Une dissolution de droit commun
Ce fondement juridique de droit commun n'est pas sans conséquences. Le juge des référés rappelle en effet, au détour de sa décision, qu'il n'est pas lié par le fait que des perquisitions administratives ont été effectuées chez le président de l'association des musulmans de Lagny sur le fondement de l'état d'urgence, et n'ont pas conduit à la constatation d'infractions liées au terrorisme. La question posée est bien celle du danger que représente le groupement pour l'ordre public et pas celle des éventuels actes illicites commis par ses responsables.
Un second décret de dissolution
Observons aussi que, pour ce qui concerne l'Association des musulmans de Lagny-sur-Marne, le décret du 6 mai 2016 est le second texte prononçant la dissolution. Un premier, daté du 14 janvier 2016, avait été suspendu par une ordonnance du juge des référés du Conseil d'Etat, le 30 mars 2016. Les requérants s'appuyaient alors sur l'article L 521-1 du code de justice administrative qui permet au juge de suspendre un texte lorsqu'il a un "doute sérieux sur sa légalité". Mais le juge ne sanctionnait alors qu'un vice de procédure. En effet, la procédure contradictoire n'avait pas été régulièrement menée à son terme, le décret ayant été pris avant que la lettre mentionnant les observations des responsables de l'association soit parvenue aux services compétents. C'est la raison pour laquelle, un second décret a été pris le 6 mai 2016, respectueux désormais du principe contradictoire.
Les libertés en cause
André Sureda (1872-1930). L'école coranique |
Le contrôle de proportionnalité
Il appartient donc au juge des référés d'apprécier le "caractère grave et manifestement illégal" de l'atteinte portée à ces libertés. Il ne dissocie pas les libertés en cause et se livre à un contrôle global, appréciant la proportionnalité entre cette atteinte et les nécessités d'ordre public poursuivies par le décret de dissolution. Son contrôle est particulièrement étendu, car il ne se limite pas aux motifs invoqués dans le décret mais examine l'ensemble du dossier.
Ce contrôle approfondi ne joue pas en faveur des groupements en cause, loin de là. Au contraire, le juge des référés dresse un catalogue accablant de leurs agissements. Il rappelle que ces associations visaient à "propager l’idéologie de l’ancien imam de la mosquée de Lagny, lui-même parti en Egypte à la fin de 2014, qui prônait un islamisme radical, appelant au rejet des valeurs de la République et faisant l’apologie du djihad armé ainsi que de la mort en martyr". Il ajoute que les perquisitions réalisées durant l'état d'urgence ont révélé l'existence d'une "école coranique clandestine qui diffusait des messages appelant au jihad". Cette dernière précision témoigne peut-être d'un certain agacement vis-à-vis d'une défense qui invoque le fait que la perquisition administrative n'a pas eu de suites judiciaires, alors qu'elle a démontré l'appartenance de l'association à la mouvance salafiste.
Les notes blanches
Dans son analyse, le juge n'hésite pas à s'appuyer sur les notes blanches établies par les services de renseignement. A dire vrai, la jurisprudence considérait depuis longtemps qu'un dossier de ce type pouvait justifier une décision d'expulsion. Par exemple, dans un arrêt du 7 mai 2015, le juge des référés du Conseil d'Etat avait admis l'expulsion d'un Algérien, des "notes blanches" faisant état de sa radicalisation et de sa présence injustifiée auprès de différentes synagogues. Dans une ordonnance du 11 décembre 2015, le juge des référés du Conseil d'Etat, intervenant cette fois à propos d'une assignation à résidence intervenue sur le fondement de l'état d'urgence, a ensuite posé un principe général, selon lequel "aucune disposition législative ni aucun principe ne s'oppose à ce que les faits relatés par les " notes blanches " produites par le ministre, qui ont été versées au débat contradictoire et ne sont pas sérieusement contestées par le requérant, soient susceptibles d'être pris en considération par le juge administratif". Elles peuvent donc être utilisées par le juge comme élément d'appréciation, y compris, nous disent les ordonnances du 26 juillet 2015, en matière de dissolution d'un groupement.
La note blanche n'est tout de même pas un blanc seing. Dans sa décision du 6 janvier 2016, rendue cette fois à propos de la fermeture d'un restaurant, le juge des référés du Conseil d'Etat affirme que les informations qui y figurent doivent être précises et convenablement vérifiées. C'est bien le cas en l'espèce, et le juge observe que les notes blanches utilisées pour prononcer la dissolution des groupements sont "précises et circonstanciées", et qu'elles ont été versées au débat contradictoire.
De toute cette analyse, le juge déduit donc qu'aucune "atteinte grave et manifestement illégale" n'a été portée à une liberté fondamentale, justifiant en référé. Dès lors, il n'a plus besoin de se prononcer sur l'urgence de son intervention, seconde condition du référé-liberté. La solution est donc logique et n'apporte aucune surprise sur le fond.
Votre analyse méticuleuse de l'ordonnance de référé appelle deux types de remarques.
RépondreSupprimer1. Remarque spécifique
On peut aussi conclure que cette décision présente deux avantages indéniables pour les "membres" du Palais-Royal : (1) gagner du temps pour ne pas prêter le flanc à la critique (2) tout en donnant l'impression de prendre ses responsabilités. Ceci s'apparente à "Courage fuyons" !
2. Remarque générale
La prolongation de l'état d'urgence liée à la multiplication des attentats terroristes sur notre sol a et aura un double effet mécanique : (1) restreindre le champ d'application du droit protecteur des libertés (2) tout en encadrant la jurisprudence pour des raisons évidentes.
La sécurité à un coût en termes de libertés individuelles. Il est grand temps d'en finir avec l'hypocrisie, la politique de l'autruche, les Tartuffe. Qu'on le veuille ou non, nous tombons dans le piège que nous tend habilement l'état islamique.