La loi du 15 novembre 1887
Le débat porte en réalité sur la nature de la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles qui demeure aujourd'hui la norme applicable. A l'époque, la liberté dont il s'agit est la liberté de choix entre des funérailles religieuses ou civiles. Dès une décision du 23 janvier 1874, la Cour de cassation avait estimé que des enterrements civils pouvaient être organisés, le maire étant alors compétent, le cas échéant, pour prendre toutes les mesures utiles de nature à garantir le maintien de l'ordre.
L'article 3 de ce texte précise que "tout majeur (...), en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture". Le fait d'organiser des funérailles contraires à la volonté du défunt est constitutif d'une infraction, aujourd'hui réprimée par l'article 433-21-1 du code pénal et punie de six mois d'emprisonnement et 7500 € d'amende. L'organisation des funérailles est donc assimilée à une disposition testamentaire. Si ses dernières volontés ne sont pas clairement exprimées, il appartient au juge de les rechercher dans des déclarations des personnes auxquelles il aurait pu les confier. Dans un arrêt du 11 septembre 2011, la Chambre criminelle de la Cour de cassation sanctionne ainsi des juges du fond qui ont omis de verser aux débats des témoignages selon lesquels il refusait la dispersion de ses cendres, dispersion réclamée par sa veuve.
Etat des personnes ou liberté
Dans l'affaire qui a suscité la décision du 19 septembre 2018, la famille musulmane du défunt estime que l'organisation des funérailles relève de l'état des personnes, écartant ainsi l'application de la loi du 15 novembre 1887. Elle s'appuie donc sur la Convention franco-marocaine du 10 août 1981, invoquant le fait que le défunt a conservé sa nationalité marocaine, alors que, né sur le territoire français, il aurait pu adopter la nationalité française. Il était de confession musulmane, religion d'Etat au Maroc, dont le système juridique interdit la crémation. Aux yeux de cette famille, les juges du fond auraient donc appliquer le droit marocain, puisque, selon la Convention, l'état et la capacité des personnes physiques sont régis par la loi de celui des deux Etats dont l'intéressé a la nationalité.
Mais la Cour de cassation refuse d'entrer dans cette analyse. Elle affirme clairement que la loi du 15 novembre 1887 garantit une liberté individuelle et qu'il s'agit d'une loi de police applicable à toute personne décédée sur le territoire français. La liberté d'organiser ses funérailles relève ainsi de l'ordre public français. Ce raisonnement est aussi celui qui avait été adopté par les juges français en matière de droit au mariage des couples de même sexe. Ecartant la convention franco-marocaine, qui aurait interdit à un Marocain d'épouser son compagnon français, le juge des référés, en juillet 2014, avait ainsi affirmé l'existence d'une liberté du mariage, élément de l'ordre public français.
La Cour de cassation ramène ainsi l'affaire à l'application de la loi de 1887 et constate que les juges du fond ont tenu compte des témoignages produits. Il apparaît ainsi que le défunt, s'il était musulman d'origine, se déclarait athée et avait fait baptiser sa fille dans la religion catholique. Il avait même déclaré vouloir laisser le choix à sa compagne et à ses enfants de la manière dont sa dépouille serait accompagnée. Ses intentions étaient donc claires et il ne souhaitait manifestement pas que ses obsèques soient organisées par la partie musulmane de sa famille.
La liberté d'organiser ses funérailles n'est cependant pas absolue. La Cour européenne des droits de l'homme précise ainsi, dans un arrêt du 17 janvier 2006 Elli Poluhas Dödsbo c. Suède que la loi de police peut prévoir certaines restrictions pour des motifs de protection de l'ordre public, de la morale et des droits des tiers. C'est ainsi que le droit français interdit l'inhumation dans des terrains privés, sauf autorisation exceptionnelle, ainsi que la cryogénisation, cette fois en toutes circonstances. Sur ce point, le Conseil d'Etat se borne à préciser, dans un arrêt du 29 juillet 2002 que le fait de placer une bière dans le congélateur n'est pas un mode d'inhumation prévu par les dispositions en vigueur. En dehors de cela, le choix entre l'inhumation et la crémation est certes une liberté, mais peut être pas la plus stimulante des libertés publiques. Alors peut-être pouvons nous rallier à l'opinion de Georges Brassens :
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