« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
samedi 7 janvier 2012
Le principe démocratique face aux 500 signatures
Les candidats aux élections présidentielles ont jusqu'au 16 mars 2012 pour présenter leurs 500 signatures. Certains ont beaucoup de difficultés pour obtenir ces indispensables "présentations" qui conditionnent leur éligibilité. Christine Boutin (PCD), Philippe Poutou (NPA), Marine Le Pen (FN) affirment ne pas être certains de pouvoir finalement être candidats. D'autres ne le disent pas, mais rencontrent les mêmes difficultés. Cette règle de procédure peut elle conduire à interdire purement et simplement à certains candidats de défendre leurs chances à l'élection présidentielle ?
La question ne relève pas seulement du droit électoral mais aussi du droit constitutionnel puisque, selon l'article 4 de la Constitution, "les partis concourent à l'expression du suffrage", formule dont on peut penser qu'elle les autorise à présenter des candidats aux élections. Elle relève aussi des libertés publiques, ou plus précisément des droits du citoyen. Cette règle de procédure destinée à rationaliser l'élection présidentielle se heurte en effet aux droits d'éligibilité et de vote. Directement pour le droit d'éligibilité, puisque celui qui n'a pas obtenu ses signatures ne peut être candidat. Indirectement pour le droit de vote dont le citoyen n'est pas réellement privé. Mais il voit son choix réduit, puisqu'il est contraint de reporter son suffrage sur un autre candidat, voire de voter nul, voire de ne pas voter du tout. Il conserve donc le droit de vote, mais perd celui d'affirmer clairement ses convictions.
Avant toute analyse de fond, il convient d'observer l'hypocrisie de la terminologie employée. Le droit électoral parle de "présentations" et se place donc du coté du signataire habilité, à titre personnel et individuel, à "présenter" un candidat. Dans la pratique cependant, il s'agit d'une recherche de "parrainages" dès lors que les candidats se voient contraints de solliciter les signatures par un éprouvant "porte à porte" électoral.
Il faut alors se demander si les objectifs poursuivis par ce système de parrainages justifient une telle atteinte aux droits de vote et d'éligibilité des citoyens.
Limiter le nombre des candidats
Le principe du parrainage existe depuis 1962, c'est à dire depuis
l'origine de l'élection du Président de la République au suffrage
universel, sous la Vème République. A l'époque, il suffisait
d'obtenir 100 signatures d'élus pour pouvoir se présenter. La contrainte
était donc fort légère, et le nombre de candidats a effectivement
augmenté, passant de 6 en 1965 à 12 en 1974. Cette croissance peut
cependant sembler bien naturelle, et atteindre une douzaine de candidats
aux élections présidentielles n'aurait pas dû, a priori, susciter
d'inquiétudes pour l'exercice de la démocratie.
Monsieur Giscard d'Estaing, une fois élu, a cependant estimé que ce
nombre était trop élevé. En 1976, la loi électorale a donc été modifiée.
Désormais, il faut réunir 500 signatures provenant de 30 départements
différents, avec, au maximum, 50 signatures par département. Seuls les
élus peuvent parrainer une candidature, soit les maires des 36 000
communes auxquels il faut ajouter les parlementaires, les conseillers
régionaux et généraux ainsi que les membres de l'assemblée corse et des
assemblées d'outre-mer, soit un collège potention d'environ 45 000
signataires.
Cette réforme a empêché Jean Marie Le Pen de se
présenter aux présidentielles de 1981, alors même qu'il avait pu faire
acte de candidature en 1974. Pour autant, elle n'a pas réellement eu
l'effet annoncé. S'il est vrai que l'on est passé de 12 candidats en
1974 à 10 en 1981 et 9 en 1988 et 1995, le nombre de candidatures
remonte ensuite à 16 candidats en 2002, pour se stabiliser à 12 en 2007.
Le nombre de candidats est certes élevé, mais il est absolument
identique en 1974 et en 2007, ce qui montre bien l'inutilité totale de
la réforme de 1976.
Empêcher les candidatures fantaisistes
On peut comprendre la volonté d'éviter les candidatures
fantaisistes. La première d'entre elles, sous la Vè République, est
celle de Pierre Dac, qui s'est déclaré candidat aux présidentielles de
1965, Chef du Parti d'en rire et Président du Mouvement ondulatoire
unifié (MOU), Pierre Dac affiche une devise toujours d'actualité, "Les
temps sont durs, vive le MOU", Il retirera sa candidature à la demande
personnelle du général de Gaulle, qu'il avait rejoint
dans la France Libre. Rien ne dit qu'il ait jamais cherché à obtenir les
cent signatures nécessaires à l'époque pour concrétiser sa candidature.
Plus tard, Coluche et Dieudonné se sont trouvés dans des
situations à peu près identiques. Déclarés candidats, l'un en 1981,
l'autre en 2002, tous deux ont renoncé avant que la question des 500
signatures se pose réellement. Et s'ils avaient alors affirmé avoir des
promesses de parrainages, des études récentes montrent qu'ils n'ont jamais sérieusement démarché les élus.
De toute évidence, la menace que constituent les candidatures
fantaisistes peut être écartée par d'autres moyens qu'une procédure de
parrainages qui sanctionne l'ensemble des petits candidats, fantaisistes
ou non.
La règle des 500 signatures n'a pas atteint les objectifs annoncés. Dans ses observation sur les
présidentielles de 2002, le Conseil constitutionnel affirmation déjà être "conduit à s'interroger sur le bien-fondé des
règles de présentation (...)". De même, le Comité Balladur, réuni en
2007 à l'initiative du Président Sarkozy, a proposé la suppression du
système actuel au profit de la création d'un collège de 100 000
électeurs chargé de désigner la liste des candidats.
Reste à se demander pourquoi aucune réforme n'est intervenue, ce qui conduit à envisager la troisième finalité, non écrite, de ce système de parrainages.
Un instrument de pression
Dès lors que le collège des signataires est essentiellement composé d'élus locaux, les grands partis n'hésitent pas à faire pression sur eux pour qu'ils signent, ou ne signent pas. N'est il pas tentant de "signer" pour un candidat d'opposition qui
risque de "mordre" sur l'électorat de l'adversaire principal ? N'est-il pas tentant de donner des consignes visant à éliminer le Front National de l'élection si on pense que son candidat risque de mordre sur l'électorat du Président sortant ou d'empêcher le leader de l'opposition d'être présent au second tour ? Toutes les manoeuvres sont possibles.
Cette procédure est donc l'instrument de tactiques politiques visant à éliminer l'un ou l'autre, ou au contraire à favoriser la candidature de l'un ou l'autre, pour le seul intérêt des grands partis.
Le débat électoral impose pourtant l'égalité entre les candidats, petits et grands. Christine Boutin ou Philippe Poutou représentent peut être 1% des voix, mais cette estimation est sans influence sur leur droit d'exprimer l'opinion de leur parti par une candidature aux présidentielles.Celle-ci a précisément pour objet d'accroître leur audience dans l'opinion, et cette préoccupation est parfaitement légitime.
Quant à Marine Le Pen, quoi qu'on pense du programme politique du FN, elle a évidemment le même droit de défendre les opinions de son parti. Peut on d'ailleurs envisager qu'environ 20 % du corps électoral se sente frustré dans ses convictions et ait le sentiment d'être privé de son droit de suffrage ? On le voit, c'est le principe démocratique lui-même qui se trouve menacé. Car le débat politique ne peut se développer que dans l'espace démocratique, et combattre les idées de madame Le Pen implique qu'elle puisse les exprimer, y compris par la voie électorale. Et il appartiendra au corps électoral de trancher, comme toujours dans un régime démocratique.
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RépondreSupprimerbon continuation