« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


dimanche 30 juin 2013

Le mariage pour tous aux Etats Unis : la Cour Suprême avance à petits pas

Les deux décisions rendues par la Cour Suprême américaine le 26 juin 2013 et portant sur le mariage pour tous illustrent parfaitement la complexité du système juridique américaine. D'une part, le partage des compétences révèle, dans beaucoup de domaines, une certaine faiblesse de l'Etat fédéral par rapport aux Etats fédérés. D'autre part, la puissance judiciaire, et notamment celle de la Cour Suprême s'exerce largement face à un Congrès trop souvent affaibli par les clivages politiques.

Dans le système juridique américain, le droit du mariage relève, pour l'essentiel, de la compétence des Etats fédérés. Treize d'entre eux ont déjà adopté une législation autorisant le mariage pour tous (Massachussetts, Maine, Connecticut, Iowa, Vermont, New Hampshire, New York, Washington, Rhode Island, Delaware, Minnesota, Maryland, Californie) auxquels il faut ajouter le District of Columbia. Cette liste illustre parfaitement la "géopolitique" du mariage pour tous, adopté par l'ensemble des Etats de la Nouvelle Angleterre, alors que les Etats sudistes et la "Bible Belt" y demeurent largement opposés. L'évolution apparaît néanmoins relativement rapide dans ce domaine, et on observe que le mariage pour tous a été autorisé dans six Etats nouveaux, entre janvier et juin 2013.

Le droit américain fait donc coexister cinquante systèmes juridiques différents auquel s'ajoute un droit fédéral aux compétences finalement relativement réduites. Le débat sur le mariage pour tous, comme d'ailleurs beaucoup de débats aux Etats Unis, se développe ainsi à partir d'une bataille judiciaire entre le droit fédéral et le droit des Etats fédérés, bataille arbitrée finalement par la Cour Suprême fédérale. Cette dernière vient précisément de rendre deux décisions favorables au mariage pour tous. Dans les deux cas cependant, elle se prononce de manière indirecte, le débat juridique portant sur des problèmes connexes.
 
Le DOMA et le principe de non discrimination

La première décision, du 26 juin 2013, United Stated v. Windsor et alii déclare inconstitutionnel le Defense of Marriage Act (DOMA) de 1996. Ce texte fédéral définissait le mariage comme l'union légale d'un homme et d'une femme, et faisait donc obstacle à la reconnaissance, par le droit fédéral, des unions homosexuelles autorisées par les Etats fédérés. Il empêchait ainsi les conjoints de bénéficier des droits garantis par les lois fédérales, notamment en matière sociale ou fiscale. Tel était le cas d'Edith Windsor qui, à la mort de sa compagne qu'elle avait épousée au Canada, a été contrainte de payer un impôt très lourd pour la transmission d'un bien immobilier, impôt dont elle n'aurait pas été redevable si son mariage avait été reconnu par les autorités fédérales américaines.

La Cour Suprême, dans sa décision de juin 2013, ne consacre pas le mariage pour tous comme un "Constitutional Right" qui s'imposerait aux Etats fédérés et conférerait ainsi automatiquement aux couples homosexuels tous les droits des conjoints unis par le mariage. Elle se borne à déclarer que l'absence de reconnaissance des droits des personnes mariées dans le système fédéral est discriminatoire. En effet, le maintien du DOMA entrainerait la mise en place d'un mariage à deux vitesses, les couples homosexuels et leurs enfants ne bénéficiant pas des mêmes droits, au niveau fédéral, que les familles hétérosexuelles. L'évolution est importante, car la Cour Suprême tire ainsi toutes les conséquences juridiques du mariage pour tous. En revanche, cette décision n'interdit évidemment pas aux Etats fédérés qui le refusent de persévérer dans leur position.


Louis Touchagues. Les deux amies. 1893


La "Prop 8" californienne

La seconde décision Hollingsworth v. Perry est une décision d'irrecevabilité. Elle concerne le mariage pour tous qui a été brièvement autorisé en Californie en 2008, avant qu'un référendum initié par les opposants (la "Proposition 8") conduise à l'inscription dans la constitution de l'Etat d'une définition du mariage comme l'union d'un homme et d'une femme. A l'époque, cette "Prop 8" fut adoptée avec 52,2 % des suffrages.

Deux femmes, Kristin Perry et Sandra Stier, qui s'étaient mariées en 2008 mais dont la licence de mariage avait été annulée après le référendum, ont alors engagé une bataille judiciaire. En 2010, la "Proposition 8" a été jugée inconstitutionnelle par la Cour fédérale de San Francisco au motif qu'elle était discriminatoire et le combat a continué devant les juges de l'Etat fédéré.

La Cour Suprême fédérale a cependant été saisie, et s'est prononcée non pas sur la constitutionnalité du mariage pour tous, mais plus modestement sur la recevabilité du recours des opposants au mariage pour tous. Ont-ils intérêt pour agir devant la Cour Suprême fédérale, dans la seule mesure où ils sont à l'origine de la proposition de referendum ? La Cour Suprême répond par la négative, estimant que leur intérêt est trop général, la jurisprudence ne reconnaissant l'intérêt pour agir des personnes privées que lorsqu'elles peuvent se prévaloir d'un préjudice à la fois concret et particulier. Tel n'est évidemment pas le cas en l'espèce, puisque les opposants au mariage pour tous ne subissent aucun préjudice lié à l'existence de ce mariage.

En rejetant l'intérêt pour agir des opposants, la Cour renvoie l'affaire sur le fond devant la Cour Suprême de l'Etat de Californie. La Cour d'appel du 9è district de Californie a d'ailleurs rendu, dès le 28 juin, une décision énonçant que la suspension des mariages entre personnes de même texte est désormais levée avec effet immédiat, en attendant la décision au fond. Et de fait, l'union de Kristin Perry et Sandra Stier a été immédiatement célébrée à San Francisco.

Dans la décision DOMA, la Cour se prononce sur les droits fédéraux attachés au mariage. Dans l'affaire de la "Proposition 8", elle affirme l'irrecevabilité du recours des opposants. Dans les deux cas, elle utilise une démarche indirecte pour promouvoir le mariage pour tous et garantir l'absence de discrimination.

La décision de neuf personnes

Ces deux décisions montrent, à l'évidence, que le fédéralisme américain n'établit pas un système juridique aussi exemplaire que certains semblent le penser. La puissance du pouvoir fédéral est considérablement limitée par l'autonomie des Etats fédérés, et Washington est incapable de leur imposer, du moins dans le domaine du mariage, une loi libérale dont ils ne veulent pas. La Cour Suprême s'efforce alors de corriger ce déséquilibre introduit par la Constitution au profit des Etats fédérés. Elle opère par petites touches indirectes, dès lors qu'il lui est impossible d'aborder le sujet de manière frontale. Et force est de constater que c'est le droit des Etats fédérés qui finalement va susciter l'évolution du droit fédéral, et non pas l'inverse.

L'évolution du droit américain, sur un sujet très sensible, est ainsi le résultat d'un débat entre neuf personnes. En l'espèce, les deux décisions rendues par la Cour Suprême le 26 juin 2013 ont été acquises par cinq voix contre quatre, même si leur répartition n'est pas tout à fait identique dans les deux cas. Cette situation n'est pas rare dans un pays de Common Law dominé par la puissance du pouvoir judiciaire, si différent du système français dominé par le droit écrit.

Cette solution est-elle plus satisfaisante que le système juridique français qui repose sur un parlement élu, compétent pour définir les principes fondamentaux des libertés publiques et du droit de la famille ? Ceux qui estiment que le débat sur le mariage pour tous n'a pas été démocratique devraient peut être se poser cette question.

jeudi 27 juin 2013

Le mariage pour tous, et l'obstacle de la hiérarchie des normes

Rue 89 attire l'attention sur l'obstacle opposé par certaines conventions bilatérales à la mise en oeuvre de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux personnes de même sexe. Dans sa rédaction issue de ce texte, l'article 202 alinea 2 du code civil énonce que "deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l'une d'elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l'Etat sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet". Le législateur français a adopté cette disposition pour permettre aux étrangers partageant la vie d'un Français ou d'une Française de se marier, alors même que le droit de leur pays d'origine n'autorise pas le mariage pour tous. Rien de plus logique, puisqu'il s'agit d'assurer le respect du principe non discrimination devant le mariage. 

Les étrangers et la liberté du mariage

Rappelons que le Conseil constitutionnel, depuis sa décision du 13 août 1993, consacre la "liberté du mariage" comme ayant valeur constitutionnelle, car elle est "une des composantes de la liberté individuelle". Dix ans plus tard, le 20 novembre 2003, le Conseil a également rattaché la liberté du mariage à la "liberté personnelle", et donc aux articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Dans les deux cas, le mariage a été consacré comme liberté, précisément dans le but d'apprécier la constitutionnalité de dispositions législatives soumettant l'octroi de la carte de résident au conjoint étranger à une condition de délai après l'union matrimoniale, un an en 1993 et deux ans en 2003. Dans les deux cas, le juge constitutionnel a estimé que ces délais ne portaient pas une atteinte excessive à la liberté du mariage.

La liberté du mariage existe donc aussi bien pour les nationaux que pour les étrangers, et c'est bien ce qu'affirme l'article 202 alinéa 2 du code civil. 

Les conventions bilatérales sur l'application du droit personnel

Tout serait parfait, si la France, bien avant que le mariage pour tous soit à l'ordre du jour n'avait signé et ratifié une série de conventions bilatérales avec la Pologne, le Maroc, la Tunisie, le Laos, le Cambodge, le Vietnam, l'Algérie, Madagascar et les Etats de l'ex-Yougoslavie. Lorsqu'un ressortissant de ces Etats veut contracter mariage avec un Français, c'est le droit du mariage de son pays d'origine qui s'applique. D'une manière générale, ces conventions sont relativement anciennes (par exemple, 1967 avec la Pologne et 1981 avec le Maroc) et conclues avec des Etats jadis colonisés par la France ou donnant lieu à une coopération juridique approfondie.

Aujourd'hui, ces conventions viennent porter atteinte à la liberté du mariage et introduire des discriminations. En effet, les couples homosexuels dont l'un des membres est originaire de l'un ou l'autre de ces onze pays se voit refuser l'accès au mariage, dès lors que l'union entre deux personnes de même texte est interdite dans leur pays d'origine. Le témoignage de Lise, sur Rue 89, qui a "fait l'erreur de tomber amoureuse d'une Polonaise" est particulièrement éclairant. Elle montre que la convention franco-polonaise n'a pas pour effet d'entrainer l'absence de reconnaissance du mariage en Pologne, ce qui ne serait pas très grave, mais qu'elle interdit bel et bien la célébration du mariage. 
La vie d'Aldèle. Abdellatif Kechiche. 2013. Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos
La hiérarchie des normes

Pourquoi cette rigueur ? Tout simplement parce que la hiérarchie des normes impose la supériorité du traité sur la loi. Dès lors que le traité impose l'application du droit polonais, la loi Taubira se trouve écartée. La règle est implacable et il est impossible de surmonter l'obstacle par la voie législative. On pourrait qualifier la situation comme une sorte de "zugzwang", puisque les autorités françaises n'ont pas d'autre solution que de refuser l'accès au mariage, au nom de la supériorité du traité et du respect des engagements internationaux. Mais agissant ainsi, elles établissent un régime discriminatoire au détriment de certains ressortissants étrangers. 

Il convient évidemment de s'interroger sur les moyens de sortir de cette situation. Certes, certaines conventions, comme celle liant la France et la Maroc, comportent une clause d'ordre public qui autorise le juge à écarter la convention, lorsque l'une de ses dispositions n'est pas conforme à l'ordre public français. Il faudrait donc saisir le juge préalablement à chaque mariage, et cette solution ne pourrait être appliquée que s'il existe une clause d'ordre public. D'autres, comme précisément la convention franco-polonaise, sont renouvelables par tacite reconduction, en l'espèce tous les cinq ans. Il faudrait alors attendre le moment opportun et dénoncer le traité archaïque. La procédure risque de susciter quelques difficultés diplomatiques et de se révéler fort longue, surtout pour ceux ou celles qui attendent depuis longtemps de pouvoir se marier.  Ces solutions ponctuelles sont donc bien peu satisfaisantes.

Les recours possibles 

Il n'est évidemment pas possible d'envisager un recours devant le Conseil constitutionnel, dès lors que ce dernier n'est pas juge de la conformité des traités à la Constitution. Les couples concernés doivent donc envisager d'autres recours devant les juges du fond et, le cas échéant, devant la Cour européenne des droits de l'homme. Ces possibilités sont parfaitement résumées dans la circulaire adressée par le ministre de l'intérieur aux élus le 13 juin 2013.

Le juge judiciaire peut être saisi, soit à la suite d'une demande adressée au procureur d'ordonner la célébration du mariage et demeurée sans effet, soit pour demander la cessation d'un refus qui s'analyse comme une voie de fait, c'est à dire une atteinte particulièrement grave aux libertés.  Rappelons en effet que le Conseil constitutionnel considéré le droit au mariage comme l'élément de la liberté "individuelle" ou "personnelle".

A cette occasion, le juge pourrait trouver dans une telle affaire l'opportunité de réaffirmer la jurisprudence de la Cour de cassation. Depuis sa décision Pauline Fraisse du 2 juin 2000, celle-ci reconnaît en effet que "l'article 55 de la Constitution ne s'applique pas dans l'ordre interne aux dispositions de nature constitutionnelle". Autrement dit, la supériorité des traités sur la loi trouve son fondement dans la Constitution, plus précisément dans son article 55. Rien n'interdit donc de faire prévaloir la norme constitutionnelle sur le traité, et, en l'espèce, d'écarter la convention bilatérale, car elle emporte une violation du principe d'égalité devant la loi. 

Une autre solution consisterait, pour les juges du fond, à s'appuyer directement sur la Convention européenne des droits de l'homme, et le principe de non discrimination qu'elle garantit, pour affirmer sa supériorité sur la convention bilatérale. La question du conflit de normes entre deux conventions internationales serait ainsi résolue. Rien n'interdirait d'ailleurs aux juges du fond de concilier les deux démarches, en se référant à la fois à la Convention et au principe d'égalité figurant dans la Constitution.

Supposons cependant que les juges du fond ne profitent pas de cette opportunité de développer une jurisprudence novatrice, et se bornent à refuser la célébration du mariage, en s'appuyant sur la convention bilatérale qui y fait obstacle. Une fois épuisées les voies de recours internes, les couples pourront alors saisir la Cour européenne des droits de l'homme. Et celle-ci constatera probablement que le droit applicable est discriminatoire et donc non conforme à la Convention européenne des droits de l'homme. Les autorités françaises pourront alors s'appuyer sur la Convention européenne pour écarter un traité bilatéral, et la question de la hiérarchie des normes sera enfin surmontée. Là encore, ce sera long, et il ne faut pas espérer que le droit polonais, qui refuse toujours l'IVG, rendra le recours sans objet en adoptant une loi sur le mariage pour tous. Mais les chances de succès à l'arrivée sont tout de même importantes. Espérons que Lise et sa compagne se lanceront dans le combat.



dimanche 23 juin 2013

Le projet de loi renforçant la protection du secret des sources des journalistes

Le projet de loi renforçant la protection du secret des sources des journalistes a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 12 juin 2013. Son objet est de remplacer la loi Dati du 4 janvier 2010 qui avait été vivement critiquée pour son caractère cosmétique. Elle n'a pas été en mesure, en effet, d'empêcher l'espionnage des communications des journalistes par les services de renseignement lors de l'affaire Woerth-Bettencourt.

Notion d'atteinte au secret des sources

L'un des intérêts du projet est de définir la notion d'atteinte au secret des sources d'un journaliste  comme "le fait de chercher à découvrir ses sources au moyen d'investigations portant sur sa personne ou sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d'identifier ces sources". Cette définition conserve la trace de souvenirs vécus, lorsque les services de renseignements espionnaient un magistrat en poste au cabinet du ministre de la justice, soupçonné de donner des informations au Monde, lors de l'affaire Woerth-Bettencourt. L'atteinte au secret des sources ne protège pas seulement le journaliste, mais aussi, précisément, celui ou celle qui lui communique des informations.
Le projet de loi ne semble pourtant pas rencontrer l'assentiment de la presse. Elle estime qu'il ne va pas assez loin, et réclame un texte garantissant une protection absolue de ses sources. Le Monde dénonce déjà une "reculade", et la Fédération française des agences de presse qualifie de "régressions regrettables" des "modifications incompréhensibles" intervenues lors de l'examen du texte par le Conseil d'Etat.

Influence de la jurisprudence de la Cour européenne

Ces critiques doivent être nuancées. L'examen du texte montre pourtant un élargissement incontestable de la protection des sources des journalistes, d'ailleurs inspiré de la jurisprudence récente de la Cour européenne. Dans sa décision du 28 juin 2012, Ressiot et autres c. France, celle-ci présente le droit à la protection des sources comme un attribut du droit à l'information. Depuis un arrêt Martin et autres c. France du 12 avril 2012, elle effectue dans ce domaine un contrôle de proportionnalité. Elle considère ainsi qu'une perquisition effectuées dans les locaux d'un quotidien régional, dans le cadre de l'instruction d'une plainte pour violation du secret professionnel, n'est pas "nécessaire" par rapport au "but légitime" poursuivi. Sur ce plan, le législateur français se devait d'intervenir pour définir les principes généraux gouvernant le secret des sources et surtout les critères précis autorisant les juges à porter atteinte à ce principe. Il n'est pas certain que l'actuel projet de loi y parvienne tout à fait.


Nothing but the Truth. Rod Lurie. 2008. Alan Alda, Kate Beckinsale, Matt Dillon


Elargissement des bénéficiaires du droit à la protection des sources

L'élément essentiel de ce projet réside sans doute dans l'élargissement des bénéficiaires de ce droit au secret des sources. La loi Dati adoptait une définition relativement étroite du journaliste, comme "toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d'informations et leur diffusion au public". Cette définition traditionnelle du journaliste comme salarié d'une entreprise de presse ou de communication n'a pas été considérée comme suffisante. Le projet de loi élargit donc la liste des bénéficiaires du droit à la protection des sources aux "collaborateurs" d'une rédaction, c'est à dire au personnel qui n'a pas de carte de presse, ainsi qu'aux pigistes, collaborateurs occasionnels.

Le résultat de cet élargissement est une certaine dilution dans la définition des bénéficiaires du droit à la protection du secret des sources. Pourquoi les pigistes et pas, par exemple, les titulaires de blogs sur internet qui, dans certains cas, font quasiment profession de journalistes ?  Comment définir le "collaborateur" d'une rédaction ? Le responsable du standard ou du service du courrier a-il droit à cette garantie ? La réponse à ces questions ne figure pas dans le projet.

Limitation et encadrement des atteintes au secret 

Alors que la liste des bénéficiaires du droit à la protection du secret des sources s'allonge, les possibilités de porter atteinte à ce secret se réduisent. La principale garantie réside dans l'intervention d'un juge, soit lors d'une enquête de police judiciaire, soit lors d'une instruction.

L'essentiel de l'apport du projet de loi réside cependant dans une définition plus précise des motifs pour lesquels il est possible de porter atteinte au secret des sources. La loi Dati l'autorisait "si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie", formule d'une imprécision telle qu'elle permettait toutes les investigations possibles. Le projet de loi précise qu'une atteinte au secret des sources ne peut être décidée par le juge que "pour prévenir ou réprimer la commission soit d'un crime, soit d'un délit constituant une atteinte grave à la personne ou aux intérêts fondamentaux de la Nation", à la condition que les mesures envisagées soit "strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi". La référence à l'exigence de proportionnalité imposée par la Cour européenne apparaît très nettement dans cette formulation. En revanche, force est de constater que la notion d'"intérêts fondamentaux de la Nation" demeure floue. Ces "intérêts fondamentaux" peuvent recouvrir la défense et la diplomatie, mais ils peuvent aussi être élargis à toute une série d'autres préoccupations économiques, industrielles, voire environnementales ou culturelles. 

La presse voit dans cette formulation un retour à une ingérence de l'Etat dans les sources des journalistes. Mais le législateur peut-il réellement consacrer un secret absolu des sources des journalistes, qui s'imposerait même au juge ? On ne voit pas pourquoi le secret des sources journalistiques aurait une intensité supérieure au secret des affaires qui protège l'entreprise ou secret de la vie privée qui protège l'individu. Dans les deux cas, le secret cède devant des considérations liées à la recherche des infractions ou aux intérêts supérieurs de l'Etat, et personne ne le conteste sérieusement. Le secret des sources, comme n'importe quel autre secret, s'exercera donc dans le cadre de la loi qui l'organise et avec les limites qu'elle définit. Il appartiendra au juge d'en préciser les contours, et il est vrai qu'il dispose sur ce point d'un large pouvoir. Nul doute qu'il se référera aux critères déjà définis par la Cour européenne, notamment celui reposant sur l'intérêt du débat public auquel la presse participe. Il est vrai que le projet de loi renforce une nouvelle fois le pouvoir discrétionnaire du juge, mais celui-ci demeure préférable au pouvoir discrétionnaire du ministre de l'intérieur.













vendredi 21 juin 2013

"Google Suggest" et l'injure publique

Signe des temps ? La jurisprudence sur l'injure s'enrichit actuellement de nombreuses décisions. Après le "mur des cons" ou celui de Facebook, après le désormais célèbre "Casse toi pôv'con !", voici l'injure sortie de Google. La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a rendu, le 19 juin 2013, une décision qui refuse d'engager la responsabilité de Google sur le fondement de l'injure publique. Une société d'assurance, avait en effet constaté que chaque fois que l'on tapait le début de son nom, "Lyonnaise de G", comme requête sur le moteur "Google Suggest", celui-ci sortait immédiatement le terme "escroc" au troisième rang des suggestions de recherches proposées.

Des jurisprudences apparemment contradictoires

Ce résultat n'était guère flatteur pour la société d'assurances, mais pouvait-elle pour autant engager la responsabilité civile de Google pour injure ?  La Cour d'appel, dans une décision du 14 décembre 2011, avait considéré que l'association des mots "Lyonnaise de G" et "escroc" constitue, en soi, une injure publique. Elle avait donc écarté l'argument de Google, selon lequel les suggestions de recherches proposées aux internautes résultent d'un système automatisé, depuis une base de données recensant les libellés de recherche les plus fréquemment utilisés sur internet. Autrement dit, si le terme "escroc" se trouve associé à une entreprise, c'est parce que les internautes font eux mêmes cette association. La Cour d'appel avait écarté cet argument et appliqué le droit commun qui veut que tout entrepreneur soit responsable du contenu informatif que sa société délivre au public, sauf preuve d'une délégation de ses pouvoirs. Le caractère automatisé du contenu informatif n'était donc pas considéré comme un élément permettant de déroger à ce principe.

En matière de diffamation cependant, la Cour d'appel de Paris, par une décision du même jour, le 14 décembre 2011, avait adopté une solution inverse. M. Pierre B., qui avait fait l'objet d'une condamnation pénale, se plaignait de voir son nom associé sur "Google Suggest" à des mots tels que "viol", "violeur", "condamné", "prison", voire "sataniste". Il avait donc engagé la responsabilité de l'entreprise pour diffamation, estimant être victime d'une atteinte à l'honneur et à la considération. La Cour d'appel n'avait pas réfuté l'existence de cette atteinte, mais s'était située sur le plan des causes exonératoires, en particulier celui de la bonne foi.  En d'autres termes, Google était de bonne foi dans la mesure où l'entreprise ne faisait preuve d'aucune animosité personnelle à l'encontre de Pierre B. et que l'entreprise n'était pas à l'origine de l'absence de mesure dans l'expression.

Cette divergence de jurisprudence, dans deux décisions du même jour, est parfaitement compatible avec le droit commun, puisque l'excuse de bonne foi n'existe pas en matière d'injure. Cette application quelque peu automatique des principes traditionnels gouvernant le droit presse laisse cependant l'impression d'une négation de la spécificité d'internet et d'un traitement différencié des victimes d'injures et de diffamation. Si ces jurisprudences ne sont pas juridiquement contradictoires, elles donnent néanmoins l'impression de la contradiction.

Hergé. L'oreille cassée. 1943


Elément moral et volonté d'unifier le contentieux

Dans ce contexte jurisprudentiel, la décision de la Cour de cassation du 19 juin 2013 présente l'avantage de simplifier le raisonnement et d'établir, en ce qui concerne les moteurs de recherche, une certaine égalité entre les victimes d'injures et de diffamation. S'il est vrai que le requérant engage la responsabilité civile de Google, il invoque en effet l'existence d'une injure publique, qui se définit à travers l'infraction pénale prévue par l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881.

La Cour de cassation ne peut pas considérer que l'auteur de l'injure est l'internaute qui a qualifié l'entreprise d'"escroc" et non pas Google. En effet, l'article 42 de la loi de 1881 pose le principe selon lequel l'auteur principal d'une infraction est le directeur de publication, alors que l'auteur n'a que le statut de complice. C'est la raison pour laquelle la Cour choisit de sanctionner, très classiquement, l'absence d'élément moral de l'infraction. Le moteur de recherche n'est que le reflet automatique des propos des internautes, et Google ne peut être accusé d'avoir délibérément voulu injurier l'entreprise "Lyonnaise de G". Les principes généraux du droit pénal viennent donc, d'une certaine manière, pallier les défaillances du droit de la presse, lorsqu'il est impossible de l'appliquer à internet.

La Cour de cassation offre une solution certainement plus cohérente que les divergences jurisprudentielles de la Cour d'appel. En revanche, elle laisse intacte la question de la protection des personnes victimes de ces injures automatiques. Car, il faut bien le reconnaître, le caractère automatique de la création de ces données ne doit pas conduire à la négation des droits de la personne. La solution se trouve peut-être en amont, dans les filtres que peut imposer Google à l'intérieur même des algorithmes de son moteur de recherches.

Nul n'ignore que Google avait été attaqué par des associations de lutte contre l'antisémitisme, précisément parce que "Google Suggest" accolait le mot "juif" au patronyme de certaines personnalités. L'affaire s'est terminée par une médiation judiciaire dont on ne connaît pas précisément le contenu. On peut penser cependant que Google s'est engagé à filtrer certains termes dans le résultat des requêtes présentées sur "Google Suggest". Techniquement, ce qui est possible pour les propos antisémites doit l'être aussi pour les propos injurieux. Il n'en demeure pas moins qu'internet doit demeurer un espace de liberté d'expression, et que le remède risque de se révéler plus dangereux que le mal. La recherche de cet équilibre doit certainement constituer l'un des éléments du difficile débat engagé entre la CNIL et Google.

lundi 17 juin 2013

Le rapporteur public surmonte l'épreuve de la Cour européenne


La Cour européenne des droits de l'homme a rendu, le 4 juin 2013, une décision très attendue sur la conformité de la procédure contentieuse devant le Conseil d'Etat au principe d'égalité des armes issu de l'article 6 de la Convention. Ceux qui attendaient que les juges européens opèrent une véritable destruction de la procédure administrative contentieuse sont certainement déçus, car la décision prononce l'irrecevabilité de la requête. 

M. François Marc-Antoine, le requérant connaît bien cette procédure, car il est précisément conseiller du corps des tribunaux administratifs. Il a fait un recours devant le Conseil d'Etat pour contester un tableau d'avancement sur lequel il ne figure pas. Rien que de très banal, si ce n'est que le requérant, une fois sa requête rejetée le 8 avril 2009, se pourvoit devant la Cour européenne. S'appuyant sur l'article 6 de la Convention, il se plaint de n'avoir pas eu communication du rapport et du projet de décision du conseiller rapporteur devant le Conseil d'Etat, alors que le rapporteur public a été destinataire de ces pièces. Rappelons que le conseiller rapporteur est un membre de la formation de jugement, chargé de la fonction temporaire d'instruire l'affaire. Le rapporteur public, quant à lui, exerce, au sein du Conseil d'Etat, des fonctions particulières. Aux termes de l'article L 7 du code la justice administrative, il « expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu'elles appellent ".

Le requérant conteste la procédure qui veut que le rapporteur public ait communication du rapport et du projet de décision élaborés par le rapporteur, alors que ses avocats n'en ont pas eu connaissance. A dire vrai, une bonne partie de la doctrine s'attendait à une décision de non conformité.

Le Conseil d'Etat sous la menace de la Cour européenne

La procédure si particulière mise en oeuvre devant le Conseil d'Etat s'est déjà heurtée à des difficultés devant la Cour européenne des droits de l'homme. Les arrêts Kress c. France du 7 juin 2001 et Martinie c. France du 12 avril 2006 ont sanctionné la présence au délibéré du "commissaire du gouvernement", ancien titre du rapporteur public. Etant le dernier à s'exprimer lors de l'audience, sa participation au délibéré violait  l'égalité des armes et le respect du contradictoire. C'est seulement après la seconde de ces décisions que les autorités françaises modifié ont amélioré la situation du requérant,  avec le  décret du 1er août 2006 qui l'autorise à répondre par des observations orales aux conclusions du commissaire du gouvernement. 

Plus récemment, l'affaire UFC Que Choisir de Côte d'Or c. France du 30 juin 2009 a précisément porté  sur l'absence de communication aux parties de la note du rapporteur et du projet de décision, lacune perçue comme une violation du principe de l'égalité des armes. Très opportunément pour le Conseil d'Etat, le juge européen a rendu une décision d'irrecevabilité. Entre temps, le décret du 7 janvier 2009, était intervenu fort opportunément pour transformer le "commissaire du gouvernement" en "rapporteur public". De son côté, l'association requérante avait, tout aussi opportunément, retiré le grief portant sur l'absence de communication du rapport du conseiller rapporteur et du projet d'arrêt. Dans ces conditions, on pouvait penser que la Cour européenne saisirait l'occasion de revenir sur la question, dès lors qu'elle n'avait pas vraiment eu l'occasion de se prononcer.

Un administré devant le Conseil d'Etat
Cherchez Hortense. Pascal Bonitzer 2012. Jean-Pierre Bacri et Claude Rich

Rapporteur public et avocat général

La jurisprudence intervenue à propos de l'avocat général à la Cour de cassation, en 1998 incitait à penser que la Cour pourrait sanctionner le défaut de communication du rapport et du projet de décision aux parties. Dans un arrêt Reinhardt et Slimane Kaïd c. France, la Cour européenne avait, en effet, considéré que cette lacune, lorsqu'elle se produit devant la Cour de cassation, "ne s'accorde pas avec les exigences du procès équitable". A la suite de cet arrêt, une réforme a d'ailleurs été engagée, décidant non pas de communiquer le projet de décision aux parties, mais empêchant désormais l'avocat général d'y avoir accès.

Dans l'affaire Marc-Antoine, la Cour européenne ne dit pas en quoi la situation du rapporteur public devant le Conseil d'Etat est différente de celle de l'avocat général à la Cour de cassation. Tout au plus affirme t elle que le requérant n'a pas démontré que le rapporteur public est une "partie", au sens de l'article 6 de la Convention. Dès lors, le principe de l'égalité des armes ne s'applique pas. Certes, mais pourquoi l'avocat général est-il une "partie" dans le contentieux judiciaire, alors que le rapporteur public ne l'est pas dans le contentieux administratif ? La Cour ne donne aucun éclairage sur ce point.

 Le requérant, oublié de la procédure

De manière plus pragmatique, la Cour refuse de dissocier le rapport et le projet de décision. Elle affirme que le rapport n'est qu'un "simple résumé des pièces" du dossier et le projet de décision n'est qu'un "document de travail interne à la formation de jugement". Leur communication au requérant ne présente donc aucun intérêt pour lui, dès lors que le commissaire du gouvernement reprend l'ensemble de l'affaire et que le requérant peut faire connaître ses ultimes observations après ses conclusions et avant le délibéré. Là encore, le raisonnement peut surprendre. Une pièce n'est pas communicable au requérant tout simplement parce que l'absence de communication ne lui porte pas un réel préjudice, au regard de ses droits de la défense. Ne serait-ce pas à lui d'en juger ? Et si la pièce ne présente pas d'intérêt pour lui, en quoi serait il préjudiciable à la procédure contentieuse d'en prévoir la communication ?

Une nouvelle fois, la décision Marc-Antoine vient conclure par l'irrecevabilité une affaire portant sur la procédure contentieuse devant le Conseil d'Etat. Il est évident que l'absence de communication du rapport et du projet d'arrêt ne cause pas au requérant un grand préjudice, mais la décision laisse tout de même une impression un peu étrange. C'est ainsi qu'elle se caractérise par la tierce intervention de l'ordre des avocats aux conseils et du Conseil national des barreaux. Tous en choeur affirment la nécessité de laisser les choses en l'état, dès lors que "les membres de la corporation (...) n'ont jamais été amenés à se plaindre du système critiqué par le requérant". Les revendications des requérants importent peu si les professionnels du droit public ne les reprennent pas à leur compte. Le plus important n'est-il pas qu'ils fassent bloc autour de "leur" juridiction ? On peut penser que le Conseil d'Etat, qui sait toujours très bien protéger ses intérêts, n'est pas étranger à cette belle unanimité.

vendredi 14 juin 2013

QPC : mandat d'arrêt européen, la fin de l'histoire

Le Conseil constitutionnel a rendu le 14 juin 2013 sa décision Jeremy F. sur la conformité à la constitution des dispositions de l'alinea 4 de l'article 695-46 du code de procédure pénale (cpp). On se souvient que Jeremy F., professeur de mathématique, avait été arrêté sur le territoire français alors qu'il fuyait le Royaume Uni avec l'une de ses élèves, âgée de quinze ans. Remis aux autorités britanniques sur le fondement d'un mandat d'arrêt européen pour détournement de mineure, ce mandat avait ensuite été étendu à l'infraction, beaucoup plus grave, d'atteintes sexuelles. Conformément au droit européen, cette extension de l'objet du mandat d'arrêt doit être autorisée par l'Etat de remise, c'est à dire, dans le cas présent, par la France. L'article 695-46-4 cpp prévoit que cette autorisation est donnée par la Chambre de l'instruction, sans possibilité de recours. 

C'est précisément cette absence de recours que sanctionne le Conseil constitutionnel. Il considère que l'impossibilité de former un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la chambre de l'instruction "apporte une restriction injustifiée au droit à exercer un recours juridictionnel effectif". Les mots "sans recours" figurant dans l'alinéa 4 de l'article 695-46-4 cpp sont en conséquence immédiatement abrogés. 

Du droit d'accès au juge au droit au recours

Sur le fond, la décision n'est pas surprenante, car la jurisprudence du Conseil constitutionnel n'a cessé d'accroître ses exigences en matière de "droit au juge". Dans une première décision remontant au 2 décembre 1980, il s'était borné à mentionner un "droit d'ester en justice" rattaché au domaine de la loi. Puis, il avait présenté, dans une décision du 28 juillet 1989, le droit au juge comme "la garantie effective des droits des intéressés", avant de le rattacher finalement à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dans une décision du 9 avril 1996. 

Depuis cette date, la jurisprudence a opéré une sorte de glissement, le droit d'accès au juge devenant insensiblement un droit au recours. Sur ce point, le juge constitutionnel s'accorde parfaitement avec le droit européen. L'article 2 § 1 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme, adopté en 1984, proclame l'existence d'un véritable droit au recours : "Toute personne déclarée coupable d'une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation". On observe cependant que ce droit au recours n'est pas un droit absolu. Le droit européen admet que le droit de l'Etat membre peut y déroger pour les infractions mineures, ou lorsque l'intéressé a été jugé par la plus haute juridiction, ou encore condamné à la suite d'un recours contre son acquittement. Quant au juge constitutionnel, il reconnaît, dans sa décision du 13 juillet 2011, qu'il est possible de limiter le droit d'appel, si l'intéressé dispose d'autres moyens de contester utilement la décision qui le frappe. 

En l'espèce, la décision se situe, sur ce point, dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure. Jeremy F. est poursuivi devant le juge pénal pour une infraction qui est loin d'être mineure, et il n'est pas jugé par la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire. 

Noce Blanche. Jean-Claude Brisseau. 1989. Bruno Cremer et Vanessa Paradis

La première question préjudicielle

Si le fond de la décision n'a rien de surprenant, son caractère inédit réside dans l'utilisation par le Conseil constitutionnel de la question préjudicielle. Il a en effet demandé à la Cour de justice de l'Union européenne de lui donner l'interprétation authentique de l'article 27 de la décision-cadre du 13 juin 2002 qui impose à l'Etat requis de statuer dans un délai de 30 ajours après la demande d'extension du mandat d'arrêt européen. La Cour a répondu, le 30 mai 2013, que cette condition de délai n'interdit pas aux Etats d'organiser un recours, si leur système juridique l'autorise ou l'impose.

Le Conseil constitutionnel estime donc logiquement que Jeremy F. et, derrière lui, toutes les personnes victimes d'une extension du mandat d'arrêt européen les concernant, doivent pouvoir former un pourvoi en cassation contre la décision de la chambre de l'instruction. Il n'en demeure pas moins que ce recours reste enfermé dans un délai extrêmement bref. On imagine mal comment, concrètement, la Chambre de l'instruction, puis la Cour de cassation pourront se prononcer successivement dans l'espace de trente jours. Il est donc probable que cette décision provoquera une modification législative de l'article 695-46-4 cpp. 

Pour le moment, Jeremy F. n'obtient qu'une satisfaction morale. Son procès s'est ouvert, en effet, le 10 juin 2013, devant le tribunal de Lewes, dans le sud de l'Angleterre. Les autorités britanniques n'ont pas voulu attendre la publication de la décision du Conseil constitutionnel, intervenue quatre jours après. Autant dire que les règles gouvernant le mandat d'arrêt européen dans l'Etat requis ont bien peu de valeur pour l'Etat requérant dès lors que la personne poursuivie est de retour sur son territoire, surtout lorsque c'est le territoire britannique. A l'inverse, lorsqu'il s'agit de demander aux mêmes autorités britanniques l'extradition de Rachid Ramda, poursuivi pour avoir participé aux attentats du RER parisien en 1995, le droit britannique se montre beaucoup plus attaché au droit de recours et fait attendre l'Etat demandeur, en l'espèce la France,  une bonne dizaine d'années.