Élargissement du champ de l'article 5 § 1
L'arrêt S.V. et A. marque une évolution substantielle de l'interprétation de l'article 5 § 1 c). La Cour voit désormais dans le texte une véritable alternative, et considère que l'intéressé doit être soit soupçonné d'avoir commis ou infraction, soit susceptible d'en commettre une, à la condition qu'il y ait suffisamment d'indices en ce sens. A dire vrai, cette interprétation avait été la première développée par la CEDH dès sa jurisprudence Lawless de 1961, mais elle y avait renoncé dans un arrêt Ciulla c. Italie du 22 février 1989, se bornant alors, sans plus d'explication, à affirmer que "l'alinéa c ) permet exclusivement des privations de liberté ordonnées dans le cadre d’une procédure pénale ». Considéré sous cet angle, l'arrêt S.V. et A. c. Danemark marque un retour aux origines. Il n'est pas inutile de noter que l'affaire Lawless portait précisément sur la détention sans jugement d'Irlandais soupçonnés d'appartenir à l'IRA. De toute évidence, la CEDH n'est pas insensible aux menaces invoquées par les États et souhaite leur laisser une certaine autonomie pour les gérer, y compris par l'internement administratif.
Quoi qu'il en soit, cette interprétation permet à la Cour de considérer que les requérants S.V. et A. peuvent se prévaloir de l'article 5 § 1 c) pour contester la mesure dont ils ont fait l'objet.
Le Parc des Princes. Nicolas de Staël. 1952 |
Une rétention non arbitraire
Comme bien souvent, l'évolution jurisprudentielle précède un rejet de la requête au fond. La Cour observe en effet que l'arrestation des requérants était parfaitement régulière au regard du droit interne. Les forces de police s'appuyaient en effet sur des dispositions législatives et elles s'étaient efforcées de procéder aux arrestations le plus tardivement possible pour qu'elles ne dépassent pas la durée de six heures imposée par le texte. Certes, un dépassement d'environ une heure avait finalement été constaté, mais les juges internes avaient estimé qu'il était justifié par la situation, les violences ayant duré jusque tard dans la nuit. En tout état de cause, conformément à un principe affirmé notamment dans l'arrêt Radomilja et a. c. Croatie du 20 mars 2018, cette appréciation relève des juridictions internes.
De la même manière, les juges internes sont les mieux placés pour apprécier le caractère arbitraire ou non d'une privation de liberté. En l'espèce, les requérants étaient déjà connus des services de police pour avoir été arrêtés plusieurs fois pour des faits de hooliganisme. Avant leur arrestation, ils avaient été vus en train d'inciter leurs camarades à la violence. Dans l'appréciation des éléments de fait, la Cour ne s'écarte des appréciations des juges internes que lorsqu'elle dispose d'éléments solides lui permettant de soupçonner leur mauvaise foi (CEDH, 25 mars 2011, Giuliani et Gaccio c. Italie). Tel n'est pas le cas dans l'arrêt S.V. et A., et le gouvernement danois a produit suffisamment d'éléments laissant penser que les intéressés auraient participé à des actions violentes s'il n'avaient été mis hors d'état de nuire. Dès lors, la privation de liberté apparaissait "nécessaire" au regard de l'article 5 § 1.
Une police administrative
L'arrêt S.V. et A. c. Danemark conforte le droit français qui permet de limiter assez considérablement le circulation des hooligans sans pour autant autoriser leur enfermement. La loi du 14 mars 2011 met en place une police administrative spécifique, qui autorise le ministre de l'intérieur à interdire le déplacement individuel ou collectif des supporters violents. Dans sa décision du 11 mars 2011, le Conseil constitutionnel considère que cette mesure opère une conciliation satisfaisante entre la libre circulation des personnes et la protection de l'ordre public, à la condition que les catégories de personnes concernées soient définies selon des critères objectifs. La loi du 23 janvier 2016 renforce le dispositif en prévoyant des interdictions de stade, individuelles ou collectives, pour les supporters violents et la création d'un fichier destiné à permettre leur identification. Dans tous les cas, la loi française ne prévoit pas spécifiquement d'arrestation préventive, mais plutôt des mesures de dissolutions des associations de hooligans ou d'interdiction d'accès au stade. Les premières ont déjà été déclarées conformes à la Convention européenne par un arrêt du 27 octobre 2016 Les Authentiks et Supra Auteuil c. France, et les secondes peuvent être considérées comme moins rigoureuses que la privation de liberté prévue par la loi allemande.
A bien des égards, la décision témoigne d'une évolution de la Cour européenne, évolution qui suit celle du droit des États. La tendance est au renforcement des moyens de la police, et l'internement administratif, même de courte durée, est désormais une mesure acceptable, à la condition qu'elle soit soumise à des conditions rigoureuses, et qu'elle puisse en particulier faire l'objet d'un recours contentieux a posteriori. Le développement de la violence, la menace terroriste, tous ces éléments favorisent le renforcement des pouvoirs de l'Exécutif dans la plupart des États parties à la Convention. La Cour ne peut pas l'ignorer, sans que sa crédibilité, voire sa légitimité ne soit remise en cause. Devant une telle situation, elle s'adapte, fait preuve de souplesse, et s'efforce de limiter les dégâts pour les libertés.
Sur la circulation des "hooligans": Chapitre 5, Section 1, § 1, B, du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.
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