« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


Affichage des articles triés par date pour la requête corrumpit. Trier par pertinence Afficher tous les articles
Affichage des articles triés par date pour la requête corrumpit. Trier par pertinence Afficher tous les articles

jeudi 14 novembre 2024

GPA : La filiation du parent d'intention enfin simplifiée


La première chambre civile de la Cour de cassation reconnaît, dans un arrêt du 14 novembre 2024, que l'absence de lien biologique entre un enfant né par gestation pour autrui (GPA) à l'étranger et son parent d'intention ne heurte aucun principe essentiel du droit français. La filiation, dès lors qu'elle a été légalement établie dans le pays où s'est déroulée la GPA, peut donc être reconnue par la France.

Une femme seule s'est rendue au Canada pour bénéficier d'une GPA. L'enfant a été conçu par fécondation in vitro, à partir des gamètes de deux donneurs, porté ensuite et mis au monde par une mère porteuse. En d'autres termes, la femme qui a eu recours à la GPA n'a aucun lien biologique avec l'enfant. Conformément au droit canadien, une décision des juges de ce pays l'a déclarée mère légale de l'enfant.

Mais cette filiation n'était valide qu'au Canada. Pour l'établir en France, la mère d'intention a utilisé la procédure judiciaire d'exequatur. Concrètement, il s'agit, pour le juge français, de reconnaître et d'exécuter une décision de justice étrangère. En l'espèce, la requérante a obtenu des décisions favorables des juges du fond, mais le procureur près la Cour d'appel a déposé un pourvoi devant la Cour de cassation. Celle-ci précise deux points essentiels, et oppose ainsi une fin de non-recevoir aux arguments traditionnellement développés par ceux qui veulent sanctionner celles et ceux qui recourent à la GPA en les privant du lien de filiation avec l'enfant né de cette pratique.


L'ordre public international


Le premier moyen développé, d'ailleurs très souvent invoqué, repose sur l'idée que la GPA n'étant pas conforme à l'ordre public français, tous les actes ultérieurs définissant le statut juridique de l'enfant sont, en quelque sorte, entachés d'une illégalité à la fois originelle et définitive.

Il est parfaitement exact que la GPA n'est pas conforme à l'ordre public français. L’article 16 al. 7 du code civil énonce que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». Certes, mais cela ne signifie pas que les juges français de l'exequatur soient tenus de rejeter le jugement d'une juridiction étrangère statuant sur une procédure qui, dans l'État considéré, est parfaitement licite. 

Sur ce point, la Cour de cassation fait une distinction claire entre l'ordre public interne et l'ordre public international. Et précisément, celui-ci impose le respect du principe selon lequel l'intérêt supérieur de l'enfant doit guider toutes les décisions le concernant. 



Représentation archaïque d'une fécondation in vitraux

Le Chat. Gelück


L'intérêt supérieur de l'enfant


La Cour de cassation a mis du temps à accepter de prendre en considération l'intérêt supérieur de l'enfant né par GPA. Chaque évolution dans ce domaine a été initiée par la jurisprudence européenne.

La première étape a été la reconnaissance de la filiation du parent biologique avec la célèbre affaire Mennesson. Dans deux décisions du 26 juin 2014 Mennesson c. France et Labassee c. France, la CEDH sanctionne ainsi le droit français qui refusait la transcription de l’état civil de jumelles nées par GPA aux Etats-Unis. Or la GPA avait eu lieu à la demande d'un couple hétérosexuel, le père ayant donné ses gamètes. La filiation avec le père, en l'espèce le père biologique, a finalement été reconnue par la Cour de cassation le 3 juillet 2015.

La seconde étape, plus complexe, est celle de la reconnaissance de la filiation du parent d'intention, celui qui, par hypothèse, n'a aucun lien biologique avec l'enfant. Dans quatre arrêts du 5 juillet 2017, la Cour de cassation ne lui permettait qu'une adoption simple, dont on sait qu'elle ne supprime donc pas tous les liens avec la mère porteuse. 

La CEDH, sollicitée pour avis le 10 avril 2019, consacre un droit de ces enfants à la filiation maternelle, mais laisse les États choisir entre la transcription directe dans l’état civil ou l’adoption. S’appuyant sur cet avis, elle précise ensuite, dans un arrêt D. B. c. Suisse du 22 novembre 2022,  que ce droit à la filiation doit bénéficier au second parent d’intention, y compris le membre d’un couple homosexuel.

Il est donc désormais acquis, largement grâce à la jurisprudence européenne que la naissance d'un enfant par GPA ne peut, à elle seule, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée, faire obstacle à la reconnaissance en France des liens de filiation établis à l'étranger tant à l'égard du parent biologique qu'à l'égard du parent d'intention. L'arrêt du 14 novembre 2024 s'analyse ainsi comme un ralliement plein et entier de la Cour de cassation au libéralisme de la jurisprudence européenne. 

En témoigne évidemment l'abandon total de la jurisprudence ancienne qui considérait que le parent d'intention devait se contenter d'une adoption simple. La Cour de cassation affirme désormais très clairement que la filiation établie par le jugement d'exequatur ne saurait être assimilé à une adoption. Elle rappelle d'ailleurs qu'aucun principe de droit français ne se trouve heurté par l'absence de lien biologique entre l'enfant et le parent. Les filiations non conformes à la réalité biologiques ont toujours existé, qu'il s'agisse de l'assistance médicale à la procréation avec donneur ou tout simplement de la reconnaissance d'un enfant sans avoir avec lui de lien biologique.

La décision du 14 novembre 2024 est le résultat d'une lente évolution, et l'on connaît les réticences de la Cour de cassation qui a longtemps refusé de considérer l'intérêt supérieur de l'enfant, préférant considérer que la gestation pour autrui avait pour conséquence l'illicéité de tous les actes postérieurs concernant son statut juridique. Cette application absolutiste de l'adage Fraus omnia corrumpit est aujourd'hui un souvenir déjà lointain. Le dialogue des juges a été fructueux et la Cour de cassation s'est ralliée à la position européenne, d'autant qu'elle reflétait l'évolution des moeurs. La GPA demeure interdite, mais les enfants qui sont nés de cette pratique n'ont pas à en subir les conséquences, leur vie durant. Ce sont eux qui ont gagné le droit de vivre leur vie d'enfant, avec leurs parents, c'est à dire avec ceux qui les élèvent et veillent sur eux.


mercredi 1 janvier 2020

GPA : le parent d'intention sur le registre d'état civil, enfin

Dans trois décisions du 18 décembre 2019, la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation affirme qu'une gestation pour autrui (GPA) ou une opération de procréation médicalement assistée (PMA) conforme au droit de l'Etat où elle a été effectuée ne fait pas, à elle seule, obstacle à la transcription de l'acte de naissance des enfants désignant à la fois le parent biologique et le parent d'intention. Cela signifie que les parents de même sexe d'un enfant né par GPA ou par PMA pourront désormais directement obtenir la transcription sur les registres français de l'état civil de leur enfant.


L'abandon de la primauté du biologique



Des années auront été nécessaires pour que la Cour de cassation renonce à sa conception traditionnelle, toujours attachée à la primauté du lien biologique. Dans deux arrêts du 13 septembre 2013, cette même 1ère Chambre civile appliquait ainsi l'adage Fraus omnia corrumpit, considérant que la nullité initiale de la convention de GPA, au regard du droit français, entrainait celle de tous les actes juridiques liés à la naissance de l'enfant. A l'époque, elle refusait donc à la fois la transcription de l'acte de naissance sur les registres de l'état civil français et la reconnaissance de paternité considérée comme frauduleuse.

Cette sévérité s'est rapidement heurtée à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) qui, se fondant sur l'article 3 de la Convention sur les droits de l'enfant, rappelait aux juges français que toute décision le concernant devait être guidée par son "intérêt supérieur". Or, il est de l'intérêt supérieur de l'enfant d'avoir un état-civil français, élément essentiel de son identité, dès lors qu'il est élevé au sein d'une famille française. C'était le sens même des arrêts Mennesson c. France et Labassee c. France du 26 juin 2014, analyse à laquelle l'Assemblée plénière s'est ralliée le 3 juillet 2015.


Les réticences de la Cour



A partir de cette date, les réticences de la Cour de cassation se sont déplacées sur un autre terrain, celui de la transcription à l'état civil du lien avec le parent d'intention, celui qui n'a pas donné ses gamètes. Dans quatre arrêts du 5 juillet 2017, la Cour reconnaissait que la transcription pouvait être effectuée pour le parent biologique. En revanche, le parent d'intention devait passer par une procédure d'adoption de l'enfant de son conjoint. La Cour s'appuyait sur l'article 47 du code civil qui affirme que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité". Pour la Cour, statuant alors sur le cas d'un couple hétérosexuel, la mère d'intention n'ayant pas accouché ne peut être considérée comme la mère de l'enfant. L'acte d'état civil produit à l'étranger ne "correspond pas à la réalité". La CEDH, sollicitée pour avis par l'Assemblée plénière, a décidé, le 10 avril 2019, de laisser les Etats choisir le mode d'établissement de la filiation du parent d'intention, entre la transcription directe dans les registres d'état civil français ou l'adoption.

Le problème est que cette solution n'est pas satisfaisante. D'une part, l'adoption simple ne coupe pas nécessairement tout lien avec la mère porteuse, et ne donne au parent d'intention que des droits "de basse intensité" par rapport à l'adoption plénière. D'autre part, il est conduit, au moins à ses yeux, à adopter son propre enfant.

Le 8 octobre 2019, dans le dernier arrêt consacré à l'affaire Mennesson, la Cour de cassation, tenant compte de l'avis de l'Assemblée plénière, avait choisi la transcription directe de la filiation de la mère d'intention sur l'état civil français. A ses yeux, c'est la durée même du contentieux qui justifiait ce choix. Au moment de la décision, les jumelles Mennesson ont dix-neuf ans, et leur mère a toujours été Mme Mennesson, qui leur a apporté "l’environnement dans lequel (elles) vivent et se développent".  

La fille aux deux papas. Dave. 2018


Revirement sur l'article 47



Dans les décisions du 18 décembre 2019, la 1ère Chambre civile revient résolument sur la fâcheuse jurisprudence de juillet 2017 et elle le fait de manière éclatante à propos de trois décisions concernant des couples homosexuels. En ce qui concerne la GPA, il s'agit de deux couples d'hommes, l'un franco-belge non marié et l'autre français marié. La Cour précise alors que son raisonnement "n’a pas lieu d’être différent lorsque c’est un homme qui est désigné dans l’acte de naissance étranger comme « parent d’intention ». La précision n'est pas inutile si l'on considère les réticences habituelles de la Cour de cassation dans ce domaine.

Surtout, la Cour revient sur son interprétation rigoureuse de l'article 47 du code civil. Son seul objet est d'apprécier la régularité formelle de l'acte d'état civil établi à l'étranger, au regard du droit local. En aucun cas, il ne peut être apprécié à l'aune de l'interdiction de la GPA sur le territoire français. Certes, le couple va à l'étranger pour échapper à cette prohibition, mais ce n'est pas l'objet de l'article 47. 

La Cour de cassation tire les conséquences de cette interprétation, en précisant que la transcription de l'état civil de l'enfant est de droit, si le parent d'intention montre que "l'acte étranger est régulier, exempt de fraude, et conforme au droit de l'Etat dans lequel il a été établi". Dans le cas présent, la durée des contentieux n'a rien à voir avec l'affaire Mennesson, et la Cour ne s'interroge plus sur ce point. Les parents d'intention peuvent donc désormais obtenir rapidement la transcription de l'état civil de l'enfant, en produisant un acte régulier au regard du droit de l'Etat dans lequel ils ont bénéficié d'une GPA.

Les décisions du 18 décembre 2019 marquent ainsi un tournant dans l'évolution du droit. Il est désormais acquis que l'interdiction de la GPA ne concerne que le territoire français et qu'elle ne saurait avoir de conséquence sur le statut d'un enfant né à l'étranger, dans un pays dans lequel elle est parfaitement licite. Cette solution est conforme au droit international privé qui considère qu'un jugement relatif à l'état des personne doit être automatiquement reconnu. Cette solution est surtout conforme, enfin, à l'intérêt supérieur de l'enfant, qui n'a pas à souffrir des conditions de sa naissance, situation dont il n'est évidemment pas responsable. Certes, la Cour a mis du temps à évoluer et la pression de la CEDH n'est pas étrangère à cette évolution. Mais enfin, c'est fait.


Sur la GPA : Chapitre 7, Section 2 § 3 B du manuel de Libertés publiques sur internet.



dimanche 29 septembre 2019

GPA : Trois hommes et un couffin

Dans une décision du 12 septembre 2019, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation rejette la demande de reconnaissance de paternité d'un père qui avait reconnu, avant la naissance, un enfant issu de ses gamètes et né d'une gestation pour autrui. Ceux qui contestent l'assistance médicale à la procréation au nom de la prééminence absolue du lien biologique vont certainement méditer cette décision.

Une situation complexe



Il est vrai qu'elle n'est pas très facile à lire, car la situation familiale de l'enfant de six ans, enjeu du conflit, est pour le moins complexe. En 2012, un couple d'homosexuels M. X. et M. Z passent un contrat de gestation pour autrui avec Mme C. qui s'engage, contre une rémunération de 15 000 €, à porter leur enfant. M. X. donne ses gamètes pour l'insémination et M. Z. reconnaît l'enfant avant sa naissance. Mais en cours de grossesse, Mme C. change d'avis, et décide finalement de passer une seconde convention avec un autre couple, hétérosexuel cette fois, M. et Mme Y. A la naissance, en mars 2013, Mme C. raconte donc à M. X. et à M. Z. que l'enfant est mort-né. M. Y. reconnaît l'enfant et celui-ci vit désormais dans cette famille. Evidemment, le couple homosexuel apprend la supercherie. M. X. porte plainte pour escroquerie. Il a quelques raisons de se plaindre, car il est le seul homme de l'histoire à ne pas avoir vu reconnaître sa paternité, alors qu'il est précisément le père biologique de l'enfant.

Passons sur le volet pénal, dans lequel tout le monde est condamné, l'une pour escroquerie car elle est avait vendu deux fois son bébé, et tout le monde pour provocation à l'abandon d'enfant, infraction utilisée pour sanctionner le recours à une une convention de GPA. Passons aussi sur les insuffisances de l'administration, car il semble étrange que la seconde reconnaissance de paternité n'ait pas suscité le moindre émoi des services de l'état civil. 


Trois hommes et un couffin. Coline Serreau. 1985

Le volet civil



En matière civile,  M. X. a engagé une procédure de contestation de la reconnaissance de paternité réalisée par M. Y., en s'appuyant sur la vérité biologique. Il demandait donc à ce que sa filiation soit établie, avec toutes les conséquences que cela emporte, notamment sur la résidence de l'enfant. Sur le plan juridique, l'affaire semblait pouvoir être facilement résolue, dès lors que l'article 332 du code civil énonce que "la paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l'auteur de la reconnaissance n'est pas le père". Le juge du fond, en l'espèce le tribunal de Dieppe, avait accueilli sur ce fondement les demandes de M. X. père biologique de l'enfant.

La Cour d'appel de Rouen a toutefois annulé cette première décision et déclaré irrecevables les demandes de M. X. en 2018, décision aujourd'hui confirmée par la Cour de cassation. Ecartant l'article 332 du code civil, elle s'appuie sur son article 16-7 qui affirme que "toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle". Le problème est que, dans cette affaire, tout le monde a souscrit une convention de GPA. Mais peu importe, seule la première convention est sanctionnée. Aux yeux du juge, son illicéité entraine, par une sorte d'effet domino, la nullité de toute demande ultérieure.
 
L'analyse est bien connue, même si elle est un peu ancienne. La Cour de cassation l'avait déjà développée dans la première décision  Mennesson du 17 décembre 2008,  puis dans deux arrêts du 13 septembre 2013. Elle appliquait alors l'adage "Fraus omnia corrumpit", depuis longtemps intégré dans la jurisprudence de la Cour de cassation, et qui lui permet de prononcer la nullité de tous les actes issus d'une fraude. Le problème est tout de même que la fraude, qu'elle soit civile ou pénale, se définit par la volonté de nuire. Or les parties à un contrat de gestation pour autrui n'ont pas réellement le désir de nuire à qui que ce soit, seulement celui de mettre un enfant au monde.

En l'espèce, l'analyse ne peut manquer de surprendre. Car la si la convention passée par le couple d'homosexuels est entachée d'une nullité telle que la reconnaissance de M. Z. est également nulle, celle passée par M. et Mme Y. est, en quelque sorte, validée par la Cour de cassation, et la paternité de M. Y,, même sans lien biologique avec un enfant qu'il a acheté pour 15 000 €. Avouons que la sévérité à l'égard de M. X. n'a d'égale que l'indulgence à l'égard de M. Y.

Dans sa décision du 12 septembre 2019, la Cour de cassation ajoute une référence à l'intérêt supérieur de l'enfant, au sens de l'article 3-1 de la Convention internationale sur les droits de l'enfants de 1989. M. X estimait que cet intérêt supérieur exige que l'enfant connaisse ses origines, mais la Cour de cassation estime qu'il impose plutôt que cet enfant grandisse dans la famille qui l'a accueilli depuis sa naissance, alors même qu'elle a aussi passé une convention illicite. La Cour de cassation précise d'ailleurs que l'enfant est élevé "dans d'excellentes conditions" par M. Y et son épouse.


Une victime directe 



La Cour de cassation fait ainsi prévaloir l'intérêt de l'enfant sur le droit d'accès aux origines. La solution est peut-être la moins mauvaise, si l'on considère qu'il s'agit d'un enfant de six ans qui a toujours vécu auprès du couple Y. Sans doute, mais elle fait tout de même une victime directe. Le père biologique se voit privé de tout droit. Et le juge décide son exclusion de la vie de son enfant en se fondant sur le fait qu'il a signé une convention de GPA, pour reconnaître la paternité d'un homme qui n'a aucun lien biologique avec lui et qui a aussi signé une convention de GPA. O, la décision aurait pu être moins brutale, et l'article 371-4 du code civil permettait au juge de maintenir le lien avec le père biologique, par exemple par un droit de visite. On imagine que le père biologique ne pourra s'empêcher de penser que cette intransigeance trouve son origine dans son homosexualité.

La mince consolation que lui offre la Cour se trouve dans la mention selon laquelle sa décision "ne préjudicie pas au droit de l’enfant de connaître la vérité sur ses origines". L'enfant sera-t-il  convenablement informé des conditions de sa naissance ? Sera-t-il en mesure d'exercer ce droit ? Et aura-t-il envie de l'exercer, sachant qu'il n'aura jamais eu de contact avec son père biologique ?


Des dégâts collatéraux


Cette décision fait aussi des dégâts collatéraux. Elle semble ramener la jurisprudence sur la GPA quelques années en arrière, lorsque l'application de l'adage Fraus omnia corrumpit résumait toute la pensée des juges. Or la situation juridique des enfants nés par GPA à l'étranger s'est considérablement renforcée. Le parent d'intention voit désormais son lien de filiation reconnu et la transcription des actes de naissance dans l'état civil français est chose acquise. Peu à peu, on s'achemine même vers une transcription mentionnant les deux parents, le parent biologique et le parent d'intention. Celles et ceux qui veulent fonder une famille et qui n'ont pas d'autre solution que la GPA sont donc clairement invités à recourir aux services d'une mère porteuse étrangère.  Quant à ceux qui ont utilisé, illégalement, les services d'une mère porteuse en France, ils sont incités à acheter un enfant et à le cacher suffisamment longtemps pour que son intérêt supérieur soit de demeurer avec eux. A sa manière, cette jurisprudence illustre parfaitement l'hypocrisie de notre système juridique à l'égard de la GPA.


Sur la GPA : Chapitre 7, Section 2 § 3 B du manuel de Libertés publiques sur internet.



jeudi 6 juillet 2017

GPA : la Cour de cassation ou le libéralisme contraint



La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a rendu, le 5 juillet 2017, quatre arrêts ouvrant la voie à une reconnaissance juridique des couples ayant eu recours à une gestation pour autrui (GPA). En effet, la Cour autorise désormais le membre du couple qui n'a pas de lien biologique avec l'enfant à procéder à une adoption simple. C'est un premier pas, mais certainement un grand pas pour la Cour de cassation qui a toujours témoigné de son rejet à l'égard de la GPA.

Celle-ci est et demeure formellement prohibée par le droit positif depuis la loi du 29 juillet 1994 qui énonce fermement que "toute convention portant sur (...) la gestation pour le compte d'autrui est nulle" (article 16 al. 7 du code civil). Bien qu'interdite, la GPA est cependant une technique courante et licite dans bon nombre d'Etats, situation qui incite des couples français à se rendre à l'étranger pour en bénéficier. Rappelons que la GPA a d'abord pour finalité de remédier à une forme de stérilité féminine liée à l'impossibilité de porter un enfant. Elle est aussi le seul recours des couples homosexuels masculins qui désirent fonder une famille. Bien entendu, cette technique peut s'articuler avec un don de gamètes lorsque le couple est à la fois dans l'impossibilité de concevoir et de porter un enfant. Les trois arrêts du 5 juillet 2017 ne concernent cependant que les GPA dans lesquelles l'un des parents d'intention est le père biologique de l'enfant.

Si l'on étudie précisément la GPA à partir de la situation du "couple d'intention", c'est-à-dire celui qui a recours à la GPA, on s'aperçoit que la situation du père ne pose pas de problème : il lui suffit de déclarer l'enfant à la naissance pour être son père légal. Il n'en est pas de même pour sa compagne ou son compagnon. En droit français, la mère d'un enfant est celle qui accouche, et la question posée est donc celle du statut juridique du parent qui n'est pas le parent biologique. Sur ce plan, les arrêts de la Cour de cassation répondent à deux situations bien distincte.

La transcription du nom de la mère d'intention


La première question est celle de la transcription à l'état civil français de l'acte de naissance d'un enfant né à l'étranger par GPA. Si la transcription du père ne pose pas problème, il n'en est pas de même pour la mère. Dans la décision n° 824, M. et Mme Y. demandent ainsi la transcription de l'acte de naissance de leurs jumeaux nés à Whittier en Californie. Or l'état civil californien mentionne le nom de la mère biologique et celui de la mère d'intention, la première déclarant renoncer à tout droit juridique sur l'enfant, au profit de la seconde. Le procureur de la République, puis la Cour d'appel avaient également refusé la transcription de l'état civil américain des enfants. 
 
La Cour de cassation leur donne raison, en s'appuyant sur deux motifs essentiels, également discutables.

Le premier réside dans l'article 47 du code civil qui autorise la transcription d'un acte d'état civil faits en pays étranger, sauf "si les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité". Or l'état civil californien fait figurer le nom de la mère biologique comme celui de la mère d'intention, la première déclarant renoncer à tout droit juridique sur l'enfant, au profit de la seconde. Pour la Cour de cassation, cet état civil "ne correspond pas à la réalité", et il ne peut donc être transcrit tel quel sur les registres français. 

L'analyse peut surprendre. Les mentions figurant dans l'état civil californien correspondent en effet doublement à la réalité. Sur le plan des conditions de la naissance des enfants tout d'abord, puisque l'état civil reconnaît la double intervention d'une mère biologique et d'une mère d'intention. Sur le plan du droit applicable ensuite, puisque l'état civil des jumeaux est conforme au droit applicable en Californie. Quoi qu'il en soit, pour la Cour de cassation, le fait de déclarer une mère d'intention ne correspond pas à la "réalité", puisqu'elle n'a pas accouché.

Heureusement, la Cour se montre un peu plus mesurée dans son appréciation de la conformité de cette décision extrêmement brutale à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantir le droit de mener une vie familiale normale. Elle fait observer en effet que rien n'interdit de transcrire un état civil mentionnant le nom du père, ce qui garantit à l'enfant un lien de filiation et la nationalité française. Elle précise également que l'adoption permet de créer un lien de filiation entre l'enfant et la mère d'intention.

Observons que ce libéralisme a quelque chose de contraint. Il est la conséquence directe des arrêts  Mennesson c. France et Labassee c. France du 26 juin 2014. La Cour européenne des droits de l'homme avait alors affirmé que l'intérêt supérieur de l'enfant, même né par GPA, exigeait qu'il ait un état civil français, comme la famille par laquelle il est élevé. Aux yeux de la CEDH, cet état civil est un élément de l'identité. La Cour de cassation a fini par se rallier à cette jurisprudence par un arrêt un 3 juillet 2015, mais les juges du fond ont bien souvent continué à faire de la résistance, suscitant une nouvelle condamnation de la France par la Cour européenne, dans l'arrêt Foulon et Bouvet c. France du 21 juillet 2016
L'acceptation de cet état civil français a finalement suscité la décision de permettre la délivrance à ces enfants d'un certificat de nationalité, avec la circulaire Taubira du 25 janvier 2013. Cette circulaire a vu sa légalité confirmée par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 12 décembre 2014 Association des juristes pour l'enfance. Contrairement à la CEDH, le Conseil d'Etat ne s'appuie pas sur l'intérêt supérieur de l'enfant mais sur son droit à la vie privée, c'est à dire concrètement le droit de l'enfant à avoir la nationalité de ses parents considéré comme un élément essentiel de sa vie familiale.

Au regard de l'ensemble de cette jurisprudence, il était donc bien difficile de ne pas considérer que le droit à la vie familiale de l'enfant impliquait aussi la création d'un lien de filiation avec sa mère d'intention.

L'adoption de l'enfant par l'époux du père


La seconde question résolue par les arrêts du 5 juillet 2017 est plus simple. Elle porte sur l'adoption de l'enfant né par GPA à l'étranger par l'époux du père. L'arrêt 826 évoque ainsi le refus pur et simple opposé à l'époux du père d'un enfant également né en Californie. Pour le tribunal de grande instance, puis la cour d'appel de Dijon, le refus d'adoption reposait simplement sur l'irrégularité de la GPA en droit français. On se trouvait alors dans l'application brutale de l'adage Fraus omnia corrumpit qui signifie que tous les actes qui s'analysent comme un effet d'une convention illégale sont eux-mêmes illégaux. L'enfant né par GPA se trouvait ainsi affligé d'une sorte de péché originel l'empêchant d'avoir ensuite un statut juridique, une filiation et une nationalité identiques à celle d'un enfant issu d'un papa et d'une maman plus conformes à la tradition.

Ce raisonnement était exactement celui de la Cour de cassation avant que l'intérêt supérieur de l'enfant lui soit rappelé par la jurisprudence Mennesson. Depuis la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe, le code civil énonce qu'un lien de filiation peut être établi entre un enfant et deux personnes de même sexe. La loi n'énonce, sur ce point, aucune restriction attachée à la technique de procréation. Dans deux arrêts du 3 juillet 2015, la Cour de cassation accorde la transcription sur les registres de l'état civil de la filiation paternelle d'enfants nés par GPA. Encore faut-il que la reconnaissance de paternité repose sur un réalité biologique, au sens de l'article 47 du code civil. 

Comparés à la jurisprudence de la Cour de cassation traditionnellement très hostile à la GPA, les quatre arrêts du 5 juillet 2017 semblent témoigner d'un libéralisme tout à fait nouveau. En revanche, ces décisions risquent de susciter bien des difficultés. C'est ainsi que le refus de l'adoption plénière a pour conséquence de maintenir un lien juridique avec la mère biologique, alors même qu'elle a formellement renoncé à ses droits. Quel est l'intérêt d'une telle mesure ? Ne risque-t-elle pas de provoquer des contentieux ? En matière d'adoption, la mère biologique a renoncé à ses droits, et personne ne s'offusque de l'adoption plénière.. Il ne fait aucun doute que cette différence de traitement risque d'être mise en cause. 
Calvin et Hobbes. Bill Watterson

Définition de la parentalité


Surtout, la question posée est celle de la définition de la parentalité. Il est acquis, depuis bien longtemps, que la filiation paternelle peut être acquise par possession d'état. Autrement dit, le père est celui qui se comporte comme tel, qui élève l'enfant, pourvoit à ses besoins et à son éducation, lui donne son nom.. Le lien biologique est alors écarté au profit d'une conception sociale de la paternité. Aujourd'hui la Cour de cassation nous affirme que le conjoint ou la conjointe du père biologique ne peuvent pas bénéficier d'une adoption plénière. Or ils sont à l'origine du désir d'enfant avec leur conjoint. Ils se sont engagés aussi à l'élever, à pourvoir à ses besoins, et, le cas échéant à lui donner leur nom... Un enfant ne peut donc avoir un second père sans lien biologique avec lui, et ne peut davantage avoir une mère qui n'accouche pas. Ceux-là n'ont pas droit à se voir reconnaître une possession d'état. Au contraire, ils sont renvoyés à leur seule existence biologique. Comment osent-ils réclamer, puisqu'ils n'ont pas accouché ? 

Sur la GPA : chapitre 7, section 2 § 3-B  du manuel de libertés publiques sur internet.


vendredi 22 mai 2015

Enfants nés à l'étranger d'une GPA : normalisation en cours

Le 13 mai 2015, le tribunal de grande instance de Nantes a ordonné au procureur de la République de cette ville la transcription sur les registres d'état-civil des actes de naissance de trois enfants nés en Ukraine, en Inde et aux Etats-Unis d'un père français et d'une mère porteuse. Observons d'emblée que ce recours à la gestation pour autrui (GPA) était en l'espèce le choix de couples hétérosexuels, couples dont la femme n'était pas en mesure, pour des raisons médicales, de porter un enfant. Ces décisions montrent donc, une nouvelle fois, que le débat sur la GPA est totalement indépendant de celui sur les droits des couples homosexuels.

La jurisprudence Mennesson


A dire vrai, le jugement n'a rien de surprenant. Dans deux importantes décisions Mennesson c. France et Labassee c. France rendues le 26 juin 2014, la Cour européenne avait déjà affirmé que l'intérêt supérieur des enfants nés aux Etats Unis d'une gestation pour autrui (GPA) était d'avoir un état civil français, élément de leur identité au sein de la société de notre pays. Le tribunal de Nantes applique donc purement et simplement la jurisprudence de la Cour européenne.

De son côté, le Conseil d'Etat a adopté une position très proche dans un arrêt du 12 décembre 2014, dirigé contre la circulaire Taubira du 25 janvier 2013 qui porte sur la délivrance de certificats de nationalité française aux enfants nés à l'étranger de parents français, y compris « lorsqu’il apparaît, avec suffisamment de vraisemblance qu’il a été fait recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui ».  L'article 18 du code civil énonce qu'"est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français". Dès lors que sa filiation avec un Français est établie, sa nationalité française est un droit, quelles que soient les circonstances de sa naissance, circonstances dont il n'est en aucun cas responsable. Dans ce cas, le Conseil d'Etat s'appuie sur le droit au respect de la vie privée de l'enfant, le droit d'avoir la nationalité de ses parents et de pouvoir l'attester étant précisément un élément de cette vie privée.

Certes, la jurisprudence du Conseil d'Etat concerne la nationalité, mais le raisonnement peut parfaitement s'appliquer à l'état-civil. Le fait, pour un enfant, d'avoir un état-civil américain, ukrainien ou indien alors qu'il réside en France avec ses parents ne porte-t-il pas atteinte de la même manière à sa vie privée ?

La construction jurisprudentielle semble donc solide, et on peut s'étonner que le procureur de Nantes ait cru bon d'annoncer un appel contre la décision du TGI. S'agit-il d'une démarche purement idéologique manifestant une opposition personnelle à la GPA ? Ce n'est pas impossible, à moins qu'il espère le maintien par la Cour de cassation de sa jurisprudence antérieure à l'arrêt Mennesson de la Cour européenne.

La position traditionnelle de la Cour de cassation


Saisie le 17 décembre 2008 de l'affaire Mennesson, la Cour de cassation avait développé un raisonnement aussi simple qu'implacable : dès lors que la naissance est l'aboutissement d'un processus frauduleux comportant une convention de GPA, tous les actes qui en résultent sont entachés d'une nullité d'ordre public. Par la suite, cette position bien peu soucieuse de l'intérêt supérieur de l'enfant avait été confirmée dans deux décisions du 13 septembre 2013, dans lesquelles la première Chambre civile avait  refusé la transcription sur les registres de l'état civil français de l'acte de naissance d'enfants nés d'une GPA à Mumbay (Inde). 
Cette sévérité résultait d'une application rigoureuse de l'adage "Fraus omnia corrumpit", depuis longtemps intégré dans la jurisprudence de la Cour de cassation, et qui lui permet de prononcer la nullité de tous les actes issus d'une fraude. Le problème est tout de même que la fraude, qu'elle soit civile ou pénale, se définit par la volonté de nuire, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Les parties à un contrat de gestation pour autrui n'ont pas réellement le désir de nuire à qui que ce soit, seulement celui de mettre un enfant au monde.
Depuis la décision Mennesson, celle rendue par la Cour européenne des droits de l'homme en 2014, la Cour de cassation n'a pas eu l'occasion de se prononcer sur l'état-civil d'un enfant né d'une GPA à l'étranger. Le procureur de Nantes pouvait donc espérer que la juridiction suprême française maintiendrait sa position, envers et contre tous.

Gelück. Le Chat 1999,9999. 1999


Vers une évolution jurisprudentielle ?



Rien n'est moins sûr, du moins si l'on en croit les informations diffusées dans la presse, à propos de deux pourvois que la Cour de cassation devrait prochainement examiner. Ils sont dirigés contre deux décisions rendues par la Cour d'appel de Rennes à propos de l'état-civil d'enfants nés par GPA en Russie. Le 19 mai, le procureur près la Cour de cassation, Jean-Claude Marin, a fait savoir qu'il demanderait l'inscription de ces enfants à l'état-civil français. Reprenant l'argument du Conseil d'Etat, il affirme que "le droit au respect de la vie privée de l’enfant justifie que son état civil mentionne le lien de filiation biologique à l’égard de son père à condition que ce lien soit incontestablement établi". En d'autres termes, il suffira d'une expertise biologique prouvant la filiation paternelle avec un Français pour que l'inscription soit acquise.

Si les réquisitions du procureur sont suivies, la Cour de cassation fera un grand pas en avant dans le sens de la jurisprudence européenne. Il demeure tout de même deux interrogations.

La première réside dans cette répugnance un peu surprenante, que la Cour de cassation partage avec le Conseil d'Etat, à l'égard de la notion d'intérêt supérieur de l'enfant. Or, cette notion figure dans la Convention de 1989 relative aux droits de l'enfant, pourtant signée et ratifiée par la France. Son article 3 énonce que dans "toutes les décisions qui concernent les enfants (...) l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale". De toute évidence, les juges suprêmes internes préfèrent se référer à une notion tirée du droit interne, en l'espèce celle de vie privée. 

La seconde interrogation porte sur la situation des couples qui ont besoin non seulement d'une mère porteuse mais aussi d'une fécondation hétérologue. Autrement dit, ils ne peuvent procréer qu'avec des gamètes données par un tiers, soit par insémination avec donneur (IAD), soit par fécondation in vitro. Ces pratiques sont parfaitement licite en droit français. Or, l'exigence d'un lien de filiation biologique risque de conduire à interdire la reconnaissance de l'état-civil de l'enfant, s'il est né à la suite d'un tel don. L'objet d'une telle exigence n'est évidemment pas d'exclure les couples homosexuels, car rien ne les empêche de procéder à l'insémination de la mère porteuse avec les gamètes de l'un des conjoints. Cette exigence conduit cependant à empêcher la reconnaissance de l'état-civil français d'un enfant né par GPA à l'étranger d'un père stérile. Doit-on établir une discrimination uniquement fondée sur cette stérilité, alors que l'intervention d'un donneur est parfaitement licite ? C'est la question actuellement posée. Ceci dit, elle ne résout pas le problème du procureur de Nantes dont la position se trouve singulièrement affaiblie par l'annonce du procureur près la Cour de cassation.

D'une manière générale, ces hésitations jurisprudentielles, voire ces combats d'arrière-garde, ne modifient guère un mouvement global qui tend à reconnaître aux enfants nés à l'étranger par GPA les mêmes droits que les autres enfants nés de parents français. C'est, en soi, une évolution favorable. L'intérêt supérieur de l'enfant ne constitue peut-être pas le fondement de la jurisprudence mais il en est la conséquence.

samedi 13 décembre 2014

Circulaire Taubira : le refus du péché originel juridique

Dans un arrêt du 12 décembre 2014, le Conseil d'Etat a rejeté le recours déposé par l'Association des juristes pour l'enfance et différentes autres associations catholiques contre la circulaire Taubira du 25 janvier 2013. Rappelons que cette circulaire autorise la délivrance de certificats de nationalité française aux enfants nés à l'étranger de parents français, y compris « lorsqu’il apparaît, avec suffisamment de vraisemblance qu’il a été fait recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui ».

A l'époque de sa publication, ce texte avait suscité un regain d'agitation, d'ailleurs modeste, des milieux hostiles au mariage entre personnes du même sexe. Ils y voyaient une consécration indirecte de la gestion pour autrui (GPA), et l'annonce que cette GPA allait être autorisée pour les couples homosexuels. Mais rien de tout cela ne figurait dans la circulaire, situation qui rendait quelque peu délicate la recherche de moyens sérieux à l'appui du recours.

La recevabilité du recours 


La jurisprudence  Duvignères du 18 décembre 2002 distingue les circulaires non impératives des circulaires impératives : "Considérant que l'interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d'instructions l'autorité administrative donne des lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en oeuvre n'est pas susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu'en soit le bien-fondé, faire grief ; qu'en revanche, les dispositions impératives à caractère général d'une circulaire ou d'une instruction doivent être regardées comme faisant grief". Seules les circulaires impératives sont donc susceptibles de recours devant le Conseil d'Etat. 

La circulaire Taubira entre dans cette seconde catégorie, dès lors qu'elle produit des effets de droit à l'égard des enfants concernés et de leur famille. Le contrôle du juge consiste alors à regarder si la circulaire crée une ou plusieurs règles nouvelles, c'est à dire qui ne figurent dans aucune loi ou aucun règlement. Dans ce cas, la circulaire peut être annulée pour incompétence, dès lors que le ministre s'est attribué un pouvoir réglementaire dont il ne dispose pas.

En l'espèce pourtant, Christiane Taubira n'a pas violé la loi. Sa circulaire n'a pas pour conséquence de reconnaître un quelconque droit à la GPA, droit qui d'ailleurs ne pourrait être consacré par la voie d'une circulaire. Elle se borne à prendre en compte une situation de fait, dans le respect du droit positif, et plus particulièrement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

La GPA comme péché originel juridique


Le Conseil d'Etat prend la précaution de rappeler que la GPA ne figure pas dans l'ordre juridique français. Dans le chapitre II du Code civil consacré au "respect du corps humain" figure un article 16-7 qui énonce que  « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle ». L'article 16-9 c. civ. ajoute que ces dispositions présentent un caractère d'ordre public. La circulaire Taubira ne modifie en rien cette situation. Elle se borne à envisager le cas des enfants effectivement nés d'une GPA et dont il convient d'établir la nationalité.

Pour les requérants, ces articles imposent la nullité de tous les actes qui trouvent leur origine dans une GPA. Ils donnent ainsi une interprétation particulièrement étroite de l'adage ""Fraus omnia corrumpit", estimant finalement que tous les actes de la vie civile d'un enfant issu de GPA sont entachés de nullité en raison de l'origine frauduleuse de la convention qui a permis sa naissance. L'enfant est donc poursuivi par une sorte de péché originel juridique qui touche aussi bien sa nationalité que son état civil et qui devrait donc le poursuivre durant toute sa vie d'adulte.

Cette interprétation s'appuie sur une jurisprudence récente de la Cour de cassation. Dans deux décisions du 13 septembre 2013, la première Chambre civile a  refusé la transcription sur les registres de l'état civil français de l'acte de naissance d'enfants nés d'une GPA à Mumbay (Inde). Observons que les décisions de la Cour visent précisément l'état-civil alors que la circulaire Taubira concerne la délivrance de certificats de nationalité. Pour les requérants, le raisonnement par analogie s'impose cependant, puisque le fait d'être né à la suite d'une GPA entache de nullité tous les actes de la vie civile de l'enfant.


Agar et l'Ange. Ecole italienne. XVIIè siècle.

Les droits de l'enfant


Quoi qu'il en soit, le raisonnement par analogie développé par l'Association des Juristes pour l'enfance s'effondre de lui-même, dès lors que la jurisprudence de la Cour de cassation a été directement mise en cause par celle de la Cour européenne des droits de l'homme. Dans deux importantes décisions Mennesson c. France et Labassee c. France rendues le 26 juin 2014, celle-ci affirme que l'intérêt supérieur des enfants nés aux Etats Unis d'une gestation pour autrui (GPA) est d'avoir un état civil français, élément de leur identité au sein de la société de notre pays.

Le Conseil d'Etat, dans son arrêt du 12 décembre 2014, ne s'appuie pas directement sur "l'intérêt supérieur de l'enfant", et l'on observe que la Convention relative aux droits de l'enfant de 1989 ne figure pas dans les visas. Le Conseil d'Etat préfère considérer l'enfant, non pas comme objet de droit mais comme sujet de droit. Il énonce très clairement que " la seule circonstance que la naissance d’un enfant à l’étranger ait pour origine un contrat qui est entaché de nullité au regard de l’ordre public français ne peut, sans porter une atteinte disproportionnée à ce qu’implique, en termes de nationalité, le droit de l’enfant au respect de sa vie privée, (...), conduire à priver cet enfant de la nationalité française à laquelle il a droit". L'enfant est une personne, rappelle le Conseil d'Etat, et, dès sa naissance, il est titulaire de droits. L'article 18 du code civil énonce qu'"est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français". Dès lors que sa filiation avec un Français est établie, sa nationalité française est un droit, quelles que soient les circonstances de sa naissance, circonstances dont il n'est en aucun cas responsable.

Le refus d'une nouvelle forme de bâtardise juridique


Ce recours était peut-être le "recours de trop", porteur d'un effet boomerang. En rappelant que l'enfant est titulaire de droits, le Conseil d'Etat oppose une fin de non-recevoir à ceux qui voudraient créer des distinctions entre les enfants selon les conditions de leur naissance. Heureusement, car les arguments développés devant le juge rappellent ceux développés durant des siècles à l'encontre des enfants considérés comme illégitimes. En 1639, une ordonnance de Louis XIII ordonnait que tous les enfants nés hors mariage soient frappés d'indignité. Plus de trois siècles après, ce sont les enfants nés par GPA qui étaient menacés d'une nouvelle forme d'indignité ou de bâtardise juridique. Belle conception de la charité chrétienne.


jeudi 25 septembre 2014

Procréation médicalement assistée et adoption : Fin de la "cacophonie judiciaire" ?

La Cour de cassation a rendu, le 23 septembre 2014, deux avis particulièrement attendus, l'un à la demande du TGI de Poitiers, l'autre à celle du TGI d'Avignon. Les deux juridictions posent la même question : le recours à une insémination artificielle avec donneur (IAD) effectuée à l'étranger par un couple de femmes est-il de nature à constituer une fraude à la loi sur l'adoption, fraude de nature à empêcher que soit prononcée l'adoption de l'enfant né de cette procréation par l'épouse de la mère biologique ? 

La Cour de cassation rend deux avis identiques. Elle y déclare à chaque fois que cette technique d'assistance médicale à la procréation (AMP) pratiquée à l'étranger "ne fait pas obstacle au prononcé de l'adoption, par l'épouse de la mère, de l'enfant né de cette procréation, dès lors que les conditions légales de l'adoption sont réunies et qu'elle est conforme à l'intérêt de l'enfant".

Les risques de contradictions jurisprudentielles


Observons d'emblée qu'il s'agit de deux avis et non pas de deux arrêts de la Cour de cassation. L'article L 441-1 du code de l'organisation judiciaire prévoit que les juges du fond peuvent solliciter l'avis de la Cour "avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges". La question soulevée faisait l'objet de ce que l'avocat général qualifie de "véritable cacophonie judiciaire", et l'avis a donc été sollicité pour imposer l'unité de la jurisprudence et, par là-même, assurer l'égalité des citoyens devant la loi. 

Nul doute que la question se posait "dans de nombreux litiges", Le bilan arrêté en juillet 2014 fait état de 684 requêtes en adoption plénière. 254 ont déjà été acceptées. Pour les autres, il est clair qu'une partie non négligeable des juges de l'adoption attendaient le résultat de la procédure devant la Cour de cassation pour se prononcer. Quant aux décisions de refus, elles ne sont que neuf. Ce déséquilibre entre décisions favorables et défavorables à l'adoption ne doit cependant pas être surestimé, car le ministère public a parfois fait appel contre les décisions d'adoption. Il était donc urgent que la Cour de cassation se prononce, afin d'éviter d'éventuelles divergences entre Cours d'appel. Quant aux autres conditions de recevabilité de la procédure, à savoir le caractère "nouveau" de la question de droit posée et la "difficulté sérieuse" qu'elle pose, la Cour de cassation constate sans difficulté qu'elles sont réunies.

Sur le fond, le contentieux est né de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe. Ce texte permet en effet l'adoption de l'enfant de l'un des deux conjoints par l'autre conjoint du même sexe. En revanche, le droit de la procréation médicalement assistée n'a pas été modifié, et l'accès à ces techniques demeure réservé aux couples hétérosexuels. La conséquence de cette situation est que les couples homosexuels partent à l'étranger pour bénéficier d'une AMP, pratique qui n'est pas illicite dans le pays où elle est pratiquée mais qui n'est pas conforme à l'ordre public français.


Raymond Woog. Portrait de bébé. Circa 1920

La fraude à la loi


Certains juges voyaient dans cette pratique une fraude à la loi, qui "consiste à éluder une règle obligatoire par l'emploi à dessein d'un moyen efficace, qui rend ce résultat inattaquable sur le terrain du droit positif". Il convient à ce propos de rappeler que la fraude à la loi est aussi vieille que la loi, et cette notion est précisément apparue dans  un arrêt du 18 mars 1878, une Princesse de Bauffremont, s'étant installée en Saxe-Altembourg et ayant acquis la nationalité de cet Etat dans le seul but d'échapper à la loi française interdisant alors le divorce.

Cette affaire montre que la fraude à la loi a toujours trouvé son terrain de prédilection dans le droit international privé. Elle se produit généralement lorsqu'une personne, soumise à une loi qui la dérange, préfère se placer sous l'empire d'une législation plus complaisante. La sanction juridique d'une telle pratique demeure relativement modeste, puisqu'elle consiste à considérer que la situation juridique créée à l'étranger n'est pas opposable en droit français.

La jurisprudence, jusqu'à aujourd'hui, est surtout concentrée dans le domaine de la gestation pour autrui (GPA), que la Cour de cassation considère comme fraude aussi bien lorsqu'elle est pratiquée au profit de couples hétérosexuels comme dans l'affaire Mennesson du 17 décembre 2008, que de couples homosexuels comme dans l'arrêt du 13 septembre 2013. Dès lors que la naissance est l'aboutissement d'un processus frauduleux comportant une convention de GPA, tous les actes qui en résultent sont, pour la Cour, entachés d'une nullité d'ordre public. Cette sévérité résulte d'une application rigoureuse de l'adage "Fraus omnia corrumpit", qui permet au juge de prononcer la nullité de tous les actes issus d'une fraude. Observons tout de même que la qualification de fraude, dans le cas d'une insémination avec donneur (IAD) peut sembler particulièrement sévère. Contrairement à la GPA, l'enfant est porté par sa mère biologique et c'est évidemment elle qui le met au monde.

C'est sans doute la raison pour laquelle la Cour écarte, dans ce cas, la fraude à la loi. Car si le droit français interdit la GPA pour l'ensemble des couples, hétérosexuels ou homosexuels, il ne prohibe pas l'IAD en tant que technique mais se borne à en interdire le bénéfice aux femmes homosexuelles. Le fait qu'elles se rendent à l'étranger pour obtenir ces inséminations n'est donc pas considéré par la Cour comme une fraude, dès lors qu'il n'y a pas volonté de contourner le droit français mais plutôt de profiter de ce qu'il autorise aux autres femmes, celles qui sont hétérosexuelles.

Le droit à la vie familiale


Cette recherche de l'égalité s'appuie sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Dans on arrêt Schalk c. Autriche du 24 juin 2010, elle a considéré que la notion de vie familiale, protégée par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme peut être invoquée par un couple homosexuel. Par la suite, dans les arrêts Mennesson et Labassee du 26 juin 2014, intervenus à propos du défaut de reconnaissance par le droit français de la filiation d'enfants nés par GPA à l'étranger, elle a de nouveau affirmé que l'intérêt supérieur des enfants nés dans ces conditions est  d'avoir un état civil français, élément de leur identité au sein de la société de notre pays.

L'intérêt supérieur de l'enfant


L'intérêt supérieur de l'enfant, qui est d'avoir une vie privée et familiale normale, l'emporte donc sur toute autre considération. Certes, la Cour européenne reconnaît que le droit français peut interdire l'accès des couples homosexuels à certains techniques de PMA (CEDH, 15 mars 2012  Gas et Dubois), mais une fois l'enfant né, son intérêt est d'avoir un état civil.

En appliquant la jurisprudence de la Cour européenne, la Cour de cassation se réfère aussi à l'article 3-1 de la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant qui dispose que "dans toutes les décisions qui concernent les enfants (...), l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale". Depuis un arrêt de principe du 18 mai 2005, la Cour de cassation considère que cette disposition est d'application directe devant les juridictions françaises.

En l'espèce, cela signifie que la situation de l'enfant né de l'IAD doit être appréciée in concreto. Il importe peu que sa mère biologique ait contourné la loi française pour aller se faire inséminer en Belgique, d'autant que la Cour ne considère pas qu'il s'agit d'une fraude à la loi au sens juridique du terme.

Reste que les deux avis laissent une impression d'inachevé. Car si l'intérêt supérieur de l'enfant doit primer sur toute autre considération, pourquoi la Cour réduirait-elle cette analyse au seul cas des enfants nés par IAD ? Ceux né par gestation pour autrui, même s'il s'agit d'une technique entièrement prohibée en droit français, sont-ils moins innocents ? Leur intérêt supérieur n'est-il pas également de bénéficier d'une filiation qui ferait d'eux des enfants ordinaires ? A suivre...



samedi 14 septembre 2013

La GPA devant la Cour de cassation : immobilisme jurisprudentiel

Le vendredi 13 septembre 2013 n'est sans doute pas un jour de chance pour les enfants nés à l'étranger à la suite d'une convention de gestation pour autrui (GPA). La première chambre civile de la Cour de cassation a en effet rendu deux décisions dont il convient d'observer d'emblée qu'elles ne portent pas sur la légalité d'une telle convention que le droit positif considère comme parfaitement illégale. Elles portent sur la transcription sur le registre de l'état-civil français de l'acte de naissance d'enfants nés d'une GPA à Mumbay (Inde), des jumeaux nés en avril 2010 pour M. B. et une petite fille née en juillet 2009 pour M. F. Dans les deux cas, la Cour refuse purement et simplement cette transcription et va même jusqu'à annuler la reconnaissance de paternité de M. F. considérée comme frauduleuse.

Certains commentateurs ont déjà présenté ces décisions comme une sorte de camouflet infligé à la circulaire Taubira du 25 janvier 2013. L'analyse n'est pas si simple, car la circulaire a un objet différent de celui des décisions rendues par la Cour de cassation. En revanche, les raisonnements tenus sont parfaitement contradictoires.

Une étrange situation juridique

L'objet de la circulaire Taubira est de permettre la délivrance d'un certificat de nationalité française
aux enfants nés à l'étranger d'un parent français ayant "vraisemblablement" eu recours à une procréation médicalement assistée (PMA) ou à une GPA. Dès lors qu'est établi un lien de filiation entre l'enfant et un ressortissant français, lien établi par un acte d'état civil licite dans le droit du pays concerné, il est donc possible d'obtenir un certificat de nationalité. La circulaire repose ainsi sur l'intérêt supérieur de l'enfant : quelles que soient les conditions de sa naissance, même illicites au regard du droit français, il doit pouvoir être citoyen français, comme l'un au moins de ses parents.

Les présentes décisions de la Chambre civile portent, quant à elles, sur la transcription de l'état-civil et non pas sur la nationalité, et reposent sur un raisonnement rigoureusement inverse. Alors que la circulaire Taubira écarte la convention de GPA, la cour de cassation la considère comme une sorte de péché originel, un acte qui empêche l'enfant d'avoir le même statut juridique que tous les autres enfants nés d'au moins un parent français. Il se retrouve ainsi dans une situation ubuesque : il peut voir reconnaître sa nationalité française, mais sa filiation ne peut pas être établie en droit français.

"Fraus omnia corrumpit"

La Cour de cassation s'appuie sur un raisonnement à la fois simple et implacable qu'elle avait déjà développé dans la célèbre affaire Mennesson du 17 décembre 2008. Dès lors que la naissance est l'aboutissement d'un processus frauduleux comportant une convention de GPA, tous les actes qui en résultent sont entachés d'une nullité d'ordre public. Les juges invoquent ainsi l'article 16-6 du code civil portant sur l'indisponibilité du corps humain et l'article 16-9 qui énonce que ces dispositions sont d'ordre public.

Cette sévérité résulte d'une application rigoureuse de l'adage "Fraus omnia corrumpit", depuis longtemps intégré dans la jurisprudence de la Cour de cassation, et qui lui permet de prononcer la nullité de tous les actes issus d'une fraude. Le problème est tout de même que la fraude, qu'elle soit civile ou pénale, se définit par la volonté de nuire, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Les parties à un contrat de gestation pour autrui n'ont pas réellement le désir de nuire à qui que ce soit, seulement celui de mettre un enfant au monde.

L'intérêt supérieur de l'enfant ? 

Certes, nul ne conteste que la GPA n'est pas conforme à l'ordre public français. Mais que devient l'intérêt supérieur de l'enfant ? Il n'est tout simplement pas pris en compte par la Cour de cassation : "En présence de cette fraude, ni l'intérêt supérieur de l'enfant que garantit l'article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l'enfant, ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme ne sauraient être utilement invoqués". L'analyse suscite une certaine perplexité, car la Cour affirme que les dispositions législatives du code civil l'emportent sur celles des traités internationaux.

Ce refus d'examiner l'intérêt supérieur de l'enfant est d'autant plus surprenant que, dans sa décision du 17 mai 2013 sur le mariage pour tous, le Conseil constitutionnel a énoncé une réserve d'interprétation dont tout le monde se souvient. Il a en effet estimé que l'alinéa 10 du Préambule de 1946 qui énonce que "la Nation assure à l'individu et à la famille le conditions nécessaires à leur développement" devait s'entendre comme imposant le respect de l'intérêt de l'enfant pour toute procédure d'adoption. Certes, l'adoption n'est pas la GPA, mais il n'en demeure pas moins que l'intérêt supérieur de l'enfant dispose maintenant d'un fondement constitutionnel qui devrait s'imposer aux juridictions.

L'intérêt de l'enfant aurait pourtant mérité qu'on s'y attarde. Que va devenir la petite fille aujourd'hui âgée de quatre ans et qui se voit privée du lien de filiation avec M. F. ? Elle dispose actuellement d'un état civil indien, mais sa filiation paternelle est inopposable en France. Doit-elle résider en Inde, auprès de sa mère dont on nous dit qu'elle est "d'origine extrêmement modeste", et qui a mené à bien une grossesse pour le compte d'autrui ?  Ces enfants sont-ils responsables des conditions illicites de leur gestation, au seul regard du droit français. La cour reste muette sur ces points, car, à ses yeux, le caractère frauduleux du recours à la GPA suffit à fonder la nullité de tous les actes qui ont suivi.

Et maintenant ?

Que va t il se passer, maintenant que la Cour de cassation a soigneusement bloqué toute possibilité
Claire Bretécher. Le destin de Monique. 1983
d'évolution jurisprudentielle ?

Du côté des pouvoirs publics, on peut envisager le recours à la voie législative pour autoriser formellement la transcription dans les registres français de l'état civil de l'acte de naissance des enfants que l'on soupçonne d'être nés par une convention de gestation pour autrui. Le problème est évidemment de nature politique, car on imagine facilement les hurlements de ceux qui manifestaient à grand bruit contre le mariage pour tous.

Si le gouvernement écarte la voie législative, les intéressés devront se tourner vers la Cour européenne des droits de l'homme. Elle seule pourra exercer son contrôle au regard de l'intérêt de l'enfant et du droit au respect de la vie privée de ceux qui sont allés à l'étranger pour profiter d'un système juridique plus favorable. Peut-être songera t elle alors que le droit français est beaucoup plus indulgent à l'égard de ceux qui transfèrent leur fortune dans des paradis fiscaux qu'à l'égard de ceux qui vont faire des enfants dans des "paradis de mères porteuses" comme les Etats Unis ou l'Inde. Les premiers sont invités gracieusement à rapatrier leur argent, les seconds n'ont pas le droit de rapatrier leurs enfants.