Notion d'atteinte au secret des sources
L'un des intérêts du projet est de définir la notion d'atteinte au secret des sources d'un journaliste comme "le fait de chercher à découvrir ses sources au moyen d'investigations portant sur sa personne ou sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d'identifier ces sources". Cette définition conserve la trace de souvenirs vécus, lorsque les services de renseignements espionnaient un magistrat en poste au cabinet du ministre de la justice, soupçonné de donner des informations au Monde, lors de l'affaire Woerth-Bettencourt. L'atteinte au secret des sources ne protège pas seulement le journaliste, mais aussi, précisément, celui ou celle qui lui communique des informations.
Influence de la jurisprudence de la Cour européenne
Nothing but the Truth. Rod Lurie. 2008. Alan Alda, Kate Beckinsale, Matt Dillon |
Elargissement des bénéficiaires du droit à la protection des sources
L'élément essentiel de ce projet réside sans doute dans l'élargissement des bénéficiaires de ce droit au secret des sources. La loi Dati adoptait une définition relativement étroite du journaliste, comme "toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d'informations et leur diffusion au public". Cette définition traditionnelle du journaliste comme salarié d'une entreprise de presse ou de communication n'a pas été considérée comme suffisante. Le projet de loi élargit donc la liste des bénéficiaires du droit à la protection des sources aux "collaborateurs" d'une rédaction, c'est à dire au personnel qui n'a pas de carte de presse, ainsi qu'aux pigistes, collaborateurs occasionnels.
Le résultat de cet élargissement est une certaine dilution dans la définition des bénéficiaires du droit à la protection du secret des sources. Pourquoi les pigistes et pas, par exemple, les titulaires de blogs sur internet qui, dans certains cas, font quasiment profession de journalistes ? Comment définir le "collaborateur" d'une rédaction ? Le responsable du standard ou du service du courrier a-il droit à cette garantie ? La réponse à ces questions ne figure pas dans le projet.
Limitation et encadrement des atteintes au secret
Alors que la liste des bénéficiaires du droit à la protection du secret des sources s'allonge, les possibilités de porter atteinte à ce secret se réduisent. La principale garantie réside dans l'intervention d'un juge, soit lors d'une enquête de police judiciaire, soit lors d'une instruction.
L'essentiel de l'apport du projet de loi réside cependant dans une définition plus précise des motifs pour lesquels il est possible de porter atteinte au secret des sources. La loi Dati l'autorisait "si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie", formule d'une imprécision telle qu'elle permettait toutes les investigations possibles. Le projet de loi précise qu'une atteinte au secret des sources ne peut être décidée par le juge que "pour prévenir ou réprimer la commission soit d'un crime, soit d'un délit constituant une atteinte grave à la personne ou aux intérêts fondamentaux de la Nation", à la condition que les mesures envisagées soit "strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi". La référence à l'exigence de proportionnalité imposée par la Cour européenne apparaît très nettement dans cette formulation. En revanche, force est de constater que la notion d'"intérêts fondamentaux de la Nation" demeure floue. Ces "intérêts fondamentaux" peuvent recouvrir la défense et la diplomatie, mais ils peuvent aussi être élargis à toute une série d'autres préoccupations économiques, industrielles, voire environnementales ou culturelles.
La presse voit dans cette formulation un retour à une ingérence de l'Etat dans les sources des journalistes. Mais le législateur peut-il réellement consacrer un secret absolu des sources des journalistes, qui s'imposerait même au juge ? On ne voit pas pourquoi le secret des sources journalistiques aurait une intensité supérieure au secret des affaires qui protège l'entreprise ou secret de la vie privée qui protège l'individu. Dans les deux cas, le secret cède devant des considérations liées à la recherche des infractions ou aux intérêts supérieurs de l'Etat, et personne ne le conteste sérieusement. Le secret des sources, comme n'importe quel autre secret, s'exercera donc dans le cadre de la loi qui l'organise et avec les limites qu'elle définit. Il appartiendra au juge d'en préciser les contours, et il est vrai qu'il dispose sur ce point d'un large pouvoir. Nul doute qu'il se référera aux critères déjà définis par la Cour européenne, notamment celui reposant sur l'intérêt du débat public auquel la presse participe. Il est vrai que le projet de loi renforce une nouvelle fois le pouvoir discrétionnaire du juge, mais celui-ci demeure préférable au pouvoir discrétionnaire du ministre de l'intérieur.