Le jugement du tribunal administratif de Lyon ne remet pas du tout en cause cette fête traditionnelle mais se borne à poser les limites juridiques de son organisation, afin que le principe de laïcité soit respecté.
Une décision susceptible de recours
En l'espèce la décision contestée a été prise par le colonel, commandant du groupement de Gendarmerie de l'Ardèche, organisant la Sainte-Geneviève le 30 novembre 2022, à Privas. La célébration comportait une haie d'honneur de gendarmes devant l'église, un accueil des autorités civiles par les officiers présents, un office religieux célébré par deux prêtres, auquel ont assisté les militaires en tenue et sur leur temps de service. Bien entendu, la messe était suivie d'un discours et d'un vin d'honneur. En tant que tel, l'acte par lequel un colonel organise une messe a quelque chose d'un peu fâcheux au regard du principe de laïcité, même si la hiérarchie n'impose pas aux gendarmes d'y assister. Sa légalité a donc été contestée par la Fédération ardéchoise et drômoise de la libre pensée.
Certes, l'association requérante n'a pas eu communication de la décision formelle du colonel, et elle n'a donc pas été mesure de la produire à l'appui de son recours. Mais le juge administratif déduit souvent l'existence d'un acte de l'évidence de son exécution, permettant ainsi la recevabilité du recours. Le Conseil d'État, dans un arrêt du 27 novembre 2000, déduit ainsi des bouquets déposés sur la tombe du maréchal Pétain au nom du Président de la République, François Mitterrand au moment des faits, que ce dernier avait bien pris la décision de la fleurir. De même, le simple fait que les célébrations de la Sainte-Geneviève aient eu lieu prouve l'existence d'une organisation en ce sens. L'association requérante n'était donc pas tenue de produire l'acte qu'elle contestait.
En tout état de cause, le détail de cette organisation festive était précisé dans une note de service du 29 novembre 2022, signée du colonel. Le ministre de l'Intérieur s'est efforcé, en défense, de démontrer que qu'elle s'analysait comme une mesure d'ordre intérieur, insusceptible de recours. Or, force est de constater que cet acte ne répond pas aux critères qui définissent la mesure d'ordre intérieur. D'une part, il ne s'agit pas d'un acte d'organisation interne, dans la mesure où de nombreux invités extérieurs à la Gendarmerie étaient invités, autorités locales, familles, amis etc. L'invitation a d'ailleurs été relayée sur Facebook, cette mesure de publicité allant directement à l'encontre de la notion même d'ordre intérieur. D'autre part, la note de service du colonel était porteur d'effets juridiques, non seulement sur les militaires invités à se rendre à l'office et sur ceux chargés d'en assurer la sécurité, mais aussi, et c'est nettement plus important, sur le principe de laïcité lui-même.
Tout l'intérêt du jugement réside ainsi dans l'annulation, non pas totale mais partielle de la note de service. Le colonel pouvait en effet organiser la Sainte-Genevièvre, considérée comme évènement festif et culturel, associé aux valeurs de courage et d'engagement de la Gendarmerie. En revanche, la note de service ne pouvait, sans illégalité, exprimer la reconnaissance d'un culte ou marquer une préférence religieuse. Le colonel pouvait donc organiser la fête, mais pas la messe.
Le gendarme de Saint Tropez. Jean Girault. 1964
Organiser la fête
Contrairement à ce qui a été affirmé, le jugement n'interdit pas du tout la célébration de la Sainte-Geneviève et reconnaît au contraire qu'elle constitue "un symbole traditionnel associé aux valeurs de courage, d'engagement et de dévouement que la Gendarmerie souhaite célébrer, sans signification religieuse particulière". En tant que telles, la fête n'emporte pas d'atteinte au principe de laïcité.
Sur ce point, on ne peut citer qu'un seul précédent, portant sur une Sainte-Genevière organisée le 30 novembre 2018 au sein du groupement de gendarmerie départementale du Gard. Le tribunal administratif de Nîmes, saisi d'une note de service portant sur l'organisation de l'évènement, avait alors admis, dans un jugement du 19 février 2021 Association La Libre Pensée du Gard, que le fait pour les militaires d'assister à un office religieux organisé par la compagnie elle-même et pendant leur service ne constituait pas une atteinte au principe de laïcité. A l'époque, ce jugement avait suscité beaucoup de débats et le professeur Mathieu Touzeil-Divina avait évoqué "les autorisations d'absence pour motif religieux". En effet, à l'époque, les juges avaient centré le débat juridique sur l'autorisation donnée aux militaires d'assister à la messe, mais étrangement, ils ne s'étaient pas interrogés sur le fait que ladite messe était organisée par un Gendarme incarnant l'État. On peut penser que si le Conseil d'État avait été saisi, il aurait peut être censuré cet oubli.
Quoi qu'il en soit, le jugement lyonnais se penche précisément sur cette question, en opérant une distinction, somme toute classique, entre le culturel et le cultuel. Dans sa partie culturelle, la Sainte-Geneviève peut être organisée par un commandant de groupement, car il s'agit d'une fête qui rassemble les personnes, leurs familles ainsi que les autorités locales avec lesquelles les gendarmes travaillent quotidiennement.
Ne pas organiser le culte
En revanche, le tribunal administratif énonce clairement que le même commandement de groupement ne saurait organiser un office religieux. Il écarte ainsi l'argument selon lequel la messe ne serait qu'une activité, parmi d'autres, dans la journée de célébration. Dans son avis du 24 octobre 1997 Association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Riom, le Conseil d'État, réuni en Assemblée, définit le culte comme "la célébration de cérémonies organisées en vue de l’accomplissement, par des personnes réunies par une même croyance religieuse, de certains rites ou de certaines pratiques". L'office religieux ne saurait revêtir une pluralité de significations. Elle est juste l'exercice d'un culte, et rien d'autre.
Dès lors l'analyse juridique est terminée. Selon une jurisprudence désormais traditionnelle, le concours apporté par une autorité administrative à une cérémonie religieuse entraîne une violation du principe de laïcité. Ainsi, dans sa décision du 15 septembre 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse s'assure que la commune de Luchon n'organise ni ne finance la procession et la messe qui marquent annuellement la bénédiction des eaux thermales. Seul le curé de la paroisse est investi dans l'opération, même si la commune encadre la manifestation, par l'exercice du pouvoir de police. A cela s'ajoute le fait que, selon la loi de Séparation du 9 décembre 1905, l'usage et la jouissance d'une église appartiennent exclusivement au desservant. Le juge des référés du Conseil d'État, dans une ordonnance du 25 août 2005, sanctionne ainsi un élu qui avait organisé une représentation théâtrale dans une chapelle qui n'avait pas connu de désaffectation, alors même qu'aucun office n'y était plus célébré.
La note de service du colonel n'est donc annulée que dans la mesure où elle intervient directement dans l'exercice du culte. Contrairement à ce qui a été affirmé par des semeurs de Fake News, la Gendarmerie pourra continuer à célébrer Sainte-Geneviève, et demandera tout simplement à un prêtre d'organiser l'office religieux.
"Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu". Cette formule biblique résume finalement assez bien le jugement du tribunal administratif de Lyon. Il nous rappelle que le principe de laïcité ne se négocie pas, et qu'un commandant d'un groupement de Gendarmerie qui organise une messe est à peu près aussi incongru qu'un curé faisant la circulation. Le principe de laïcité ne se négocie pas, et il s'applique conformément à la loi. Une très bonne chose si l'on considère que les gendarmes, membres d'une Arme foncièrement républicaines, sont précisément "les soldats de la loi".
Une décision tirée au cordeau qui ne souffre aucune contestation. Vous détaillez bien les principes retenus par la juridiction pour parvenir au résultat que nous connaissons. Toutefois, quelques questions peuvent être soulevées.
RépondreSupprimer- Dans certains cas, les décisions se fondent sur une interprétation restrictive du droit, dans d'autres cas, elles retiennent une interprétation extensive. Pourquoi ? De l'incertitude de la jurisprudence.
- En matière de mise en oeuvre du principe de laïcité, nous entendons tout et n'importe quoi de la part de nos femmes et hommes politiques, créant ainsi une confusion dans les esprits.
- Si la différence entre culturel et cultuel est intellectuellement et juridiquement satisfaisante, elle l'est un peu moins dans la pratique. Si l'on se réfère à Florence Bergeaud-Blackler (qui vit sous protection policière pour ce qu'elle dit et écrit), l'une des portes d'entrée du frérisme est celle des associations culturelles qui jouent sur le registre cultuel pour miner le principe de laïcité et bien d'autres.
En plagiant le général de Gaulle, l'on pourrait dire que la justice doit tenir compte de ce que l'avenir comporte d'incertitude, et le passé d'expérience.