« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 29 mai 2012

L'affaire Aurore Martin : le recours contre un mandat d'arrêt européen

La Cour européenne a rendu le 25 mai une décision d'irrecevabilité du recours présenté par Madame Aurore Martin, dirigé contre la décision des autorités françaises d'exécuter un mandat d'arrêt européen émis par l'Espagne. On se souvient que Madame Martin fait l'objet d'un tel mandat pour faits de participation à une organisation terroriste, et terrorisme, pour avoir participé en Espagne aux activités du parti basque Batasuna. 

L'irrecevabilité manifeste

Sur le fond, la décision ne faisait guère de doute. Elle n'est guère différente d'autres décisions d'irrecevabilité, notamment celle concernant Robert Stapleton en mai 2010. Elle était alors saisie par un Irlandais soupçonné d'être le banquier de l'IRA et accusé de différents délits de droit commun, qui contestait le mandat d'arrêt européen émis à son encontre par le Royaume Uni. En l'espèce, la Cour considère qu'il y a irrecevabilité manifeste. Le requérant ne démontre pas, en effet que l'exécution du mandat d'arrêt l'exposerait à un "déni flagrant" de ses droits à un procès équitable. En filigrane, on distingue également une certaine réticence à donner satisfaction à un requérant juridiquement en fuite, alors même que les Etats concernés sont évidemment parties à la Convention européenne des droits de l'homme et lui offrent donc la possibilité de contester devant le juge les décisions qui le touchent. 

Mandat d'arrêt et infractions politiques

De même, le caractère "politique" de l'infraction relève davantage du discours militant que de l'argument juridique. Il est vrai que la décision-cadre du 13 juin 2002, qui constitue le fondement du mandat d'arrêt européen, interdit à l’Etat dans lequel le mandat d’arrêt doit être exécuté d’opposer le caractère politique de l’infraction pour refuser la remise de la personne recherchée. Cette disposition heurtait ainsi le principe fondamental reconnu par les lois de la République interdisant précisément l’extradition dans un but politique, et le Conseil d'Etat, dans son avis du 26 septembre 2002, n'a pas manqué de le faire observer. La seule solution était donc de réviser la Constitution, ce qui fut fait avec la loi du 25 mars 2003. L'article 88 de la Constitution comporte désormais un second paragraphe : « La loi fixe les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris sur le fondement du traité de l'Union européenne ».


Nada. Claude Chabrol. 1974

Mandat d'arrêt et extradition

On pourrait en déduire que le mandat d'arrêt européen est, sur ce point, moins protecteur que l'extradition. Cette dernière concerne cependant l'ensemble des Etats, y compris les moins respectueux de l'Etat de droit.  A ce titre, il n'est pas surprenant que l'on se méfie d'éventuelles demandes formulées par des dirigeants peu scrupuleux et simplement désireux de se faire livrer des opposants politiques.

Le mandat d'arrêt, en revanche, repose sur deux notions fondamentales. La première est l’« espace judiciaire européen », constitué des territoires étatiques de l'ensemble des Etats membres. La seconde la « reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires » au sein de l'Union européenne. En vertu de ce principe, une décision prise par une autorité judiciaire de l'un des Etats membres a plein effet dans tous les autres Etats membres. En conséquence, les autorités de l’Etat membre sur le territoire duquel la décision doit être exécutée doivent prêter leur concours à cette exécution, comme s’il s’agissait d’une décision prise par leurs propres autorités.  Le mandat d’arrêt européen repose ainsi sur la confiance mutuelle entre les Etats membres et implique une véritable coopération judiciaire. Le risque d'une demande pour des motifs purement politiques est donc très réduit. 

Mandat d'arrêt et terrorisme

En Espagne comme en France, les autorités peuvent dissoudre un parti politique parce qu'il participe à des activités terroristes. L'article 3 de la loi du 1er juillet 1901 permet ainsi la dissolution d'une association " qui aurait pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national et à la forme républicaine du gouvernement" (art. 3). Or on sait que les partis politiques ont, en France, le statut d'association, la seule différence avec le droit commun étant l'obligation de constituer parallèlement une seconde association de financement. De même, la participation à un mouvement terroriste peut être sanctionnée par l'infraction d'"association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste"(art. 421-2-1 c. pén.). Cette infraction n'a rien à voir avec un délit d'opinion, dès lors qu'elle suppose un commencement d'exécution, une aide directe apportée à un mouvement terroriste.

Le droit positif ne joue donc pas en faveur de Madame Aurore Martin. Cette constatation n'exclut pas cependant certaines interrogations à l'égard du mandat d'européen. Car cette procédure a les défauts de ses qualités. Sa rapidité n'est pas sans conséquences sur le recours qui s'exerce lui aussi rapidement. La Chambre d'instruction dispose en effet de vingt jours pour statuer lorsque le requérant refuse sa remise aux autorités d'émission du mandat. Cette procédure peut sembler sommaire, du moins si on la compare au droit de l'extradition, qui suppose un double recours, devant le juge judiciaire pour contester l'avis de la Chambre d'instruction, puis devant le Conseil d'Etat pour contester la légalité du décret d'extradition. Sur ce point, la procédure de recours contre le mandat d'arrêt européen apparaît un peu rapide, alors que celle des recours dirigés contre une décision d'extrader est un peu lente. 




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