« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 3 juin 2013

Mandat d'arrêt européen : La CJUE répond à la question préjudicielle posée par le Conseil constitutionnel

 Le 30 mai 2013, la Cour de justice de l'Union européenne a répondu à la question préjudicielle posée par le Conseil constitutionnel le 4 avril 2013 sur l'interprétation qu'il convient de donner aux dispositions de la décision-cadre du 13 juin 2002 relatives à l'extension du mandat d'arrêt européen. A l'époque, cette question préjudicielle avait agité les commentateurs. Certains y voyaient la reconnaissance par le Conseil constitutionnel de la supériorité du droit de l'Union européenne sur la Constitution. Emportés par leur enthousiasme européen, ils oubliaient que le fondement de l'intégration du droit de l'Union dans notre système juridique réside précisément dans la Constitution...Quoi qu'il en soit, la réponse est passée inaperçue, alors même qu'elle conditionne évidemment la décision que rendra bientôt le Conseil constitutionnel.

La procédure d'urgence

Observons d'emblée que la CJUE accepte la procédure d'urgence demandée par le Conseil constitutionnel, sur le fondement des articles 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et 107 de son règlement de procédure. La Cour se réfère certes à la demande du Conseil qui invoquait le délai de trois mois dans lequel il est tenu de statuer, en matière de QPC. Mais elle ajoute que le requérant est actuellement privé de liberté, et que la solution du litige emportera certainement des conséquences sur la durée de cette privation. 

Extension du mandat d'arrêt

On se souvient que M. Jeremy F., citoyen britannique, fait l'objet d'un mandat d'arrêt européen émis à l'origine par le Royaume-Uni pour détournement de mineur. Professeur de mathématiques au Royaume-Uni, et âgé de trente ans, il s'est enfui avec l'une de ses jeunes élèves, âgée de quinze ans et demi, et a été arrêté à Bordeaux. Par la suite, les autorités britanniques ont décidé, après enquête, d'étendre ce mandat d'arrêt à l'infraction d'atteintes sexuelles, passible, dans ce pays, de quatorze années de prison. C'est donc sur ce fondement nouveau qu'il est actuellement en détention provisoire.

Sur le plan procédural, les autorités britanniques sollicitent ainsi une extension du mandat d'arrêt à d'autres poursuites, pour d'autres infractions. Une telle procédure est autorisée par l'article 27 de la décision-cadre du 13 juin 2002. Elle suppose néanmoins le consentement de l'Etat requis, en l'espèce les autorités françaises. Mettant en oeuvre cette décision-cadre, l'article L 695-46 al. 4 du code de procédure pénale (cpp) énonce que la Chambre de l'instruction se prononce sur ce consentement et "statue sans recours (...), dans le délai de trente jours à compter de la réception de la demande".

Absence de recours

C'est précisément cette absence de recours que conteste le requérant, auteur de la QPC. Il y voit une atteinte au droit au procès équitable et à l'égalité devant la loi, dès lors que l'absence de recours en cassation entrave l'unité d'interprétation des textes.

Il faut bien reconnaîtte que Jeremy F. n'est pas sans arguments de fond. En effet, le mandat d'arrêt européen impose la règle de la double incrimination, qui signifie simplement que le comportement  reproché à l'intéressé doit être illicite dans les deux pays, le demandeur et le requis. Or, la majorité sexuelle, c'est à dire l'âge auquel un mineur peut entretenir des relations sexuelles avec un adulte, est fixée à quinze ans en France et à seize en Grande Bretagne. Cette différence d'une année a des conséquences considérables, puisque la jeune fille séduite par son professeur de maths a précisément quinze ans et demi. L'article L 695-23 cpp énonce cependant que le contrôle de la double incrimination peut être écarté lorsque les agissements incriminés concernent "l'exploitation sexuelle des enfants et la pornographie infantile". Jeremy F. estime, quant à lui, que son cas ne concerne pas la pornographie infantile, et que le contrôle de la double incrimination doit conduire à exclure l'extension du mandat d'arrêt à une infraction dont il n'est pas coupable, en droit français. Il lui semble donc naturel de pouvoir contester devant le juge français l'extension du mandat d'arrêt européen qui le concerne.


La Polka des menottes. Raoul André. 1956

Les deux interprétations successives

Pour répondre à la QPC, le Conseil constitutionnel doit interpréter l'article 88-2 de la Constitution qui habilite le législateur à fixer "les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris par les institutions de l'Union européenne". Autrement dit, le législateur applique les règles fixées par la décision-cadre du 13 juin 2002 de l'Union européenne, mais sur une habilitation donnée par l'article 88-2 de la Constitution. L'article 88-2 permet ainsi de couvrir les cas d'inconstitutionnalité ouverts par le droit de l'Union.

Mais pour interpréter l'article 88-2 de la Constitution, le Conseil constitutionnel doit, au préalable, obtenir une interprétation authentique de l'article 27 de la décision cadre de l'Union européenne. Celui-ci ne prévoit pas expressément l'interdiction du recours en matière d'extension du mandat d'arrêt européen. Il se borne à imposer aux autorités de l'Etat requis de statuer dans un délai de trente jours après réception de la demande d'extension. Ces dispositions interdisent-elles tout recours qui empêcherait que la décision soit acquise dans un délai de trente jours ou imposent-elle seulement qu'une décision soit prise dans ce délai, sans interdire un éventuel recours ultérieur ?

Un recours laissé à la compétence des Etats

La CJUE, dans sa réponse, observe que la décision-cadre est tout simplement muette sur la question du recours : "la décision-cadre ne réglemente pas la possibilité pour les Etats membres de prévoir un recours juridictionnel suspensif" contre les décisions concernant le mandat d'arrêt européen. De ce silence, la Cour déduit logiquement qu'"une telle absence de réglementation ne signifie pas que la décision-cadre empêche les Etats de prévoir de prévoir un tel recours ou leur impose de l'instituer". Les Etats demeurent donc totalement libres d'organiser, ou non, un recours, selon les exigences de leur système juridique. La seule condition est, recours ou non, que la décision d'extension du mandat d'arrêt intervienne dans les délais fixés par la décision-cadre, c'est à dire dans les trente jours, délai extrêmement bref.

Dans ces conditions, on ne voit pas ce qui pourrait faire obstacle à l'examen, par le Conseil constitutionnel, de la conformité de l'article L 695-46-4 cpp  aux principes constitutionnels que sont le droit au juste procès ou l'égalité devant la loi. On ne voit pas davantage sur quel fondement le Conseil pourrait déclarer qu'une décision dépourvue de tout recours est conforme à la Constitution. Pour avoir la réponse définitive, il est cependant indispensable d'attendre la décision du Conseil constitutionnel.

mercredi 29 mai 2013

Supplément au mariage pour tous : la citation du jour


Hyacinthe Rigaud. Portrait de Jean de la Fontaine 1690


Jean de La Fontaine, Fable XX

LA DISCORDE


La Déesse Discorde ayant brouillé les Dieux,
Et fait un grand procès là-haut pour une pomme,
On la fit déloger des Cieux.
Chez l'Animal qu'on appelle Homme
On la reçut à bras ouverts,
Elle et Que-si-que-non, son frère,
Avecque Tien-et-mien son père.
Elle nous fit l'honneur en ce bas Univers
De préférer notre Hémisphère
A celui des mortels qui nous sont opposés ;
Gens grossiers, peu civilisés,
Et qui, se mariant sans Prêtre et sans Notaire,
De la Discorde n'ont que faire.
Pour la faire trouver aux lieux où le besoin
Demandait qu'elle fût présente,
La Renommée avait le soin
De l'avertir ; et l'autre diligente
Courait vite aux débats et prévenait la Paix,
Faisait d'une étincelle un feu long à s'éteindre.
La Renommée enfin commença de se plaindre
Que l'on ne lui trouvait jamais
De demeure fixe et certaine.
Bien souvent l'on perdait à la chercher sa peine.
Il fallait donc qu'elle eût un séjour affecté,
Un séjour d'où l'on pût en toutes les familles
L'envoyer à jour arrêté.
Comme il n'était alors aucun Couvent de Filles,
On y trouva difficulté.
L'Auberge enfin de l'Hyménée

Lui fut pour maison assignée.



Henri Rousseau. La guerre. 1894

La vie privée du simple quidam n'est pas un roman

La 17è chambre du TGI de Paris a condamné, le 27 mai, Christine Angot et son éditeur Flammarion à verser 40 000 € de dommages et intérêts à Elise Bidoit, qui les poursuivait pour atteinte à la vie privée.

Mais qui est donc Elise Bidoit ? Elle ne jouit d'aucune notoriété, et ne la recherche pas. Elle est une personne comme vous et moi, un "simple quidam" dans le sens où l'entendait Guy Béart. Son seul problème, mais il est de taille, est d'avoir été mariée au compagnon de Christine Angot et d'être la mère de ses enfants.

L'écrivain n'a pas hésité à raconter l'histoire de ce couple, mais aussi et surtout celle d'Elise Bigoit, dans son roman "Les Petits". La présentation de l'éditeur affirme que "l'auteur dévoile le côté sombre de la puissance féminine et l'utilisation par certaines femmes d'un pouvoir maternel tentaculaire". Certes, Elise Bidoit y est présentée sous le pseudonyme d'Hélène, mais tous les détails de sa vie sont présentés dans le livre et relatés sans complaisance particulière. 

Les écrivains se nourrissent évidemment de ce qu'ils voient, pillent la vie des autres, dépeignent les vices et les ridicules de ceux qui les entourent. Beaucoup d'artistes vampirisent leur entourage, et certains le font avec talent. La seule règle posée par le droit est que cette peinture, même cruelle, doit demeurer dans l'ordre de la fiction littéraire, ce qui exclut que l'on puisse formellement identifier les personnages du roman.

Le caractère identifiable du personnage

On voit pourtant se multiplier les livres ancrés dans le réel qui racontent une histoire vécue, la liaison amoureuse de l'un, le divorce de l'autre. Souvenons de Patrick Poivre d'Arvor publiant des lettres privées envoyées par une ex-compagne, ou plus récemment de Lionel Duroy évoquant ses relations tendues avec son fils. Tous deux ont été condamnés, non pas pour l'histoire qu'ils racontent, mais parce que tous les lecteurs avaient reconnu le personnage ainsi exposé sur la place publique, sans son consentement.


Guy Béart. Le Quidam. 1958


Le caractère fictionnel de l'oeuvre

Dans ce type de contentieux, la question essentielle est donc celle du caractère identifiable ou non du personnage. On peut alors évoquer une sorte de "pacte fictionnel". Lorsqu'un personnage relève de la fiction littéraire, il n'est évidemment pas titulaire de droits et il n'a pas de vie privée à faire respecter. En revanche, lorsqu'il est identifiable, il est  une personne physique qui peut demander au tribunal de garantir le respect de sa vie privée et d'indemniser l'éventuel préjudice causé par sa divulgation. Il appartient alors au requérant de montrer que les lecteurs n'ont pas perçu l'oeuvre comme fictionnelle et ont parfaitement identifié le personnage.

En l'espèce, le juge observe que "les liens des personnages du livre avec la réalité de la vie d'Elise Bidoit sont particulièrement forts, étroits et insistants. Qu'à l'évidence, ces personnages, et notamment celui d'Hélène, sont loin d'être des ‘êtres de papier’ pour reprendre la formule de Paul Valéry; qu'en effet, dans ce livre, la réalité de la vie de la demanderesse est reproduite tant dans les détails banals que dans des aspects les plus intimes". Le caractère non fictionnel de l'oeuvre est donc déduit de l'accumulation des détails sur la vie privée de la plaignante et surtout sur son histoire la plus intime, celle de sa vie conjugale. Dans l'affaire qui opposait Patrick Poivre d'Arvor à son ancienne compagne, le TGI de Paris, statuant le 11 septembre 2011, s'est ainsi fondé sur "l'excessive ressemblance" du personnage avec la plaignante et sur la citation servile des lettres envoyées à l'auteur et réutilisées par lui à des fins "romanesques".

Il est vrai que les juges font preuve de prudence dans cette appréciation de l'oeuvre. La Cour européenne, dans une décision du 25 janvier 2007 Vereinigung Bildender Künstler c. Autriche, énonce que les juges doivent "examiner avec une attention particulière toute ingérence dans le droit d'un artiste". Mais cette ingérence doit néanmoins être sanctionnée lorsque l'artiste décide de quitter l'univers de la fiction.

Notoriété temporaire du simple quidam

Les avocats de Christine Angot soutenaient cependant le juge que l'identification de la plaignante était de son fait. N'avait-elle pas donné une interview au Nouvel Obs sur cette affaire, se plaignant du préjudice dont elle était victime ?  L'argument ne manque pas de cynisme, car il revient à affirmer qu'elle n'aurait pas le droit de se plaindre publiquement d'une atteinte à sa vie privée, alors même que cette dernière a été livrée au public. Le juge ne s'y est pas trompé, et a réfuté l'argument avec une certaine sécheresse : "Un tel raisonnement allant jusqu'à dénier à la plaignante une quelconque vie sociale, voire l'existence même d'un environnement humain, ne peut à l'évidence être suivi par le tribunal".  
 
Le juge reconnaît que "le droit à la vie privée n'est pas réservé aux personnes qui jouissent d'une quelconque célébrité". Par hypothèse, le "simple quidam" n'a pas d'activités publiques justifiant que sa vie privée soit exposée. En cela, il bénéficier d'une protection plus étendue que celle accordée aux personnes jouissant d'une notoriété particulière. Dans leur cas, le juge admet que certains éléments de leur vie privée puissent être connus, que leur image puisse être captée dans leurs activités publiques, et même parfois que les nécessités du débat public autorisent certaines divulgations. Elise Bidoit, anonyme et qui entend le rester, n'entre dans aucune de ces dérogations, et doit donc bénéficier d'une protection complète de sa vie privée. 
 
Le juge se montre particulièrement sévère à l'égard de Christine Angot, car en 2009 Elise Bidoit avait déjà engagé une action contre un précédent livre, "Le marché des amants". Une transaction avait finalement été acceptée, l'auteur versant 10 000 € à la plaignante et s'engageant à ne pas récidiver. Cette transaction a donc été violée, et ce second roman a alors pu susciter, chez la victime un sentiment "d'impuissance, voire de persécution". Sans qu'il s'agisse de circonstance aggravante, puisque nous ne sommes pas dans le domaine pénal, le juge a certainement tenu compte de cette situation pour augmenter le montant des dommages-intérêts dus par l'auteur et son éditeur.
 
Au delà du cas d'espèce, la décision du 26 mai permet de mettre en lumière les limites juridiques de la création artistique. Certes, l'artiste peut se nourrir de la vie des autres, mais il ne peut la piller, la jeter en pâture au public, l'exploiter commercialement sans rendre des comptes. Le juge pose ainsi une règle de protection élémentaire, que la simple élégance aurait sans doute pu dicter aux auteurs.


dimanche 26 mai 2013

Le statut de témoin assisté, un état précaire qui ne présage rien de bon

Le statut de témoin assisté fait l'objet non seulement d'une exceptionnelle visibilité médiatique, mais aussi de commentaires qui cumulent les contresens les plus graves. Le 25 mai 2013, Christine Lagarde, actuelle Directrice du FMI et ancien ministre de l'économie a été placée sous statut de témoin assisté par la Cour de justice de la République (CJR). Cette décision intervient dans le cadre de l'instruction concernant l'arbitrage dont Bernard Tapie a bénéficié en juillet 2008 dans le litige qui l'opposait au Crédit Lyonnais sur les conditions de la vente de la société Adidas. Elle a alors déclaré devant les journalistes : "Mon statut de témoin assisté n'est pas une surprise pour moi, puisque j'ai toujours agi dans l'intérêt de l'Etat et conformément à la loi"

Eléments de langage

Quelques mois auparavant, en novembre 2012 Nicolas Sarkozy, avait également été placé sous le même statut, dans l'affaire Bettencourt. A l'issue de son audition, son avocat Maître Thierry Herzog, s'était exprimé en ces termes à Europe 1 : " Par définition, un témoin assisté ne peut pas faire l'objet d'un quelconque procès (...) Les juges ont estimé qu'il n'y avait aucune charge, aucun indice grave et concordant" à l'encontre de l'ancien chef de l'Etat. Et d'affirmer que son client "ne peut plus être mis en examen. C'est le code de procédure pénale qui le prévoit".

De ces déclarations, l'auditeur ou le téléspectateur déduisent certainement que le statut de témoin assisté est la reconnaissance éclatante de l'innocence de l'intéressé par le juge chargé de l'instruction. Pour Christine Lagarde, c'est même une récompense, ou presque. Elle serait en effet témoin assisté parce qu'elle a agi "dans l'intérêt de l'Etat". Quant à Nicolas Sarkozy,  il bénéficierait de ce statut réservé aux innocents, précisément pour le mettre à l'abri d'une mise en examen. Doit-on en déduire que le statut de témoin assisté est une mesure honorifique récompensant des hommes et des femmes politiques dévoués au service public ?

Pas tout à fait. Au-delà des éléments de langage soigneusement préparés, le statut de témoin assisté s'inscrit dans un cadre juridique très précis.

Un état intermédiaire

Le statut de témoin assisté trouve son origine dans la volonté de protéger les personnes visées par une plainte avec partie civile. Jusqu'en 1987, il n'existait que deux statuts possibles, celui de témoin et celui d'inculpé (devenu ensuite "mis en examen"). Lorsqu'une personne portait plainte contre une autre, le juge d'instruction, pour garantir les droits de la défense et garantir l'accès au dossier de l'intéressé, n'avait donc pas d'autre choix que de l'inculper. Une telle procédure pouvait faire l'objet d'une utilisation perverse, par exemple lorsque les dirigeants d'une entreprise portaient plainte contre les dirigeants d'un concurrent, pour le déstabiliser économiquement, ou lorsqu'une épouse en cours de divorce portait plainte contre son mari pour violences sur ses enfants dans le seul but de lui en interdire la garde.  

Le statut de témoin est destiné à éviter ce type d'inconvénient, par la création d'une sorte d'état intermédiaire, entre l'audition comme simple témoin et la mise en examen. La loi du 30 décembre 1987 énonce que toute personne nommément désignée dans une plainte avec constitution de partie civile peut demander, lorsqu'elle est entendue comme témoin, à bénéficier des droits reconnus aux personnes mises en examen, c'est à dire concrètement à l'exercice des droits de la défense (art. 104 cpp). La loi du 24 août 1993 étend ensuite cette possibilité à toute personne nommément désignée par le réquisitoire du procureur, lorsque le juge d'instruction estime ne pas devoir la mettre en examen. La loi du 15 juin 2000 uniformise enfin le statut de témoin assisté et précise les droits dont il dispose.

Les bonnes causes. Christian-Jaque 1963
Marina Vlady le témoin,
André Bourvil le juge d'instruction, Pierre Brasseur l'avocat

Des indices rendant vraisemblable.....

Contrairement à ce qui a été affirmé par Christine Lagarde et Thierry Herzog, le statut de témoin assisté n'est pas réservé à ceux ou celles que le juge d'instruction veut désigner comme innocents. L'article 113-2 cpp énonce qu'il peut concerner "toute personne mise en cause par un témoin ou contre laquelle il existe des indices rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission des infractions". Dans le cas de Christine Lagarde, l'instruction a été ouverte en août 2011 pour complicité de faux et complicité de détournement de fonds publics. Dans celui de Nicolas Sarkozy, on se souvient que l'infraction visée est l'abus de faiblesse à l'égard de Liliane Bettencourt.

La mise d'une personne sous statut de témoin assisté est conditionnée par l'existence d"'indices laissant penser" qu'elle a pu participer à la commission d'une infraction, comme auteur ou complice. La différence est finalement assez ténue, sur ce plan, avec la mise en examen qui s'appuie sur l'existence d'"indices graves, précis et concordants", rendant vraisemblable la participation de l'intéressé aux infractions constatées (art. 80 al. 1 cpp.). Entre les "indices rendant vraisemblable" et les "indices graves précis et concordants", le choix entre le statut de témoin assisté et la mise en examen repose finalement sur le pouvoir discrétionnaire du juge chargé de l'instruction. La plupart des commentateurs de la loi de 2000 observent d'ailleurs que le statut de témoin assisté peut parfaitement être accordé à quelqu'un contre lequel il existe des indices, et même des indices graves et concordants. Les critères du choix demeurent à la discrétion du juge, et, parmi ces critères, rien ne lui interdit de tenir compte de la notoriété de la personne concernée, tant il est vrai que la présomption d'innocence est beaucoup plus difficile à protéger lorsque l'intéressé est placé sous les yeux des médias.

Un statut changeant

Ce pouvoir d'appréciation est parfaitement conforme au droit pénal qui fait reposer l'instruction sur l'intime conviction du juge qui en est chargé. C'est si vrai qu'il peut décider le passage du statut de témoin assisté à celui de mis en examen, sous la seule condition d'informer l'intéressé de son intention et de le mettre en mesure de présenter ses observations. La Cour de cassation, dans une décision du 29 mars 2006 a d'ailleurs précisé que, pour procéder à ce changement de statut, le juge n'a pas besoin de réunir des éléments nouveaux. Cette mise en examen d'un témoin assisté peut intervenir à tout moment de l'instruction, la seule condition étant qu'il existe effectivement des "indices graves, précis et concordants" de participation à la commission de l'infraction. Peu importe même qu'aucun acte d'instruction n'ait été réalisé entre l'audition de l'intéressé en sa qualité de témoin assisté et sa mise en examen (Crim. 13 septembre 2011). Rien n'interdit au juge de procéder en deux temps pour les personnes ayant une notoriété particulière, dans le seul but d'atténuer quelque peu l'acharnement des médias.

buste du Professeur  Louis Hubert Farabeuf  

Le statut de témoin assisté est donc un statut mobile. D'une manière ou d'une autre, il doit évoluer, soit vers l'abandon des poursuites, soit vers la mise en examen. Nicolas Sarkozy en offre une illustration très médiatisée, puisqu'il est passé du statut de témoin assisté en novembre 2012 à celui de mis en examen quelques mois plus tard, en mars 2013. Son avocat aurait sans doute dû se montrer un peu plus prudent, et éviter d'affirmer haut et fort que le statut de témoin assisté interdit, en tant que tel, une mise en examen.

 Après la mésaventure de M. Sarkozy, les amis de Christine Lagarde devraient sans doute faire preuve d'un peu de prudence. Car le statut de témoin assisté est, comme la santé pour le professeur Louis-Hubert Farabeuf, un "état précaire qui ne présage rien de bon".


vendredi 24 mai 2013

La révision d'un procès pénal : Le crime était presque parfait

La Chambre criminelle de la Cour de cassation, siégeant comme cour de révision le 15 mai 2013, vient de rendre une décision qui reste exceptionnelle. Elle fait droit en effet à une requête en révision introduite par Abdelkader Azzimani et Abderrahim El Jabri, et annule la décision de la cour d'assises des Pyrénées orientales du 23 juin 2004 qui les condamnait en appel chacun à vingt années d'emprisonnement, pour un crime commis à Lunel en 1997. 

Le profil idéal

Les deux condamnés présentaient, il est vrai, le profit idéal. Trafiquants de drogue, ils étaient les derniers à avoir vu la victime vivante, un petit dealer de cannabis, accusé d'être peu scrupuleux tant avec ses clients qu'avec ses fournisseurs. Frappé de plus d'une centaine de coups de couteaux, son corps avait été retrouvé dans un fossé. Les policiers chargés de l'enquête ont donc suivi la piste du règlement de compte, et ils ont appréhendé Abdelkader Azzimani et Abderrahim El Jabri, déjà poursuivis pour trafic de stupéfiants. Toute une série d'éléments les accablent : une forte somme d'argent trouvée au domicile de l'un des accusés, un rendez vous avec la victime le soir même du crime pour lui fournir du cannabis, et enfin un témoin qui affirme avoir vu la victime portant des tâches de sang sur le torse, soutenue par les deux accusés dans un chemin proche où il circulait en voiture. Devant ces preuves accablantes, le jury d'assises de l'Hérault n'a donc pas hésité à prononcer une peine sévère en mai 2003, confirmée en appel par la Cour d'assises des Pyrénées orientales en 2004. Le pourvoi en cassation a ensuite été rejeté en 2005.

La presse va cependant s'intéresser à ces condamnés qui persistent à clamer leur innocence, et leur famille louer les services d'un détective privé. Le maillon faible réside dans le témoin oculaire, qui affirme avoir assisté à l'altercation entre la victime et les condamnés, et qui finalement se rétracte devant les caméras de FR3. Une nouvelle information est donc confiée à un autre juge d'instruction en 2009. Et c'est seulement en 2010 qu'une expertise ADN permet de déceler sur le véhicule de la victime les traces d'une autre personne. L'audition de cette dernière a enfin conduit à identifier deux complices qui avouent l'assassinat, pour des motifs également liés au trafic de drogue.

Le faux coupable. Alfred Hitchcock. 1956


L'erreur judiciaire : une pluralité de causes

Toutes les affaires conduisant à une révision portent la marque de l'erreur judiciaire, qui est généralement le résultat d'une pluralité de causes. Celle-ci ne fait pas exception. L'enquête s'est orientée très tôt, vers le suspect le plus évident, se fiant entièrement à un témoin oculaire, et éliminant de manière prématurée d'autres pistes possibles. D'autre part, les moyens de police scientifique étaient beaucoup plus sommaires en 1997 qu'aujourd'hui. On ne savait pas, à l'époque, traiter les mélanges d'ADN qui avaient été découvert sur la voiture de la victime. Enfin, il faut bien le reconnaître, la chance n'est pas absente de la procédure de révision. En l'espèce, l'enregistrement du profil ADN du coupable sur le fichier des empreintes génétiques avait été réalisé en 2009, ce qui a permis son identification en 2010.

Un fait nouveau de nature à faire naître un doute

Ces preuves scientifiques, la rétractation du témoin principal et les aveux des vrais coupables constituent à l'évidence "un fait nouveau ou un élément inconnu de la juridiction au jour du procès, de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné". Cette formulation de l'article 622-4 du code de procédure pénale est issue de la loi du 23 juin 1989 est plus libérale que l'ancien texte qui affirmait que ce "fait nouveau ou pièce inconnue" devait être "de nature à établir l'innocence du condamné". 

Du doute à la certitude

Comme dans la présente affaire, le juge n'hésite pas à admettre ce doute lorsqu'un tiers a avoué être l'auteur du crime. Tel était le cas dans l'affaire Marc Méchin, après qu'un SDF ait spontanément reconnu être l'auteur de l'assassinat d'une jeune femme, près du Pont de Neuilly. La Cour de révision a donc fait droit à sa demande dans une décision du 13 avril 2010. Tel est le cas aussi lorsque la victime reconnaît avoir porté de fausses accusations. Dans une décision du même jour, le 13 avril 2010, la Cour de révision annule la condamnation à seize ans de réclusion d'un homme accusé à tort de violences sexuelles par une adolescente de quatorze ans, qui s'est rétractée huit années plus tard. Tel est le cas enfin lorsque la condamnation repose sur l'unique déposition d'un témoin, contredite par un ensemble de témoignages postérieurs au jugement.

De cette jurisprudence, au demeurant très peu abondante, on déduit que les faits nouveaux ne sont pas vraiment "de nature à faire naître un doute". Ils établissent en réalité la preuve éclatante de l'innocence du condamnant, le plus souvent en démontrant la culpabilité d'un tiers. Les juges se montrent ainsi plus exigeants que la loi.

En témoigne la célèbre affaire Patrick Dils (décision de la Cour de révision du 3 avril 2001). Dans ce cas, le doute sur la culpabilité de Dils venait de la présence sur les lieux de l'assassinat de deux enfants, d'un tueur en série, Francis Heaulme, dont les crimes avaient été découverts après le procès. En soi, cependant cette présence ne suffisait pas à semer le doute sur la culpabilité de Dils. Après ouverture d'une nouvelle instruction, ce sont des preuves de police scientifique apportée par l'Institut de recherches criminelles de la gendarmerie (IRCGN) qui ont permis de démontrer l'innocence de Dils. Là encore, l'exigence du doute s'est transformée en exigence de la preuve de l'innocence. 

Lorsque cette preuve de l'innocence du condamné n'est pas apportée, force est de constater que le doute ne suffit pas toujours à entraîner une décision de révision. C'est ainsi que, dans une décision du 21 mars 1994, la Cour estime que les contradictions des témoignages, ou les silences inexpliqués des témoins ne sont pas considérés comme suffisants pour remettre en cause une condamnation. Il est vrai que la révision était, dans ce cas, demandée en matière correctionnelle. De la même manière, et en matière criminelle cette fois, la Cour estime, à propos de la demande de révision du célèbre procès Seznec, que les failles de l'instruction et les défauts d'une enquête remontant à 1923 ne suffisent pas à justifier une révision. Aujourd'hui, dans l'affaire Omar Raddad, la Cour de révision a considéré, le 20 novembre 2002, que la présence de plusieurs traces ADN sur les lieux du crime ne suffisait pas à semer le doute sur la culpabilité du jardinier de la victime, dans la mesure où les experts ne pouvaient dire à quel moment ces empreintes avaient été laissées.

Procédure : le filtre de la commission de révision

La révision d'un procès pénal est donc rare, d'autant plus rare que la loi du 17 mai 2011 a modifié l'article 623 du code de procédure pénale, pour permettre au Président de la commission de révision de rejeter par ordonnance motivée toute demande "manifestement irrecevable". Cet examen préalable par une commission de révision peut donc interrompre immédiatement et durablement la procédure. A l'inverse, elle peut aussi conduire à prouver l'innocence du condamné, puisque cette commission peut prendre des actes d'instruction. Elle peut même décider la suspension de l'exécution de la condamnation, lorsque la probabilité du succès de la demande en révision apparaît très élevée, par exemple lorsqu'un tiers est passé aux aveux, ou lorsque la victime s'est rétractée.

Le renvoi

Reste que la décision de révision elle même pose tout de même un problème. D'une manière générale, la Cour de révision décide la révision et procède au renvoi devant une Cour d'assises pour un nouveau procès. Cette procédure résulte de la distinction entre le rescindant et le rescisoire, qui signifie que la Cour de révision se prononce exclusivement sur les cas d'annulation de la procédure, et que la Cour d'assises doit intervenir de nouveau pour proclamer la vérité judiciaire, à partir des faits de l'espèce. 

Le problème est que les justiciables, et plus généralement l'opinion publique, ne comprennent pas très bien la distinction entre le rescindant et le rescisoire. Ils ne voient donc pas la raison pour laquelle on procède à de nouveaux débats pour prononcer une innocence judiciaire déjà établie. Ceci alors même que la loi autorise une annulation sans renvoi, lorsqu'il est impossible de procéder à de nouveaux débats, par exemple lorsque le condamné est décédé ou les faits prescrits. Serait-il totalement impossible de généraliser ce principe de l'annulation sans renvoi, et d'épargner à celui ou celle qui est déjà victime d'une erreur judiciaire une ultime comparution devant les juges ?

mardi 21 mai 2013

Euthanasie : l'affaire Vincent L.

L'ordonnance de référé * rendue le 11 mai 2013 par le tribunal administratif de Châlons en Champagne suscite la réflexion, alors qu'il est question de réformer la loi Léonetti du 22 avril 2005, relative aux droits des malades en fin de vie. 

A l'origine de l'affaire, le cas d'un homme de trente-sept ans, Vincent L.,  hospitalisé dans le service de médecine palliative du CHU de Reims, tétraplégique depuis un grave accident de moto intervenu il y a presque cinq ans. Après avoir été longtemps dans un coma végétatif, il est, depuis août 2011, dans un "état de conscience minimal", ce qui signifie qu'il réagit quelquefois à certains stimuli et témoigne, par une opposition comportementale, son refus de certains gestes médicaux. Il est nourri et hydraté artificiellement, mais ne reçoit pas de traitement particulier, car les médecins n'ont aucun espoir qu'il puisse retrouver davantage de conscience et d'autonomie. 

Euthanasie "passive"

La situation de Vincent L. entre dans le champ d'application de ce qu'il est convenu d'appeler l'"euthanasie passive", formule purement doctrinale. Si elle ne figure pas dans le droit positif, elle permet cependant de rendre compte d'une distinction fondamentale opérée par la loi Léonetti.

Le texte énonce que « les actes de prévention, d'investigation ou de soins doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’il apparaissent inutile, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris ». Cette renonciation aux soins s’applique à la fois aux patients en fin de vie, mais aussi à ceux qui sont atteints d’une pathologie sans risque vital, mais sans espoir de guérison, maladie qui ne leur offre comme perspective qu’une vie végétative (tétraplégie ou coma, par exemple). Dans le cas de Vincent L., les médecins ont réduit l'alimentation par sonde, pour laisser le patient s'éteindre. 

Cette pratique s'oppose à l'"euthanasie active" qui consiste à injecter un produit mortel à un patient atteint d'une maladie incurable, avec son consentement.  La loi Léonetti ne reconnaît pas cette distinction de manière formelle, mais elle interdit néanmoins l'euthanasie active, alors qu'elle tolère l'euthanasie passive, sous certaines conditions.

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Une décision collégiale

En l'espèce, les médecins du CHU de Reims ont mis en oeuvre la procédure prévue par le décret du 29 janvier 2010. Elle prévoit deux hypothèses. Lorsque le patient est conscient, il peut demander la suspension de soin, et les médecins doivent respecter sa volonté. Lorsqu'il est inconscient, ils doivent tenir compte des "directives anticipées" qu'il a éventuellement rédigées ou de l'avis de la "personne de confiance" qu'il a peut-être préalablement désignée. Vincent L. n'avait pas pris ce type de précaution, et il appartient dans ce cas au corps médical de prendre la décision, en accord avec ses proches.

C'est évidemment la situation la plus délicate, et la question posée par l'ordonnance de référé est celle de la notion de "proches". Les médecins ont associé à leur décision l'épouse de Vincent L., qui a accepté le principe de la suspension de son alimentation. Ses parents en revanche, éloignés géographiquement, n'ont pas été consultés ni même informés d'une décision aussi lourde. Ce sont donc eux qui ont introduit la demande de référé et le tribunal leur donne satisfaction. Dès lors qu'ils ont été tenus à l'écart de la procédure, celle-ci est irrégulière, et le juge ordonne de rétablir l'alimentation normale de Vincent L., en attendant qu'une décision soit prise, avec la participation de ses parents. Sur ce point, la décision adopte une conception objective de la notion de "proches". Ils ne sont pas seulement ceux qui partageaient la vie quotidienne du patient, mais aussi ceux qui, même géographiquement éloignés, sont attachés à lui par un lien familial ? La décision n'apporte cependant pas une clarté totale sur cette notion. Sera-t-il nécessaire d'associer à la procédures les frères et soeurs, ou seulement les parents qui veulent y participer ? L'ordonnance de référé n'apporte aucune réponse sur ce point. Elle a cependant l'avantage de montrer la nécessité d'une réflexion sur cette question,

Vers une nouvelle procédure

La décision du tribunal, comme toute décision d'urgence, n'a pas pour objet de résoudre le problème de fond. Elle rétablit la situation antérieure, et le problème du maintien en vie de Vincent L. dans une situation végétative demeure non résolu. La situation n'est d'ailleurs pas inédite, et on se souvient de l'affaire Terri Schiavo qui avait suscité beaucoup d'émotion aux Etats-Unis en 2005. L'époux de la patiente avait alors obtenu des tribunaux américains la suspension du traitement qui maintenait sa femme en vie depuis treize années, en dépit de l'opposition de ses parents.

Aux termes de la loi Léonetti, la situation de Vincent L. est bien différente, car le texte donne compétence aux médecins pour décider de l'interruption du traitement, à la condition qu'ils prennent une décision collégiale, avec l'intervention d'un second médecin consultant, et que les "proches" du patient soient consultés. Mais il ne s'agit que d'une consultation, ce qui signifie que les parents de Vincent L. ne sont pas assurés que leur point de vue sera pris en considération lors de la nouvelle procédure qui sera engagée.

Absence de consensus

L'affaire Vincent L. illustre parfaitement les difficultés rencontrées dans un domaine dans lequel les considérations éthiques rendent bien difficile l'élaboration de la règle de droit. Par sa généralité même, celle-ci n'est pas toujours en mesure de tenir compte de chaque situation, de chaque cas particulier, dans lequel la décision est, par définition, toujours douloureuse. 

Le projet de loi sur la fin de vie, promis par le Président de la République, risque de se heurter aux mêmes difficultés. En effet, il a été préparé par un rapport rédigé par la Mission présidentielle de réflexion sur la vie, présidée par le Professeur Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d'éthique. Sur le fond, il ne revient pas réellement sur les principes généraux posés par la loi Léonetti, mais s'interroge, sans toutefois le préconiser, sur l'éventuelle possibilité d'un "suicide assisté". L'ensemble demeure incertain, et ces incertitudes révèlent évidemment l'absence d'un réel consensus dans ce domaine.




* L'ordonnance du tribunal administratif a été très aimablement communiquée par notre collègue, le professeur Nicolas Mathey, auteur du blog Thomas More.