« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 24 septembre 2025

Les Invités de LLC - Elie Barnavi - Confessions d’un bon à rien

LLC offre à ses lecteurs un extrait du livre d'Élie Barnavie "Confessions d'un bon à rien", publié en 2022 chez Grasset. La réflexion d'un homme des Lumières - il y en a toujours aujourd'hui - sur le libéralisme et les libertés.


Élie BARNAVI

Confessions d'un bon à rien

2022

 


 



« Je me méfie comme d’une peste de l’utopie, cette grande pourvoyeuse de goulags, je ne veux pas d’homme « nouveau », rééduqué à coups de slogans et forcé à marcher au pas cadencé vers la société parfaite qu’on a imaginée pour lui, je ne désire ni perfection sociale ni pureté révolutionnaire d’aucune sorte. La bonne société à laquelle j’aspire est imparfaite, car nous sommes des êtres imparfaits, mais perfectible, puisque nous sommes des êtres doués de raison et capables d’empathie. Je suis Montaigne plutôt que Thomas More, Condorcet plutôt que Rousseau – Ah ! ce  « on forcera [l’homme] d’être libre » –, Jaurès plutôt que Blanqui, et oui, Aron plutôt que Sartre. J’avais compris avant de lire Pascal que « qui veut faire l’ange fait la bête », avant de faire de Tocqueville l’un de mes auteurs de chevet, que les deux grands principes au cœur de la démocratie moderne, l’égalité et la liberté, sont tout bonnement contradictoires – vous voulez l’égalité absolue, vous n’aurez pas de liberté (ni, d’ailleurs, l’égalité), vous aspirez à la liberté sans entrave, alors oubliez l’égalité, et même la liberté (sinon celle du loup dans la bergerie). On aura compris, je suis social-démocrate.

        Mais qu’est-ce que cela veut dire, surtout aujourd’hui, où l’on nous dit sur tous les tons que la social-démocratie est moribonde, incapable qu’elle est à répondre aux défis de notre temps ? Ce n’est pas ici le lieu de faire de la théorie politique, et d’ailleurs je ne tiens pas tant que cela au terme lui-même ; si l’on en trouve un meilleur, je suis preneur. Ce que j’entends par là est un système qui accorde du mieux qu’il peut, par hypothèse imparfaitement, ces deux exigences contradictoires de l’égalité et de la liberté. Pas toute l’égalité, ni toute la liberté, mais le plus possible d’égalité et de liberté, ensemble. Ce n’est pas exaltant, ça ne promet pas des lendemains qui chantent, ni même la lune, mais c’est faisable et surtout, ça respecte mon principe primordial : primum non nocere. » 

« Comme tout social-démocrate, mon rapport au libéralisme est ambivalent. Dans les pays anglo-saxons, le vocable a conservé son sens premier de doctrine de la liberté individuelle. En France, malgré une tentative de réhabilitation dans les années 80 du siècle dernier, il a fini par se confondre, du moins à gauche, avec l’ultra-libéralisme, autrement dit le capitalisme le plus débridé, et c’est dommage. Je pense que l’erreur conceptuelle a été de faire du capitalisme une idéologie à part entière, alors qu’il n’est que le versant économique du libéralisme. Disons que je suis libéral, en ce sens que je constate que le capitalisme est une formidable machine à fabriquer des richesses, mais un libéral partisan de la puissance publique interventionniste, régulatrice et distributrice. Le capitalisme corrigé par l’exigence de justice sociale. Car pourquoi et au nom de quoi la liberté serait-elle bridée dans tous les domaines de l’activité humaine, sauf dans la faculté d’accumuler des biens ?

        Après avoir désespéré Billancourt, il me faut encore atterrer le Palais-Bourbon. Socialiste (rose pâle) par conviction, je suis démocrate par raison. Les citoyens qui ne votent pas me désespèrent. Mark Twain aurait dit que, « si le vote faisait une différence, ils ne nous laisseraient pas voter ». Comme la plupart des aphorismes prêtés aux grands hommes, c’est une sottise joliment dite. Le vote ne ferait-il aucune différence ? À quelques milliers de voix près, George W. Bush a été élu contre Al Gore, et la différence a pris la forme d’une guerre atroce et inutile. La démocratie n’est pas une valeur – le meilleur argument contre la démocratie, disait Churchill, c’est cinq minutes de conversation avec un électeur moyen, et il avait raison, j’en ai fait souvent l’expérience –, mais un outil. La véritable valeur, c’est la liberté, ou plutôt les libertés ; or la démocratie (libérale) est le seul régime capable de les assurer. Donnez-moi un autre qui me garantisse les droits fondamentaux tout en empêchant un Trump ou un Bolsonaro d’accéder (démocratiquement) au pouvoir, et je vous cède volontiers la démocratie. Mais il n’y en a pas. Le gouvernement des élites ? des juges ? des philosophes ? Vous me faites rire… »


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