« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 18 juillet 2012

Le harcèlement moral échappe à la QPC

La Chambre criminelle de la Cour de cassation vient, dans une décision du 11 juillet 2012, de mettre fin aux espoirs de ceux qui souhaitaient  réunir dans une sorte de "pack" d'inconstitutionnalité les délits de harcèlements sexuel et moral. La loi punissant le harcèlement sexuel a effectivement été déclaré inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel, dans une décision du 4 mai 2012, et a déjà donné lieu à un projet de loi, proposant une nouvelle rédaction aussi floue que la première. La notion de harcèlement moral, en revanche, restera inchangée, la Cour de cassation ayant refusé de transmettre la QPC au Conseil. 

Le harcèlement moral, élément de la relation de travail 

La harcèlement moral est défini par l'article 222-33-2 du code pénal qui punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € "le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel". Il a également été introduit dans le code du travail par la loi du 17 janvier 2002, dite de modernisation sociale, qui reprend la même formulation. Le harcèlement moral est devenu un élément-clé des relations de travail, souvent invoqué devant le juge du contrat de travail, mais aussi devant le juge pénal. 

Le harcèlement moral, politique de l'entreprise

On voit aujourd'hui se développer une nouvelle forme de harcèlement moral, mis en oeuvre non par un individu isolé, mais par une entreprise qui veut provoquer le départ de ses salariés. L'ex PDG de France-Telecom, Didier Lombard, a été mis en examen sur ce fondement, soupçonné d'avoir fait du harcèlement moral l'objet d'une politique de relations "humaines" dans l'entreprise. Cette évolution montre que cette infraction, qui a donné lieu à une jurisprudence abondante, peut être utilisée dans des cas très divers. Le juge a  ainsi  peu à peu élargi son champ d'application et assoupli les règles d'administration de la preuve.

A ce titre, le harcèlement moral s'appose au harcèlement sexuel, peu invoqué, sans doute parce qu'il est extrêmement difficile d'en apporter la preuve.


 Charles Chaplin. Les Temps Modernes. 1936

Des dispositions déjà examinées par le Conseil

La Chambre criminelle fonde son refus de transmission de la QPC sur le fait que les dispositions relatives au harcèlement moral ont déjà été déclarées conformes à la Constitution, dans la décision du 12 janvier 2002 rendue par le Conseil constitutionnel, précisément sur la loi de modernisation sociale. Aucun élément ne permet d'envisager un changement de circonstances de fait ou de droit depuis cette décision, qui justifierait un nouvel examen par le Conseil constitutionnel. La Cour refuse donc de considérer que l'intervention de la décision sur le harcèlement sexuel constituait un changement de circonstances de droit, et récuse également l'amalgame de plus en plus fréquent réalisé entre les deux formes de harcèlement. 

Invoquant ce précédent examen, la Chambre criminelle aurait pu déclarer tout simplement irrecevable la demande de transmission de la QPC, et arrêter là son analyse. 

Quelques précisions en forme d'avertissement

Elle offre cependant quelques précisions supplémentaires, en mentionnant que la définition du harcèlement moral n'est pas floue, et qu'elle ne saurait donc être sanctionnée pour manquement au principe de légalité des délits et des peines, garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. La Cour rappelle que "les faits commis doivent présenter un caractère répété et avoir pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail (...)". Le harcèlement moral est donc défini à travers les conséquences de l'acte sur la situation de la victime, sur sa dignité et sur sa santé notamment. Tel n'était pas le cas pour le harcèlement sexuel, dont la définition était réduite à son objet, qui est "d'obtenir des faveurs de nature sexuelle". Les conséquences sur la situation de la victime n'étaient pas évoquées, pas plus d'ailleurs que le caractère répétitif de ce comportement.

Sur ce dernier point, on ne peut s'empêcher de considérer que la décision de la Cour comporte une certaine forme d'avertissement pour le législateur. En insistant sur le caractère répétitif du harcèlement, elle stigmatise, en creux, la définition du harcèlement sexuel figurant dans le projet de loi actuellement débattu au parlement. Ne s'agit il pas, en effet, de considérer comme du "harcèlement" un acte isolé ?

Le harcèlement moral n'a rien à voir avec le harcèlement sexuel, affirme la Cour de cassation. Elle laisse cependant entendre qu'étant mieux rédigé et mieux interprété, il pourrait servir de référence à ceux qui cherchent une définition opératoire pour le délit de harcèlement sexuel.



dimanche 15 juillet 2012

QPC : Mariage et acquisition de la nationalité

Après le dispositif de lutte contre les mariages forcés, validé par le Conseil constitutionnel le 12 juin 2012, c'est aujourd'hui la législation visant à empêcher les mariages blancs qui fait l'objet d'une décision rendue sur QPC le 13 juillet 2012.

Durée du lien matrimonial

Les années récentes ont vu l'intervention de lois de plus en plus sévères, visant à empêcher que l'union matrimoniale ait pour seul objet l'acquisition de la nationalité française par l'un des époux. Le code civil, dans son article 21-1 affirme ainsi que le mariage n'exerce de plein droit aucun effet sur la nationalité.

La loi exige désormais une communauté de vie effective, une durée de stabilité du lien matrimonial, à l'issue de laquelle le conjoint étranger peut décider, par déclaration, d'acquérir la nationalité. Cette durée est passée de une année en 1998 à deux en 2003, pour finalement atteindre quatre ans en 2006, voire cinq lorsque les époux n'ont pas résidé durablement en France depuis le mariage (art. 21-2 c.civ.). Le procureur de la république peut cependant refuser l'enregistrement de cette déclaration, lorsqu'il constate notamment une absence de communauté de vie qui laisse présumer un "cas de mensonge ou de fraude" (art. 26-4 c. civ.).

Dans une décision du 30 mars 2012, M. Omar S., le Conseil avait déclaré constitutionnelle la rédaction de l'article 21-2 du code civil issue de la loi du 26 mars 1998, imposant un délai d'une année avant la déclaration de nationalité. A l'époque, le recours portait essentiellement sur l'exercice des droits de la défense, dès lors que la procédure prévoit une présomption de fraude lorsque la communauté de vie a cessé durant le délai imposé. Dans l'affaire Saïd K. du 13 juillet 2012, la QPC porte cette fois sur la rédaction issue de la loi 26 novembre 2003 allongeant la durée de stabilité du lien matrimonial à deux années. Le requérant s'appuie alors sur la violation de sa vie privée et familiale, mais le Conseil fait observer, d'ailleurs très justement, que le fait de ne pas disposer de la nationalité française n'a aucune conséquence sur la vie privée ou familiale de la personne.


Jan Van Eick. 1380-1441. Le mariage de Giovanni Arnolfini


La communauté de vie entre époux

L'article 215 du code civil, applicable à tous les mariages, énonce que "les époux s'engagent mutuellement à une communauté de vie". La loi du 26 décembre 2003, celle qui précisément est contestée, exige en outre, lorsque l'un des époux veut acquérir la nationalité française, que cette communauté  soit "affective". A cet égard, la loi se montre, du moins en apparence, plus rigoureuse pour ces conjoints.

Ce caractère "affectif" manque cependant de clarté, d'autant que le droit positif, peu ouvert au romantisme, n'impose pas à ceux qui contractent mariage de s'aimer. Il tient d'ailleurs compte du fait que certains couples peuvent avoir deux domiciles distincts, par exemple pour des motifs professionnels, sans que cette séparation géographique porte atteinte à la communauté de vie (art. 108. c. civ.).

"Misérable est l'amour qui se laisserait mesurer"

Cette nécessité d'une communauté de vie "affective" dans le cas d'une acquisition de la nationalité a finalement été entendue de manière étroite par les juges du fond. Se refusant à entrer dans l'intimité des sentiments, ils s'inspirent de la célèbre formule de Shakespeare, dans Antoine et Cléopâtre : "Misérable est l'amour qui se laisserait mesurer". Ils se bornent à prendre acte de l'effectivité de la communauté de vie, reprenant finalement les dispositions de l'article 215 du code civil.

C'est également la position du Conseil constitutionnel, qui estime que cette nouvelle rédaction, n'emporte aucune violation de la vie privée et familiale. Il reprend ainsi sa jurisprudence de mars 2012, et considère que l'allongement de la durée de stabilité matrimonial exigée pour obtenir la nationalité, n'empêche pas les conjoints de mener une vie privée et familiale normale. Il rappelle cependant que la loi doit prévoir avec précision le délai durant lequel le procureur peut contester la déclaration d'acquisition de la nationalité, afin que les conjoints ne soient pas placés dans une situation d'insécurité juridique pendant une trop longue durée.

L'immobilisme même de cette jurisprudence révèle la volonté du Conseil de laisser le législateur jouer pleinement son rôle dans la lutte contre les mariages blancs, y compris en adoptant des dispositions rigoureuses pour les couples concernés. Il appartient donc au législateur, s'il le souhaite, d'alléger ces conditions d'acquisition de la nationalité, notamment lorsque le désir d'intégration du conjoint étranger ne fait aucun doute.



vendredi 13 juillet 2012

Le juge Courroye inaugure une nouvelle procédure

Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a décidé de confier à son conseil de discipline l'examen de la plainte déposée par Le Monde contre le procureur de Nanterre, Philippe Courroye. On se souvient que ce dernier est accusé de s'être fait communiquer les "fadettes", c'est à dire les factures détaillées de téléphone, d'un journaliste travaillant sur l'affaire Bettencourt.

Les deux volets de l'affaire

Le volet pénal de l'affaire est, pour le moment, en attente. La mise en examen du procureur pour violation du secret des sources et intrusion dans la vie privée du journaliste avait été décidée, mais cette décision a été annulée par la Cour d'appel de Paris. Le Monde a donc déposé un pourvoi en cassation, qui n'a pas encore été examiné. Reste le volet disciplinaire qui se limite, pour le moment, à cette décision d'examiner la plainte du journal. Son fondement est évidemment tout autre, dès lors que les faits reprochés au procureur doivent pouvoir faire l'objet d'une "qualification disciplinaire". En l'espèce, Le Monde l'accuse de ne pas avoir respecté ses devoirs de loyauté, de légalité et de délicatesse, imposés par le statut de la magistrature. 

Ecole française, vers 1740. Portrait d'un magistrat



La révision de 2008

Le procureur Courroye inaugure, certainement sans le vouloir, une procédure tout à fait nouvelle. La révision constitutionnelle de 2008 a en effet modifié l'article 65 de la Constitution, qui ouvre désormais aux justiciables la possibilité de saisir le Conseil supérieur de la magistrature, "dans les conditions fixées par une loi organique". Cette loi est précisément intervenue le 22 juillet 2010, et elle est en vigueur depuis 2011.

Elle précise que tout justiciable qui estime qu'à l'occasion d'une procédure judiciaire le concernant, le comportement adopté par un magistrat dans l'exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire, peut saisir le CSM. La plainte est examinée par une commission d'admission des requêtes composée de quatre membres (deux magistrats et deux personnalités extérieures au corps judiciaire). C'est exactement ce qui vient de se produire, la commission ayant décidé que la plainte du Monde est suffisamment sérieuse pour justifier qu'une procédure soit engagée, dans le respect des droits de la défense.

De la subordination à la soumission
Certes, on pourrait trouver cocasse une situation dans laquelle un procureur proche du Président Sarkozy, se trouve être la première victime d'une révision constitutionnelle initiée par ce même Président. Au-delà du cas du procureur Courroye, cette affaire constitue  une illustration presque caricaturale des liens entre les magistrats du parquet et l'Exécutif. La Cour européenne, elle, ne s'y trompe, qui refuse de considérer les membres du parquet comme des "magistrats" au sens de la Convention européenne, depuis le célèbre arrêt Moulin du 23 novembre 2010. Certes, il ne faut pas confondre les instructions formelles que peut recevoir un procureur pendant une instance et les relations d'amitié, voire de connivence, qu'il peut entretenir avec tel ou tel dirigeant politique. Mais, en tout état de cause, les premières favorisent les seconds, et la subordination hiérarchique conduit à la soumission.

mercredi 11 juillet 2012

Le football, ou la défaite des femmes

Le 5 juillet 2012, les règles internationales du football ont été modifiées, pour autoriser les joueuses à porter le voile dans toutes les compétitions officielles. Les autorités internationales chargées d'organiser ce sport ont cédé au lobbying de certaines monarchies du Golfe, qui financent de prestigieux clubs de football, Les femmes ont donc été sacrifiées sur l'autel d'une coopération internationale qui s'exprime en espèces sonnantes et trébuchantes. Bien sûr, la nouvelle règle est présentée comme expérimentale, et devrait faire l'objet d'un nouvel examen en 2014, mais il s'agit là d'une sorte de figure de style destinée à susciter l'adhésion.

L'IFAB, émanation du communautarisme britannique


L'auteur de la règle n'est pas, comme il a été dit, la Fédération internationale de football association (FIFA), association de droit suisse fondée en 1904, et qui regroupe 208 associations nationales. L'autorisation du voile a été décidée par l'International Football Association Board (IFAB), beaucoup moins connue, mais très influente. L'IFAB a été créée en 1886 dans le but d'harmoniser les règles du jeu qui, à l'époque, n'étaient pas identiques dans chaque pays. Elle réunissait quatre associations du Royaume-Uni, région qui a vu la naissance du football, représentant l'Angleterre, l'Ecosse, le Pays de Galles et l'Irlande du Nord. 

Après 1904, la FIFA a adhéré à l'IFAB, le principe étant qu'elle dispose du même poids juridique dans l'IFAB que les quatre membres fondateurs. Rien n'a changé aujourd'hui. Les fondateurs ont quatre voix et la FIFA, c'est à dire le reste du monde, a également quatre voix. Même si les décisions sont prises à une majorité pondérée des 3/4 des votants, le calcul est rapidement fait. Il suffit aux britanniques de réunir deux voix supplémentaires de la FIFA pour faire passer n'importe quelle décision. Or, chacun sait que le Royaume Uni pratique un communautarisme décomplexé, que le port du voile y est parfaitement autorisé, chaque communauté faisant l'objet d'un traitement séparé.

Il est vrai que l'IFAB est aujourd'hui étroitement rattachée à la FIFA, et que cette dernière s'estime liée par  ses décisions. En l'espèce, la décision nouvelle fait bien peu de cas du règlement sur "les lois du jeu", dont la "loi n° 4" prévoit que "l'équipement de base obligatoire ne doit présenter aucune inscription politique, religieuse ou personnelle". Certes, un voile n'est pas une "inscription", mais il permet tout de même d'affirmer une conviction religieuse, L'IFAB, prévoyant cette objection, précise qu'elle considère le voile comme un signe culturel et non pas religieux. Une telle affirmation, sorte de pirouette juridique, n'a pas d'autre objet que de contourner le principe de neutralité du sport, et d'autoriser finalement le port du voile,  y compris dans un but de prosélytisme religieux.




Les nouvelles règles du football
La Belle Verte. Coline Serreau. 1996

Mépris de la Charte Olympique


a Charte Olympique interdit pourtant tout prosélytisme religieux dans le cadre des Jeux Olympiques. Son article 50 al. 3 se montre très ferme sur ce point : " Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n'est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique". Doit on en déduire que les autorités internationales du football violent allègrement la Charte Olympique ? La question est évidemment posée, dès lors que la FIFA accepte désormais que des compétitions médiatisées servent de support à une pratique de prosélytisme religieux. Le football, largement professionnel, dont les joueurs bénéficient de financements exceptionnels, était déjà bien éloigné de l'idéal de Coubertin. Force est de constater qu'en acceptant des joueuses voilées, il s'en éloigne encore davantage. 

A dire vrai, cela n'a rien de surprenant, car le CIO s'est toujours montré tiède, pour ne pas dire inexistant, à l'égard de la question du voile. En 2008, aux Jeux Olympiques de Pékin, on a recensé pas moins de quatorze délégations comportant des athlètes voilées. Le CIO n'est donc guère plus courageux que la FIFA. Alors que l'Afrique du Sud de l'Apartheid était exclue des Jeux Olympiques, on autorise aujourd'hui un traitement séparé pour les athlètes des pays musulmans. Les femmes contraintes à porter le voile ne sont elles pas victimes d'une forme d'Apartheid ?

Le droit français 


Heureusement, les décisions de la FIFA, comme celles de l'IFAD, sont entièrement dépourvues de valeur juridique en droit français. La Fédération française de football est une association fondée en 1919, et reconnue d'utilité publique en 1922. Ses statuts indiquent qu'elle se propose d'"entretenir toutes relations utiles avec les associations étrangères affiliées à la FIFA, les organismes nationaux et les pouvoirs publics". Une association française n'est donc pas liée par les décisions d'une association de droit étranger. Au demeurant, son caractère d'utilité publique confère aux pouvoirs publics un certain nombre d'éléments de contrôle, pour s'assurer que la Fédération française respecte les principes généraux de notre droit, et notamment la laïcité. La Fédération en est d'ailleurs pleinement consciente, et elle s'est hâtée de diffuser un communiqué mentionnant son "souci de respecter les principes constitutionnels et législatifs de laïcité qui prévalent dans notre pays et figurent dans ses statuts". En conséquence, elle persiste dans son interdiction du port du voile dans les compétitions.

On pourrait alors considérer que le débat est clos et que la France est à l'abri de tels errements. Sans doute, mais cette délibération de l'IFAB constitue un précédent fâcheux, susceptible d'être utilisé à l'appui de revendications communautaires, pour ne pas dire obscurantistes. Sur ce point, c'est un mauvais coup pour la cause des femmes.



dimanche 8 juillet 2012

Circulaire Valls : la rétention des enfants n'a pas disparu

La circulaire du 6 juillet 2012, signée du ministre de l'intérieur, définit la doctrine de l'administration française en matière de rétention des enfants de familles étrangères touchées par une mesure d'éloignement. Alternance ou pas, ce texte était indispensable pour clarifier une situation juridique passablement embrouillée depuis que l'arrêt Popov  rendue par la Cour européenne des droits de l'homme le 19 janvier 2012 avait condamné la pratique française dans ce domaine. 

Interprétation de l'arrêt Popov

Il est vrai que cette décision avait alors été interprétée de manière un peu excessive. Les journaux avaient affirmé que la Cour condamnait l'internement des enfants dans les Centres de rétention administrative (CRA), une telle mesure étant, en soi, constitutive d'un traitement inhumain et dégradant, au sens de l'article 3 de la Convention. 

La lecture attentive de l'arrêt montrait pourtant que la Cour ne condamnait la rétention que lorsqu'elle n'était pas proportionnée au but poursuivi, tel qu'il a été défini, pour l'Union européenne, par la directive du 16 décembre 2008, c'est à dire l'éloignement des ressortissants des pays tiers en séjour irrégulier. Cette proportionnalité se déduisait à partir de deux éléments cumulatifs. D'une part, l'administration doit démontrer qu'elle n'avait pas d'autres moyens efficaces pour retenir la famille concernée, par exemple l'assignation à résidence. D'autre part, l'intérêt supérieur de l'enfant, notion qui doit guider toutes les décisions prises à son égard, exige qu'il soit hébergé dans des conditions décentes, et dans des locaux spécialement aménagés pour le recevoir. Sur ce point, la vétusté des Centres de rétention administrative était spécialement visée par la Cour. 

Greuze (attribué à). Portrait de Louis XVII au Temple


La rétention des mineurs reste possible

 La circulaire Valls ne fait rien d'autre que reprendre cette jurisprudence. De nouveau, les journalistes, et notamment ceux du Monde, se hâtent de titrer que "la rétention des enfants est supprimée". Il n'en est rien, même si on peut espérer que les enfants placés dans cette triste seront dans l'avenir moins nombreux. 

Conformément à la jurisprudence Popov, la circulaire invite les préfets à privilégier l'assignation à résidence, moins traumatisante et donc plus conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant, notion qui doit guider l'ensemble des décisions administratives et judiciaires concernant les mineurs. Reste que la rétention demeure possible "en cas de non respect des conditions de l'assignation à résidence, en cas de fuite d'un ou de plusieurs membres de la famille ou en cas de refus d'embarquement", c'est à dire concrètement lorsque la famille s'est volontairement soustraite à l'obligation de quitter le territoire français.

Sur le plan des conditions matérielles de l'accueil des enfants, la circulaire Valls s'efforce de prévenir toute nouvelle condamnation des autorités françaises. Elle affirme ainsi que "des dispositions ont été prises pour que les équipements spécifiques à l'accueil des mineurs soient régulièrement entretenus ou renouvelés" dans les Centres.

Finalement, la circulaire se borne à prendre acte de la jurisprudence de la Cour, sans exclure totalement la rétention des enfants. Affirmer le contraire relève d'une certaine forme d'idéalisme juridique qui conduit à la dépression, pour reprendre l'heureuse formule de Serge Sur. Est-il matériellement possible, en effet, d'interdire totalement toute rétention des familles, sans porter atteinte aux objectifs d'éloignement posés par la directive communautaire ? Il serait pour la moins fâcheux d'affirmer haut et fort un principe d'interdiction, et de s'apercevoir ensuite qu'il est impossible à mettre en oeuvre.




vendredi 6 juillet 2012

ACTA ou l'échec de l'hégémonie juridique américaine

Le vote du parlement européen n'est pas une surprise, et l'enterrement d'ACTA était annoncé depuis plusieurs mois. Cet acronyme désigne l'Accord commercial anti-contrefaçon (Anti-Counterfeiting Trade Agreement), traité multilatéral, dont l'objet est de protéger toutes les violations de propriété susceptibles d'intervenir sur internet. Il s'agit donc certes de lutter contre la contrefaçon, mais aussi contre toutes les formes de piratage. 

Alors que ces objectifs sont, a priori, tout à fait justifiés, le caractère massif du vote peut surprendre, puisque 478 députés ont voté contre le texte, 39 pour, et 165 ont préféré l'abstention. Le scrutin apparaît également quelque peu précipité, puisque le parlement n'a pas attendu l'avis de la Cour de justice de l'Union européenne sur le texte, pourtant demandé par la commissaire européen au commerce, Karel de Gucht. 

Certains voient dans ce rejet massif le fruit d'une "mobilisation citoyenne" sans précédent. Les parlementaires européens auraient reçu tant de courriels d'opposants qu'ils auraient reculé devant l'afflux et cédé à un véritable "sursaut démocratique".

S'il est vrai qu'ACTA avait suscité la mobilisation des internautes, la cause de son échec est plus large. Le traité est rejeté pour de multiples raisons, tenant aussi bien à son contenu qu'à son mode d'élaboration.



Sur son contenu, le traité ACTA allait entièrement à l'encontre des principes fondamentaux du droit européen gouvernant l'utilisation d'internet. Alors que l'Union européenne, et le droit français, considèrent que les fournisseurs d'accès à internet (FAI) ne sont pas responsables du contenu des données qu'ils ne font que transmettre, ACTA considère qu'ils doivent être déclarés responsables, lorsqu'ils laissent circuler des informations et des biens illicites. Chaque FAI est alors contraint de se transformer en gendarme du net et de surveiller les données circulant sur son réseau. Quant au juge, il était plus ou moins exclu de la procédure prescrite par le traité ACTA. Les demandes d'informations pouvaient ainsi être directement adressées au FAI par les personnes qui s'estimaient victimes d'une violation de leur propriété ou de leurs ayants-droit. Les sanctions pouvaient être prononcées par des autorités administratives, et non précédées d'une procédure contradictoire. En rejetant ces dispositions, le parlement européen révèle son refus d'un droit dérogatoire dans le domaine de la protection de la propriété intellectuelle sur internet. 

Derrière le débat sur la garantie du droit de propriété, on peut déceler dans le rejet du traité ACTA un autre rejet, peut être plus profond, des conditions d'élaboration de cette convention. Issu d'un petit noyau d'Etats réunis autour des Etats-Unis (Australie, Canada, Corée du Sud, Japon, Nouvelle Zélande, Singapour, Maroc), le traité a été négocié, à partir de 2006, dans le plus grand secret. Les premiers éléments n'ont d'ailleurs été portés sur la place publique qu'en 2008, par Wikileaks. L'Union européenne n'a, quant à elle, été sollicitée qu'en 2012, pour rejoindre une Convention à laquelle elle n'avait pas été associée dès son origine. Les tensions sont donc apparues rapidement, dans une Europe qui avait le sentiment de se voir imposer le texte. 

Sur ce point, le rejet d'ACTA, et un rejet aussi massif, révèle une volonté du parlement européen de s'opposer à l'hégémonie juridique américaine, qui vise à imposer sans ménagement son système juridique, avec l'aide de quelques pays soumis. C'est une bonne nouvelle.