« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 2 septembre 2011

Le secret défense enfin devant le Conseil constitutionnel

Le 31 août 2011, la Cour de cassation a décidé la transmission au Conseil constitutionnel d'une QPC déposée par les familles de l'attentat de Karachi en 2002. Aussi tragique soit-il, cet évènement permet que soit enfin évoquée la constitutionnalité des dispositions législatives gouvernant le secret de la défense nationale. Ce n'est pas un mince succès si l'on considère que l'Exécutif estime généralement que réfléchir sur le secret défense est déjà le violer. 


L'origine du secret ;  la lutte contre l'espionnage

Le secret de la défense trouve son origine dans un décret de la Convention du 16 juin 1793 qui punissait de mort "tout Français ou étranger convaincu d'espionnage dans les places fortes et dans les armées".  Par la suite, le code pénal de 1810 appliquait la même peine au crime d'"intelligence avec les puissances étrangères", infraction élargie en 1886 à la divulgation de "plans, écrits ou documents secrets intéressant la défense du territoire ou la sûreté extérieure de l'Etat". 

C'est seulement à la veille du second conflit mondial que le décret-loi du 20 juillet 1939 tente une définition des "secrets de la défense nationale" visant "les renseignements d'ordre militaire, diplomatique, économique ou industriel qui, par leur nature, ne doivent être connus que des personnes qualifiées pour les détenir et doivent, dans l'intérêt de la défense nationale, être tenus secrets à toute autre personne".

Nul ne conteste la nécessité de protéger certaines informations relatives à la défense nationale et à la sécurité de l'Etat. On observe cependant que cette confidentialité fait aujourd'hui l'objet d'une interprétation pour le moins extensive.

Un privilège de l'Exécutif, une définition procédurale

Le secret défense n'est plus perçu comme l'instrument d'une lutte contre l'espionnage, mais bien davantage comme un privilège de l'Exécutif. En témoigne d'abord sa définition parfaitement tautologique : "Présentent un caractère de secret de la défense nationale (...) les renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l'objet de mesures de protection destinées à restreindre leur diffusion". C'est la mesure de protection qui crée la confidentialité. On ne peut affirmer plus clairement qu'un document est secret, lorsque l'autorité publique le considère comme tel.

Dans son étendue, le secret défense n'a d'ailleurs rien de spécifiquement militaire. La compétence générale est celle du Premier ministre, assisté du Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale "qui propose, diffuse, fait appliquer et contrôler les mesures nécessaires à la protection de la sécurité nationale" (art. 7 du décret n° 78-78 du 25 janvier 1978). Chaque ministre assume ensuite au niveau de son département les responsabilités relatives à la protection du secret qui lui incombent.

Cette volonté de faire du secret de la défense nationale un privilège de l'Exécutif n'a jamais été remise en question. On assiste au contraire à un élargissement constant de l'opposabilité du secret. D'une manière générale, toute divulgation à un tiers, quel qu'il soit, est punie d'une peine pouvant aller jusqu'à 7 années d'emprisonnement. Le problème est que l'élargissement de l'opposabilité du secret conduit aujourd'hui à une remise en cause larvée du principe de séparation des pouvoirs.


Le secret et la séparation des pouvoirs

Le parlement, qui est censé exercer le contrôle politique de l'Exécutif, n'a pas accès aux informations classifiées. Il est vrai qu'une loi du 9 octobre 2007 a créé une délégation parlementaire au renseignement, dont les membres sont habilités à recevoir communication de ce type de données, mais son activité demeure cantonnée au renseignement et il n'est pas certain qu'elle ait accès à toutes les informations utiles à son contrôle. Cette initiative n'a pas remis en cause de manière substantielle le principe de l'opposabilité du secret de  la défense nationale aux parlementaires. Les commissions d'enquête ne peuvent ainsi obtenir la communication de pièces couvertes par le secret (ordonnance du 17 novembre 1958), prohibition confirmée par le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 27 décembre 2001.

De leur coté, les juges, qui devraient disposer des moyens d'investigation indispensables à l'exercice du pouvoir judiciaire, se voient opposer le secret défense avec une rigueur de plus en plus grande. Dès 1955, l'arrêt Coulon du Conseil d'Etat avait affirmé que le pouvoir de la juridiction administrative d'ordonner la communication de certaines pièces "comporte une exception pour tous les documents dont l'autorité compétente croit devoir affirmer que leur divulgation (...) est exclue par les nécessités de la défense nationale", principe réaffirmé par un avis consultatif du 19 juillet 1974.

Il est vrai que le juge, depuis la loi du 8 juillet 1998, peut s'adresser à la Commission consultative du secret de la défense nationale, autorité réputée indépendante, pour lui demander un avis sur l'éventuelle déclassification des pièces dont il a besoin. L'intervention de cette instance demeure cependant cosmétique. D'une part, elle n'est rien d'autre qu'une commission administrative ordinaire, et les autorités qui détiennent les documents peuvent ignorer ses avis. D'autre part, elle n'a aucune mission de contrôle de la décision de classement, et son avis ne peut être sollicité qu'a posteriori, à l'occasion d'une action contentieuse. Autant dire que son intervention est exceptionnelle, et que ses avis favorables à une déclassification le sont encore davantage. Pour ne prendre que l'exemple de la célèbre affaire des frégates de Taïwan, le juge d'instruction, confronté à 4 avis défavorables rendus par la CCSDN de 2001 à 2006, a fini par prendre une ordonnance de non-lieu, dès lors qu'il ne pouvait se faire communiquer aucun document susceptible de l'informer sur l'identité des bénéficiaires des commissions.

Cette rigueur à l'égard des juges n'a fait que s'amplifier avec la dernière loi de programmation militaire du 29 juillet 2009. Elle prévoit en effet la possibilité de couvrir par le secret de la défense non seulement les informations ou les documents, mais encore les lieux mêmes abritant de telles informations. On sait que cette disposition est le résultat d'un certain agacement des plus hautes autorités de l'Etat, certains juges d'instruction ayant eu l'insolence de perquisitionner dans les locaux du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, voire dans ceux du ministère de la défense lui-même. Il est donc désormais possible d'interdire à un juge d'instruction l'accès à certains locaux... et il suffit de classifier un grand nombre de locaux pour entraver efficacement l'action de la justice.

Dans un raisonnement juridique non dépourvu de jésuitisme, ces autorités présentaient ces dispositions comme destinées à protéger les juges. En effet, un juge qui fait une perquisition ne risque t il pas de saisir, en quelque sorte par hasard, dse documents classifiés ? Dans ce cas, il se rendrait coupable de l'infraction de violation du secret de la défense nationale et risquerait une peine de prison. Ce raisonnement, énoncé sans sourire, n'envisage évidemment pas l'hypothèse d'une éventuelle habilitation des juges, ou de certains d'entre eux, qui leur permettrait de mener à bien leurs investigations sans risquer la prison.. Il ne s'intéresse pas davantage au respect de la séparation des pouvoirs.

La constitutionnalité de l'opposabilité du secret de la défense nationale

La question posée au juge constitutionnel n'est pas celle de la constitutionnalité du secret de la défense nationale. Aucune disposition constitutionnelle n'interdit en effet de définir des règles de confidentialité destinées à protéger les activités les plus sensibles de l'Etat, et notamment ses opérations militaires.

En revanche, la question de la constitutionnalité de l'opposabilité du secret au juge, comme d'ailleurs au parlement, est clairement posée. La CCSDN ne rend en effet qu'un avis consultatif, suivi d'une décision administrative. La conséquence en est que l'activité du juge d'instruction, sa capacité à accéder à un document ou à un lieu classifié, dépend entièrement d'un acte administratif, c'est à dire d'une décision du pouvoir exécutif. Celui-ci dispose donc d'un pouvoir discrétionnaire lui permettant d'entraver l'action de la justice...

L'inconstitutionnalité du dispositif semble claire, à la lecture des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : "Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution".

Nul doute que pour prendre sa décision, le Conseil constitutionnel pourra regarder la manière dont les autres pays gèrent ce problème juridique. Et force est de constater que la plupart des grandes démocraties, notamment les Etats Unis, organisent l'habilitation au secret défense de certains parlementaires et de certains juges. Ces autorités peuvent ainsi exercer leurs missions de contrôle, sans que l'Etat tremble sur ses bases..

A suivre

mercredi 31 août 2011

EVAFISC, le secret bancaire suisse et la vie privée

Le 24 août 2011, le Conseil d'Etat a rejeté le recours déposé par une filiale suisse de la banque HSBC contre un arrêté du 25 novembre 2009 du ministre du budget, mettant en oeuvre un fichier des comtpes bancaires détenus hors de France par des personnes physiques ou morales. Dénommé EVAFISC, ce nouveau traitement automatisé a pour objet de lutter contre fraude internationale avec les paradis fiscaux, y compris la Suisse. Il est alimenté par les services fiscaux à partir des informations qu'ils détiennent, mais aussi de celles transmises par les services judiciaires et les banques. Ces dernières sont en effet tenues de répondre positivement au droit de communication exercé par les services fiscaux sur le fondement de l'article 81 du Livre des procédures fiscales.

La création de ce fichier, fin 2009, serait passée à peu près inaperçue si, peu après sa création, il n'avait reçu une masse d'informations provenant d'un ancien salarié de la filiale genevoise d'HSBC. A l'époque, Eric de Montgolfier, alors en charge de plusieurs dossiers de fraude fiscale à Nice, avait estimé que ces données permettaient d'identifier 127 000 comptes appartenant à 79 000 personnes, dont 8 231 Français. Le fisc avait ensuite précisé que ces fichiers révélaient une liste de 3000 fraudeurs français présumés. 

Le recours d'HSBC contre le texte créant EVAFISC visait, avant toute autre préoccupation, à protéger le secret bancaire suisse. Ce dernier ne faisant l'objet d'aucune garantie juridique s'imposant aux autorités françaises, il était indispensable d'articuler d'autres moyens juridiques à l'appui du recours. 

Le premier d'entre eux est le droit au respect de la vie privée. S'appuyant sur l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, HSBC avait, dès le 19 avril 2010, saisi le Conseil d'Etat d'un référé demandant la suspension de l'arrêté du 25 novembre 2009 créant EVAFISC.

Vie privée : secret de l'être et transparence de l'avoir

Il est vrai que la vie patrimoniale d'une personne est considérée par une partie de la doctrine classique, P. Kayser en particulier, comme un élément de sa vie privée. A l'appui de cette thèse est invoquée l'idée selon laquelle le patrimoine est une émanation de la personne sur le plan économique. Protéger la personne impliquerait donc la protection de son patrimoine. Le droit de vivre dans la discrétion est en outre perçu comme un élément important du droit au respect de la vie privée, et les citoyens les plus riches ont droit, comme les autres, à cette discrétion. 

Cette thèse est aujourd'hui abandonnée au profit d'une conception plus empirique qui vise à apprécier, au cas par cas, la légitimité des motifs de la divulgation du patrimoine d'une personne. 

Peter de Vos (1490-1567) - Le collecteur d'impôt

Le droit à l'information justifie ainsi  la publication de renseignements d'ordre patrimonial. La Cour de cassation a considéré, dans un arrêt du 20 octobre 1993, que la publication par L'Expansion du classement des 100 personnalités les plus riches de France ne portait pas une atteinte excessive à la vie privée des personnes, dès lors qu'elle ne s'accompagnait d'aucune autre information sur leur mode de vie ou leur personnalité.

Le motif le plus important d'atteinte au secret du patrimoine reste cependant l'ordre public et plus particulièrement la recherche des infractions.C'est précisément cette exception qui est invoquée dans le cas d'EVAFISC et le Conseil d'Etat estime qu'il n'y a pas violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Ses dispositions réservent en effet un droit d'ingérence des autorités publiques dans la vie privée des personnes pour un motif légitime, en l'espèce la nécessité de prévenir et réprimer la fraude fiscale. L'article 38 de la loi du 6 janvier 1978 ne raisonne pas autrement, lorsqu'il estime qu'un traitement automatisé peut porter atteinte à la vie privée pour des motifs d'intérêt général, à la condition toutefois que l'ingérence soit proportionnée à la finalité du fichier et qu'une procédure spécifique soit respectée pour sa création.
Sur ce dernier plan, la banque requérante n'obtient pas davantage satisfaction. Le Conseil d'Etat ne manque pas d'observer que la CNIL a rendu un avis très motivé sur la création d'EVAFISC. La Commission effectue un contrôle très pointilleux de la finalité du fichier, de la durée de conservation des données, ainsi que des garanties techniques de sécurité du stockage. Conformément à l'article 38 de la loi du 6 janvier 1978, elle admet en particulier que les personnes physiques ou morales soient privées du droit de s'opposer à la collecte ou la conservation de ces données bancaires. Dans ce cas, la lutte contre le fraude fiscale légitime donc clairement l'atteinte à la vie privée.





lundi 29 août 2011

La présence de l'avocat durant la garde à vue : toujours plus !

La loi du 14 avril 2011 sur la garde à vue est à peine en vigueur qu’elle se trouve déjà contestée. LLC avait déjà attiré l’attention, en juin dernier, sur une certaine précarité des dispositions prévoyant un « avocat taisant », contraint au silence pendant l'audition, peu compatibles avec le projet de directive européenne et avec le droit issu de la convention européenne.


Aujourd’hui, la contestation s’incarne dans une nouvelle QPC, dont on observe qu’elle n’est pas déposée par une personne gardée à vue, mais par les avocats eux mêmes, en l’espèce le jeune barreau parisien. Ce dernier conteste devant le Conseil d’Etat la légalité de la circulaire du 23 mai 2011, recours  déposé moins de 9 jours après sa publication. C'est à l'occasion de ce recours qu'est déposée une QPC contestant les dispositions de la loi du 14 avril 2011. Autant dire qu’il s’agit pour la profession d’apparaître comme le protecteur unique des droits des citoyens gardés à vue. Et pour les jeunes avocats du Barreau de Paris, très nombreux, peut être trop, la garde à vue constitue une source de revenus non négligeable et qui peut sans doute être encore augmentée.. (voir LLC).

Sur le fond, les jeunes avocats demandent que l’avocat de la personne gardée à vue puisse poser des questions lors des interrogatoires, mais également qu’il ait accès à l’intégralité du dossier et soit présent lors des différentes confrontations et perquisitions.

Alors que la garde à vue suscite de multiples QPC, il est surprenant de noter que la loi du 14 avril 2011 n’a pas été déférée au Conseil constitutionnel. Sur ce point, cette QPC, dernière en date mais sans doute pas ultime, présente au moins l’avantage de provoquer le contrôle de constitutionnalité. 


Pour le moment, la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne semble pas s’orienter vers une présence constante de l’avocat durant toutes les phases et toutes les activités liées à la garde à vue. Dans sa célèbre décision du 30 juillet 2010, relative à une précédente QPC , le Conseil affirme que l’absence de l’avocat pendant les interrogatoires constitue une « restriction aux droits de la défense imposée de façon générale ». Il ajoute cependant qu’elle s’impose « sans considérations des circonstances particulières susceptibles de la justifier ». A contrario, on est fondé à en déduire que certaines circonstances pourraient justifier l’absence de l’avocat pendant les interrogatoires, notamment « pour rassembler des preuves ou assurer la protection des personnes ».

Autant affirmer clairement que la présence de l’avocat est une nécessité de principe, mais pas une nécessité absolue et permanente.

La Cour européenne n’est d’ailleurs pas davantage dans une position aussi absolutiste. Dans une décision récente du 19 juillet 2011, Rupa c. Roumanie, elle estime que des déclarations faites par un gardé à vue en dehors de la présence de son avocat commis d’office peuvent être pris en considération dans la suite de la procédure. Le fait que l’avocat ait été peu présent et peu actif durant la garde à vue n’a pas davantage pour effet de porter atteinte à l’exercice des droits de la défense.

La Cour se montre également très réservée sur le droit d’accès au dossier par l’avocat d’une personne gardée à vue. Dans un arrêt Svipsta c. Lettonie du 17 février 2001, elle avait ainsi admis que cet accès, lorsqu’il est reconnu par le système juridique, soit temporairement limité pour des motifs légitimes liés au bon déroulement de l’enquête. La seule contrainte est que l’avocat dispose des pièces indispensables à la contestation de la légalité de la mesure privative de liberté.

On le voit, cette conception extensive de la présence de l’avocat durant la garde à vue ne rencontre, pour le moment, que peu d’écho dans le droit positif. Reste à se demander quelle sera la position du juge constitutionnel sur l’audition libre et sur l'avocat taisant… mais nous en aurons sans doute à en reparler.


lundi 22 août 2011

Le CV anonyme passe à la poubelle

Yazid Sabeg, le commissaire à la diversité et à l'égalité des chances, vient d'annoncer que le CV anonyme ne serait pas généralisé. 

En soi, la nouvelle ne présente pas un intérêt immense, mais le CV anonyme offre tout de même un exemple presque caricatural de ces réformes cosmétiques qui font de la lutte contre les discrimination un objet de communication, et rien d'autre. 

L'abandon de cette réforme n'est pas aussi surprenant que les conditions de son adoption. Car le CV anonyme est une obligation légale depuis la loi du 31 mars 2006 sur l'égalité des chances, qui reprenait alors une idée lancée par Claude Bébéar, dans un rapport de 2004. Le texte introduit dans le code du travail l'article L 1221-7 qui énonce : "Dans les entreprises de cinquante salariés et plus, les informations (…) communiquées par écrit par le candidat à un emploi ne peuvent être examinées que dans des conditions préservant son anonymat". 

Or, cette loi sur l'égalité des chances a été victime d'une sorte de malédiction. On se souvient qu'à la suite de manifestations de grande ampleur, le président de la République, à l'époque Jacques Chirac, avait demandé aux entreprises de ne pas appliquer ses dispositions portant sur le "Contrat  première embauche" (CPE). Dans la foulée, les entreprises en ont sans doute profité pour ne pas appliquer davantage celles relatives au CV anonyme, d'autant que le décret en Conseil d'Etat qui devait en préciser les modalités de mise en œuvre n'a jamais été publié.

Trois ans après le vote de la loi, notre actuel Président de la République a redécouvert le CV anonyme, peut être en lisant le Journal Officiel ? Quoi qu'il en soit, dans un discours à l'Ecole Polytechnique de décembre 2008, il déclare : "Je veux que le CV anonyme devienne un réflexe pour tous les employeurs". Il propose donc une expérimentation, idée fort originale, puisqu'il est peu fréquent de procéder à l'expérimentation postérieurement à la loi.. 

Quoi qu'il en soit, en novembre 2009, 49 entreprises acceptent de mettre en oeuvre pendant six mois le CV anonyme dans leur procédure d'embauche. Personne n'avait entendu parler des résultats … jusqu'à ce que Pôle Emplois se voie confier une nouvelle expérimentation, qui s'est déroulée dans 8 départements. Le bilan en a été confié au CREST qui a communiqué des résultats accablants. On y apprend que les candidats issus de l'immigration ont une chance sur 22 d'obtenir un entretien lorsque leur CV est anonyme, et une chance sur 10 lorsqu'il n'est pas anonyme. Les analystes pensent que les recruteurs sont plus indulgents sur les maladresses d'écriture ou les "trous" dans les CV quand ils connaissent les origines sociales de celui ou celle qui l'a rédigé. En bref, on s'aperçoit que les recruteurs ne sont pas nécessairement tous des vilains racistes.. 

On aurait peut être pu s'en douter et éviter le ridicule de ces expérimentations successives. Mais au-delà de l'anecdote, et avant que le CV anonymes échoue dans les poubelles de l'histoire, nous pouvons peut être tirer quelques leçons de ses péripéties.

D'une part, la lutte contre les discriminations est, avant tout un combat juridique pour l'égalité de traitement. Des textes existent pour sanctionner les employeurs qui pratiquent des discriminations à l'embauche, qu'elles soient fondées sur les origines, le sexe, l'âge ou les orientations sexuelles. C'est aussi un combat culturel, et il est sans doute plus utile d'apprendre aux jeunes postulants à rédiger correctement un CV plutôt que les inciter à l'anonymat. 

Ce CV anonyme est inutile, dans la mesure où il ne fait que repousser l'éventuelle discrimination jusqu'à l'entretien. Il est également dangereux, car il stigmatise ceux qui recourent à cet anonymat, puisque, par hypothèse, ils arrivent dans une procédure de recrutement avec "quelque chose à cacher".  Au lieu de lutter contre la discrimination, il la crée.  Mais le plus grave n'est-il pas de laisser croire aux victimes potentielles qu'il suffit d'un CV anonyme pour rétablir l'égalité ?  

D'autre part, l'aventure du CV anonyme témoigne d'un certain mépris de la loi. En 2006, le parlement est sollicité pour voter l'adoption du CV anonyme. Il participe alors à un "coup médiatique", la promotion d'une idée à la mode. Elle fait l'objet d'une sorte de consensus, illustré par la proposition n° 25 du Projet socialiste pour 2012, qui, lui aussi, propose la généralisation du CV anonyme.

La loi est votée sans que l'on connaisse réellement les conséquences de la réforme ainsi adoptée. C'est si vrai qu'après avoir voté ce texte, on va se préoccuper, trois ans après, de l'expérimenter… pour découvrir finalement qu'il était parfaitement nuisible aux intérêts mêmes qu'il voulait protéger.  Pendant cinq années, on nous a donc vanté les bienfaits d'une technique dont personne ne connaissait l'impact… 

Les bons sentiments ne font décidément pas une bonne législation. 



jeudi 18 août 2011

Le parquet européen, c'est pas demain la veille

Le 14 août 2011, l'Assemblée nationale a adopté une résolution européenne dans laquelle elle "souhaite la création d'un parquet européen compétent, dès l'origine, en matière de lutte contre la criminalité". ..




La "résolution européenne"

Devons nous en déduire que nos honorables parlementaires se sont réunis pendant le grand week end de l'Assomption pour se pencher sur l'approfondissement de l'espace pénal européen ? Certes non, car cette "résolution européenne" a été adoptée selon la procédure précisée dans l'article 151-7 du règlement de l'Assemblée. La Commission des affaires européenne peut en effet proposer des résolutions qui, selon leur thème, sont ensuite examinées par une commission permanente, celle qui est la plus compétente sur le fond. Celle qui nous intéresse, issue d'une initiative de M. Geoffroy (UMP Seine et Marne) et de Mme Karamanli (PS Sarthe) a donc été transmise à la Commission des lois. Celle-ci a alors le choix entre rejeter la proposition, l'inscrire à l'ordre du jour pour qu'un débat soit organisé, ou encore… ne rien faire. C'est cette dernière option qui a été choisie en l'espèce. Dans ce cas, la résolution est considérée comme adoptée à l'issue d'un délai de 15 jours après la transmission à la commission compétente. Et c'est ainsi qu'une résolution est adoptée le 14 août..

Une histoire ancienne...

Le fondement juridique de ce ministère public européen réside dans l'article 86 du traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009. Il prévoit la faculté "pour tout ou partie des Etats membres, d'instituer un parquet européen". Le rapport du Conseil d'Etat publiée en février 2011 sur cette question note cependant que la réflexion sur ce sujet a "près de 40 ans". En substituant les ressources propres des communautés aux contributions financières des Etats, le traité de Luxembourg de 1970 portait déjà en germe l'idée que les intérêts financiers de l'Union justifient la mise en place d'instruments de contrôle spécifiquement européens. Avec la construction de l'espace judiciaire européen, l'idée de créer un procureur européen a fait son chemin, à travers de multiples sommets et de multiples rapports, jusqu'au traité de Lisbonne.

Qui s'opposerait, à part quelques eurosceptiques pathologiques, à une idée aussi excellente ? Un parquet européen permettrait de lutter plus efficacement contre la criminalité transfrontière, qu'elle soit purement financière ou étendue à l'ensemble de la criminalité organisée. Surtout, un parquet européen contribuerait au rapprochement des systèmes pénaux autour de standards européens. A ce titre, il jouerait un rôle unificateur et formateur, surtout au moment précis où l'Union européenne se prépare à adhérer à la Convention européenne des droits de l'homme.

Alors pourquoi en sommes nous toujours à voter des résolutions pour vanter les bienfaits du parquet européen, sans pour autant dépasser le stade déclaratoire ?

Pieter Brueghel. Intérieur d'un cabinet de procureur
Un enjeu de pouvoir

On sait que le droit européen est partagé entre deux traditions. Les communautés européennes, et notamment le droit de la Cour de Justice, se sont construites à partir de la tradition continentale du droit écrit romano-germanique. Peu à peu, le droit de la "Common Law" d'origine anglo-saxonne a été également pénétré le droit européen, à travers notamment le droit pénal et les principes posés par la Cour européenne. De quel système s'inspirera l'institution du parquet eruopéen ? C'est évidemment un enjeu de pouvoir qui conditionne l'ensemble des négociations.

Obstacles juridiques

La réforme rencontre d'abord des obstacles juridiques. Le premier d'entre eux est l'étendue de la compétence de cette structure nouvelle. Le traité de Lisbonne mentionne les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union, mais aussi à la "criminalité grave ayant une dimension transfrontière". Or on sait que la notion de "criminalité organisée" ou de "grande criminalité" n'est pas définie de la même manière par l'ensemble des Etats membres. Ces divergences conduisent à noter l'hétérogénéité des normes et des systèmes qui risque de susciter de grandes difficultés d'articulation entre le parquet européen et les droits nationaux.

Europe intergouvernementale ou intégration ?
Mais la plus grande difficulté est sans doute de nature politique. La création d'un parquet européen est en effet au cœur du débat entre la vision intergouvernementale de l'Union européenne et le souhait d'une intégration plus grande vers un système qui se rapproche du fédéralisme. Dans son rapport, le Conseil d'Etat ne s'y trompe pas, et plaide pour une vision quelque peu étriquée, qu'il appelle "réaliste" du procureur européen. A ses yeux, il est impossible d'envisager une institution unique, centralisée, ayant compétence ratione loci sur l'ensemble du territoire l'Union. Le "parquet réaliste" qu'il propose serait donc une institution collégiale, composée d'un représentant par Etat membre pour la décision d'engager les poursuites. Ensuite, ces poursuites seraient diligentées par des "délégués nationaux" décentralisés dans chaque Etat.

Cette proposition vise en réalité à replacer le procureur européen dans une perspective intergouvernementale, alors qu'il en est la négation même. Par son existence même, il remet en cause l'Europe des Etats pour privilégier l'intégration. Il considère en effet le territoire de l'Union comme un champ de compétence unique, alors que ce que l'on appelle l'"espace de liberté, de sécurité et de justice" initié à Tempere en 1999, s'est essentiellement traduit par la création d'Eurojust, c'est-à-dire d'une organisation intergouvernementale dont on connait par ailleurs la relative inefficacité. On ajoutera, pour faire bonne mesure, que la Grande Bretagne, dont on connaît l'attachement à l'Union européenne, ainsi que l'Irlande ont choisi de ne pas participer à la coopération judiciaire en matière pénale. Par les protocoles 21 et 22, elles ont cependant obtenu de pouvoir participer au Parquet européen, lorsqu'elles le souhaiteront, par une simple demande (clause "opt in").

Devant ces difficultés de la coopération intergouvernementale, on peut s'interroger sur les chances de la procédure d'adoption prévue par l'article 86 al. 1 TFUE. Il précise en effet que le Conseil peut créer le parquet européen "par voie de réglements" adoptés à l'unanimité. Or, les adhésions britannique, irlandaise, et probablement polonaise à cette réforme semblent bien peu probable. Pourquoi alors ne pas utiliser le système des coopérations renforcées, qui est autorisé par l'alinéa 2 de ce même article 86 ? Il permet à 9 Etats "motivés" de créer ce parquet européen… et d'amorcer un véritable espace judiciaire européen, même s'il est géographiquement plus réduit ?

A ce titre, le procureur européen constitue peut être le moyen de faire renaître une "petite Europe" mieux intégrée, dotée d'une gouvernance plus efficace... on rêve..

lundi 15 août 2011

"Omerta dans la police" : l'obligation de réserve des agents publics


Le tribunal administratif de Paris a rejeté, le 13 août, la  demande de suspension en référé de la mesure disciplinaire qui frappe madame Sihem Souid. Le 26 juillet dernier, le conseil de discipline avait proposé de lui infliger une sanction de 18 mois d'exclusion, dont 12 mois ferme, sanction réduite l'après midi même par le ministre de l'intérieur à 6 mois ferme, sans doute pour montrer sa grande clémence... 
L'origine de cette sanction réside dans la publication d'un livre "Omerta dans la police" paru en octobre 2010 aux éditions du Cherche Midi, écrit avec le soutien de Jean Marie Montali, directeur de la rédaction de France Soir. L'auteur y dénonçait un "climat délétère" dans les services de la police de l'air et des frontières (PAF) où elle exerçait ses fonctions, décrivant un univers de travail dominé par le racisme, l'homophobie et le sexisme.
La décision du  juge administratif ne présente, en soi, qu'un intérêt limité, dans la mesure où il ne se prononçait pas au fond, mais seulement sur des mesures d'urgence. Sur ce point, il n'est  pas surprenant qu'il ait refusé la suspension de la sanction. Les avocats de la plaignante avaient eu l'idée étrange d'invoquer le fait qu'elle se trouverait en "grande précarité" du fait de cette exclusion de six mois, alors même que les tirages de son livre sont excellents.
L'intérêt de cette affaire est bien davantage dans le débat qu'elle suscite sur l'obligation de réserve des agents publics. Plusieurs questions doivent être posées pour cerner cette notion.
1ère question : Mme Souid est-elle soumise à l'obligation de réserve ?
La réponse est incontestablement positive. L'article 25 du statut de lafonction publique soumet les fonctionnaires à un "devoir de discrétion" qui implique la non divulgation des faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l'exercice de leurs fonctions. Ce devoir cède cependant, très logiquement, devant l'obligation de communiquer aux administrés les documents administratifs communicables au sens de la loi du 17 juillet 1978.
La notion de devoir de réserve est quant à elle d'origine jurisprudentielle.  Elle apparaît dès 1935, dans un arrêt du Conseil d'Etat Bouzanquet, pour fonder la sanction frappant un employé à la chefferie du Génie à Tunis, qui avait tenu des propos publics très critiques à l'égard de la politique du gouvernement.  Elle impose à l'agent une certaine retenue dans l'expression, lui interdit  d'utiliser sa fonction pour d'autres finalités que celles qui lui sont attachées, par exemple à des fins de propagande politique ou de dénigrement. La réserve apparaît ainsi comme un des instruments juridiques destinés à garantir la neutralité du service public. 

Il est vrai que Mme Souid, contrairement à ce qui été largement repris dans la presse, n'a pas la qualité de fonctionnaire. Elle est "agent de sécurité de la police nationale", ce qui signifie qu'elle a été recrutée avec un contrat de trois ans renouvelable. Elle a ensuite bénéficié de 14 semaines de formation avant de rejoindre les services de la police nationale pour y exercer des fonctions de soutien.
Bien qu'elle ne soit pas soumise au statut de la fonction publique, Mme Souid doit néanmoins respecter l'obligation de réserve. D'une part, la jurisprudence affirme que « le devoir de réserve s'impose à tout agent public. » ( par exemple : Conseil d'Etat, 13 mars 2006, Maison deretraite de Gerbeviller), qu'il soit fonctionnaire ou contractuel. D'autre part, le réglement général d'emploi de la police nationale (RGEPN) rappelle les droits et obligations de tous les personnels concourant aux missions de police, quel que soient leur statut, leur grade ou leur fonction. Signé par le ministre de l'Intérieur, il précise, dans son art. 113-10 que "l'obligation de réserve et de discrétion s'applique à tous les policiers et concerne tous les faits, les informations ou les documents dont ils ont une connaissance directe ou indirecte dans l'exercice ou à l'occasion de leur profession". Ce texte, actuellement l'arrêté du 6 juin 2006, s'impose par la voie hiérarchique à chacun des agents concernés. 

Dans ces conditions, il ne fait donc guère de doute que Mme Siad est effectivement soumise à l'obligation de réserve. 

2ère question : Les faits dont on accuse Mme Souid sont-ils constitutifs d'un manquement à l'obligation de réserve ?
La réponse sur ce point doit être plus nuancée. On peut évidemment considérer, et c'est la position du ministère de l'Intérieur, que le manquement à l'obligation de réserve a une nature purement objective, et serait constitué dès qu'une information concernant le service est divulguée, quelle que soit cette information. Selon cette définition étroite, le manquement à l'obligation de réserve est évidemment constitué.
On doit tout de même observer que cette position extrême n'est pas celle de la jurisprudence. Le juge considère au contraire que l'obligation de réserve ne pèse pas avec la même intensité sur chaque agent public. Ceux qui sont dans une position hiérarchique élevée (ambassadeur, préfet..) ou qui sont placés sous un statut particulier (militaires) y sont soumis de manière plus rigoureuse. En revanche, les agents subalternes et ceux qui disposent d'un mandat syndical bénéficient d'une plus grande liberté de parole (CE 18 mai 1956, Boddaert).
Si on reprend le cas de Mme Souid, on doit constater qu'elle est bien loin d'exercer une fonction supérieure, la mission des ADS relevant du soutien, et n'impliquant aucune participation directe à la mission de lutte contre la délinquance. Il est donc possible de considérer que l'obligation de réserve qui pèse sur elle ne lui interdit pas toute expression. 
Peut être serait il même possible de considérer que le dénonciation de comportements illégaux à laquelle elle se livre dans son livre remplit une mission d'intérêt général assez proche de l'action syndicale ?
3è question : La sanction infligée à Mme Souid est-elle proportionnée à la gravité du manquement à ses obligations ?
On sait que le juge administratif a tendance à accroître l'intensité de son contrôle sur les sanctions disciplinaires. Dans la célèbre affaire Matelly du11 janvier 2011, il a ainsi annulé la révocation d'un officier de gendarmerie, considérée comme "manifestement disproportionnée" par rapport aux faits reprochés à cet officier.
La comparaison entre les deux affaires est précisément très éclairante. Dans la décision Matelly, le manquement à l'obligation de réserve était d'autant plus évident que l'intéressé était soumis au statut des militaires, évidemment plus rigoureuse en ce domaine que le statut de la fonction publique civile. Et l'officier avait signé un article contestant ouvertement la politique du gouvernement en matière de regroupement des forces de sécurité. D'une certaine manière, il critiquait le droit existant, en l'espèce la loi du 3 août 2009 sur la gendarmerie.
Dans l'affaire Souid au contraire, l'intéressée est sanctionnée pour avoir dénoncé des comportements constitutifs d'infractions pénales (discrimination, harcèlement, etc..). Elle ne critique pas le droit existant, mais dénonce au contraire des violations du droit.
La question de la proportionnalité de la sanction est évidemment posée dans une telle situation. Mme Souid fait l'objet d'une exclusion de 18 mois, dont 12 avec sursis, l'une des sanctions les plus lourdes, derrière la révocation et la radiation des cadres.
4è question : Quelles sont les bornes de l'obligation de réserve ?
Se pose alors la véritable question de savoir quelles sont les bornes de l'obligation de réserve. Elle ne saurait évidemment pas contraindre un agent à un silence absolu. Dès lors que les procédures internes ne permettent pas de faire aboutir des plaintes portées contres ces comportements illégaux, doit-on nécessairement considérer comme illicite le fait de les porter sur la place publique ? L'utilisation des médias ne peut il jamais être le moyen de susciter une enquête qu'il a été impossible d'obtenir par d'autres moyens ? Sur ce plan, l'affaire Souid offre peut être au juge l'opportunité de préciser dans quels cas la liberté d'expression doit prévaloir sur l'obligation de réserve. 
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme devrait inciter le juge à s'interroger sur cette question. En effet, dans une affaireGuja c. Moldavie du 12 février 2008, elle a été amenée à considérer qu'un fonctionnaire, même soumis à l'obligation de discrétion et de réserve, pouvait invoquer l'article 10 de la Convention européenne consacrant la liberté d'expression. Et sa décision est très éclairante : ".
"En ce qui concerne les agents de la fonction publique, qu’ils soient contractuels ou statutaires, la Cour observe qu’ils peuvent être amenés, dans l’exercice de leur mission, à prendre connaissance d’informations internes, éventuellement de nature secrète, que les citoyens ont un grand intérêt à voir divulguer ou publier. Elle estime dans ces conditions que la dénonciation par de tels agents de conduites ou d’actes illicites constatés sur leur lieu de travail doit être protégée dans certaines circonstances (…)". 

La Cour observe cependant que "la divulgation au public ne doit être envisagée qu’en dernier ressort, en cas d’impossibilité manifeste d’agir autrement (...). Dans un système démocratique, les actions ou omissions du gouvernement doivent se trouver placées sous le contrôle attentif non seulement des pouvoirs législatif et judiciaire, mais aussi des médias et de l’opinion publique. L’intérêt de l’opinion publique pour une certaine information peut parfois être si grand qu’il peut l’emporter même sur une obligation de confidentialité imposée par la loi "

Nul doute que si elle n'obtient pas satisfaction devant les juges internes, Mme Souid saura se souvenir de cette intéressante décision de la Cour européenne.. On ne peut s'empêcher de penser toutefois qu'il est tout de même fâcheux de laisser à la jurisprudence européenne le soin de résoudre un problème auquel le législateur devrait s'intéresser.