Tout Président de la République nouvellement élu se trouve confronté au même risque, celui de décevoir ceux-là même qui ont voté pour lui. Dans le cas de François Hollande, le risque est peut être moins élevé, car il n'est jamais entré dans le jeu de la surenchère électorale, se limitant à formuler soixante engagements précis, parfaitement accessibles à tous sur
internet.
En cette période de crise financière et économique, les libertés publiques n'ont pas figuré au centre de la campagne électorale. Certaines d'entre elles ont été évoquées pour mieux les renier, et on se souvient du candidat Président mettant en cause les principes fondamentaux du droit des étrangers sans trop distinguer entre leur situation régulière ou irrégulière. D'autres ont été évoquées rapidement, comme l'intégration de la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l'Etat dans la Constitution, l'une des propositions du nouveau Président Hollande.
Les libertés ont pourtant considérablement souffert durant le quinquennat qui vient de s'écouler. Elles n'ont pas réellement disparu, mais ont fait l'objet d'un grignotage lent et insidieux, au bout du compte, bien plus dangereux qu'une remise en cause directe et massive qui a au moins l'avantage de susciter une opposition immédiate. Aujourd'hui, il serait utile de réaliser un audit pour mesure l'ampleur des dégâts dans ce domaine. Sans aller jusque là, bien modestement, Liberté Libertés Chéries voudrait aujourd'hui dresser une petite liste des attentes dans ce domaine. Cette liste ne prétend pas exhaustive, et nous espérons bien que les lecteurs de LLC viendront compléter ce travail préparatoire.
L'émergence de libertés nouvelles
Les plus visibles, celles qui constituent des promesses électorales identifiées, concernent l'émergence de libertés nouvelles. Le droit des homosexuels au mariage et à l'adoption, le droit de mourir dans la dignité, l'adoption de principe de non-discrimination dans de multiples domaines. Ces réformes, à dire vrai, ne suscitent guère de difficultés, dès lors que le Président dispose d'une majorité parlementaire pour les voter.
Plus difficile en revanche seront l'insertion de la loi de 1905 dans la Constitution et le droit de vote des étrangers aux élections locales. Elles exigent en effet une révision constitutionnelle et le recours soit au référendum, soit au vote du Congrès à la majorité qualifiée des 3/5è. La première procédure peut sembler bien lourde, et la seconde procédure plus risquée, car on ne sait pas encore si la majorité parlementaire socialiste regroupera les 3/5è du Congrès.
Quoi qu'il en soit, ces réformes visibles ne doivent pas cacher que l'objectif le plus immédiat doit demeurer la réparation des dommages causés aux libertés par le précédent quinquennat.
La remise en état des libertés traditionnelles
Ces dernières années ont vu un lent travail de grignotage de certaines libertés traditionnelles. On pourrait multiplier les exemples.
Ainsi de la liberté d'expression. Souvenons nous de la
loi du 5 mars 2009 qui confère au Président de la République le droit de nommer les Présidents des sociétés France Télévision et Radio France, et de faire pression sur eux lorsque le contenu des programmes ne le satisfait pas. Ce texte n'a t il pas permis, indirectement, l'éviction pure et simple d'humoristes de
France Inter accusés de se montrer trop caustiques à l'égard du pouvoir en place ?
Ainsi du droit au respect de la vie privée. Souvenons nous de l'extension considérable du champ d'application du Fichier national des empreintes génétiques (FNAEG), du "fichier des honnêtes gens" destiné à stocker des données biométriques sur l'ensemble des citoyens titulaires d'une pièce d'identité, voire du développement considérable de la vidéoprotection. Dans tous les cas, les intrusions dans la vie privée ont été autorisées, sur le fondement d'une démarche sécuritaire de plus en plus affirmée.
Ainsi enfin du principe de sûreté. Le droit récent se caractère par la multiplication des internements administratifs. Il est vrai que le Conseil constitutionnel a bien souvent censuré ce types de dispositions et imposé une intervention du juge judiciaire, mais sans réellement pouvoir contester le principe même de ces procédures. C'est vrai pour l'hospitalisation sans leur consentement des patients psychiatriques, la rétention des étrangers en "Centre de rétention administrative" avant leur éloignement, voire la rétention de sûreté qui maintient en détention des personnes condamnées à l'issue de leur peine, sur la seule base d'une évaluation subjective du risque de récidive qu'elles représentent.
Tous ces exemples, et bien d'autres encore, témoignent de la lente dégradation de nos libertés et nécessitent des réformes rapides. Mais ces dernières ne seront efficaces que si, au préalable, le nouveau Président s'est attaqué à la reconstruction du système judiciaire.
La reconstruction du système judiciaire
Le système judiciaire sort de cinq années de destruction. On pense d'abord à la réduction du nombre des postes, à la nouvelle carte judiciaire, en un mot aux conditions matérielles de l'exercice du service public de la justice. Mais cette dégradation n'est rien à côté de la destruction des fondements mêmes de la justice.
Le premier d'entre eux est la séparation des pouvoirs, mise à mal par les conditions de nomination des magistrats. La
réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) effectuée par le Président Sarkozy apparaît purement cosmétique. Si le Président de la République ne préside plus le CSM, ce dernier ne rend cependant que des avis sur la nomination des membres du parquet et le Garde des Sceaux peut donc passer outre cet avis. Qui a oublié que Philippe Courroye a été nommé procureur de la République à Nanterre, malgré l'avis défavorable du CSM ? Il n'est guère surprenant, dans ces conditions, que ledit procureur ait attendu plusieurs mois avant d'envisager la saisine d'un juge d'instruction dans l'affaire Woerth-Bettencourt. Encore ne l'a t il fait qu'après injonction de la Cour de cassation.
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Gilbert Thiel, Bernard Swysen et Marco Paulo. Le pouvoir de convaincre. 2012 |
Cet exemple illustre parfaitement le problème essentiel de notre justice qui est l'absence d'indépendance des membres du parquet. Ces derniers devraient appartenir à un corps séparé de magistrats, et dont l'indépendance serait garantie au même titre que celle des magistrats du siège. Une telle réforme est d'autant plus urgente que la Cour européenne, depuis l
'arrêt Moulin du 23 novembre 2010, refuse de considérer les représentants du parquet comme des "magistrats" au sens du droit européen. Depuis cette date, l'administration Sarkozy s'est bornée à adopter quelques "pansements législatifs", substituant notamment le juge des libertés au procureur pour décider de la prolongation de la garde à vue. Mais le problème principal, celui de l'indépendance du parquet, n'est pas résolu.
Enfin, il faut se souvenir de la menace qui a existe sur les juges d'instruction eux-mêmes. S'appuyant sur l'affaire d'Outreau, le Président Sarkozy, au début de son mandat, a entrepris de supprimer les juges d'instruction. A l'époque, il envisageait sérieusement l'adaptation du système américain, et de substituer à la procédure inquisitoire une procédure accusatoire considérée comme supérieure. Il est vrai qu'elle offre beaucoup de nouveaux débouchés aux avocats.
A l'appui de cette réforme, le Président déplorait alors, non sans hypocrisie, la trop grande puissance d'un juge d'instruction seul et souvent inexpérimenté. En réalité, on se méfiait non pas de la puissance, mais de l'indépendance de ces magistrats. Quant à leur manque d'expérience, il suffisait d'y remédier en nommant à ces postes des magistrats titulaires d'une solide expérience, plus anciens dans la carrière, et évidemment mieux rémunérés. C'est ce qui doit être fait aujourd'hui, et très rapidement afin de garantir aux citoyens leur droit à une justice indépendante et efficace.
Le Président François Hollande doit maintenant s'attaquer à ces différents chantiers. La réforme des libertés n'est pas nécessairement la plus spectaculaire, car il est sans doute nécessaire de reconstruire les fondements de notre système judiciaire avant de créer de nouveaux droits au profit des citoyens. C'est le seul moyen de rétablir la confiance en la justice.
l'indépendance du parquet... c'est une tarte à la crème. Mais pourquoi se limiter à l'indépendance à l'égard de l'exécutif? et l'opposition, la presse, les avocats, le maire, les partis d'opposition. Il y a bien des affaires qui ont été étouffées sans aucune intervention de la chancellerie et même au grand déplaisir du pouvoir pour ...d'autres raisons que la dépendance à l'égard de l'exécutif.
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