L'association One Voice est bien connue pour son militantisme en faveur des droits animaux, notamment ceux victimes des chasses traditionnelles. En l'espèce, elle conteste des dispositions de la loi du 30 novembre 2021, celles figurant dans son chapitre 3 et relatives à la maltraitance animale. L'articulation des articles L 413- 10 et L 413- 11 du code environnement conduit en effet à une distinction. Il est désormais interdit d'acquérir, de commercialiser et de faire se reproduire des animaux sauvages dans le but de les présenter au public dans des cirques et spectacles itinérants. En revanche, de telles pratiques restent possibles pour les spectacles fixes, qui sont assimilés à des parcs zoologiques.
Pour les requérants, cette distinction n'est pas fondée. Tous les animaux sauvages souffrent de leur exploitation commerciale, que le spectacle soit statique ou itinérant. Ils demandent donc au Conseil constitutionnel de compléter la loi du 30 novembre 2021 qui consacre les animaux comme "des êtres vivants doués de sensibilité". Ils sollicitent donc la reconnaissance d'un nouveau principe fondamental de la République (PFLR) ou, à défaut, l'application du principe de dignité aux animaux. Ces demandes sont rejetées par le Conseil constitutionnel, comme d'ailleurs le moyen tiré d'un manquement au principe d'égalité.
Le principe d'égalité
Sur le principe d'égalité, l'analyse est très brève. Le Conseil se borne, comme l'y invite le Secrétariat général du gouvernement, à affirmer que les animaux exploités dans les cirques itinérants ne sont pas dans la même situation que ceux exploités dans les cirques statiques. L'objet de la loi est alors interprété de manière très étroite, la seule finalité du législateur étant de lutter contre les souffrances liées à l'itinérance.
Les autres souffrances ne sont pas mentionnées, même si l'on sait que le maintien d'un animal hors de son milieu naturel est, en soi, une souffrance. Sa détention, les séances de dressages, voire l'exposition publique des spectacles eux-mêmes sont aussi des souffrances. Rien de tout cela n'est évoqué, malheureusement.
L'interprétation étroite du principe d'égalité par le Conseil constitutionnel était déjà dans sa décision du 31 juillet 2015. Il était saisi de l'article 521 du code pénal, qui réprime le fait, "publiquement ou non, d'exercer des sévices graves (...) envers un animal domestique ou apprivoisé". Ce texte introduisait une distinction entre les corridas et les combats de coqs. Etait incriminée la création de nouveaux gallodromes mais pas celle de nouvelles arènes destinées à la tauromachie. Cette distinction était probablement due à l'efficacité bien connue du lobbying de la corrida, mais le Conseil a refusé d'y voir une rupture d'égalité. Il affirme même une volonté des pouvoirs publics de voir s'éteindre les combats de coqs, mais pas les corridas, sans s'interroger plus avant sur les origines de cette étrange distinction.
Mickey's Circus. Walt Disney. 1936
Pas de nouveau PFLR
L'association requérante a l'ambition d'obtenir la consécration d'un nouveau PFLR. Elle appuie sa revendication sur la loi Grammont du 2 juillet 1850. Ce premier texte de protection animale avait été initié par le général Grammont, devenu parlementaire, et très choqué par les mauvais traitements infligés aux chevaux, en particulier en temps de guerre. Il interdisait donc les mauvais traitements infligés aux animaux domestiques.
Certains critères permettant de consacrer un PFLR sont bien présents. Le caractère républicain de la loi du 2 juillet 1850 n'est pas contestable puisqu'elle remonte à la seconde République. Son application n'a jamais été interrompue depuis cette date et Jules Grévy avait même organisé une campagne d'affichage des dispositions de la loi Grammont dans les écoles.
Certes, mais il faut bien reconnaître que cette loi ne visait que les animaux domestiques, et qu'elle n'a jamais été étendue aux animaux sauvages. Les travaux préparatoires montrent que le texte déposé en commission visait à s'appliquer à l'ensemble des espèces animales, quelles qu'elles soient. Mais un député vendéen nommé Desfontaines a déposé un amendement limitant son champ d'application aux animaux domestiques. A l'époque, il s'agissait sans doute de protéger les chasseurs et non pas les cirques, mais le vote de cet amendement constitue aujourd'hui, hélas, la démonstration que le texte de 1850 n'avait pas vocation à concerner les espèces sauvages et, de fait, ne les a jamais concernées. Il est évidemment difficile de fonder un PFLR sur un état préparatoire d'une loi, qui n'a jamais été soumis au vote.
Par voie de conséquence, on ne peut retenir le caractère continu de l'application de l'éventuel PFLR, puisque le législateur ne s'est intéressé aux animaux sauvages exhibés dans les cirques qu'en 2021.
Pas de principe de dignité
Le principe de dignité n'est pas davantage applicable aux animaux, affirme le Conseil constitutionnel. On sait que le fondement constitutionnel du principe de dignité se trouve dans le Préambule de la Constitution de 1946 qui affirme "la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine". Dans sa première décision mentionnant ce principe, celle sur la loi bioéthique du 29 juillet 1994, le Conseil déduit de ces dispositions du Préambule "que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle". La dignité est donc celle de la personne humaine, pas celle des animaux.
Là encore, on doit déplorer l'étroitesse du raisonnement. Ne pourrait-on considérer que la dignité de l'animal constitue un devoir de la personne et un élément de la dignité humaine ? La Cour européenne des droits de l'homme s'est déjà engagée dans cette voie, avec son arrêt du 13 février 2024 Exécutief van de Moslims van Belgie et autres c. Belgique. Elle a jugé que l'interdiction l'abattage rituel sans étourdissement préalable ne violait pas l'article 9 de la Convention européenne garantissant la liberté religieuse. Elle était en effet justifiée par rapport à "l'objectif de protection du bien-être animal", qu'elle a rattaché à la notion de "morale publique". Cette morale publique est évidemment celle des hommes qui leur impose de traiter les animaux comme des êtres vivants doués de sensibilité.
Le Conseil constitutionnel refuse ainsi, avec une grande étroitesse d'esprit, de faire le lien entre le traitement dû aux animaux et la dignité de la personne. Emmanuel Kant était bien plus sages que nos neuf sages, lorsqu'il écrivait en 1797 dans Doctrine de la vertu, élément de sa Métaphysique des moeurs : "Un traitement violent et en même temps cruel envers les animaux est intimement opposé aux devoirs de l'homme envers lui-même".
Les PFLR : chapitre 3, section 2 § 2 A 2 du manuel de libertés publiques sur Amazon
"Tout ce qui est clair est noir, et ce qui est noir est clair"
RépondreSupprimerCette citation reprise de Macbeth de Shakespeare traduit notre perplexité de béotien face à ce qui nous semble être une tempête dans un dé à coudre plus qu'une tempête sous un crâne. Les juristes du Conseil constitutionnel semblent avoir pris un certain plaisir à rédiger ce texte. Grand bien leur fasse !
Somme toute en compliquant l'analyse, on y voit plus clair. Il y a longtemps que les philosophes le savent. Une chose est réconfortante. Avant de quitter le Conseil constitutionnel - peut-être pour devenir immortel ? -, Laurent Fabius pourra éprouver un sentiment de soulagement après avoir réglé cette importante question au centre des préoccupations de tous les Français avec doigté. Lui qui est un puit de science et de prescience !
Si la "diginté" animale dérive de celle de la personne humaine cela met nos égaux les animaux dans une position subordonnée attentatoire à leur personnalité
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