« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 22 octobre 2011

Condition pénitentiaire et traitement inhumain et dégradant

La Cour européenne a rendu le 20 octobre 2011 un arrêt Stasi c. France, dans lequel est une nouvelle fois évoquée la condition des détenus. Le requérant, poursuivi dans deux procédures distinctes pour escroquerie, faux et usage de faux, usage de chèque contrefait et abus de confiance, fut condamné successivement à deux et trois d'emprisonnement, dont dix-huit mois avec sursis. Il fut placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de Saint Paul, et purgea sa peine à celle de Villefranche sur Saône.

Après différents recours internes, dont la saisine du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Stasi invoque devant la Cour européenne la violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, selon lequel "nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants". Il se plaint en effet d'avoir été victime de violences de la part de ses co-détenus, dont un viol, ainsi que différentes humiliations liées à son homosexualité. Il reproche aux autorités pénitentiaires de ne pas avoir pris les mesures adéquates pour assurer sa protection. 

L'article 3 et les personnes placées en détention

Les dispositions de l'article 3 impose aux autorités de l'Etat non seulement de s'abstenir de pratiquer la torture et les traitements inhumains et/ou dégradants, mais aussi de prendre les dispositions indispensables pour empêcher de telles pratiques, même administrées par des particuliers (CEDH, 23 septembre 1998, A. c. Royaume-Uni ; 31 mai 2007,  Secic c. Croatie). Lorsque les victimes sont des détenus, le devoir de protection prend un sens tout particulier, dès lors qu'une personne emprisonnée est dans une situation de plus grande vulnérabilité. 

Pour apprécier s'il y a eu violation de l'article 3, la Cour apprécie l'ensemble des circonstances de l'affaire à la lumière de trois éléments :
  • La Cour s'assure de la gravité des mauvais traitements invoqués. Cette appréciation est relativement subjective et tient compte de leur durée, de leurs conséquences médicales et psychologiques etc. Le requérant doit évidemment fournir à la Cour des éléments de preuve de nature à emporter sa conviction "au-delà du doute raisonnable". En l'espèce, différents certificats médicaux témoignent de nombreux coups reçus par M. Stasi ainsi que des brûlures faites par des cigarettes. De même, une enquête pour viol a été ouverte lors de la première incarcération du requérant, ce qui témoigne du caractère sérieux des accusations portées. 

  • La Cour vérifie que l'Etat membre a effectivement mis en place une législation pénale de nature à réprimer et dissuader de telles violences. Tel est le cas en France, puisque notre droit punit le viol  de quinze ans d'emprisonnement, peine qui peut être portée à vingt ans, lorsqu'il est commis en raison de l'orientation sexuelle de la victime. Les violences quant à elles sont sanctionnées d'une peine de trois à cinq ans, selon leur gravité, leur durée, et leur caractère discriminatoire. 

  • La Cour recherche enfin si les autorités ont effectivement pris des mesures que l'on était en droit d'attendre d'elles pour mettre le détenu à l'abri de ces violences. Dans un arrêt récent du 10 février 2011, Premininy c. Russie, elle a ainsi conclu à une violation de l'article 3 dans la mesure où l'administration pénitentiaire n'avait mené aucune enquête, alors  qu'une personne placée en détention provisoire se plaignait d'avoir subi des sévices non seulement de ses compagnons de cellule mais aussi des gardiens de l'établissement. Dans l'affaire Stasi, elle prend soin de rappeler que les autorités pénitentiaires n'ont pas toujours été informées par le requérant des mauvais traitements dont il était victime. En revanche, lorsqu'elles ont été averties, notamment lors des brûlures de cigarette qui lui ont été infligées, elles se sont efforcées de le mettre à l'abri de ses tortionnaires (changement de cellule, accès aux douches en dehors des horaires prévus, accompagnement d'un surveillant pour les déplacements). 
La délivrance des prisonniers. Bruxelles. Vers 1470
Compte tenu de ces circonstances, la Cour estime en conséquence que les autorités françaises disposaient des outils juridiques pour réprimer les violences faites au requérant et qu'elles ont effectivement pris les mesures que l'on pouvait attendre d'elles pour assurer sa protection physique. Il n'y a donc pas eu, en l'espèce, violation de l'article 3 de la Convention.

L'article 3 et la "loi du silence"

Les juges Spielmann et Nussberger publient une opinion dissidente commune, dans laquelle ils considèrent que la Cour n'est pas allée assez loin dans l'appréciation des mesures prises pour protéger le requérant. Les autorités pénitentiaires n'étaient sans doute pas officiellement informées de la plupart des violence dont il était victime, mais, aux yeux des juges, "elles auraient dû savoir". Au lieu d'attendre qu'il se plaigne, elles auraient dû s'informer, sachant que M. Stasi était particulièrement vulnérable au sein d'un établissement pénitentiaire, en raison même de son homosexualité et que la "loi du silence" qui y règne conduit bien souvent les victimes à renoncer à toute démarche officielle.

On comprend cette position, mais est-il vraiment possible d'en tirer des conséquences jurisprudentielles ? Admettre que l'administration pénitentiaire "aurait dû" connaître les violences dont un détenu est victime revient à inverser la charge de la preuve, et à faire peser sur elle une présomption de responsabilité. En outre, et on peut sans doute le regretter, ses moyens ne lui permettent guère de mettre en place un accompagnement particulier pour chaque détenu "à risque". Doit-on considérer les homosexuels comme des personnes à risques ? Et les assassins d'enfant dont nul n'ignore qu'ils sont très maltraités dans l'univers carcéral ? Le fait de prévoir une telle mesure pourrait conduire, avec la meilleure volonté du monde, à définir des "modèles" de détenus à risque, et donc à une stigmatisation, elle même source de nouvelles discriminations (voir contra l'intéressante étude de M. Nicolas Hervieu sur ce même arrêt dans la lettre du CREDOF).

La Cour a donc finalement opté pour une solution, certes imparfaite, mais qui permet une jurisprudence réaliste, tenant compte autant que possible des circonstances de l'espèce. 

jeudi 20 octobre 2011

Les fadettes , quels fondements juridiques pour quelles poursuites ?

L'affaire des "fadettes" est souvent présentée comme illustrant la tension permanente entre le secret de l'instruction et le droit à l'information des journalistes, qui suppose la garantie de la confidentialité de leurs sources. D'un côté, un journaliste du Monde qui veut des informations sur l'affaire Woerth-Bettencourt par des "sources proches de l'enquête", de l'autre des autorités politiques et administratives irritées de voir les éléments du dossier diffusés dans la presse et qui vont s'efforcer de démontrer que l'auteur des fuites est un des membres du cabinet du garde des sceaux. Il s'agirait donc d'arbitrer entre des droits également légitimes mais hélas contradictoires. 

Aujourd'hui, la mise en examen du responsable de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) par le juge Sylvie Zimmermann suscite de nouvelles interrogations juridiques sur ce dossier. Il n'est évidemment pas question de s'interroger sur la culpabilité de tel ou tel acteur de l'affaire, ce qui serait contraire à la présomption d'innocence. En revanche, il apparaît indispensable de préciser le "paysage juridique" de cette affaire. Quels pourraient être les fondements juridiques d'éventuelles poursuites, pénales ou disciplinaires ? 

La confidentialité des sources

La violation du secret des sources ne fait guère de doute, dès lors que la communication des fadettes avait précisément pour objet de connaître l'identité de l'informateur du journaliste du Monde. Les médias ont beaucoup insisté sur cet aspect de l'affaire, tant ils sont attachés à cette garantie. La loi du 4 janvier 2010 sur le secret des sources est un texte récent, essentiellement destiné à donner satisfaction à la Cour européenne des droits de l'homme qui considère, depuis sa jurisprudence Goodwin c. Royaume Uni du 27 mars 1996 que ce principe de confidentialité des sources est la "pierre angulaire" de la liberté de presse.


Sur le fond, la loi proclame le principe de secret des sources et encadre de manière relativement particulièrement rigoureuse les perquisitions effectuées dans des entreprises de presse. En revanche, aucune sanction pénale n'est réellement prévue en cas de violation, ce qui peut surprendre si l'on considère que ce texte est, en principe, une loi pénale. De plus, le législateur a pris soin de préciser qu'il peut être porté atteinte au secret des sources, directement ou indirectement, "si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie". Lorsqu'une procédure pénale est en cours, la loi précise que, dans ce cas, "il est tenu compte de la gravité du crime ou du délit, de l'importance de l'information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les mesures d'investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité". Si l'on peut considérer que ces conditions sont réunies lorsque la procédure vise à arrêter les auteurs d'un attentat terroriste ou d'un enlèvement... on peut se demander si la violation du secret de l'instruction constitue une infraction suffisamment grave pour justifier une atteinte au secret des sources. Aucune jurisprudence ne permet de répondre à cette question. 

Les hommes du Président. Alan J. Pakula 1976
Dustin Hoffman et Robert Redford
La violation de la loi de 1991 sur les écoutes téléphoniques. 

C'est sans doute la raison pour laquelle le juge d'instruction se place sur le terrain de la violation de la loi du 10 juillet 1991 sur les interceptions de sécurité. On sait qu'elle autorise les écoutes administratives effectuées dans un but d'intérêt public, à la condition que l'interception soit autorisée par le Premier ministre. Son article 20 autorise certes les autorités de police à s'affranchir des contraintes de procédure, lorsque l'interception a pour objet d'"assurer, aux seules fins de défense des intérêts nationaux, la surveillance et le contrôle des transmission empruntant la voie herzienne". Mais il est bien difficile de considérer que l'affaire Woerth-Bettencourt touche à la "défense des intérêts nationaux". 

Le Canard Enchaîné  déclare savoir par ailleurs que le principe même de l'accès aux "fadettes" aurait été autorisé par une délibération de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) qui dispenserait l'administration de toute formalité pour l'obtention de ces facturations détaillées auprès des opérateurs. Par la suite, le Premier ministre aurait, par une simple lettre, autorisé les services de police à accéder à ces pièces, sans informer qui que ce soit. 

Il appartient au juge d'instruction de vérifier l'existence de ces textes. Si elle était démontrée, ces textes seraient évidemment d'une illégalité flagrante, car un avis consultatif d'une autorité administrative comme la CNCIS et une lettre du Premier ministre ne sauraient évidemment déroger à des dispositions de nature législative. 

La question de l'illégalité des textes appliqués conduit à s'interroger sur l'éventuelle existence d'une faute disciplinaire dont se rendraient coupables les hauts fonctionnaires qui les appliquent.

La question de l'ordre illégal

Au regard du statut des fonctionnaires, l'affaire des "fadettes" illustre  la traditionnelle opposition entre le devoir d'obéissance et celui de s'opposer à un ordre illégal. 

L'article 28 du Statut, c'est-à-dire de la loi du 13 juillet 1983, précise que "tout fonctionnaire doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique". Sur ce plan, le responsable de la DCRI, comme tout fonctionnaire de police, doit exécuter les ordres qui lui sont donnés, soit par le Directeur général de la police nationale, soit par les autorités gouvernementales dont il est le grand subordonné. 

En revanche, ce même article 28 prend soin de préciser que ce devoir d'obéissance s'exerce "sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public". 

La jurisprudence n'est pas très abondante et on n'est pas surpris de voir qu'elle s'est construite à l'issue de la seconde guerre mondiale, à propos des sanctions infligées à des fonctionnaires accusés d'avoir participé à des activités de collaboration. Depuis un arrêt Langneur du 10 novembre 1944, le juge n'a pas cessé de faire prévaloir le principe de légalité sur celui d'obéissance. Il considère de plus en plus que l'illégalité même de l'acte est "de nature à compromettre gravement un intérêt public". Il tient compte, par ailleurs,  de la place de l'agent dans la hiérarchie. Un haut fonctionnaire est, à l'évidence, mieux en mesure d'apprécier l'illégalité d'un acte, alors qu'un agent subalterne ne connait pas nécessairement très clairement les fondements juridiques de son activité. A cet égard, le devoir de résistance à l'ordre illégal pèse donc avec une particulière intensité sur les hauts fonctionnaires. 

Le devoir de résister à un ordre illégal est une contrainte dont l'interprétation est toujours délicate. Les situations sont généralement complexes, souvent à mi-chemin entre les fonctions politiques et administratives. Un haut fonctionnaire désigné par l'autorité politique et dépendant entièrement d'elle est-il réellement en mesure de résister à un ordre illégal ? Avec l'accroissement considérable des emplois à la discrétion du gouvernement, on voit ainsi se multiplier les cas dans lesquels les hauts fonctionnaires sont incités à confondre le service public avec le service rendu... 

A suivre

mardi 18 octobre 2011

L'"immunité" du Président de la République... et de ses collaborateurs ?

La question de l'immunité du Président de la République est au coeur d'une affaire judiciaire, actuellement en délibéré devant la Cour d'Appel de Paris. Le cas d'espèce n'intéresse guère les libertés publiques mais bien davantage le droit des marchés publics. En 2007, l'Elysée a en effet passé contrat avec une société de conseil dirigée par M. Patrick Buisson pour la réalisation de sondages d'opinion. Cette convention a été signée par madame Emmanuelle Mignon, alors directrice du cabinet du Président, sans appel d'offres, sans mise en concurrence ni transparence, en écartant donc complètement les règles gouvernant les marchés publics. En juillet 2009, la Cour des comptes avait révélé que l'Elysée avait ainsi acheté pour 400 000 € d'enquêtes d'opinion, publiées par le Figaro et LCI. 

Le juge d'instruction, saisi d'une plainte pour favoritisme dans l'attribution du marché, demande évidemment communication des documents contractuels en cause, ce que l'Elysée refuse en invoquant l'immunité du Président de la République. Autrement dit, l'immunité présidentielle s'étendrait à l'ensemble des collaborateurs du Président. 

On notera d'emblée que c'est le parquet qui fait appel de la décision du juge d'instruction, le procureur ayant d'ailleurs déjà classé sans suite en 2010 une première plainte relative à ce marché au motif que l'immunité dont bénéficie le Chef de l'Etat durant son mandat "devait s'étendre aux actes effectués au nom de la Présidence de la République par ses collaborateurs". 

On voit d'abord dans cette affaire une nouvelle, et éclatante, illustration de la subordination du parquet à l'Exécutif. Mais son enjeu réside aussi dans cette volonté d'élargir le nombre des bénéficiaires de l'immunité. Les collaborateurs du Président pourraient ainsi prendre toutes sortes de décisions, y compris attentatoires aux libertés, sans avoir à en rendre compte devant les juges. Ils seraient, en quelque sorte, affranchis des contraintes de l'Etat de droit.

Les articles 67 et 68 de la Constitution

Dans l'état actuel du droit, la responsabilité du Chef de l'Etat est organisée par les articles 67 et 68 de la Constitution, dans une rédaction issue de la révision constitutionnelle du 23 février 2007, elle-même initiée par les travaux de la commission Avril. On doit observer qu'aucun des deux articles n'emploie le terme "immunité", et que les dispositions constitutionnelles organisent plutôt un système de privilège de juridiction. 


Le Président Nixon le 21 avril 1969, avec ses conseillers H.R. Haldeman et John D. Ehrlichman.
Le 3è est Donald Rumsfeld

L'article 68 organise une responsabilité politique qui prévoit la destitution du Président par le Parlement constitué en  Haute Cour. Elle ne peut intervenir qu'en cas de "manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat". Cette périphrase, préférée à l'ancienne notion de "haute trahison" permet de ne porter aucune appréciation sur l'acte éventuellement commis par le Président, pour se pencher sur la manière dont cet acte nuit à l'exercice de ses fonctions. On est alors assez proche de l'Impeachment à l'américaine. En tout cas, une loi organique doit être votée, précisant notamment les conditions de réunion de la Haute Cour. Un projet en ce sens a été présenté en Conseil des ministres le 22 décembre 2010. Il a été transmis à l'Assemblée nationale et un rapporteur a été nommé le 26 janvier 2011. Depuis cette date, on en a perdu la trace... 

L'article 67, quant à lui, rappelle l'irresponsabilité politique de principe du Président de la République. Il en tire la conséquence, sur le plan judiciaire, que le Chef de l'Etat "ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite". Il ne s'agit donc pas réellement d'immunité mais d'une suspension d'éventuelles poursuites. Le texte précise d'ailleurs que "tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu", et que les poursuites pourront être engagées ou reprises un mois après la fin du mandat présidentiel. 

C'est évidemment le privilège de juridiction de l'article 67 qui est invoqué par l'Elysée dans l'affaire en cours devant la Cour d'appel. 

Un privilège personnel du Chef de l'Etat

On serait tenté de s'étonner que les services de l'Elysée osent invoquer un élargissement de ce privilège aux collaborateurs du Président. En effet, l'article 67 commence par rappeler l'irresponsabilité politique du Président, qui ne cède que devant les dispositions de l'article 68 sur l'éventuelle saisine de la Haute Cour. Ce privilège trouve donc son origine dans la nécessité de préserver le principe de séparation des autorités, en interdisant toute  pression de l'autorité judiciaire sur le Chef de l'Exécutif. 

Ses collaborateurs en revanche ne sont mentionnés nulle part dans la Constitution, et ne sont donc pas des autorités constitutionnelles. Ce sont des agents administratifs, quel que soit leur statut, fonctionnaires ou non, qui sont soumis au pouvoir hiérarchique. Ils ne bénéficient d'aucun privilège au titre de la séparation des pouvoirs. Les considérer comme bénéficiant d'une quelconque immunité serait aussi ridicule qu'estimer que les agents administratifs travaillant dans les assemblées parlementaires participent directement au pouvoir législatif...

On doit d'ailleurs s'interroger sur les collaborateurs concernés. S'agit-il seulement des membres du Cabinet ou de tous ceux, quelle que soit leur place dans la hiérarchie, dont l'activité s'exerce au profit du Chef de l'Etat ? Verra-t-on bientôt le cuisinier de l'Elysée bénéficier d'une immunité juridictionnelle ? 

L'existence même de ce contentieux témoigne ainsi d'une volonté affirmée de se placer en dehors des règles de la responsabilité pénale,  d'un sentiment d'impunité vécu comme une sorte de privilège attribué à une classe dirigeante... On a du mal à imaginer que la Cour d'appel puisse donner crédit à une telle dérive. 

Décision le 7 novembre. 

dimanche 16 octobre 2011

CopWatch et la liberté d'expression sur le net

Le juge des référés ordonne aux fournisseurs d'accès de bloquer le site CopWatch. Cette décision rendue le 14 octobre 2011 à la demande du ministre de l'intérieur a évidemment pour effet immédiat de faire une publicité très grande à ce site militant, se donnant pour objet de dénoncer toutes les formes de violences policières. Dans ce but, il publie des témoignages, des photographies souvent accompagnées de commentaires, et même de l'identité des membres des forces de l'ordre.

Rappelons d'emblée qu'il ne s'agit que d'une mesure provisoire prononcée jusqu'à ce que la plainte du ministre soit jugée au fond.  Cette mesure va néanmoins au-delà de la demande du ministre, qui ne demandait que le blocage de 11 pages de ce site, celles qui précisément contenaient des propos considérés comme injurieux ou diffamatoires envers les forces de police. Les fournisseurs d'accès ont cependant fait savoir à l'audience qu'il leur était techniquement difficile de faire un tri entre les pages d'un même site. Le juge a donc choisi le blocage de l'ensemble du site, en attendant la décision au fond.

Droit de la presse ou droit de la sécurité

Une semaine après la décision de la Cour de cassation du 6 octobre 2011 soumettant l'activité des bloggeurs au droit de la presse, la position du juge des référés ne saurait réellement surprendre. Nul n'ignore que la liberté d'expression s'exerce en France dans le cadre des lois qui l'organisent, et notamment de la célèbre loi du 29 juillet 1881 sur la presse. Il serait donc bien difficile de se réjouir de cette soumission au droit de la presse lorsqu'il s'agit de bloquer un site tenant des propos racistes ou antisémites... et de le déplorer lorsque le ministre de l'intérieur l'invoque au profit des forces de l'ordre.

La législation française est, à cet égard, beaucoup plus restrictive que le droit américain. Pour ce dernier, la liberté d'expression est garantie par le 1er Amendement, et s'étend à toutes les opinions, quel que soit leur contenu, considéré ou non comme scandaleux, quelle que soit aussi la forme que prend l'expression. C'est ainsi que le fait de brûler le drapeau national, y compris de manière virtuelle sur internet, relève du "Symbolic Speech" et doit être garanti par le 1er Amendement. Les sites militants de type "CopWatch" peuvent donc se multiplier aux Etats Unis, à l'abri du 1er Amendement, à la condition toutefois de ne pas violer des secrets protégés par la loi, et de ne pas engager la responsabilité civile de ses responsables. 

Le ministre aurait pu se placer sur un autre fondement, celui de l'atteinte à la sécurité des personnes ainsi mises à l'index par CopWatch. Les membres des forces de l'ordre doivent en effet exercer une partie de leurs missions dans la discrétion, sans être reconnus par les délinquants qu'ils poursuivent. La diffusion de leur photo, voire de leur identité, risque à l'évidence de les mettre en danger, comme d'ailleurs la mission qu'ils remplissent.

Le juge se place de manière implicite sur ce terrain, lorsqu'il demande au ministre de l'intérieur d'indemniser les fournisseurs d'accès. Cette décision s'inscrit de toute évidence dans une jurisprudence qui reconnaît ce droit à indemnisation pour les personnes privées qui prêtent leur concours à une activité de police. Dans sa décision du 10 mars 2011 sur la Loppsi 2, le Conseil constitutionnel a estimé que les surcoûts imposés aux opérateurs par les nécessités de la lutte contre la pédopornographie, et notamment la communication d'adresses URL des contrevenants, devaient être indemnisés. Il est en donc de même pour les surcoûts causés par le blocage d'un site.

Les Incorruptibles. Série américaine de Quin Martin. 1959-1963

Quand la contrainte technique pose un problème constitutionnel

Reste à s'interroger sur un problème technique, qui n'est pas sans conséquence juridique. En décidant le blocage du site, et non pas des seules pages considérées comme injurieuses ou diffamatoires, le juge a suivi l'argumentaire technique des fournisseurs d'accès qui déclaraient ne pas pouvoir réaliser un tel tri. Ils ajoutaient d'ailleurs, non sans saveur, que les seuls à disposer des moyens techniques pour le faire (les Deep Packet Inspections) étaient... les Chinois.

Ce problème technique engendre pourtant une question juridique. Dans sa décision Hadopi 1 du 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel énonce très clairement que la liberté d'accéder aux services de communication sur internet est une modalité de la liberté d'expression. Exerçant son contrôle de proportionnalité, il affirme en conséquence que les juges du fond ne peuvent lui porter atteinte que par "les mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause". En prononçant le blocage de l'ensemble du site CopWatch, le juge ne se livre pas à cette appréciation, et accepte l'interdiction de pages qui ne portaient atteinte aux droits des tiers. Ces impératifs techniques font obstacle à la diffusion de certaines pages du site... mais aussi à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Bien entendu, la décision du juge des référés a d'abord pour conséquence de faire une formidable publicité à CopWatch, déjà repris dans une bonne vingtaine de sites miroirs.

La simple existence de l'affaire CopWatch doit cependant inciter à une réflexion sur l'Etat de droit. Le développement de ce type de site témoigne à l'évidence d'une sorte de crise de confiance. Des policiers sont emprisonnés pour leurs liens avec la grande délinquance, ou des réseaux de prostitution, des enquêtes judiciaires sont interrompues par un parquet soumis à l'Exécutif... tous ces éléments conduisent certains citoyens à penser que les procédures de contrôle institutionnelles et judiciaires sont bloquées et inefficaces. Ils investissent alors leur énergie dans des sites de "dénonciation" qui offrent encore moins de garanties... 

A cet égard, CopWatch n'est que l'illustration du manque de confiance des citoyens dans le système policier et judiciaire. 

jeudi 13 octobre 2011

Evaluation et décèlement précoce des enfants de 5 ans

Le ministre de l'Education annonce pour le mois de novembre la mise en place d'une évaluation des enfants dès l'école maternelle, en fonction de leurs capacités d'apprentissage et de leurs comportements. Ils seront ensuite classés en 3 catagories : "RAS" pour rien à signaler, "risque" et "haut risque". Un document, qui circule largement dans la presse et sur internet, propose déjà un système d'évaluation très élaboré, a priori applicable immédiatement. 

Le "décèlement précoce"

Cette initiative a un air de "déjà vu". Elle repose sur le "décèlement précoce", concept essentiel de l'approche sécuritaire de la société. En réalité, la notion vient directement des Etats Unis, par l'intermédiaire d'Alain Bauer, conseiller du Président de la République en matière de sécurité, et de son ami Xavier Raufer qui revendique le titre de "Directeur des études du département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines". 

Pour Alain Bauer, dans son rapport le décèlement précoce est un "concept intégrateur qui permet"
-"d'abord, de repérer, puis d'écarter les apparences, donc d'accéder au réel ; 
- ensuite, de poser rapidement et efficacement des diagnostics ; 
- enfin, d'agir tôt, de prévenir, avec précision et autorité". 

L'idée est "d'intervenir avant de graves ruptures, sur les premiers symptômes d'un désordre à venir (...)". Au-delà de l'imprécision du discours, il s'agissait surtout de mettre en place des systèmes d'alerte destinés à prévenir les crises internationales.. Mais pourquoi pas l'utiliser au plan interne, pour lutter contre la criminalité, voire contre les "comportements déviants" ?  

Le pas avait été franchi, dès 2004, par le rapport le rapport Bénisti rédigé par la Commission "Prévention" du groupe d'études parlementaires sur la sécurité intérieur présidé par ce député du Val de Marne. Il publie une courbe tout à fait révélatrice de sa démarche : 

Source : rapport Bénisti sur la prévention de la délinquance. 2004


De la lecture de ce graphique, on peut déduire que le comportement déviant commence vers 3 ans. L'enfant de cet âge qui a des difficultés dans le maniement de la langue et adopte de surcroît un comportement indiscipliné... doit tout de suite être perçu comme ayant de solides chances de terminer dans la vol à main armée. Bien entendu, ce graphique ne repose sur aucune analyse scientifique, et on observe que le "parcours déviant" n'est défini que par une abscisse mentionnant l'âge de l'enfant... mais on ignore l'unité permettant de lire l'ordonnée, censée montrer l'accroissement de cette délinquance enfantine. En 2004 ce rapport avait donc été heureusement oublié par les dirigeants de l'époque, mais on observe que dans un nouveau rapport, beaucoup plus récent puisqu'il date de décembre 2010, M. Bénisti revient sur cette idée, en précisant qu'il "faut repérer et agir dès les premiers troubles comportementaux de l'enfant". 


Bill Watterson. Calvin & Hobbes


Evaluer quoi ? 

Le projet actuel prend garde de ne pas apparaître comme uniquement destiné à prévenir la délinquance. Une partie non négligeable du document diffusé montre un projet destiné à mesurer la maîtrise des apprentissages fondamentaux, comme la reconnaissance des lettres, la capacité d'écrire son nom, la maîtrise du vocabulaire ou la résolution de problèmes numériques. Rien ne s'oppose à une évaluation dans ces domaines, dès lors qu'il s'agit seulement d'apprécier le niveau scolaire,  dans le but sans doute d'accroître l'efficacité des méthodes d'enseignement qui seront appliquées l'année suivante, lorsque l'enfant commencera effectivement l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. 

En revanche, d'autres évaluations sont plus inquiétantes. On va ainsi apprécier l'aptitude de l'enfant à fixer son attention, son aptitude à respecter les usages (courtoisie, respect de la parole des autres...) mais aussi "la compréhension de consignes"... autrement dit l'obéissance. En clair, l'enfant qui rêve dans un coin de la cour sera considéré comme asocial, tout comme celui qui tire les cheveux de sa petite camarade.. ou qui veut faire de la peinture quand la maîtresse propose la pâte à modeler...

Ce n'est donc pas seulement le niveau d'acquisition des apprentissages qui est apprécié, mais aussi l'aptitude de l'enfant à un certain conformisme social, voire à la docilité. L'enfant de cinq ans qui n'entre pas dans ce moule sera ainsi qualifié d'enfant "à risque", voire "à haut risque". 

Evaluer pourquoi ? 

L'annonce du ministre ne peut manquer de surprendre dans la mesure où elle ne dit rien des finalités de cette évalution. 

- S'il s'agit seulement d'évaluer le niveau d'apprentissage des enfants pour améliorer l'enseignement dispensé au CP... pourquoi envisager le comportement social de l'enfant ? Pourquoi surtout choisir de soumettre tous les enfants de 5 ans à cette évaluation ? Un test portant sur un échantillon représentatif de cette classe d'âge serait largement suffisant. 

- S'il s'agit de mettre en place le "décèlement précoce" que certains adeptes du discours sécuritaire appellent de leurs voeux, chaque enfant doit alors faire l'objet d'un suivi personnel... Dans ce cas, il est nécessaire de ficher les enfants, de créer des outils informatiques de modélisation, et la CNIL doit alors être saisie. 

Or, à ce jour, il ne semble pas que ce projet ait été soumis à la CNIL.. Et s'il l'était, rien ne dit qu'elle l'accepterait en l'état. Dans une autorisation du 17 mars 2011,  elle a en effet posé des conditions rigoureuses à la création d'un fichier des "informations préoccupantes" transmises aux services chargés de la protection de l'enfance. Elle a interdit à la fois toute interconnexion avec d'autres fichiers, ainsi que la création de traitements opérant des "présélections de catégories d'enfants".  Or distinguer des enfants "à risque" ou "à haut risque" relève manifestement de la catégorisations justement prohibée par la CNIL.

On entre alors dans un schéma orwellien visant à produire des gamins parfaitement conformistes, identiques et normalisés par un quelconque standard ISO, des enfants dociles qui deviendront des électeurs dociles... le genre de ceux qui ne votent pas aux primaires...


mercredi 12 octobre 2011

Le droit de retrait à la SNCF

Les usagers de la SNCF ont connu ces derniers jours les suppressions de train, les retards, les attentes interminables sur des quais de gare ou dans les voitures elles-mêmes. Situation caractéristique d'un mouvement de grève dont les usagers connaissent bien les inconvénients et qu'ils supportent, selon les cas,  avec irritation ou fatalisme.. 

Mais les apparences sont quelquefois trompeuses. Cette rupture dans la continuité du service public n'était pas le résultat d'une grève, mais de l'exercice par les agents de la SNCF de leur droit de retrait. C'est du moins ce qui était invoqué, les agents ayant interrompu leur service à la suite de l'agression dont fut victime un contrôleur, gravement blessé pendant son service, dans la région de Besançon. 

Définition

Le droit de retrait est susceptible de s'exercer aussi bien dans l'entreprise (article L 4131-1 du code du travail) que dans la fonction publique (article 5 al. 6 du décret du 28 mai 1982). Dans les deux cas, il autorise le salarié ou l'agent public à se retirer d'une situation de travail, lorsqu'elle présente "un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé". Si cela lui paraît nécessaire, l'intéressé peut même quitter les lieux pour garantir sa sécurité. 

Ce droit ne peut donner lieu à aucune restriction et le Conseil d'Etat a estimé, dans un arrêt de 1987, que l'inspecteur du travail pouvait légitimement enjoindre à une entreprise de modifier un règlement intérieur imposant le respect d'une procédure écrite préalable à l'exercice du droit de retrait. Autant dire que ce droit de retrait peut s'exercer de manière informelle, d'autant qu'il intervient le plus souvent en situation d'urgence. Les textes contraignent seulement les intéressés à avertir l'employeur ou son représentant du danger de la situation.

Une nature différente du droit de grève

De cette définition, on doit déduire que le droit de retrait est d'une nature différente du droit de grève : 
  • Il s'agit d'un droit individuel et non pas d'un droit collectif. En effet, il repose sur le sentiment, de nature plus psychologique qu'objective qu'il existe un danger grave et imminent. Plusieurs personnes peuvent avoir un sentiment identique, mais cela n'a pas pour effet de transformer ce droit individuel en droit collectif. 
  • Le droit de retrait, contrairement au droit de grève, n'a pas pour objet de faire pression sur l'employeur mais de garantir l'intégrité physique du salarié. 
  • Il cesse de s'exercer, non pas par la volonté du salarié, mais lorsque prend fin la situation dangereuse. 
  • Le droit de retrait ne peut entraîner ni sanction, ni retenue sur salaire. 
La légitimité du droit de retrait ne saurait évidemment être contestée, et la jurisprudence offre de nombreux exemples de salariés mis dans des situations dangereuses ayant exercé leur droit de retrait. Il est donc parfaitement licite de refuser de conduire un véhicule dont les freins sont défectueux, ou de suspendre dans les rues des illuminations de Noël en prenant place sur une échelle, elle même posée sur la plate forme d'un tracteur levée à 4 mètres du sol...

Hélas, les situations ne sont pas toujours aussi clairement et immédiatement dangereuses, et le droit de retrait est parfois utilisé comme un substitut du droit de grève.

Jean Renoir. La Bête humaine. 1938. Jean Gabin et Julien Carette
On peut comprendre les agents de la SNCF qui cessent le travail en cas de l'agression d'un des leurs. Un mouvement de grève, au sens formel du terme, pourrait d'ailleurs reposer sur la montée globale de l'insécurité dans les transports dont les agents sont les premières victimes.. mais qui frappe aussi les usagers. 

La question est de savoir si le droit de retrait peut être invoqué dans ce cas, et il convient donc de revenir sur les éléments constitutifs de cette prérogative. Inutile de s'attarder sur le "danger grave pour la vie ou la sécurité". La violence de l'agression et le dommage causé au contrôleur qui en a été victime suffisent à  démontrer son existence. 

Le caractère "imminent" du danger


En revanche, le caractère "imminent" du danger est loin d'être avéré, sauf pour les agents assurant leur service dans le train où a eu lieu l'agression. Ceux là sont évidemment directement menacés par la présence d'une personne particulièrement agressive. Les autres, ceux qui ont cessé le travail à Paris ou à Toulon, alors que l'agression s'était déroulée dans la région de Besançon, n'étaient pas menacés par un danger imminent. 

Le jurisprudence apprécie de manière très concrète ce caractère "imminent" du danger. Le Tribunal administratif de Cergy Pontoise, le 16 juin 2005 a ainsi confirmé la décision du recteur considérant comme grévistes les enseignants d'un lycée professionnel qui avaient fait valoir leur droit de retrait, en invoquant l'insécurité générale qui régnait dans l'établissement. Et le tribunal observe que des conditions de travail dégradées peuvent justifier l'exercice du droit de grève, mais pas celui du droit de retrait, dès lors que la menace pour la sécurité n'est pas immédiate. 

Tel est évidemment le cas à la SNCF où l'agression d'un contrôleur ne constitue un "danger imminent" que pour les agents qui sont au contact de l'agresseur. 

Insécurité ou sentiment d'insécurité ?

Reste à se poser la question de la perception psychologique de cette menace physique. Le juge estime en effet que le "danger grave et imminent" est d'abord apprécié par l'intéressé lui-même. Sur ce point, l'insécurité est d'abord définie comme le sentiment d'insécurité. Peu importe que le danger soit réel ou pas, il suffit que la crainte du salarié soit légitime, que sa bonne foi soit avérée. Le juge va ainsi apprécier la caractère raisonnable ou non de la crainte invoquée par le salarié, en tenant compte par exemple de son âge, de son expérience, de sa qualification ou de son état de santé.. (Cass. Sociale, 10 mai 2001). 

Si l'on considère l'action des cheminots, le critère tiré de l'imminence du danger est évidemment absent. Le sentiment d'insécurité ne peut pas davantage être considéré comme particulièrement intense, et l'arrêt de travail spontané s'analyse davantage comme un réflexe de solidarité avec le collègue agressé que comme le fruit d'une crainte pour la sécurité immédiate des agents. 

Si l'arrêt des travail des agents de la SNCF ne saurait être qualifié de droit de retrait, il révèle néanmoins une préoccupation liée à la sécurité. On ne peut donc que se réjouir que Monsieur Pépy n'ait pas adopté une position trop ferme visant à requalifier le mouvement en grève et qu'il ait préféré ouvrir la porte à une négociation sur les moyens de remédier à l'insécurité.