Si l’on en croit les informations
largement diffusées par la presse, le président d’Interpol, organisation
intergouvernementale dont le siège est à Lyon, Meng Hongwei, a été arrêté et est détenu en Chine, pays
dont il est ressortissant. Son arrestation à Pékin ne soulève pas en principe
de difficulté. S’il bénéficie en effet d’une immunité diplomatique en tant que
fonctionnaire international, cette immunité n’est pas opposable au pays dont il
est ressortissant, surtout lorsqu’il se trouve sur son territoire. En revanche,
deux problèmes subsistent, qui mettent en cause ses droits et libertés, et plus
largement les règles internationales.
Le premier est lié à une donnée
de fait que la presse ne semble pas avoir élucidée, ou dont elle n’a pas fait
cas. L’intéressé se trouvait en Suède. On peut supposer que c’était dans la
cadre de sa mission à Interpol, ou que l’organisation en avait été avisée et
connaissait son voyage. Or il a été arrêté en Chine, ce que l’on a appris
quelques jours après sa disparition, quelques jours durant lesquels on s’est
interrogé sur son sort. Comment a t’il quitté la Suède pour la Chine ?
Est-ce volontairement ? Est-ce dans le cadre d’une mission d’Interpol ?
L’organisation a-t-elle été informée de ce voyage, de son but, de ses
modalités ? S’il devait apparaître qu’il a été contraint de quelque
manière à se rendre en Chine, il y aurait là une violation de la souveraineté
de la Suède et de l’autonomie d’Interpol. Comment la Suède, comment Interpol,
ont-ils réagi, alors que l’épouse de Meng Hongwei s’alarmait publiquement du sort qui lui était
réservé ? Très discrètement apparemment, ce qui ne manque pas de soulever
quelques interrogations sur leur attachement, non seulement aux droits de Meng Hongwei mais aussi au droit international.
Le second problème semble plus
clair. Meng Hongwei a envoyé une lettre de démission à
Interpol, qui paraît s’en contenter et se diriger vers l’élection prochaine
d’un nouveau président. En d’autres termes, on passe le président actuel et son
statut par profits et pertes, et l’on change l’ordre du jour. Et là il est
permis de s’indigner devant la passivité, pour ne pas dire la complicité
d’Interpol avec la Chine, un Etat puissant et vindicatif, de plus en plus
craint à défaut d’être respectable. Quia
nominor leo…
La Chine vue par Meng Hongwei
L'Algerino. Les menottes. Tching Tchang Tchong. 2017
Que pouvait faire Interpol, ainsi
privée de son président ? Un précédent du même ordre peut éclairer sur
l’attitude qu’aurait pu - et dû - adopter l’organisation face à ce type de
situation. Voici environ trente-cinq ans, le directeur d’un organe subsidiaire
de l’Assemblée générale de l’ONU, l’UNIDIR, Institut pour la recherche sur le
désarmement, de nationalité roumaine, se trouvait retenu de force à Bucarest.
On ne l’accusait pas de malversations particulières, mais le régime Ceausescu
exigeait sa démission, apparemment pour obtenir la désignation d’un nouveau
directeur roumain en cour auprès du régime. Le directeur détenu à Bucarest a
envoyé sa démission par écrit au Secrétaire général de l’ONU, mais a fait
savoir par des canaux indirects que cette démission avait été contrainte.
Le Secrétaire général de l’ONU a
alors demandé aux autorités roumaines que l’intéressé lui remette sa démission
en personne, ce qui supposait bien évidemment qu’il soit libéré. La Roumanie
s’est bien sûr abstenue de le laisser partir, de sorte que l’institution est
restée sans directeur sur place jusqu’à l’expiration de son mandat régulier,
qui était de cinq ans. Le contact téléphonique était maintenu avec lui sur
place par l’ONU, on le considérait comme étant toujours directeur, l’informant
et le consultant régulièrement. L’ONU avait même exclu de nommer un acting director, un directeur
intérimaire, un faisant fonction.
On doit saluer le courage du
Secrétaire général, à l’époque M. Perez de Cuellar, qui s’opposait ainsi
frontalement à un Etat membre. En revanche, l’Assemblée générale n’a guère
brillé par son attitude. Saisie d’un projet de résolution demandant le retour
de l’intéressé dans ses fonctions, elle a refusé de l’adopter, par indifférence
des pays non alignés et par lobbysme des pays alors socialistes. Les uns et les
autres étaient aussi peu sensibles aux libertés individuelles qu’au respect du
statut des organisations internationales, et surtout du statut des
fonctionnaires internationaux. Au moins l’affaire avait donné lieu à des protestations
du Secrétariat comme des pays occidentaux et à un débat retentissant au sein de
la première commission de l’Assemblée générale.
Dans le cas qui nous occupe,
Interpol, ses membres aussi bien que son secrétariat, semblent préférer le
silence et la nuit. Il est vrai que l’organisation avait été dirigée, voici
quelques décennies, par Reinhard Heydrich, grand dignitaire nazi, et
qu’Interpol s’est toujours refusé à rechercher les anciens criminels nazis. La
France sauvera-t-elle l’honneur ? Une enquête a été ouverte à Lyon pour
disparition inquiétante. Interpol acceptera-t-il d’y coopérer ? Mieux
encore, si la Chine demande la coopération de l’organisation au sujet de la
corruption reprochée à Meng Hongwei, Interpol acceptera-t-il ?
Serge Sur
Professeur émérite de droit public. Université Panthéon-Assas (Paris 2)
éclairage très intéressant, merci (la vidéo fut un choc!)
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