, le vote a montré que les divergences passent à l'intérieur des partis politiques. Entre les "frondeurs" du PS qui ont voté contre ou se sont abstenus (10 votes contre et 17 abstentions) et les 143 députés UMP qui se sont prononcés pour le texte, l'habituelle bipolarisation de notre vie politique semble quelque peu malmenée. Il n'en demeure pas moins que la classe politique, dans son ensemble, semble plutôt favorable au texte.
Une politique publique du renseignement
Un champ d'application extrêmement large
Ce cadre juridique se caractérise cependant par une volonté de laisser à ces services une large autonomie dans leur activité.
Le champ des activités de renseignement est ainsi défini à travers les finalités poursuivies. Le nouvel article 811-3 du code de la sécurité intérieure (csi) y intègre à la fois ce qui touche à la défense et à la sécurité, aux intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs, à la prévention du terrorisme, à celle des atteintes à la forme républicaine des institutions, sans oublier la criminalité organisée et de la prolifération des armes de destruction massive. La référence aux "violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique" a néanmoins été supprimée durant le débat parlementaire, en raison de son imprécision.
Au regard des services concernés, la loi vise les services de renseignement traditionnellement identifiés comme tels : Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), Direction du renseignement militaire (DRM), Direction de la protection de la sécurité et de la défense (DPSD). On y trouve aussi les services douaniers (Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières) et Tracfin, chargé de lutter contre les circuits financiers clandestins. En soi, ce n'est pas anormal car la notion de défense englobe aussi bien la sécurité extérieure et intérieure que les intérêts économiques fondamentaux.
Les données accessibles aux services de renseignement sont également largement définies, englobant finalement toutes les données échangées par les utilisateurs connectés et toutes celles susceptibles de les identifier ou de les repérer. Le support utilisé importe peu, ce qui peut aussi être expliqué car la loi doit pouvoir s'adapter aux évolutions technologiques.
Cette recherche d'un fondement et d'un encadrement juridiques est évidemment positive. Le problème est qu'elle ne doit pas se réduire à l'octroi d'un blanc-seing permettant aux services de s'affranchir des procédures les plus élémentaires de l'Etat de droit.
Un débat technique
Le juge judiciaire, écarté de la protection des libertés
L'article 66 de la Constitution énonce que l'autorité judiciaire est "gardienne de la liberté individuelle". On pouvait donc espérer que le législateur, soucieux de la protection des libertés prévoie l'intervention du juge judiciaire pour autoriser l'accès aux données personnelles. Mais il a préféré, hélas, prévoir des modalités de contrôle qui ont comme caractéristique de l'exclure de l'ensemble du dispositif.
Pour encadrer les pratiques des services de renseignement, le projet prévoit la création d'une nouvelle autorité administrative indépendante : la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Elle doit remplacer l'actuelle Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) créée par la loi du 10 juillet 1991. Elle est composée de treize membres, dont six parlementaires, trois membres du Conseil d'Etat, trois magistrats de la Cour de cassation et une personnalité qualifiée. Les trois magistrats de l'ordre judiciaire sont donc des membres comme les autres d'une autorité administrative.
La CNCTR, autorité administrative
En tout état de cause, le pouvoir de décision de la CNCTR est pour les moins limité. Certes, l'accès aux données personnelles fait désormais l'objet d'une procédure d'autorisation sensiblement identique à celle mise en oeuvre par la loi de 1991 dans le cas des écoutes téléphoniques. Cette autorisation est donnée par le Premier ministre et la CNCTR donne seulement un avis préalable. Il s'agit donc d'une procédure consultative ordinaire et le Premier ministre peut suivre, ou cet avis. Lorsque la procédure est marquée par l'urgence, la CNCTR n'est même pas saisie pour avis mais informée a posteriori. Quoi qu'il en soit, si elle n'est pas d'accord avec une autorisation, elle peut toujours faire au Premier ministre une "recommandation".
Le recours devant le Conseil d'Etat
Et si la "recommandation" n'est pas suivie ? Dans ce cas, la CNCTR peut saisir le Conseil d'Etat, seul habilité à exercer un contrôle contentieux dans ce domaine. Les recours seront traités par une formation spécialisée composée de membres habilités secret-défense. Dans l'hypothèse où une le recours pose une question de droit d'un intérêt particulier, il sera possible néanmoins de saisir la section du contentieux.
Pour la personne qui se pense surveillée, la saisine du Conseil d'Etat ne présente qu'un intérêt symbolique. Comme en matière d'accès aux fichiers de sécurité publique, elle ne dispose que d'un "droit d'accès indirect", notion sans doute inventée par un humoriste, puisque la procédure ne donne aucun accès, ni direct ni indirect, aux données recueillies sur son compte. L'intéressé peut seulement obtenir que des "vérifications" soient effectuées. A l'issue de la procédure, il sait que lesdites "vérifications" ont été effectuées, mais il ne sait toujours pas s'il est surveillé, ou pas.
Le législateur a donc choisi de privilégier un contrôle par le juge administratif plutôt que respecter la lettre de l'Article 66 de la Constitution. Depuis la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 23 janvier 1987, il est entendu qu'un tel choix peut être réalisé, à la condition qu'il soit justifié par une préoccupation de "bonne administration de la justice". Reste à se demander si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République de la loi sur le renseignement, estimera que la compétence du juge administratif en matière de renseignement répond à une telle préoccupation. Ce choix revient en fait à affirmer que le renseignement relève de la puissance publique et doit, à ce titre, échapper au juge judiciaire.
L'effet d'aubaine du terrorisme
Le rapport de J.J. Urvoas précise que le texte "n'est pas un texte antiterroriste", rappelant qu'il s'agit de définir un cadre juridique à l'ensemble des activités de renseignement. Sans doute, mais cela n'empêche pas le Premier ministre, sur son site, de le présenter comme un élément de la lutte contre le terrorisme, article illustré par une belle photo des militaires de Vigipirate patrouillant sous la Tour Eiffel. Soyons clairs : la loi n'a pas pour objet de lutter contre le terrorisme, mais la menace terroriste permet de "faire passer le texte" dans l'opinion. C'est l'effet d'aubaine du terrorisme, formule aujourd'hui largement employée, et dont l'origine se trouve dans un article paru dans l'Annuaire français des relations internationales, en 2008.
Le projet de loi ne concerne que marginalement la lutte contre le terrorisme. Celui-ci est utilisé comme élément de langage, pour conférer une légitimité à l'action des services de renseignement sans avoir à susciter le débat, tant le terrorisme apparaît comme une justification indiscutable. Au nom du terrorisme, on fait accepter les fichages, les investigations dans la vie privée, les instruments de repérage, la vidéo-surveillance rebaptisée en vidéo-protection, biométrie etc etc..
Elint vs Humint (Electronic Intelligence vs Human Intelligence)
Sur ce plan, le projet de loi est aussi le constat d'un échec. La réforme des services de renseignement réalisée en 2008 à l'initiative de Nicolas Sarkozy a plus ou moins détruit le renseignement humain (Humint) qui constituait le socle de notre système de renseignement. La fusion de la DST (Direction de la surveillance du territoire) et des RG (Renseignements généraux) s'est traduite par un affaiblissement du renseignement sur le territoire. Il n'y avait plus alors d'autre solution que de se tourner vers Elint (renseignement électronique), en mettant en oeuvre un système de surveillance généralisée des réseaux, inspiré du modèle américain. Le projet de loi s'inscrit évidemment dans ce projet visant désormais à privilégier Elint sur Humint.
Etat de droit vs Terrorisme
mercredi 13 mai 2015
Les statistiques ethniques ou religieuses : en avoir ou pas
On se souvient qu'à l'émission Mots croisés du 5 mai 2015, Robert Ménard annonce avoir recensé 64, 6 % d'enfants musulmans dans les écoles de Béziers. Ses propos ont immédiatement eu l'effet attendu. On voit se multiplier les réactions dénonçant un fichage ethnique et religieux illégal, susceptible de conduire à sa condamnation à cinq années de prison. Une perquisition de la mairie est organisée, à la recherche du fichier.. L'élu provocateur se réjouit certainement de cette médiatisation qui lui permet de se présenter comme une victime, celui qui, le premier, ose dire la vérité et violer le tabou des statistiques ethniques. Quand on se veut anti-système, c'est déjà une belle victoire.
Le tabou des statistiques ethniques
Robert Ménard expliquant ses statistiques à la presse |
La loi du 6 janvier 1978
Les dérogations à l'interdiction
Elle témoigne aussi des contradictions du droit lui-même, contradictions déjà apparues lors de la tentative d'introduire le CV anonyme, considéré comme le moyen de lutter contre les discriminations à l'embauche. Une expérimentation avait montré que les candidats issus de l'immigration ont une chance sur 22 d'obtenir un entretien lorsque leur CV est anonyme, et une chance sur 10 lorsqu'il n'est pas anonyme. La lutte contre la discrimination conduisait ainsi à renforcer la discrimination.
Aujourd'hui, dans le but de lutter contre les discriminations, le droit interdit tout simplement de les mesurer. C'est ainsi, par exemple, que l'administration pénitentiaire est invitée à nommer des aumôniers musulmans dans les prisons, sans dresser la liste des personnes incarcérées de confession musulmane. De la même manière, il serait sans doute intéressant de mesurer le nombre de personnes issues des minorités visibles dans les conseils d'administration. De telles études ont déjà été faites pour mettre en lumière les discriminations envers les femmes. Pourquoi les personnes issues des minorités visibles ne pourraient elles bénéficier de ce type de politique ?