En ce jour de reconnaissance par la France de l'État de Palestine, l'attention se focalise sur un point particulier. Certains élus ont en effet décidé de pavoiser leur mairie aux couleurs palestiniennes, élus de plus en plus nombreux après l'appel d'Olivier Faure les incitant à une telle mesure. Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur démissionnaire, a alors demandé aux préfets, par un "télégramme" du 19 décembre d'interdire cette pratique et de saisir la juridiction administrative d'un déféré en cas de manquement.
Une observation préalable s'impose. Le régime juridique n'est pas identique pour les drapeaux arborés par les particuliers, soit dans la rue, soit à leur fenêtre, et pour ceux hissés sur les mairies.
Le drapeau arboré par des personnes privées
Dans le premier cas, le droit français s'inspire largement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, affirmée dans l' arrêt Faber c. Hongrie du 24 juillet 2012. Le fait d'arborer un drapeau relève, aux yeux de la CEDH, de la liberté d'expression. Elle sanctionne alors le droit hongrois de l'époque qui avait infligé une peine d'amende au leader du parti hongrois d'extrême-droite Jobbik. Lors d'une manifestation, lui-même et ses partisans avait porté le drapeau du Parti des Croix Fléchées, parti pro-nazi hongrois de 1040 à 1945. L'analyse se rapproche considérablement du Symbolic Speech américain, qui considère le fait de porter un drapeau, y compris la Bannière étoilée, comme une expression non verbale.
Les juges français se sont largement inspirés de la jurisprudence européenne. Dans une ordonnance de référé du 4 juillet 2025, le Conseil d'État confirme ainsi la suspension de l'arrêté du maire de Chalon-sur-Saône qui avait interdit d'arborer le drapeau palestinien dans l'espace public, soit dans la rue, soit en façade des immeubles, soit encore en le vendant sur les marchés.
Lorsque le drapeau est hissé sur un bâtiment public, et particulièrement la mairie, sa situation juridique est bien différente.
La rue pavoisée. Henri Lebasque. 1865-1937
Le principe de neutralité
C'est alors le principe de neutralité qui s'applique. On sait qu'il trouve son origine dans la loi de séparation des églises et de l'État du 9 décembre 1905, mais il dépasse largement l'expression des convictions religieuses. Est sanctionnée avec une rigueur identique l'expression de convictions politiques qui constitue une rupture d'égalité devant le service public. Sont ainsi annulées toutes les délibérations décidant de placer sur ou dans les mairies des signes exprimant des opinions politiques, religieuses ou philosophiques. C'est ainsi que le tribunal administratif de Montreuil, le 6 décembre 2024, a suspendu la délibération du conseil municipal de la ville de Montfermeil décidant de suspendre une banderole de soutien à la cause palestinienne sur le fronton de la mairie. Ce principe a été réaffirmé le 16 septembre 2025 par le juge des référés du Conseil d'État, à propos d'une banderole "Stop au génocide"placée sur la maire d'Ivry-sur-Seine.
Les drapeaux étrangers sont l'objet d'une jurisprudence identique. Le Conseil d'État, dès le 27 juillet 2005, annulait déjà la délibération du conseil municipal de la commune de Sainte-Anne en Martinique, visant à faire flotter un drapeau indépendantiste, dépourvu de statut légal, sur la façade de la mairie. La jurisprudence récente montre qu'il en est de même des drapeaux palestiniens. Aujourd'hui, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy Pontoise, le 20 juin 2025, suspend la décision de la mairie de Gennevilliers de hisser sur son fronton les couleurs palestiniennes. Il y a à peine deux jours, le 20 septembre 2025, ce même juge ordonnait le retrait de ce même drapeau de l'hôtel de ville de Malakoff, sous astreinte d 150 € par jour.
Il convient toutefois de s'interroger sur l'éventuelle influence de la couleur du drapeau sur les décisions de justice.
Le drapeau ukrainien a, lui aussi, fait l'objet d'une injonction de retrait avec astreinte. La ville de Saint-Germain-en-Laye a ainsi été contrainte de le retirer du fronton de l'Hôtel de ville, par une ordonnance du tribunal administratif de Versailles le 20 décembre 2024. Mais le juge sanctionnait alors l'incompétence du maire qui avait omis de demander un vote du conseil municipal. On peut se demander s'il devenait alors possible d'invoquer la libre administration des collectivités locales, pour justifier un tel acte. Sur le fond, le juge précisait que cette initiative était encouragée par le gouvernement et n'avait rien d'une revendication politique, exprimant au contraire "la solidarité envers une nation victime d'une agression militaire".
Cette formulation pourrait sans doute être transposée au cas palestinien, la population civile de Gaza étant victime d'une opération militaire qui n'entre plus, depuis longtemps, dans la définition de la légitime défense. Mais on ne la retrouve pas dans la jurisprudence, sauf peut-être, indirectement, dans l'ordonnance d'aujourd'hui, 22 septembre 2025, rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier. Elle sanctionne le pavoisement du drapeau palestinien à Grabels, affirmant que le gouvernement aurait pu autoriser le drapeau palestinien, le jour de la reconnaissance de l'État de Palestine.
Dans le cas du drapeau israélien, la jurisprudence se montre également plus souple. C'est ainsi que le tribunal administratif de Nice, saisi en référé le 31 mai 2024 par une association qui contestait la décision du maire d'arborer sur l'Hôtel de ville le drapeau israélien, a écarté la demande de suspension pour défaut d'urgence.
Déféré, ou pas
Les différences dans le traitement jurisprudentiel s'expliquent largement par les pratiques gouvernementales. Dans le cas des drapeaux ukrainiens et israéliens, les préfets n'ont reçu aucune instruction leur demandant de déférer systématiquement au juge administratif les arrêtés municipaux en vue de leur suspension. De fait, il n'y a pratiquement pas eu de recours contre le pavoisement avec le drapeau ukrainien, qui a concerné un nombre immense de bâtiments publics. Qui aurait osé faire une telle requête ? Quant au drapeau israélien, son usage a quelquefois été contesté, notamment à Nice. Il ne s'agissait toutefois pas d'un déféré du préfet mais d'un référé émanant d'associations de soutien au peuple palestinien. Il devenait alors beaucoup plus facile d'invoquer le caractère politique de la démarche. Dans le cas du drapeau niçois, il a finalement été retiré à la demande du préfet, sans intervention du juge.
Le gouvernement n'a pas vraiment fait preuve de mansuétude comparable à l'égard du drapeau palestinien. Bruno Retailleau a ainsi donné l'ordre aux préfets de déposer des déférés pour chaque commune pavoisée aux couleurs palestiniennes. Cette démarche est très probablement inutile, car les communes, même modestes, peuvent "s'offrir" une astreinte de 150 € par jour comme à Gennevilliers, surtout qu'il s'agit d'arborer le drapeau pour le jour unique de la reconnaissance de l'État. Il n'est d'ailleurs pas impossible que les juges aient prononcé une astreinte aussi faible pour ne pas trop décourager l'initiative. Surtout, le gouvernement aurait très bien pu autoriser les communes à pavoiser avec le drapeau des deux États, Israël et la Palestine, comme l'a fait la ville de Saint-Ouen. Une occasion manquée.
Le principe de neutralité : chapitre 10, section 1 § 2 Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier,
Le juge des référés du TA de Strasbourg a également suspendu la décision de la mairie de projeter les couleurs du drapeau palestinien sur la façade de l’Hotel de ville.
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