« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


dimanche 10 mars 2013

Les hooligans et la garde à vue préventive

Dans son arrêt Ostendorf c. Allemagne du 7 mars 2013, la Cour européenne est saisie de la conformité à l'article 5 § 1 qui garantit le principe de sûreté, d'une procédure de garde à vue utilisée à des fins purement préventives. 

Le requérant est supporter de l'équipe de football de Brême. Il est connu des services de police, et a été condamné à huit reprises par la justice allemande, de 1996 à 2003, pour des violences commises à l'occasion de matchs de football. Le 10 avril 2004, la police de Francfort, ville dans laquelle un match contre Brême doit avoir lieu, décide d'encadrer, dès son arrivée à la gare, le groupe d'une trentaine de supporters de Brême auquel appartient M. Ostendorf. Elle confisque un certain nombre d'objets susceptibles d'être utilisés comme des armes, encadre le groupe, l'escorte dans ses déplacements, et le suit jusque dans un pub. A la sortie de l'établissement, la police constate cependant l'absence de M. Ostendorf qui est rapidement retrouvé, caché dans les toilettes des dames. La police décide alors son arrestation et son placement en garde à vue pendant quatre heures, la libération de l'intéressé n'intervenant qu'une heure après la fin du match. 

La garde à vue préventive

La garde à vue de M. Ostendorf a donc été décidée, non pas parce que des indices laissaient penser qu'il avait commis une infraction, mais pour empêcher qu'il commette une infraction particulièrement attentatoire à l'ordre public. Les recours du requérant devant les juges du Land de Hesse, puis devant la cour constitutionnelle de Karlsruhe. Les magistrats de Hesse s'appuient sur la loi sur la sécurité du Land qui autorise la détention d'une personne lorsqu'il apparaît probable qu'une infraction grave et attentatoire à l'ordre public est sur le point d'être commise. Tel est le cas lorsqu'un hooligan se soustrait à la surveillance de la police, car on peut penser qu'il se prépare à participer à des violences. La Cour constitutionnelle, saisie ensuite, déclare le recours irrecevable, au motif que le requérant était fiché comme hooligan dans la base de données de la police de Brême, et qu'il était donc possible de lui interdire l'accès au stade ou de restreindre sa liberté de circulation. 

L'article 5 § 1 de la Convention énonce une liste limitative des motifs pour lesquels les autorités d'un Etat membre peuvent porter atteinte au principe de sûreté, et la Cour précise, dans une jurisprudence constante, que ces exceptions doivent faire l'objet d'une interprétation étroite (par exemple : CEDH, 21 juin 2011, Shimovolos c. Russie). La Cour va donc rechercher soigneusement quel fondement est utilisable en l'espèce.

La Belle Verte. Coline Serreau. 1996

Le respect d'une obligation légale

Elle commence par écarter celui énoncé par l'article 5 § 1 c), principalement invoqué par les autorités allemandes. Il énonce en effet qu'un individu peut être "arrêté ou détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des (...) des motifs raisonnables de croire à la nécessite de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci". La Cour précise que ces dispositions n'autorisent pas les autorités publiques à prendre des mesures générales à l'égard de telle catégorie de personnes ou de tel individu considéré comme dangereux pour la sécurité publique. La privation de liberté ne peut avoir pour objet que la saisine du juge pénal, qui doit entendre l'intéressé. Autrement dit, l'article 5 § 1 c) ne peut être utilisée que dans le cadre d'une procédure criminelle, principe rappelé par l'arrêt Ciulla c. Italie du 22 février 1989 . Tel n'est pas le cas en l'espèce, dès lors que les autorités allemandes reconnaissent que M. Ostendorf n'a été retenu qu'à titre préventif, sans qu'aucune infraction ait été commise. 

L'article 5 § 1 b) affirme qu'une personne peut être détenue "si elle a fait l'objet d'une arrestation ou d'une détention régulière, pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à une loi, par un tribunal ou en vue de garantir l'exécution d'une obligation prescrite par la loi". C'est sur ce fondement juridique que la Cour va finalement s'appuyer. Il ne fait pas de doute, en effet, que M. Ostendorf était parfaitement informé qu'il avait l'obligation de s'abstenir de toute violence, et la police lui avait formellement donné l'ordre de ne pas quitter le groupe de supporters qu'elle gardait sous son contrôle. En essayant de se soustraire à la surveillance policière, le requérant a révélé sa volonté de se soustraire à une "obligation prescrite par la loi". Dans une décision Iliya Stefanov c. Bulgarie du 22 mai 2008, elle admet, de la même manière, une garde à vue justifiée par la nécessité de recueillir la déposition d'un témoin dans une procédure pénale. Dans les deux cas, la garde à vue a pour objet de contraindre une personne à respecter une obligation légale.

Souplesse dans la garde à vue 

Avec l'arrêt Ostendorf, la Cour reconnaît la nécessité de disposer d'instruments juridiques dérogatoires au droit commun, lorsque les Etats sont confrontés à des menaces particulières. Il en est ainsi, lorsqu'ils doivent lutter contre le hooliganisme, mais aussi en matière de terrorisme ou de grande criminalité. C'est d'ailleurs le choix qui a été fait en France avec la loi du 5 juillet 2006, qui vise à "prévenir les violences lors des manifestations sportives". Cet objectif de prévention ne figure cependant que dans le titre, car le texte se borne à organiser la dissolution des associations de supporters qui ont recours à la violence. 

La Cour développe surtout une conception souple de la garde à vue qui peut, à titre exceptionnel, être utilisée à des fins préventives. Cette souplesse contraste avec les analyses développées en France sur la jurisprudence de la Cour en matière de garde à vue. N'est-elle pas perçue comme celle qui a fait plier un droit français qui refusait l'exercice des droits de la défense dès le début de la garde à vue ? Certains n'hésitent pas aujourd'hui à s'appuyer sur la jurisprudence de la Cour européenne pour considérer que la garde à vue constitue la première phase de l'instruction, et que la défense doit déjà disposer de l'ensemble du dossier pour en contester le contenu. Aujourd'hui, la Cour européenne affirme que la garde à vue peut être utilisée à des fins de police. Le rappel n'est sans doute pas inutile.



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