Le Conseil d'Etat, dans un
arrêt du 1er février 2012, a décidé de transmettre au Conseil constitutionnel la Question prioritaire de constitutionnalité relative à la publicité des parrainages à l'élection présidentielle. Cette QPC intervient à l'occasion d'un recours présenté au Conseil d'Etat par Marine Le Pen, contestant la légalité du
décret du 8 mars 2011 qui organise le dépôt des candidatures à l'élection présidentielle. Elle invoque à ce propos l'inconstitutionnalité de l'
article 3 de la loi organique du 6 novembre 1962 , dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 1976, qui définit les règles de présentation des candidats, ce que l'on appelle communément les "parrainages".
Le Conseil constitutionnel a désormais trois mois pour statuer. Il s'agit cependant d'un délai maximum, et aucune disposition ne lui interdit de prendre sa décision plus rapidement. Il serait en effet très fâcheux que l'élection présidentielle se déroule sur le fondement d'une règle dont la constitutionnalité suscite aujourd'hui des doutes non seulement de Marine Le Pen, mais aussi du Conseil d'Etat. La contrainte des cinq cents signatures est aujourd'hui
au coeur du débat, et il est important de lever ces doutes.
L'obstacle du caractère organique de la loi
Le Conseil d'Etat pouvait estimer d'emblée la QPC irrecevable, puisque, aux termes de
la loi organique du 10 décembre 2009, qui détaille les conditions de recevabilité de la QPC, la disposition législative critiquée ne doit pas avoir été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans un recours antérieur. Le Conseil d'Etat aurait donc pu écarter cette QPC pour ce motif.
Le changement de circonstances
Il n'en a rien fait, et a contraire admis la recevabilité de la QPC. Pour parvenir à ce résultat, il a repris, non sans une certaine audace, la jurisprudence élaborée par le Conseil constitutionnel lui-même dans sa décision sur QPC du 30 juillet 2010. Alors même qu'il s'était déjà prononcé sur la garde à vue dans une décision de 1993, il avait décidé de se pencher une nouvelle fois sur sa constitutionnalité, en invoquant le changement de circonstances de fait intervenu depuis cette date. En l'espèce, ce changement de circonstances résidait dans le fait que la garde à vue était peu à peu devenue le support essentiel de l'enquête pénale, la plupart des infractions ne donnant pas lieu à une instruction.
En l'espèce, quel peut être le changement de circonstances de fait justifiant le nouvel examen de constitutionnalité ? Le Conseil d'Etat évoque simplement "les changements ayant affecté la vie politique et l'organisation institutionnelle du pays". On peut penser qu'il n'est pas insensible aux arguments de Marine Le Pen, qui estime que les parrainages, surtout depuis qu'ils sont publiés, c'est à dire depuis 1976, sont devenus un instrument de domination des grands partis sur les petits, grâce aux pressions auxquels les élus de tous bords peuvent être soumis. Les processus de décentralisation et d'intercommunalité ont effectivement accentué la politisation de la vie locale, rendant extrêmement difficile la recherche des signatures par les groupements politiques dépourvus d'un ancrage solide dans les collectivités territoriales.
L'argument est puissant, et le Conseil d'Etat le reprend à sa compte pour admettre la recevabilité de la QPC. Il peut aussi jouer un rôle négatif pour le recours de Marine Le Pen, puisqu'il offre au Conseil constitutionnel de le rejeter d'emblée, en estimant qu'il n'y a pas eu changement de circonstances.
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Monnaie romaine. Scène de vote. |
Le caractère sérieux de la QPC : l'article 4 de la Constitution
Disons le franchement, ce serait dommage, car la QPC mérite d'être étudiée au fond. La conformité à la Constitution de l'organisation actuelle des parrainages doit être examinée par rapport aux alinéas 1 et 3 de l'article 4 de la Constitution.
L'alinéa 1 de l'article 4 énonce que "les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage". Rien ne dit dans cette disposition que l'accès au suffrage doit être filtré. Le fait d'imposer la règle des cinq cents signatures conduit à interdire à certains partis de défendre leurs chances devant les électeurs, ce qui porte atteinte aux droits de vote et d'éligibilité. Sur ce point, le Conseil constitutionnel pourrait effectuer un contrôle des motifs justifiant cette atteinte aux droits fondamentaux de l'expression politique et apprécier s'ils sont proportionnés à l'intérêt public poursuivi. Ces parrainages sont habituellement justifiés par la double volonté d'empêcher les candidatures "farfelues" et de limiter le nombre de candidats. Sur le premier point, l'histoire nous apprend que les candidats fantaisistes se sont toujours retirés avant le dépôt des parrainages. Sur le second, on dénombre douze candidats en 1974 et douze en 2007, ce qui montre bien que les parrainages, et leur publicité, n'ont en aucun cas contribué à réduire le nombre des candidats. Est-il d'ailleurs opportun de vouloir réduire le nombre de candidats aux élections, dans une démocratie ? Le véritable filtre démocratique résulte en effet de l'élection à deux tours, qui permet de clarifier les choix tout en les laissant ouverts au premier tour.
Dans le cadre de ce contrôle, le Conseil peut se demander si les objectifs poursuivis ne peuvent être obtenus par d'autres moyens. Rien n'interdit de penser à une présentation des candidats par les électeurs eux-mêmes, solution dont nul ne pourrait contester le caractère démocratique. En effet, la représentativité d'un parti ne s'apprécie pas nécessairement à l'aune de ses élus, mais aussi à celle de ses électeurs.
L'alinéa 3 de l'article 4 de la Constitution précise que "
la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation". Ce droit à l'expression pluraliste des opinions, à laquelle participent les partis politiques, est garanti par le Conseil constitutionnel. Dans le cadre du contentieux électoral, il contrôle ainsi le respect de l'égalité entre les partis, notamment en matière de temps d'antenne disponible à la radio et à la télévision (décisions du
6 septembre 2000, Pasqua, et du
7 avril 2005 Génération Ecologie).
De même, la référence à une participation "équitable" des partis à la vie démocratique prend en considération le fait que les formations politiques peuvent être traitées de manière différente selon le nombre de leurs électeurs ou de leurs élus. Mais ce traitement différencié qui peut intervenir dans le domaine de l'accès aux médias ou du financement électoral ne saurait certainement pas aboutir à priver complètement un parti politique de l'accès aux élections.
La QPC posée par Marine Le Pen ne saurait donc être considérée comme le simple recours du FN contre le reste de la classe politique. Il concerne l'ensemble de notre démocratie. On ne doute pas le Conseil constitutionnel sera conscient de cet enjeu, et aura à coeur de rendre sa décision aussi rapidement que possible.
A suivre, dans moins de trois mois...