Le changement de circonstances de droit
Contrairement à ce que beaucoup craignaient, le Conseil ne s'est pas borné à rejeter la question pour irrecevabilité, en considérant qu'il avait déjà statué sur ces dispositions lors de sa décision du 14 juin 1976. Il a au contraire admis la recevabilité en invoquant le changement de circonstances intervenu depuis cette date. La requérante invoquait essentiellement un changement de circonstances de fait, lié aux conséquences des lois de décentralisation et au développement de l'intercommunalité, qui ont eu considérablement politisé la vie politique locale, favorisant les pressions des partis sur les 47 000 élus susceptibles de présenter des candidats.
Fort habilement, le Conseil a préféré s'appuyer sur le changement de circonstances de droit. La révision de 2008 a en effet ajouté un alinéa à l'article 4 de la Constitution, selon lequel "la loi garantit les expressions pluralistes des options et la participation équitable des partis politiques à la vie démocratique de la Nation". Pourquoi pas ? Certains mauvais esprits pourraient objecter que ces dispositions ne changent rien au droit existant, dès lors qu'elles ne font que reprendre une jurisprudence du Conseil, qui contrôlait déjà le respect du pluralisme et de l'égalité des partis, notamment en matière de temps d'antenne disponible dans les médias (décisions du 6 septembre 2000, Pasqua, et du 7 avril 2005 Génération Ecologie). Pour le Conseil, le simple fait d'intégrer sa jurisprudence dans le texte constitutionnel constitue, en soi, un changement de circonstances de droit.
Une fois acquise cette recevabilité, loin d'être évidente, on pouvait penser que le Conseil allait analyser les dispositions en cause au regard de l'ensemble des normes constitutionnelles applicables, et préciser ainsi la place des partis politiques dans l'organisation constitutionnelle. Hélas, les motifs développés par le Conseil n'apportent aucune réponse sur ce point.
Les arguments de fond
Sur le fond, le Conseil constitutionnel rejette les arguments développés par Maître Alliot, le défenseur de Marine Le Pen, dans les observations qu'il a présentées en audience publique.
Le premier réside, étrangement, dans le caractère secret du vote, énoncé par l'article 3 de la Constitution : "Le suffrage (...) est toujours universel, égal et secret". Le moyen est surprenant, et le Conseil l'écarte logiquement en faisant observer que la "présentation", terme juridique employé pour désigner le parrainage des candidats, ne saurait être considérée comme un vote. La procédure n'est pas celle d'une opération électorale, et la signature des élus doit être considérée comme une mesure d'organisation de l'élection présidentielle, qui n'est donc pas soumise au principe du secret du vote, ni à celui d'égalité devant le suffrage.
Le second moyen trouve son origine dans l'article 4 al 3 de la Constitution, celui qui a précisément justifié le changement de circonstances de droit. Le Conseil l'écarte tout aussi rapidement, en considérant que la publicité des parrainages vise à favoriser la transparence de la procédure. Une telle mesure ne saurait donc, en elle même, porter atteinte au principe de pluralisme des opinions.
Le troisième argument, plus sérieux, trouve son fondement dans l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 qui consacre l'égalité devant la loi. La requérante invoque en effet une rupture d'égalité entre les élus signataires. Dès lors que les dispositions en vigueur prévoient la publication de cinq cents signatures tirées au sort, il est clair qu'une personne qui a signé pour un candidat ayant obtenu juste cinq cents signatures aura 100 % de chances de voir son nom porté à la connaissance du public, et donc de ses électeurs. En revanche, celle qui a signé pour un candidat qui recueille des milliers de signatures a très peu de probabilité de voir son nom publié.
En l'espèce, le Conseil observe que cette différence de traitement a été précisément voulue par le législateur, dans le but de permettre au Conseil constitutionnel d'effectuer plus facilement sa mission de contrôle des signatures. Dans ses traditionnelles observations après les élections présidentielles, et précisément en 2007, le Conseil s'est pourtant déclaré favorable à l'adoption de nouvelles règles dans ce domaine, dès lors qu'il reconnaît une "différence de traitement entre les citoyens qui ont présenté un candidat". L'administration en place n'a certes tenu aucun compte des observations du Conseil constitutionnel pendant le quinquennat, alors qu'elle avait parfaitement le temps de modifier ces règles. Le Conseil rappelle que son pouvoir d'appréciation n'est pas de même nature que celui du Parlement, et qu'il ne saurait se substituer à lui pour apprécier l'opportunité, ou l'inopportunité d'une procédure. Il renvoie donc au législateur le soin de modifier le texte, peut être après les élections présidentielles ?
Et l'article 4 alinéa 1 ?
L'argumentaire juridique s'arrête là, et on est évidemment surpris de voir que la question de la conformité des dispositions contestées au regard de l'article 4 alinéa 1 n'est jamais évoquée. Ce texte énonce pourtant que les "partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage". Est-il acceptable qu'un parti politique constitué n'ait pas accès à l'élection présidentielle et ne puisse "concourir à l'expression du suffrage", pour la seule raison que le candidat (ou la candidate) qui le représente n'a pas obtenu cinq cents signatures ? Le Conseil ne répond pas à cette question, qui était pourtant la question essentielle posée par cette QPC.
Il est vrai que l'avocat de madame Le Pen n'a pas développé cet argument devant le Conseil. Mais il est tout de même surprenant de voir que ce dernier se donne la peine d'écarter formellement le moyen fondé sur le secret du vote alors qu'il aurait pu le juger inopérant et ne même pas le mentionner. En revanche, il n'évoque pas la question de la conformité des dispositions contestées à l'article 4 alinéa de la Constitution.
Chacun sait pourtant que le contrôle de constitutionnalité est un contentieux objectif. Le Conseil ne s'estime pas lié par les termes de la saisine, et il peut soulever d'office des moyens écartés ou négligés par les requérants. Les observations présentées par les avocats lors des audiences de QPC ne lient donc en aucun cas le juge constitutionnel. En l'espèce pourtant, on ne peut s'empêcher de penser que le Conseil s'est limité à écarter les moyens maladroits soulevés devant lui, comme si cette maladresse lui offrait l'opportunité de ne pas se prononcer sur des questions plus essentielles.
Sortir de l'impasse
Comment désormais sortir de l'impasse ? Est-il acceptable que certains candidats ne puissent finalement se présenter à l'élection présidentielle, dès lors que le Conseil reconnait tout de même être favorable à l'évolution de la législation dans ce domaine ? On ne peut alors que renvoyer à l'opinion développée par le professeur Serge Sur, sur LLC, qui propose une formule inédite. Les élus locaux, réunis par exemple au sein de l'association des maires de France, pourraient dresser la liste des candidats qui représentent un parti politique au sens de l'article 4 al. 1 et qui ont besoin de parrainages, et tirer au sort entre eux les signataires. Ces derniers ne pourraient être soumis aux critiques de leurs électeurs, puisque seul le sort aurait désigné ceux qui parrainent Madame Le Pen. Le principe démocratique serait alors respecté, chaque candidat pourrait solliciter les suffrages des électeurs, sans qu'il soit nécessaire de modifier la loi.