De l'adoption simple à l'adoption plénière
C'était, en soi, une rupture totale par rapport à une jurisprudence ancienne qui considérait que l'illégalité de la GPA en droit français se répercutait sur la situation juridique de l'enfant qui en état issu. Affligé d'une sorte de péché originel, il se voyait privé d'une filiation identique à celle dont bénéficiait celui qui était né d'un papa et d'une maman plus conformes aux traditions. Dans un arrêt du 13 septembre 2013, la Cour de cassation affirmait encore : "En présence de cette fraude, ni l'intérêt supérieur de l'enfant que garantit l'article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l'enfant, ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme ne sauraient être utilement invoqués".
L'évolution n'est pas venue de la jurisprudence de la Cour de cassation, mais lui a été imposée. D'abord par la loi du 17 mai 2013 sur l'ouverture du mariage aux couples de même sexe qui, en même temps, ouvrait le droit à l'adoption. Dans sa décision du même jour, le Conseil constitutionnel avait d'ailleurs énoncé une réserve d'interprétation, affirmant que l'alinéa 10 du Préambule de 1946 selon lequel "la Nation assure à l'individu et à la famille le conditions nécessaires à leur développement" devait s'entendre comme imposant le respect de l'intérêt de l'enfant pour toute procédure d'adoption. Ensuite, par la célèbre jurisprudence Mennesson de la Cour européenne des droits de l'homme qui, en juin 2014, se réfère à l'intérêt supérieur de l'enfant en matière d'état civil des enfants nés à l'étranger d'une GPA.
La jurisprudence a donc évolué, de manière plus ou moins contrainte, mais enfin elle a évolué. Sur ce point, la décision de la Cour d'appel confirme que l'illégalité de la GPA en droit français ne fait plus obstacle à l'adoption plénière de l'enfant par le parent d'intention.
Voutch. 1996 |
Une course d'obstacles judiciaires
Certes, mais cette analyse ne voit la décision que par un tout petit bout de la lorgnette juridique. Pour l'étudier plus sérieusement, il convient de rappeler les conditions du droit commun gouvernant l'adoption plénière. Lorsque l'enfant a moins de quinze ans, les articles 348-1 et 348-3 du code civil disposent qu'il suffit de démontrer que sa filiation n'est établie qu'à l'égard de l'un des conjoints et d'obtenir le consentement, non rétracté, de ce dernier pour pouvoir demander l'adoption plénière. Au vu de ces éléments, le juge se prononce ensuite en fonction de l'enfant.
C'est une procédure simple et même très simple. Alors pourquoi la décision du 18 septembre 2018 laisse-t-elle le sentiment d'une course d'obstacles judiciaire ? Les intéressés ont dû produire un affidavit par laquelle la mère porteuse affirmait que son époux et elle n'ont aucun lien biologique avec les enfants et qu'ils renoncent à "tous droits" à leur égard. Cette déclaration est ensuite entérinée par un jugement des tribunaux canadiens déclarant en conséquence comme "seul parent des enfants" le membre du couple qui les a reconnus dès leur naissance.
La Cour d'appel a donc exigé la production de documents liés aux conditions de la naissance de l'enfant. Imaginons une situation très banale dans laquelle un mari décide d'adopter l'enfant de son épouse, né avant le mariage d'un père qui n'a laissé aucune trace, voire qui n'a rien su de sa paternité. Le juge va-t-il demander le nom du père biologique, voire lui demander de renoncer à des droits que personne ne lui a jamais demandé d'exercer ?
La Cour d'appel de Versailles, dans deux décisions du 15 février 2018, a, quant à elle, effectué le raisonnement inverse. Elle a infirmé des jugements du tribunal de grande instance refusant à une femme l'adoption plénière de l'enfant de sa conjointe, né à l'étranger après une insémination avec donneur. Non sans hypocrisie, le tribunal avait exigé la preuve de l'inexistence juridique du père, invoquant l'hypothèse d'une reconnaissance future de l'enfant par son père biologique, en l'occurrence le donneur de gamètes. Cette exigence était pour le moins étrange, car comment peut-on apporter la preuve de l'inexistence d'un fait ? Quoi qu'il en soit, en l'absence de cette preuve, le tribunal avait rejeté la demande d'adoption plénière. La Cour d'appel a sanctionné ces jugements, au motif qu'ils ajoutaient des conditions à celles définies par la loi, c'est-à-dire par le code civil, précisant que "l'éventualité d'une volonté de reconnaissance future de l'enfant par un père biologique est purement hypothétique". Elle ne peut donc être prise en considération pour contredire l'absence de mention d'un père sur l'acte de naissance.
Dans l'affaire du 19 septembre 2018, on comprend que les requérants aient obtempéré et produit les pièces demandées. Ils désiraient avant tout obtenir l'adoption plénière de leurs enfants, et ils ont préféré céder... Cela suffit à montrer qu'ils sont d'excellents parents, mais il n'en demeure pas moins qu'ils auraient dû parvenir au même résultat sans divulguer les conditions de la naissance des enfants. Ils ont donc été traités de manière discriminatoire aussi bien par rapport à un couple hétérosexuel que par rapport à un couple d'homosexuelles. Le mariage pour tous reposait sur l'idée d'égalité devant la loi, quelle que soit la manière de vivre sa vie familiale. Ne serait-il pas choquant que cette égalité devant la loi conduise finalement à une inégalité devant la jurisprudence ?