La Cour européenne des droits de l'homme a rendu, le 4 juin 2013, une décision très attendue sur la conformité de la procédure contentieuse devant le Conseil d'Etat au principe d'égalité des armes issu de l'article 6 de la Convention. Ceux qui attendaient que les juges européens opèrent une véritable destruction de la procédure administrative contentieuse sont certainement déçus, car la décision prononce l'irrecevabilité de la requête.
Le Conseil d'Etat sous la menace de la Cour européenne
Un administré devant le Conseil d'Etat Cherchez Hortense. Pascal Bonitzer 2012. Jean-Pierre Bacri et Claude Rich |
Rapporteur public et avocat général
La jurisprudence intervenue à propos de l'avocat général à la Cour de cassation, en 1998 incitait à penser que la Cour pourrait sanctionner le défaut de communication du rapport et du projet de décision aux parties. Dans un arrêt Reinhardt et Slimane Kaïd c. France, la Cour européenne avait, en effet, considéré que cette lacune, lorsqu'elle se produit devant la Cour de cassation, "ne s'accorde pas avec les exigences du procès équitable". A la suite de cet arrêt, une réforme a d'ailleurs été engagée, décidant non pas de communiquer le projet de décision aux parties, mais empêchant désormais l'avocat général d'y avoir accès.
Dans l'affaire Marc-Antoine, la Cour européenne ne dit pas en quoi la situation du rapporteur public devant le Conseil d'Etat est différente de celle de l'avocat général à la Cour de cassation. Tout au plus affirme t elle que le requérant n'a pas démontré que le rapporteur public est une "partie", au sens de l'article 6 de la Convention. Dès lors, le principe de l'égalité des armes ne s'applique pas. Certes, mais pourquoi l'avocat général est-il une "partie" dans le contentieux judiciaire, alors que le rapporteur public ne l'est pas dans le contentieux administratif ? La Cour ne donne aucun éclairage sur ce point.
Le requérant, oublié de la procédure
De manière plus pragmatique, la Cour refuse de dissocier le rapport et le projet de décision. Elle affirme que le rapport n'est qu'un "simple résumé des pièces" du dossier et le projet de décision n'est qu'un "document de travail interne à la formation de jugement". Leur communication au requérant ne présente donc aucun intérêt pour lui, dès lors que le commissaire du gouvernement reprend l'ensemble de l'affaire et que le requérant peut faire connaître ses ultimes observations après ses conclusions et avant le délibéré. Là encore, le raisonnement peut surprendre. Une pièce n'est pas communicable au requérant tout simplement parce que l'absence de communication ne lui porte pas un réel préjudice, au regard de ses droits de la défense. Ne serait-ce pas à lui d'en juger ? Et si la pièce ne présente pas d'intérêt pour lui, en quoi serait il préjudiciable à la procédure contentieuse d'en prévoir la communication ?
Une nouvelle fois, la décision Marc-Antoine vient conclure par l'irrecevabilité une affaire portant sur la procédure contentieuse devant le Conseil d'Etat. Il est évident que l'absence de communication du rapport et du projet d'arrêt ne cause pas au requérant un grand préjudice, mais la décision laisse tout de même une impression un peu étrange. C'est ainsi qu'elle se caractérise par la tierce intervention de l'ordre des avocats aux conseils et du Conseil national des barreaux. Tous en choeur affirment la nécessité de laisser les choses en l'état, dès lors que "les membres de la corporation (...) n'ont jamais été amenés à se plaindre du système critiqué par le requérant". Les revendications des requérants importent peu si les professionnels du droit public ne les reprennent pas à leur compte. Le plus important n'est-il pas qu'ils fassent bloc autour de "leur" juridiction ? On peut penser que le Conseil d'Etat, qui sait toujours très bien protéger ses intérêts, n'est pas étranger à cette belle unanimité.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire