« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 3 janvier 2012

Dominique Tiberi et l'égalité d'accès aux emplois publics


Le 23 décembre 2011, le Conseil d'Etat a rendu un arrêt annulant la nomination de Dominique Tiberi au poste de contrôleur général économique et financier. La décision n'est pas passée inaperçue, en raison de la personnalité en cause, puisqu'il s'agissait du fils de l'ancien maire de Paris. Sa nomination était même présentée par certains comme l'élément d'un accord, permettant de libérer une circonscription parisienne pour accueillir la candidature du Premier ministre. Autant dire que les conséquences politiques de cette décision ont été largement commentées, mais que ses fondements juridiques n'ont été que fort peu évoquées.  

L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen

Même s'il n'est pas formellement mentionné dans les visas, l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 est au coeur de cette décision : "(La loi) doit être la même pour tous. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents". L'égalité d'accès aux emplois publics est aujourd'hui un principe républicain, sur lequel doit s'appuyer un gouvernement qui se veut "irréprochable". 

C'est précisément ce qu'a affirmé avec force le Conseil d'Etat dans un arrêt Barel de 1954, déjà intervenu à propos d'un héritier, cette fois le fils d'un député communiste, qui s'était vu radier de la liste des candidats admis à participer au concours de l'Ecole nationale d'administration. Pour le juge, l'administration avait violé l'égalité d'accès aux emplois de la fonction public, dès lors que "des circonstances et des faits précis" laissaient penser que le requérant avait été écarté du concours en raison de ses opinions politiques. 

Plus près de nous, dans un arrêt El Haddioui du 10 avril 2009, le Conseil d'Etat rappelle qu'un jury de concours ne peut départager les candidats en leur posant des questions sans lien avec leur aptitude à remplir l'emploi. L'égalité d'accès aux emplois public implique donc nécessairement, et heureusement, un lien entre les aptitudes du candidat et l'emploi auquel il postule.  

Egalité et tour extérieur

Si l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme ne figure pas dans les visas de la décision Tiberi, c'est tout simplement que la nomination de M. Tiberi à un poste de contrôleur général économique et financier n'est pas la résultat d'un concours, mais d'une nomination au tour extérieur, d'ailleurs prévue par l'article 8 de la loi du 13 septembre 1984. On sait en effet que 1/5 des emplois vacants des corps d'inspection et de contrôle peuvent être pourvus par décret en conseil des ministres "sans condition autre que l'âge".

De cette formulation, il est probable que l'Exécutif ait considéré que, si le candidat avait l'âge requis, il n'était sans pas indispensable qu'il ait, en outre, des compétences particulières pour exercer ce type d'emploi. Sur ce point, il pouvait d'ailleurs s'appuyer sur l'arrêt du 25 février 2011 qui refusait d'annuler la nomination d'un autre héritier, M. Arno Klarsfeld, au Conseil d'Etat. 

La nomination au tour extérieur n'exclut cependant pas, conformément au principe d'égalité d'accès aux emplois publics, l'appréciation du lien entre les aptitudes du candidat et l'emploi auquel il postule. L'article 8 de la loi du 13 septembre 1984 prévoit ainsi l'intervention d'une commission "chargée d'apprécier l'aptitude des intéressés à exercer leurs fonctions (...) en tenant compte de leurs fonctions antérieures et de leur expérience". En l'espèce, la Commission avait donné un avis défavorable à la nomination de l'intéressé, faisant observer "qu'il n'avait exercé ni des responsabilités d'encadrement ou de direction, ni des fonctions d'analyse et d'expertise approfondies à caractère économique et financier".

Salvador Dali. Le cheval de Caligula. 1971

L'erreur manifeste d'appréciation

Le Conseil va finalement exercer un contrôle de l'"erreur manifeste d'appréciation". Cette notion exprime  l'idée que le pouvoir discrétionnaire de l'administration est limité par l'interdiction d'apprécier de manière manifestement erronée les faits qui sont à la base de la décision. 

Il se trouve que le contrôle de l'erreur manifeste a été étendu aux nominations au tour extérieur par un arrêt d'assemblée du Conseil d'Etat du 16 décembre 1988, Association des administrateurs civils c. D. A partir de cette date, le juge administratif accepte ainsi de contrôler l'existence d'un minimum d'adéquation entre les connaissances et la formation de la personne ainsi désignée et l'emploi qu'elle se voit offrir. Lorsque cette adéquation n'existe manifestement pas, le juge annule la nomination pour illégalité. 

Bien sûr, le Conseil d'Etat aurait pu se montrer encore plus sévère et estimer que la désignation de Dominique Tiberi était l'exemple type d'une "nomination pour ordre", que l'on peut définir comme le fait d'investir une personne d'une fonction, non pour qu'elle l'exerce, mais pour qu'elle en tire les avantages qui lui sont attachés. Mais les preuves d'une telle finalité sont cependant bien difficiles à trouver car il s'agit alors, comme dans le détournement de pouvoir, d'apprécier directement les motivations de l'auteur de la nomination. La sanction pour erreur manifeste est déjà  lourde pour un Exécutif coupable d'avoir fait prévaloir l'amitié politique sur le mérite. 

samedi 31 décembre 2011

Un coup d'arrêt à la concentration des autorités indépendantes ?


Dans une lettre adressée à Christian Vanneste, député du Nord (UMP), et que ce dernier rend publique sur son site personnel, le ministre de la culture, Frédéric Mitterrand, se déclare défavorable à la fusion entre l'Autorité de régulation des communications électroniques (Arcep), le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi).

Le rapport Vanneste-Dosière

Ce courrier apparaît comme une réponse, quelque peu tardive, au rapport parlementaire co-rédigé par Christian Vanneste avec René Dosière (député de l'Aisne, PS) sur  les autorités administratives indépendantes au nom du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques. Publié en octobre 2010, ce rapport se prononce pour "un effort de rationalisation passant par des regroupements".

Au moment de la publication du rapport, on recense en effet une bonne quarantaine d'autorités indépendantes, et leur déploiement ne repose sur aucune idée directrice ni démarche prospective. La notion même d'autorité indépendante n'a jamais été clairement élucidée. S'il est vrai que leurs membres bénéficient généralement d'un statut d'indépendance et qu'elles ne sont pas soumises au pouvoir hiérarchique, leur nature administrative ne fait cependant aucun doute. Certaines, comme la CNIL ou le CSA prennent des décisions administratives. Le plus souvent cependant, elles se présentent comme des commissions consultatives ordinaires, ce qui signifie qu'elles rendent des avis que l'autorité dotée du pouvoir de décision n'est pas tenue de suivre. A l'origine limitées aux secteurs de la régulation économique ou de la médiation avec les administrés, elles ont peu à peu envahi l'ensemble de l'espace administratif, y compris le plus régalien comme la défense ou la justice. Si le succès de la formule témoigne de son enracinement dans le droit positif, il révèle aussi une véritable dispersion de ces autorités, dont la visibilité même se trouve affectée.

Les regroupements en cours

Bien avant le rapport Vanneste-Dosière, le législateur s'était déjà efforcé d'opérer des regroupements entre différentes autorités administratives indépendantes exerçant leurs missions dans des secteurs connexes. La loi du 1er août 2003 fusionne la Commission des opérations de Bourses, le Conseil des marchés financiers et le Conseil de discipline de la gestion financière. Mais le rapport Vanneste-Dosière propose une fusion plus ambitieuse, qui va se traduire par la loi du 29 mars 2011 qui fédère le Médiateur, le Défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie de la sécurité et la Halde au sein d'une unique autorité indépendante : le Défenseur des droits.

Dans ce contexte, il pouvait  sembler logique de mettre en oeuvre un troisième rapprochement, directement issu du rapport Vanneste, celui entre l'Arcep, le CSA et l'Hadopi.

Marcel Burtin. 1902-1979. Tableau des autorités administratives indépendantes

La logique du regroupement Arcept, CSA, Hadopi

Dans ses rapports de 2006 et 2009, la Cour des comptes s'interrogeait déjà sur l'intérêt d'une gestion éclatée du spectre des fréquences, distinguant l'usage audiovisuel et les communications électroniques, alors même que c'est le Premier ministre qui attribue les fréquences à chacun des deux secteurs. Le passage au numérique impose la fin de la spécialisation des réseaux, qui peuvent désormais être indifféremment affectés soit au l'audiovisuel, soit aux communications électroniques. Le mode de régulation du CSA, qui reposait sur l'idée que les réseaux étaient une ressource rare, est aujourd'hui mis en cause. Avec l'avènement du numérique, les sociétés de télévision sont aujourd'hui concurrencées par les opérateurs internet. Cette "convergence numérique" remet ainsi en question le partage des compétences entre l'Arcep et le CSA.

L'Hadopi, quant à elle, est présentée comme "une réponse ponctuelle à un problème spécifique" par Messieurs Vanneste et Dosière. S'il est vrai que la lutte contre le piratage et la protection des droits des auteurs sont des préoccupations parfaitement légitimes, les auteurs du rapport considéraient qu'il n'était pas pour autant indispensable de créer une autorité indépendante spécialement compétente dans ce domaine. L'Arcep, chargée de réguler les communications électroniques, ou le CSA compétent en matière de contenus, auraient pu, à leurs yeux, assumer les compétences qui sont celles de l'Hadopi.

Les motifs du refus

Le ministre de la Culture refuse pourtant d'envisager un regroupement de ces autorités,

- Pour la fusion CSA/Hadopi, le ministre s'aligne sur la poisition du Premier ministre qui avait affirmé que "fusionner les deux autorités reviendrait à dénaturer l'une et l'autre". Alors que ces deux autorités sont bien connues pour leur sourde rivalité, cette décision conforte le CSA qui conserve la mission de régulation des contenus, alors que l'Hadopi reste cantonné aux seules questions de droit d'auteur. Et nul n'ignore qu'elle rencontre bien des difficultés pour faire appliquer la loi qui l'a instituée. D'une certaine manière, le ministre refuse de prendre position dans le conflit, et renvoie chaque autorité à ses compétences propres.

- Pour la fusion Arcep/CSA, Frédéric Mitterrand évoque un risque de voir pénétrer les préoccupations économiques dans la mission de respect du pluralisme. Il est vrai que l'Arcep a d'abord pour mission de garantir la libre concurrence entre les opérateurs, alors que le CSA s'attache essentiellement au pluralisme des contenus. Par ce refus, le ministre donne satisfaction aux milieux de la culture qui ne sont pas favorables à une telle fusion. Sur ce second projet de fusion, on ne peut qu'être sensible aux arguments du ministre qui s'efforce de protéger le contrôle des contenus des préoccupations mercantiles. 

Plus généralement, sa décision met un frein au mouvement de fusion des autorités indépendantes dont les création du Défenseur des droits est l'élément le plus visible. 

De manière implicite, c'est la question du bien-fondé de ce premier regroupement qui est posée. Car le Défenseur des droits fusionne des autorités indépendantes dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles ont encore moins de points communs que celles que Frédéric Mitterrand refuse de regrouper. Il est vrai qu'il s'agissait alors de mettre fin aux activités d'une  Halde  très dispendieuse et pour le moins gaffeuse, et d'un Médiateur dont chaque rapport constituait un réquisitoire contre les politiques gouvernementales en matière sociale.On doit donc en déduire que la fusion des autorités indépendantes n'est une bonne chose que lorsqu'il s'agit de les replacer sous contrôle gouvernemental.

mercredi 28 décembre 2011

Le "crime" de Florence Hartmann ou les secrets du TPIY


Le lundi 26 décembre, le ministère des affaires étrangères a annoncé qu'il refusait de donner suite à l'arrêt rendu le 16 octobre par la Chambre d'appel du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), qui ordonne aux autorités françaises "de rechercher, d'arrêter, d'écrouer et de remettre rapidement au tribunal" madame Florence Hartmann. Quel crime de guerre a donc commis cette ancienne journaliste du Monde et porte-parole du procureur du TPIY de 2000 à 2006 ?

Le "crime" de Madame Hartmann

Nous pouvons être rassurés. Notre compatriote n'a pas participé à des massacres, elle s'est bornée à écrire un livre publié en 2007 et intitulé "Paix et Châtiment". Elle y fait état de deux décisions de la chambre d'appel du TPIY rendues dans le cadre du procès Milosevic. Selon elle, ces décisions auraient permis de mettre en évidence le rôle de la Serbie dans le génocide de Srebenica qui a fait 8000 victimes bosniaques en 1995. Le problème est que le TPIY avait décidé de conserver la confidentialité de ces deux décisions, et c'est précisément parce qu'elle a rompu ce secret que Florence Hartmann est poursuivie. 

En première instance, elle a été condamnée à payer une amende de 7000 € par une décision du 14 septembre 2009,. Ayant refusé d'obtempérer, Florence Hartmann a ensuite été condamnée pour "Contempt of Court" par une décision de la Chambre d'appel du TPIY, intervenue le 19 juillet 2011. C'est évidemment cette seconde décision qui constitue le fondement du mandat d'arrêt que les autorités françaises refusent d'exécuter. 

Le refus d'extrader

Le communiqué du Quai d'Orsay mentionne que "les textes qui organisent la coopération entre le TPIY et la France ne s'appliquent qu'aux crimes graves que ce tribunal a pour mission de juger". Le "Contempt of Court" ne figure pas au nombre de ces "crimes graves" et ne justifie donc pas la remise de Madame Hartmann au Tribunal. 

Le texte qui "organise la coopération entre le TPIY et la France" est la loi du 2 janvier 1995 portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 827 du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant le TPIY en vue de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991. De toute évidence, Florence Hartmann n'a pas commis  "des infractions graves aux Conventions de Genèves du 12 août 1949, des violations des lois et coutumes de la guerre, un génocide ou des crimes contre l'humanité". Ces dispositions figurant dans l'article 1er de loi constituent le champ d'application de la coopération entre la France et il ne fait guère de doute que la divulgation d'informations considérées comme confidentielles, voire le refus de se soumettre à un jugement du TPIY, ne sauraient être analysés comme des violations du droit humanitaire. 

On doit au contraire considérer qu'agissant ainsi, la France se borne à respecter la Convention européenne des droits de l'homme qui dans son article 10 consacre la liberté de presse comme un élément de la liberté d'expression.



Une justice politique 

Le "crime" commis par madame Hartmann ne justifie pas qu'elle soit jetée sur la paille humide des cachots de Scheveningen.  On devrait plutôt la remercier d'avoir mis en lumière quelques aspects pour le moins surprenants de la justice rendue par le TPIY. Celui-ci reproche à la journaliste d'avoir violé le secret attaché à deux décisions de justice. Car le TPIY rend donc des décisions secrètes ?

Le TPIY considère que "la conduite de l'accusée pourrait dissuader des Etats souverains de fournir des éléments de preuve au Tribunal dans le cadre de leur coopération avec celui-ci". En l'espèce, Florence Hartmann affirme que le TPIY aurait rendu ces deux décisions sous l'influence du substitut principal, le britannique Geoffrey Nice, qui se serait efforcé d'obtenir l'abandon des charges contre la Serbie. Est-ce à dire que les charges retenues contre les uns ou les autres sont le résultat d'un lobbying ou d'une négociation ? Et à l'issue de cette négociation, suffirait-il d'une décision secrète pour interdire toute poursuite à l'égard des crimes les plus révoltants ? 

L'affaire Hartmann éclabousse bien davantage le TPIY que la journaliste qu'il condamne. Elle montre une juridiction qui rend des décisions politiques dans une opacité totale. Et une juridiction qui rend des décisions politiques ne rend plus la justice. Et la justice politique est à la justice ce que la musique militaire est à la musique, comme disait Clemenceau. 
 

lundi 26 décembre 2011

QPC : Garde à vue et libre choix du défenseur

Par une décision du 23 décembre 2011, le Conseil d'Etat a renvoyé au Conseil constitutionnel une QPC portant sur l'article 706-88-2 du code de procédure pénale, dont la rédaction est issue de la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue. Ce texte prévoit que, lorsqu'une personne est gardée à vue pour une ou plusieurs infractions liées au terrorisme ou à la grande criminalité, le juge des libertés et de la détention ou le juge d'instruction peut décider qu'elle sera assistée par un avocat "désigné par le bâtonnier sur une liste d'avocats habilités, établie par le bureau du Conseil national des barreaux".

Dès le mois d'octobre, le Conseil national des barreaux, par la voix de son Président, s'était élevé contre ce dispositif et on pouvait penser que ce désaccord allait se concrétiser par le dépôt d'une QPC. Le 24 octobre, LLC avait annoncé que celle-ci interviendrait sans doute à l'initiative d'une personne poursuivie. En réalité, les avocats n'ont pas eu  besoin d'attendre un contentieux. Ils ont tout simplement contesté la légalité du décret du 14 novembre 2011 organisant l'application des dispositions nouvelles, et profité de ce contentieux pour déposer une QPC. 

Il est vrai que la légalité du décret est, en soi, parfaitement contestable. Le texte réglementaire impose en effet que le nombre des avocats désignés par le bâtonnier soit égal ou inférieur à 10 % des inscrits au Barreau. Cette restriction, non prévue par la loi, pourrait entraîner l'illégalité du texte réglementaire pour incompétence. De la même manière, un moyen tiré de la non conformité au principe de libre choix du défenseur, tel qu'il est reconnu par la Convention européenne des droits de l'homme, a de bonnes chances de prospérer. 

Le libre choix du défenseur

La QPC permet d'envisager la conformité du texte aux libertés publiques, et plus particulièrement au principe du libre choix du défenseur. A priori, l'article 706-88 al. 2 lui porte une atteinte évidente puisqu'il impose à la personne gardée à vue de choisir son avocat dans une liste préalablement établie. La seule difficulté réside dans l'absence de consécration de ce principe par une norme de valeur constitutionnelle. 

Il figure dans la loi, y compris celle du 14 janvier 2011, qui prévoit que, dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à être assistée par un avocat. "Si elle n'est pas en mesure d'en désigner un ou si l'avocat choisi ne peut être contacté", un avocat commis d'office peut être désigné par le bâtonnier. La loi fait donc prévaloir le libre choix du défenseur sur toute autre modalité de désignation.

De son côté, la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit dans son article 6 § 3 :que "tout accusé a droit notamment à se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix". Dans l'état actuel du droit, c'est donc la Convention européenne qui garantit le libre choix du défenseur, et non pas une norme constitutionnelle.

Les bons vivants. Gilles Grangier. 1965.Bernard Dhéran, Andréa Parisy, Darry Cowl.


Les restrictions au libre choix de l'avocat 


Reste que ce principe est loin d'être absolu. Dans un arrêt Croissant c. Allemagne du 25 septembre 1992, la Cour précise que des atteintes au libre choix du défenseur peuvent intervenir "lorsqu'il existe des motifs pertinents et suffisants de juger que les intérêts de la justice le commandent".La Cour admet donc des restrictions à ce libre choix, par exemple lorsque les frais de représentation sont supportés par l'Etat dans un système d'aide judiciaire. 

L'atteinte au libre choix doit être justifiée par "les intérêts de la justice", et c'est précisément le point qui pose problème dans le cas de l'article 706-88 al. 2 du code de procédure pénale. Ce dernier reste muet sur les motifs qui ont conduit le législateur à prévoir une liste d'avocats habilités par les Barreaux pour assister les personnes suspectées d'infractions liées au terrorisme ou à la grande criminalité. 

Seul le rapport de l'Assemblée nationale sur le projet de loi justifie cette mesure par deux séries d'arguments a contrario : "Le premier risque résidera dans la possibilité que la personne gardée à vue soit assistée par un avocat défendant la même cause idéologique qu'elle. Le risque de fuites serait alors considérable. Le second risque sera, compte tenu de la personnalité, de la dangerosité et des moyens dont disposent certains auteurs d'actes de terrorisme que des pressions soient exercées par les personnes gardées à vue sur les avocats désignés pour qu'ils préviennent leurs complices ou fassent disparaître des preuves". On ne peut affirmer plus clairement que les motifs de la restriction au libre choix de l'avocat sont  liés à l'absence de confiance accordée aux défenseurs par le législateur. Cette méfiance fonde une procédure qui ressemble beaucoup à un régime préventif. La liberté de choix de l'avocat est, en quelque sorte, soumise à une forme subtile d'autorisation préalable. A cet égard, la procédure nouvelle marque une rupture par rapport au régime répressif traditionnel qui prévoit des sanctions très lourdes à l'encontre de l'avocat qui entrave le déroulement d'une enquête, mais ne croit pas opportun de lui faire un procès d'intention.

Sur un plan plus concret, on doit s'interroger sur la manière dont les Barreaux sont censés mettre en oeuvre une telle disposition. Pour dresser la liste des avocats "défendant la même cause idéologique" qu'un mouvement terroriste, ils devront inévitablement ficher les opinions politiques de leurs membres, ce qui est évidemment contraire aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978 sur l'informatique, les fichiers et les libertés. 

De même, pour désigner les avocats susceptibles de subir des "pressions", il apparaît indispensable de faire l'analyse des vulnérabilités des avocats. Les Barreaux doivent-ils se transformer en officines de renseignement, dès lors qu'ils sont fondés à délivrer une "habilitation" ? La question se pose de manière très concrète, puisque, dans beaucoup de dossiers d'infractions liées au terrorisme, figurent des informations provenant du renseignement. Comment des Barreaux, qui ne disposent eux-mêmes d'aucune sorte d'habilitation, seraient-ils compétents pour habiliter leurs membres à connaître des informations classifiées, et bien entendu, à réaliser l'enquête qui précède cette habilitation ? 

Les motifs qui fondent la restriction ainsi posée au libre choix de l'avocat semblent peu en rapport avec "les intérêts de la justice" et on a un peu le sentiment que le législateur se borne à renvoyer aux Barreaux une question qui l'embarrasse. 

La faiblesse même des arguments développés à l'appui de cette procédure offre au Conseil constitutionnel  l'opportunité de reconnaître valeur constitutionnelle au principe du libre choix du défenseur. Saisira-t- il cette occasion ?

vendredi 23 décembre 2011

Loi mémorielle et police de l'histoire

L'Assemblée nationale vient d'adopter en première lecture la loi "visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi". Sans qu'il soit mentionné directement, c'est la contestation du génocide arménien de 1915 qui est visée, dès lors que l'infraction de contestation de la Shoah est déja sanctionnée par la loi Gayssot de 1990. En revanche, la loi du 29 janvier 2001 qui reconnaît le génocide arménien n'accompagne pas cette reconnaissance de sanction pénale en cas de contestation. C'est donc chose faite avec le texte qui vient d'être voté.

Ce texte est  le résultat d'un important lobbying exercée par les associations représentant la communauté des Français d'origine arménienne, soit environ 500 000 électeurs. C'est donc à eux qu'il faut donner satisfaction, et peu importe que la Turquie rappelle son ambassadeur et renonce à certains marchés en cours de négociation avec notre pays. La pêche aux voix impose quelquefois des sacrifices diplomatiques et financiers. 

Un marché de dupes ? 

Observons d'emblée que ces associations pourraient bien avoir passé un marché de dupes. Le Premier ministre s'est en effet abstenu de déclarer l'urgence dans le vote de cette loi. Cela signifie que la seconde lecture interviendra au Sénat...quand elle sera inscrite à l'ordre du jour, peut être après les élections législatives de 2012. Ceux qui ont de la mémoire, mais n'est-ce pas toujours le cas quand on est favorable à l'adoption de lois mémorielles ?, devraient se souvenir qu'en 2006, une proposition de loi avait été votée par l'Assemblée nationale sur le même sujet, mais qu'elle n'avait jamais été inscrite à l'ordre du jour des délibérations du Sénat.

La "loi mémorielle"

Une loi "mémorielle" peut être définie comme imposant le point de vue officiel d'un Etat sur des évènements historiques. Elle peut même interdire l'expression d'autres points de vue. La première d'entre elle est la loi Gayssot du 13 juillet 1990, dont on sait qu'elle fut adoptée dans l'émotion provoquée par la profanation du cimetière de Carpentras et qu'elle n'a pas été soumise au contrôle du Conseil constitutionnel, La seconde est précisément la loi du 29 janvier 2001 reconnaissant le génocide arménien, qualifiée d'inconstitutionnelle par le doyen Vedel. La troisième est la loi Taubira du 21 mai 2001 qui impose aux manuels scolaire d'accorder" à la traite négrière et à l'esclavage la place conséquente qu'ils méritent". 

Enfin la loi du 23 février 2005 marque, d'une certaine manière, l'apogée mais aussi la chute des lois mémorielles. Son article 4 al. 2 déclarait : "les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit". Agacés par ce nouveau texte prétendant affirmer l'existence d'une histoire officielle, dix-neuf historiens français ont alors co-signé un texte intitulé "Liberté pour l'histoire" demandant l'abrogation de ce texte et de l'ensemble des lois mémorielles.Ils ont reçu le soutien objectif du Conseil constitutionnel, qui a estimé, dans une décision du 21 janvier 2006, que la disposition litigieuse n'avait pas valeur législative. Elle avait dès lors valeur réglementaire, et le gouvernement, avec prudence, a préféré l'abroger.

Cet échec retentissant laissait augurer un abandon pur et simple des lois mémorielles, d'autant que celle qui vient précisément d'être votée est parfaitement inutile et que sa constitutionnalité est loin d'être acquise

Nicolas Poussin. Le massacre des innocents. 1628

Une loi inutile

On pourrait évidemment s'interroger sur l'intérêt d'un texte qui sacrifie les relations diplomatiques de la France aux intérêts des arrières-petits enfants des victimes d'un génocide, qui n'a pas eu lieu en France et dont aucune victime n'était française. On imagine ainsi quelle pourrait être la réaction des autorités françaises si le parlement turc votait une loi reconnaissant le génocide vendéen en 1793. Il est vrai que la diaspora vendéenne n'a pas réellement de poids électoral en Turquie, ce qui rend l'hypothèse peu probable.

Au-delà du débat politique, la question de l'utilité juridique du texte est posée, car le négationnisme à l'égard du génocide arménien est déjà sanctionné par le droit français. L'historien anglo-américain Bernard Lewis, Professeur à Princeton, avait affirmé, dans un entretien accordé au Monde le 16 novembre 1993, que les massacres et déportations intervenus en 1915 n'entraient pas dans la définition juridique du génocide. Il a finalement été condamné au civil le 21 juin 1995 par la 17è Chambre du tribunal correctionnel sur le fondement de l'article 1382 du Code civil pour manquement à ses devoirs d'historien d'objectivité et de prudence, à la suite d'un recours introduit par différentes associations arméniennes de France auxquelles s'était jointe la LICRA.Si les requérants souhaitent se placer sur le plan pénal, ils ont également la possibilité d'invoquer la diffamation.

Une loi inconstitutionnelle ? 

Reste à se poser la question de la constitutionnalité de la loi qui vient d'être votée.

Les dispositions qu'elle contient relèvent elles de l'article 34 de la Constitution qui définit une liste de domaines réservés à la loi ? La réponse à cette question est loin d'être simple. La loi de 2001 qui "reconnaît" le génocide arménien est certainement inconstitutionnelle, même si le Conseil n'a jamais été saisi. En effet, la décision du 21 janvier 2006 a estimé qu'une loi mémorielle, en l'occurrence celle fixant le contenu des manuels scolaires sur la colonisation de l'Afrique Nord n'avait pas valeur législative. Dès lors, la loi qui vient d'être votée pourrait être considérée comme inconstitutionnelle, puisqu'elle pose une sanction dont le fondement se trouve dans une loi elle-même inconstitutionnelle. Lorsqu'une  première loi est modifiée ou complétée par une seconde loi qui s'enracine dans la première, le Conseil exerce son contrôle sur la première loi et peut, le cas échéant, la déclarer contraire à la Constitution. 

Sur le fond, on doit reconnaître que l'objet de la loi est de limiter la liberté d'expression pour des motifs considérés comme étant d'ordre public. Or, la liberté d'expression qui est ici menacée est d'abord celle des historiens et des chercheurs, précisément garantie par un "principe fondamental reconnu par les lois de la République" depuis la décision du 20 janvier 1984. Le Conseil devrait donc être conduit à apprécier la proportionnalité de la sanction ainsi créée à ce principe constitutionnel, et il n'est pas évident qu'il fasse prévaloir l'histoire officielle sur la liberté d'expression des historiens.

Le seul élément à l'appui de la constitutionnalité du texte est finalement l'absence probable de recours devant le Conseil constitutionnel. Car les lois mémorielles sont ile fruit d'une police de la pensée qui stigmatise ceux qui oseraient sortir du "politiquement correct". La saisine du Conseil constitutionnel serait immédiatement dénoncée comme une négation du génocide arménien, pour ne pas dire une négation des génocides qui ont marqué notre histoire. Il ne reste qu'à espérer que le Président du Sénat saisira le Conseil ou, à défaut, que quelqu'un sera effectivement condamné sur le fondement de ce texte, si jamais il parvient à être définitivement voté. Dans ce dernier cas, la voie de la QPC serait alors ouverte, et le Conseil pourrait se prononcer. 

La mémoire et l'oubli

En attendant doit-on suggérer aux Vendéens, qui représentent un nombre conséquent d'électeurs, de demander une loi mémorielle pour reconnaître le génocide dont leurs ancêtres ont été victimes ? Ou aux Protestants de solliciter la reconnaissance officielle de la Saint-Barthélémy ? Dans leur cas, l'Edit de Nantes a déjà répondu, dès 1598, en faisant sagement prévaloir l'oubli des offenses  : "Que la mémoire de toutes choses passés depuis mars 1585 ainsi que de tous les troubles précédents demeure éteinte et assoupie comme une chose non advenue. (...) Pareillement, nous défendons à nos sujets, de quelque état et et qualité qu'ils soient d'en renouveler la mémoire, de s'attaquer, de s'injurier, de se provoquer l'un l'autre à propos de ce qui s'est passé, pour quelque cause que ce soit, d'en disputer, contester ou quereller, mais de se contenir et de vivre ensemble comme frères, amis et concitoyens".

Plus largement, doit-on aussi inviter la Sorbonne à remplacer les examens d'histoire par une comparution des candidats devant une juridiction pénale, afin de vérifier que leurs connaissances historiques sont bien conformes à la vérité officielle ? L'ignorance devient un délit, et il convient d'envisager la création d'un département carcéral dans les locaux universitaires. Tremblez, Sorbonnards, Sorbonnagres, Sorbonicoles ! 

mercredi 21 décembre 2011

Droit aux origines et accouchement sous X

La proposition de loi présentée par madame Brigitte Barèges (député UMP du Tarn et Garonne) et enregistrée le 7 décembre 2011 à l'Assemblée nationale vient, une nouvelle fois, poser la question du droit aux origines. Conformément aux conclusions du rapport parlementaire dont madame Barèges était rapporteur, rendu en janvier 2011, il  propose la suppression de l'"accouchement sous X".  Prévu par l'article 326 du code civil, celui ci est défini en ces termes  : "Lors de l'accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé". Lui serait substitué un "accouchement dans le secret", formule peu claire qui consiste à garantir la confidentialité jusqu'à la majorité de l'enfant. Une fois devenu adulte, celui-ci pourrait alors, s'il le désire, avoir communication du nom de sa mère.

A l'appui de cette réforme est avancée la notion de "droit aux origines" dont serait titulaire l'enfant né "sous X". On comprend en effet le désir qu'il peut exprimer de connaître le nom de sa mère, et ainsi de reconstituer son histoire personnelle. Force est de constater cependant que le droit d'accès aux origines n'existe pas vraiment dans le droit positif.

Le droit aux origines dans le droit positif

La référence toujours citée sur le droit d'accès aux origines est la Convention de New York sur les droits de l'enfant, dont l'article 7 al. 1 dispose : "L'enfant est enregistré dès sa naissance et a, dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans le mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux".  Cette formulation est doublement ambigue. D'une part, le droit de connaître ses origines n'existe que "dans la mesure du possible", c'est à dire qu'il peut disparaître dans certaines hypothèses, comme l'accouchement sous X. D'autre part, la Convention évoque le "droit de connaître ses parents" et non pas le "droit aux origines". Après un accouchement sous X, l'enfant fait l'objet d'une adoption plénière, ce qui signifie que ses "parents" sont le couple qui l'a adopté. Il a donc incontestablement le droit de connaître ses parents.

La Cour européenne des droits de l'homme, de son côté, a affirmé, dans un arrêt Odièvre du 13 février 2003 que l'accouchement sous X n'est pas contraire aux articles 8 et 14 de la Convention. Il ne porte donc pas atteinte à la vie privée et n'est pas discriminatoire. L'arrêt Kearns du 10 janvier 2008 confirme cette jurisprudence, en insistant sur le fait que la mère bénéficie d'un délai de rétractation de deux mois, qui lui offre l'opportunité d'apprécier les conséquences de sa décision. La Cour européenne refuse donc d'intégrer le droit d'accès aux origines parmi les éléments relevant de la vie privée et susceptibles d'être garantis par l'article 8. Elle estime d'ailleurs que la législation française offre un équilibre satisfaisant entre les intérêts en cause. 

Le droit interne, quant à lui, connaît l'accès aux origines, mais, jusqu'à aujourd'hui ne l'a jamais consacré comme un droit. La loi du 22 janvier 2002 a ainsi créé le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP). Cette autorité indépendante reçoit les demandes d'accès aux origines formulées par les enfants nés sous X. Le CNAOP prend alors contact avec la mère biologique et lui demande si elle est d'accord pour que son identité soit communiquée à l'enfant. Elle peut évidemment refuser d'accéder à cette demander, ce qui montre clairement que l'accès aux origines n'est pas un droit. 

Dans le droit positif, le droit aux origines n'existe tout simplement pas. Il est donc bien difficile de l'utiliser comme fondement d'une législation. Souvenons nous qu'en janvier 2011, les députés ont refusé de lever l'anonymat sur les dons de gamète, tout simplement parce que les professionnels de la procréation médicalement assistée redoutaient une chute considérable du nombre de donneurs de gamètes. Qu'il s'agisse des dons d'ovule ou des dons de sperme, le donneur n'agit pas pour donner naissance à un enfant, mais pour aider un autre couple à concrétiser son désir d'enfant. Il n'a donc pas envie de devoir répondre, des années plus tard, à une demande de contact formulée par l'un ou l'autre des enfants nés par une assistance médicale à la procréation.

Charlie Chaplin. Le Kid. 1921

Eléments du débat

La question de l'accouchement sous X peut évidemment être discutée.  Mais si le débat doit prendre en considération les droits de l'enfant, il doit aussi se préoccuper de ceux des autres acteurs intéressés. La mère tout d'abord a droit au respect de sa vie privée, et rien ne dit que dix huit années après son accouchement, elle souhaite voir ressurgir un passé qui peut être douloureux. Les parents adoptifs ensuite, qui ont bénéficié d'une adoption plénière, ne désirent pas nécessairement voir apparaître une mère biologique qu'ils peuvent percevoir comme une menace pour leur vie familiale. Dans tous les cas, la loi doit rechercher l'équilibre entre ces différents intérêts. 
 
 La loi doit également s'intéresser aux conséquences de la suppression de l'accouchement sous X. Ce dernier est apparu au XVIè siècle, pour lutter contre l'infanticide. Aujourd'hui, les partisans du droit d'accès aux origines nous montrent en exemple les législations allemande, autrichienne, belge, suisse, tchèque et slovaque qui refusent l'accouchement sous X, au nom du droit d'accès aux origines. On n'insiste guère en revanche sur le retour des "boîtes à bébé" qui permettent de déposer anonymement des nouveaux-nés dans  une niche creusée à l'intérieur du mur de l'hôpital. Au Moyen-Age, cela s'appelait le "tour", et c'est précisément pour éviter cela qu'a été créé l'accouchement sous X.

En donnant satisfaction aux enfants nés sous X, en leur offrant d'accéder à leurs origines, on leur permet de connaître leurs racines, de reconstituer leur histoire. Certes, mais en même temps, on risque de voir reparaître des accouchements clandestins, réalisés sans soutien médical, faisant courir des risques insensés à la mère et à l'enfant. Le débat sur le droit d'accès aux origines doit certainement se développer, mais encore doit-il être appréhender de manière globale, et pas seulement à travers le désir de ceux qui le revendiquent.