« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 11 novembre 2025

Le contrôle judiciaire de Nicolas Sarkozy : Beaucoup de bruit pour rien

Nicolas Sarkozy a été condamné par le tribunal correctionnel de Paris à cinq année de prison dans l'affaire libyenne. Cette condamnation a été accompagnée d'une exécution provisoire et il a effectivement été incarcéré le 21 octobre 2025. Il a évidemment fait appel de sa condamnation, ce qui a conduit à une requalification de sa privation de liberté en détention provisoire. Le 10 novembre 2025, la cour d'appel de Paris, statuant dans le cadre du régime juridique de la détention provisoire, a ordonné sa mise en liberté sous contrôle judiciaire.


La mise en liberté


Rappelons que la demande de mise en liberté d'un détenu à la suite d'un appel est régie par l'article 148-1 et du code de procédure pénale. Il énonce que "la mise en liberté peut être demandée par toute personne mise en examen, tout prévenu ou accusé, et en toute période de la procédure." Lorsqu'une juridiction de jugement est saisie, en l'espèce la cour d'appel, il lui appartient de statuer sur la détention provisoire. L'article 148-2 du même code précise ensuite que "Lorsque la personne a déjà été jugée en premier ressort et qu'elle est en instance d'appel, la juridiction saisie statue dans les deux mois de la demande". Nicolas Sarkozy a été condamné le 25 septembre et incarcéré le 21 octobre et c'est donc à cette date que ses avocats ont pu formuler une demande de mise en liberté. Celle-ci a donc été examinée à l'issue d'un délai de trois semaines. Alors que la justice est particulièrement encombrée, ce n'est pas vraiment l'indice d'un mauvais traitement.

La procédure en elle-même n'a donc rien de surprenant, et l'on souhaiterait que toutes les demandes de mise en liberté soient traitées avec une diligence identique. En revanche, le contrôle judiciaire imposé à l'intéressé suscite le débat. 





Le contrôle judiciaire


Là encore, il convient de se référer au texte de l'article 144 du code de procédure pénale qui énonce les conditions du placement en détention provisoire. Celle-ci ne peut être ordonnée ou prolongée que si elle "constitue l'unique moyen de parvenir à l'un ou plusieurs des objectifs suivants", c'est-à-dire les conservation des preuves, les risques de pressions sur les témoins ou les victimes, la concertation frauduleuse avec les co-auteurs et complices, la protection de la personne elle-même, la garantie du maintien à la disposition de la justice, et enfin la cessation de l'infraction ou la prévention de son renouvellement.

Lorsque ces conditions ne sont pas, ou plus, réunies, la mise en liberté sous contrôle judiciaire peut être prononcée. L'article 138 du code de procédure pénale dresse une liste de neuf contraintes susceptibles d'être imposées à la personne mise en liberté. Nicolas Sarkozy est soumis à deux de ces obligations.

La première est l'interdiction de quitter le territoire. Contrairement à ce qu'affirment certains de ses soutiens sur les plateaux de télévision, la justice n'envisage pas un risque de fuite. Elle redoute toutefois qu'un ancien président de la République puisse avoir quelques facilités pour entrer en contact avec des témoins résidant l'étranger. Le risque est donc la pression ou la concertation avec ces témoins.

La seconde contrainte réside dans l'interdiction faite à Nicolas Sarkozy d'entrer en contact avec ses co-accusés et c'est encore le risque de concertation qui est visé. Surtout, figure dans la liste l'interdiction de communiquer "avec le ministre de la Justice en exercice, les membres de son cabinet et tout cadre du ministère de la justice susceptible d’avoir connaissance des remontées d’informations prévues par les articles 35 et 39-1 du Code de procédure pénale". La cour d'appel motive cette mesure par la nécessité "d'éviter un risque d'obstacle à la sérénité des débats et d'atteinte à  l'indépendance des magistrats".


L'interdiction de tout contact avec le ministre de la Justice


Bien entendu, les soutiens, notamment médiatiques, de Nicolas Sarkozy, ont vu dans cette mesure une sorte de vengeance des juges, furieux de la visite rendue par Gérald Darmanin à l'ancien président emprisonné. On note toutefois que l'interdiction de contact vise "le ministre de la Justice en exercice", et non pas Gérald Darmanin intuitu parsonae. La précision est d'importance si l'on considère à la fois l'actuelle rapidité de la succession des gouvernements et les motifs de cette interdiction.

Loin d'une vengeance, la mesure apparaît  comme un moyen d'assurer l'indépendance des magistrats de la cour d'appel. On observe que le ministre n'est pas le seul visé par l'interdiction, mais encore les membres de son cabinet et tout cadre du ministère susceptibles d'avoir connaissons des remontées d'informations. Les articles 35 et 39-1 du code de procédure pénale prévoient en effet que des "rapports particuliers" peuvent être demandés par le procureur général aux procureurs de la République ur des affaires en cours et ensuite être adressés au ministre de la Justice. Dans sa décision du 14 septembre 2021, le Conseil constitutionnel a affirmé la constitutionnalité de ces rapport particuliers. Certes, la décision mériterait d'être citée dans une anthologie de la langue de bois, car le Conseil constitutionnel feint de considérer que ces remontées d'informations "ont pour seul objet de permettre au ministre de la Justice, chargé de conduire la politique pénale (...), de disposer d'une information fidèle et complète sur le fonctionnement de la justice (...)". Cette joyeuse hypocrisie permet de valider les rapports particuliers.

L'interdiction de tout contact formulée par la cour d'appel vise donc à empêcher que la personne mise en cause ait accès à des informations liées à l'affaire en cours. Le risque est loin d'être négligeable si l'on considère qu'un ancien Président de la République peut aisément avoir des contacts avec le Garde des Sceaux, surtout si l'on se souvient que ce dernier lui a publiquement témoigné son soutien en allant le voir en prison. 

Le risque n'est pas nul, si l'on considère que la Cour de justice de la République (CJR) a condamné, le 30 septembre 2019 un ancien Garde des Sceaux à une peine d'un mois d'emprisonnement avec sursis accompagne d'une amende de 5000 €. Celui-ci avait transmis des éléments confidentiels d'une enquête préliminaire à la personne mise en cause, éléments précisément obtenus par des remontées d'informations. Le risque de fuite est donc loin d'être nul, et l'on comprend que les magistrats de la cour d'appel se soient efforcés de le prévenir.

Le contrôle judiciaire de Nicolas Sarkozy n'a donc rien d'extraordinaire. Il répond exactement aux conditions posées par le code de procédure pénale. Certes, les soutiens de l'ancien président de la République monopolisent l'espace médiatique en affirmant, comme ils l'ont fait lors du jugement du tribunal correctionnel, le caractère exceptionnel de la procédure. Nicolas Sarkozy serait l'innocente victime d'un complot judiciaire, et le complot de la cour d'appel viendrait couvrir le complot du tribunal correctionnel, couvrant lui même le complot des juges d'instruction qui, couvrait, bien entendu, le complot de l'enquête préliminaire etc. 

Mais le problème n'est pas là. Ce n'est pas la procédure qui est exceptionnelle, c'est le prévenu. Si un trafiquant de drogue placé sous contrôle judiciaire se voit interdire de communiquer avec les dealers de son quartier, un ancien président de la République sous contrôle judiciaire se voit interdire de communiquer avec le ministre de la Justice. A chacun selon son milieu...


L'indépendance des jugesManuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 4,  section 1 § 1 D


vendredi 7 novembre 2025

Obstination déraisonnable : Rendez-vous avec la mort


Le 3 novembre 2025, le juge des référés du Conseil d'État a rendu une ordonnance décidant l'arrêt des traitements d'un patient hospitalisé à l'Institut Gustave Roussy. M. T., âgé de 64 ans, était maintenu en vie par ventilation mécanique et il était victime de lésions cérébrales profondes après plusieurs arrêts cardio-respiratoires. 

Dans un premier temps, la fille de M. T. avait obtenu du juge des référés du tribunal administratif de Melun la suspension de la décision d'arrêt des traitements. Il se fondait sur les rapports de deux experts extérieurs à l'Institut, un neurologue et un anesthésiste, réanimateur qui déclaraient avoir constaté que M. T. tournait la tête quand sa fille le stimulait. Ils en déduisaient une "réactivité minimale" qui avait fondé la décision de suspendre la décision de l'équipe médicale. Le juge des référés du Conseil d'État s'est, quant à lui, fondé sur l'avis de l'équipe médicale augmentée d'un médecin extérieur qui constatait à l'inverse "un coma profond avec absence de réactivité". Ces querelles d'experts sont fréquentes mais le Conseil d'État préfère finalement se fier à l'équipe médicale qui a soigné le patient et connaît parfaitement l'évolution de son état. 

Sur le plan strictement juridique, l'ordonnance de référé repose sur les loi Léonetti du 22 avril 2005 et Léonetti-Claeyss du 2 février 2016. Sur leur fondement, l'article L 110-5 al. 2 du code de la santé publique énonce : "Les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris". Dans ce cas, le patient est placé, jusqu'à son décès, dans un état de sédation profonde, c'est à dire une altération de sa conscience associée à une analgésie.


L'obstination déraisonnable


L'ordonnance du 3 novembre 2025 s'appuie évidemment sur l'arrêt Lambert rendu par l'Assemblée du contentieux le 24 juin 2014. Le Conseil d'État affirme alors que l’arrêt d’un traitement de maintien en vie peut être légalement décidé lorsque sa poursuite constituerait une obstination déraisonnable au sens de la loi. Le juge exerce alors un contrôle normal sur la régularité de la procédure collégiale et l'adéquation de la décision aux éléments médicaux du patient.

Chaque affaire est donc unique, et ni l'inconscience du patient ni sa situation de dépendance ne suffisent, par eux-mêmes, à caractériser cette obstination déraisonnable. Dans le cas de M. T. , le Conseil d'État reprend l'ensemble du dossier, et constate que la médecin est désormais impuissante. Il note ainsi que "son état neurologique ne saurait exclure l'absence de toute souffrance et qu'il ne peut plus bénéficier d'un traitement antalgique ou morphinique". Il importe donc peu que M. T. tourne la tête quand il est stimulé par sa fille, dès lors que son maintien en vie par une ventilation prolongée ne peut plus lui apporter autre chose qu'une souffrance accrue.

L'obstination déraisonnable s'apprécie donc au cas par cas, en considérant l'ensemble du dossier. En témoigne la situation, encore plus douloureuse, des enfants. Les juges prennent alors en considération les chances d’amélioration de la situation de l’enfant aussi bien que la capacité des parents à accepter l’arrêt des traitements. Dans une ordonnance de référé du 5 janvier 2018, le juge des référés du Conseil d'État admet l'interruption des traitements dans le cas d'une jeune fille de quatorze ans, en état végétatif depuis plusieurs mois. Par un arrêt Afiri et Biddarri c. France du 23 janvier 2018, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a ensuite déclaré irrecevable l'ultime recours des parents de cette jeune fille, confirmant ainsi la conformité du droit français à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. En revanche, le 24 avril 2023 il suspend la décision d’arrêt des traitements pour une enfant de deux ans. Invoquant une possibilité, purement hypothétique, d’amélioration de la santé de la jeune patiente, le juge laisse ainsi aux parents le temps d’accepter une décision douloureuse.  



 What Power are Thou. King Arthur. Acte 3 scène 2

Purcell. 1691

Deller Consort


          Les directives anticipées 

 

A ces conditions de fond, le législateur a ajouté des conditions de procédure. Le consentement du patient à la renonciation aux soins peut être exprimé par tout moyen, dès lors qu'il est conscient. Lorsqu'il n'est pas en état de s'exprimer, il peut avoir pris la précaution de rédiger des « directives anticipées » ou désigné une « personne de confiance » chargée de faire connaître sa volonté. Ces directives anticipées ont été jugées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans une décision QPC Mme Zohra M.,du 10 novembre 2022. 

Dans le cas de l'ordonnance du 3 novembre 2025, la fille de M. T. invoque l'existence de directives anticipées demandant la poursuite des traitements en vue d'un maintien en vie. Mais ce document n'a pas été porté à la connaissance de l'équipe médicale, lors de entretiens avec la famille portant sur l'arrêt des traitements actifs. Elles ne sont mentionnées que dans le rapport des experts mandatés par la requérante. 

Le juge des référés aurait sans doute pu s'appuyer sur l'arrêt de la CEDH Medmoune c. France rendu le 2 décembre 2022.  A propos de directives dans lesquelles le patient demandait de le maintenir en vie à tout prix, la Cour a admis la position des juges français estimant que, dans l'état du patient, le traitement relevait d'une obstination déraisonnable.  

Mais l'ordonnance du 3 novembre 2025 s'appuie plutôt sur la décision du Conseil constitutionnel Mme Zhora M. du 10 novembre 2022. Elle admet que le principe du consentement trouve une limite lorsque ces directives se révèlent "manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale". Tel est le cas dans la situation de M. T., ses directives anticipées sont inappropriées et largement dépassées par rapport à son état actuel. Il est constant en effet qu'aucun traitement n'est plus en mesure de guérir sa maladie ou d'améliorer son pronostic neurologique. 

On ne doit pas déduire de cette décision que le juge écarte les directives anticipées comme il l'entend. Elles conservent une puissance réelle dans la procédure, mais leur effectivité suppose qu’elles soient connues, accessibles et surtout adaptées à la situation du patient. 

La presse mentionne que la fille de M. T. entend désormais saisir la CEDH d'une demande de mesures provisoires visant à empêcher l'arrêt des traitements. Ses chances de succès sont très limitées dans la mesure où toutes les décisions de la CEDH intervenues dans ce domaine ont déclaré le droit français conforme à la convention. Il s'appuie en effet sur l'idée d'un équilibre entre le refus de l'acharnement thérapeutique, la décision collégiale de suspension des traitements prise par une équipe médicale, et un contrôle juridictionnel qui prend en considération tous les éléments du dossier. Bien entendu, cet équilibre pourrait être modifié sir la loi relative à la fin de vie, encalminée devant la parlement, était finalement votée. Mais la procrastination des autorités compétentes laisse penser que ce n'est pas pour tout de suite.


Le droit de mourir dans la dignité Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 7,  section 2 § 2 A



dimanche 2 novembre 2025

La nouvelle définition du viol


Le 29 octobre 2025 a été définitivement adoptée la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles. Son parcours législatif a été particulièrement long. Déposé à l'Assemblée nationale le 21 janvier 2025, il a été transmis à la commission mixte paritaire le 19 juin,  adopté par celle-ci le 21 octobre, avant la dernière lecture dans chaque assemblée, enfin achevée le 29 octobre. 

Le texte est pourtant d'une remarquable brièveté. Il se compose d'un article unique qui modifie les article 222-22 et 222-23 du code pénal. Il s'agit désormais d'inscrire explicitement la notion de non-consentement de la victime pour qualifier le viol et les autres agressions sexuelles. A priori, l'absence de consentement dans la définition du viol ressemble étrangement à un pléonasme, mais c'est pourtant le choix fait par le législateur.

L'article 222-22 du code pénal s'ouvre ainsi sur ces mots : "Constitue une agression sexuelle tout acte à caractère sexuel commis sur une personne sans son consentement". L'article 222-23, quant à lui, définit le viol comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui sans son consentement". Il est en outre précisé que le consentement "ne peut être déduit ni du silence, ni de l’inertie, ni d’une relation antérieure, ni d’une situation d’autorité, de dépendance ou de vulnérabilité."



Le rapt de Proserpine. Le Bernin. 1621


La pression internationale


En adoptant ce texte, le législateur français se conforme à un mouvement international. L'article 36 de la convention d'Istanbul sur la lutte contre les violences à l'égard des femmes stipule que "le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes". Cette convention a été signée et ratifiée par la France.

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) n'a pas considéré que le droit français, parce qu'il ne prévoyait pas explicitement le consentement, portait atteinte à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. L'examen de la jurisprudence témoigne toutefois de l'exigence de plus en plus ferme de ce consentement. 

Dans un arrêt du 23 janvier 2025 H. W. c. France, la CEDH affirme que l'on ne peut déduire du mariage l'existence d'un quelconque "devoir conjugal". En d'autres termes, le consentement concerne tout acte sexuel, qu'il ait lieu dans le mariage ou hors mariage. Encore plus récemment, le 30 avril 2025, la CEDH a, dans une décision L. et a. c. France, la Cour a condamné la France pour les défaillances du système judiciaire dans le cas particulier de violences sexuelles infligées à des mineures. Certes, il s'agissait alors de sanctionner la victimisation causée par un ensemble de dysfonctionnements, mais la Cour notait que le discernement des jeunes victimes devait être évalué à l'aune de leur aptitude à consentir à l'acte sexuel. Enfin, le 4 septembre 2025, dans un arrêt E.A. et AVFT c. France, la Cour sanctionne plus directement les juges français qui avaient considéré qu'un soi-disant contrat extorqué à une femme victime de violences sado-masochistes témoignait de son consentement à de telles pratiques. 

De toute évidence, une pression contentieuse de la CEDH s'exerçait sur les autorités françaises, exigeant de placer l'absence de consentement au coeur des enquêtes et des qualifications.


Les juges internes


On doit tout de même observer que le consentement n'était pas absent de la jurisprudence interne. Rappelons en effet que le code pénal, jusqu'à aujourd'hui, définissait les violences sexuelles, et plus particulièrement le viol, comme étant obtenues par la contrainte, y compris psychologique, la surprise ou la menace. L'absence de résistance physique de la victime n'était pas décisive, en tant que telle, dès lors qu'était caractérisée une situation d'emprise, de sidération, d'alcoolisation ou d'abus d'autorité. Si l'absence de consentement ne figurait pas expressément dans la loi, elle était déduite par les juges de ces éléments.

Ainsi, dans un arrêt du 9 août 2006, la chambre criminelle de la cour de cassation déduit l'absence de consentement d'une double contrainte physique et psychologique, avec notamment une soumission chimique obtenue par voie médicamenteuse. La surprise, quant à elle, implique l'absence de consentement lorsque, comme dans la décision du 26 février 2025, la victime était endormie au moment de l'agression. Enfin, un officier de policier judiciaire qui viole une femme dans des locaux de garde à vue ne saurait invoquer le consentement de cette dernière, dès lors qu'il a manifestement abusé de l'autorité qu'il exerçait sur elle pendant la garde à vue. Cette décision n'est pas liée à des évènements récents intervenus à Bobigny. La chambre criminelle se prononçait le 30 septembre 2009 dans une affaire de viol ayant eu lieu à l'Hotel de police de Marseille.

Ce qui était implicite est donc devenu explicite avec la nouvelle rédation des articles 222-22 et 222-23 du code pénal.


Le droit de la preuve


Les effets les plus sensibles de cette rédaction sont attendus dans le domaine de la preuve. Observons d'abord que cette exigence du consentement permet, en quelque sorte, de fragmenter les rapports sexuels, et définissant clairement à partir de quel moment, ou de quelle situation, la personne refuse de poursuivre. On peut ainsi consentir à certains préliminaires, accepter un rapport vaginal mais refuser une sodomie ou une fellation. L'acte sexuel est ainsi le résultat d'un accord entre deux volontés exprimé à chaque étape de la relation.

Concrètement, la nouvelle rédaction suppose une démarche nouvelle du ministère public. Au lieu de rechercher la contrainte, la menace ou la surprise, il doit désormais établir l'absence de consentement libre et éclairé au moment des faits. Pour cela, il peut tenir compte de l'ensemble des circonstances, différence d'âge, relation d'autorité, vulnérabilité particulière de la victime, intoxication, sidération etc... Il n'en demeure pas moins qu'il restera possible d'exclure le consentement en constatant la contrainte, la menace ou la surprise. La preuve semble donc plus simple à apporter, puiqu'elle part du défaut de consentement, et n'a pas à faire entrer les faits plus ou moins difficilement dans l'un des vecteurs traditionnels. 

La charge de la preuve demeure à l'accusation, ce qui évidemment garantit la présomption d'innocence. Il est donc probable que l'enquête sera désormais presque entièrement centrée sur la capacité à consentir. 

Il reste bien entendu à se demander si cette évolution aura pour conséquence de supprimer cette défense particulièrement insupportable du type "elle n'a pas dit non". Dans l'état actuel du droit, on sait que, en 2023, 42600 plaintes pour viol ou tentative de viol ont été déposées. 70 % ont été classées sans suite et 59 % pour "infraction insuffisamment caractérisée". On doit donc attendre que la nouvelle rédaction produise ses effets, pour savoir si ces statistiques inacceptables vont enfin baisser du fait d'une meilleure répression du viol.




 

mercredi 29 octobre 2025

Les quartiers de lutte contre la criminalité organisée devant le Conseil d'État


Les nouveaux Quartiers de lutte contre la criminalité organisée (QLCO) ont suscité l'opposition ouverte des avocats pénalistes. Le Syndicat des avocats pénalistes a donc saisi le conseil d'État d'un recours contestant la légalité du décret du 8 juillet 2025 qui définit le régime d'incarcération mis en oeuvre dans les QLCO. Le Conseil d'État vient de rejeter leur requête dans un arrêt du 28 octobre 2025. Si le résultat était prévisible, l'arrêt présente l'intérêt de donner un fondement juridique clair à la politique de spécialisation carcérale déjà engagée depuis plusieurs années.


La spécialisation carcérale


La loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic a introduit dans le code pénitentiaire une section nouvelle consacrée aux QLCO, plus précisément les articles L.224-5 à L.224-11. Le décret du 8 juillet 2025 précise, quant à lui, les critères d'affectation, la procédure contradictoire précédant le placement, ainsi que les aménagements appliqués au régime de la détention, concernant notamment les visites, l'accès au téléphone ou les fouilles.  D'une manière générale, ces mesures dérogatoires ou régimes d'incarcération de droit commun ont pour finalité de prévenir tout lien des personnes détenues avec les réseaux criminels.

En affirmant la légalité du décret, le Conseil d'État reconnaît une spécialisation carcérale bien antérieure aux QLCO. On se souvient des Quartiers de haute sécurité (QHS) créés en 1975 et disparus en 1982, après avoir fait l'objet de vives critiques. Créés à l'initiative du Garde des Sceaux de l'époque, Jean Lecanuet, par un simple décret du 23 mai 1975, ils ont été transformés en quartiers d'isolement par une circulaire du 26 février 1982 signée cette fois par Robert Badinter. Aujourd'hui, à côté des QLCO, existent également des QDV, quartiers pour détenus violents et des QER/QPR, quartiers réservés à l'évaluation et à la prise en charge des détenus radicalisés. 

La nouveauté des QLCO ne tient donc pas à la spécialisation carcérale, mais à la cible, en l'espèce la criminalité organisée. De plus, les QLCO, par l'existence même du décret du 8 juillet 2025, font l'objet d'une construction procédurale plus élaborée que les QDV, QER ou QPR. En soi, c'est un élément positif car le mode d'incarcération des QLCO n'est pas hors droit. L'arrêt du Conseil d'État du 28 octobre 2025 marque ainsi une évolution vers une spécialisation carcérale pleinement assumée par le législateur.

Le Conseil d'État rappelle toutefois que cette spécialisation carcérale demeure placée sous le contrôle du juge.




Les Dalton. Morris. circa 1960

La décision du Conseil constitutionnel


Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 12 juin 2025 portant sur la loi datée du lendemain, a, le premier, déclaré conformes à la constitution les articles L 224-5 et suivants du code pénitentiaire. Il affirme ainsi qu'une telle mesure de placement en QLCO est conforme à l'objectif constitutionnel de sauvegarde de l'ordre public et de prévention des infractions.

Il examine ensuite, très concrètement, les conditions d'affectation en QLCO et juge qu'elles sont suffisamment précises. C'est ainsi que les personnes doivent impérativement avoir été condamnées pour des faits liés à la criminalité organisée et avoir conservé des liens avec elle durant leur détention. La procédure, quant à elle, repose sur une décision du ministre de la Justice prise après avis du juge d'application des peines et respect du contradictoire. Enfin, le Conseil constitutionnel observe que ce placement connaît une limite temporelle d'un an, même si le renouvellement est possible, en respectant une procédure identique. De tous ces éléments, le Conseil constitutionnel déduit que le placement en QLCO ne porte pas une atteinte excessive aux droits de la personne détenue. A ses yeux, les restrictions au régime de l'incarcération de droit commun ne dépassent pas ce qui est strictement nécessaire au respect de l'objectif de lutte contre la criminalité organisée.

La simple lecture de la décision du Conseil constitutionnel laissait donc présager le rejet du recours déposé par le Syndicat des avocats pénalistes. Le décret du 8 juillet 2025 se borne en effet à décliner les dispositions législatives en les adaptant aux exigences concrètes de l'incarcération, notamment à Vendin-le-Vieil et Condé-sur-Sarthe. Le Conseil d'État observe ainsi que les motifs du placement en QLCO ont déjà été validés par le Conseil constitutionnel, et que le décret ne les modifie en rien. Et il constate que les restrictions apportées, fouilles, parloirs séparés, téléphonie restreinte, s'analysent comme des aménagements nécessaires à la lutte contre la criminalité, reprenant ainsi, presque mot pour mot, le raisonnement du Conseil constitutionnel.


L'avis du Conseil d'État


Le rejet du recours était encore plus prévisible à la lecture de l'avis du Conseil d'État préalable à la rédaction du décret. Daté du 19 mars 2025, cet avis posait les bornes du dispositif, en insistant sur l'objectif général d'empêcher les organisations criminelles de continuer leurs activités à distance, notamment par une vigilance particulière en matière d'usage des moyens de télécommunication. Il demandait en outre un ciblage précis des individus les plus dangereux, et la recherche d'un équilibre entre la sécurité et le maintien des liens familiaux. Comme bien souvent, le Conseil d'État statuant au contentieux se réfère directement à l'avis du Conseil d'État dans sa formation administrative. Cette dualité est évidemment dérangeante, comme toujours, mais elle permettait en l'espèce, de prévoir le rejet du recours. 

Les problèmes liés au QLCO sont-ils tous résolus par cette belle unanimité entre le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État ? Sans doute pas, car ce régime d'incarcération va certainement être à l'origine de nombreux contentieux. Les décisions de placement et de renouvellement seront systématiquement contestées et les juges devront définir l'étendue de leur contrôle. Sur un plan plus large, on peut aussi s'interroger sur la fiction juridique qui consiste à admettre, et même à encourager, la spécialisation carcérale, tout en affirmant que ces régimes d'incarcération relèvent du droit commun. L'incarcération risque ainsi d'apparaître comme une sorte de mosaïque de régimes juridiques. 



dimanche 26 octobre 2025

François Fillon : le combat de trop ?


L'affaire Fillon s'achève, le 25 septembre 2025, par une décision d'irrecevabilité rendue par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). L'ancien Premier ministre, ainsi que son épouse et son suppléant à l'Assemblée nationale, contestaient devant les juges européens le caractère équitable de la procédure pénale qui avait conduit à leur condamnation pour détournement de fonds publics et complicité ou recel de ce délit.


Le caractère imprévisible de la condamnation


Observons d'emblée que l'irrecevabilité était évidente en ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. François Fillon estimait en effet sa condamnation "imprévisible". Sans doute s'appuyait-il sur la jurisprudence Delga du 9 juillet 2024  qui concernait, elle aussi, une personnalité politique ? Mais c'est le seul point de rapprochement entre les deux affaires, car madame Delga était poursuivie pour discrimination, cette présidente de région ayant refusé de signer un contrat de ville avec la commune de Beaucaire. Mais les poursuites avaient été diligentées après un revirement de jurisprudence donnant une interprétation inédite de l'infraction de discrimination par une personne publique, interprétation tout-à-fait imprévisible. Sa condamnation emportait donc une atteinte à l'article 7, dans la mesure où la présidente de région estimait disposer d'un pouvoir discrétionnaire pour refuser de signer un contrat de ville.

L'affaire Fillon est donc bien éloignée de l'affaire Fillon, d'autant que la première requérante n'était pas accusée d'avoir tiré un profit personnel de ses fonctions, ce qui n'était pas le cas de l'ancien Premier ministre. La CEDH déclare donc le moyen irrecevable, d'autant qu'elle observe qu'il n'a jamais été soulevé devant les juges internes. Les voies de recours ne sont donc pas épuisées dans ce cas précis.



Ne la fais pas bosser

Les Goguettes, en trio mais à quatre. 2019


La purge des nullités


On se souvient de la grande agitation médiatique qui avait accompagné la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 28 septembre 2023 sur QPC de François Fillon déposée devant la cour de cassation. La presse de l'époque, surtout celle favorable à l'ancien Premier ministre, avait alors annoncé, sans vérifications excessives, qu'il allait obtenir l'annulation des procédures engagées contre lui.

En réalité, l'apport de la décision est beaucoup plus modeste. Le Conseil déclare en effet inconstitutionnel l'article 385 al. 1 du code de procédure pénale. Dans sa rédaction de l'époque, celui-ci énonçait que "le tribunal correctionnel a qualité pour constater les nullités des procédures qui lui sont soumises sauf lorsqu'il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d'instruction ou la chambre de l'instruction". Le Conseil constitutionnel censure cette rédaction, dans la mesure où le texte ne prévoit pas d'exception dans le cas où le prévenu n'aurait pu avoir connaissance de l'irrégularité éventuelle d'un élément de la procédure que postérieurement à la clôture de l'instruction.

Par un mémoire additionnel déposé devant la cour de cassation, François Fillon apporte donc un nouveau moyen. Il conteste la décision de la cour d'appel rendue le 9 mai 2022, dans la mesure où celle-ci a déclaré irrecevable l'exception de nullité de procédure. A ses yeux, cette irrecevabilité repose sur une disposition déclarée contraire à la constitution. Mais il n'a pas été entendu. Si la Cour de cassation a renvoyé la cause devant la cour d'appel de Paris en ses seules dispositions relatives aux peines et aux dommages et intérêts dus à l'Assemblée nationale, elle a écarté le moyen additionnel au motif que la cour d'appel de Paris avait bel et bien examiné les demandes de nullités avant de les déclarer irrecevables.


Le Parquet National Financier


L'arrêt de la CEDH témoigne de la persévérance des époux Fillon dans la contestation du Parquet National Financier (PNF). Se fondant sur l'article 6 § 1 et § 3 de la convention européenne, ils estiment n'avoir pas eu accès à un tribunal indépendant et impartial. Et ils invoquent, pêle-mêle, le mode de nomination des magistrats du parquet, les remontées d'information demandées par la procureure de Paris, ainsi que le caractère "expéditif et partial" de la procédure. C'est donc clairement le PNF qui est visé, les requérants ne contestant pas le procès proprement dit, devant des juges du siège.

Sans surprise, la CEDH commence par affirmer haut et clair qu'elle n'est pas "juge de quatrième instance" et qu'il ne lui appartient pas de remettre en cause l’appréciation du respect de l’article 6 § 1 de la Convention par les tribunaux internes. La seule exception à cette prohibition réside dans l'hypothèse énoncée dans l'arrêt Zubac c. Croatie du 5 avril 2018, selon laquelle les juges se prononceraient de manière "arbitraire ou manifestement déraisonnable". Mais ce n'est manifestement pas le cas dans l'affaire Fillon.

La CEDH écarte d'abord rapidement le moyen portant sur l'absence d'impartialité de la Procureure financière. Lors d'une audition devant une commission d'enquête parlementaire, celle-ci avait déploré le nombre de demandes d'informations formulées par la procureure de Paris, mais cette constatation ne témoignait pas de pressions lors de l'enquête.


Le statut du ministère public


Plus sérieusement, la cour rappelle que la Procureure est "partie poursuivante". De fait elle n'est pas appelée à « décider du bien‑fondé d’une accusation en matière pénale », au sens de l'article 6 § 1 de la convention. En droit français, le ministère public n'est pas astreint aux obligations d’indépendance et d’impartialité qui pèsent sur les juges du siège, les seuls appelés à trancher sur la culpabilité de la personne. La CEDH a considéré que ce partage de compétences, et de statuts, n'était pas contraire à la convention européenne, par exemple dans l'arrêt Thiam c. France du 18 octobre 2018.

D'une manière plus générale, cette décision d'irrecevabilité rendue dans l'affaire Fillon montre que la CEDH a désormais enterré la hache de guerre avec la France à propos du statut du parquet. Elle rappelle que, si elle a considéré dans sa célèbre jurisprudence Moulin c. France du 23 novembre 2010 que "le ministère public ne disposait pas des garanties nécessaires pour être qualifiés de juge", cette appréciation ne concernait que les mesures de privation de liberté. Ce principe a été rappelé dans l'arrêt Chebab c. France du 23 mai 2019. En tout état de cause, M. Fillon n'est pas concerné par cette jurisprudence, n'ayant jamais été privé de liberté par la Procureure financière. Quant à la CEDH, elle prend bien garde de préciser que la réforme du ministère public en droit français n'est pas un sujet pour elle, et qu'il "ne lui appartient pas de s’immiscer dans ce débat national", formule déjà employée dans la décision Thiam.

Enfin, la CEDH observe que, dans l'affaire Fillon, le principe du contradictoire a été respecté, qu'il a pu présenter ses observations et ses éléments de preuve, que ses demandes d'audition ont toujours été satisfaites. Le caractère équitable de la procédure n'est donc pas sérieusement contestable.

Précisément, c'est le manque de sérieux des moyens développés par François Fillon qui fonde la décision d'irrecevabilité. La dénonciation du manque d'indépendance et d'impartialité de la Procureure ne reposait sur rien. Quant au débat sur le statut du parquet en France, il n'est pas, sauf exception en cas de privation de liberté, susceptible d'être soulevé devant les juges européens. François Fillon aurait sans doute pu se passer de ce "combat de trop". Les commentateurs ne manqueront sans doute pas de rappeler que, durant la campagne présidentielle de 2017, le candidat Fillon avait annoncé que la France pourrait renoncer à la juridiction de la CEDH, "si elle ne se réformait pas".


Le statut du parquet Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 4,  section 1 § 1 D


jeudi 23 octobre 2025

L'application de la charte de la laïcité


La cour administrative d'appel (CAA) de Douai affirme, le 17 octobre 2025, la légalité du refus de la caisse d'allocations familiales (CAF) d'accorder une subvention au Patronage Saint Roch, centre de loisirs pour enfants. Elle confirme sur ce point un jugement du tribunal administratif d'Amiens qui avait refusé d'annuler le rejet par la CAF du recours gracieux déposé par le Patronage le 4 avril 2024.

Concrètement, il s'agit d'une "prestation de service ordinaire" dont l'objectif est de faciliter l'accès des familles à ces centres afin de permettre une meilleure conciliation de la vie professionnelle et familiale.

Les conditions d'octroi de la prestation sont définies par une lettre-circulaire du 10 décembre 2008. Elle précise que son versement est conditionné au respect d' « une ouverture et un accès à tous visant à favoriser la mixité sociale » et à « la production d'un projet éducatif obligatoire, répondant à un principe de neutralité philosophique, syndicale, politique et religieuse ».

 

La charte de la laïcité

 

En outre, toute association sollicitant une subvention publique s'engage à respecter la charte de la laïcité. Dans le champ de compétence de la CAF, une circulaire de son directeur général, datée du 7 novembre 2017, énonce que "le principe d'ouverture à tous doit être affirmé et que l'effectivité de sa mise en oeuvre doit être démontrée, quelle que soit l'appartenance philosophique, politique, spirituelle ou confessionnelle". Si les activités de caractère religieux ne sont pas interdites, elles doivent être définies et quantifiées afin qu'elles conservent un "caractère accessoire".

Ces dispositions reflètent l'élargissement de la Charte de la laïcité. On se souvient que celle-ci a été initiée avec la charte de la laïcité à l'école, présentée le 9 septembre 2013 par le ministre de l'Éducation nationale, à l'époque Vincent Peillon. L'objet est d'expliquer et de faire vivre la laïcité dans les établissements publics, en rappelant ses principes fondamentaux, notamment le fait que "nul ne peut se prévaloir de sa religion pour ne pas se conformer aux règles de l'école". Une circulaire du 6 septembre 2013 exige qu'elle soit affichée dans tous les établissements scolaires publics.

Par la suite, la Charte a été multipliée ou plutôt déclinée dans l'ensemble des services publics. Dans le cas des CAF, elle a été adoptée en 2017 et mise en place en 2018. Elle impose la neutralité du service, et s'applique aussi bien aux agents publics qu'aux partenaires subventionnés participant au service public, centres sociaux, associations familiales, relais d'aide à la parentalité etc.

 


Le catéchisme. Hélène Delaroche. Circa 1930 

 

Un principe général de neutralité

 

Le Patronage Saint Roch ne répond pas réellement aux exigences de ce dispositif. La structure, étroitement liée au diocèse d'Amiens, est gérée par des membres du clergé, qui sont membres de droit de l'association et ont un droit de veto sur toutes ses décisions. Dans son objet social, elle propose aux jeunes une pratique religieuse sous forme de temps de prière, de catéchisme, de célébrations diverses dans l'église attenante au Patronage. Certes, les derniers documents communiqués au juge mentionnent que ces activités sont désormais limitées à 25 % des activités proposées, mais elles demeurent un élément de l'identité même du centre de loisirs. Elles figurent d'ailleurs dans toute sa communication externe. De tous ces éléments, la cour administrative d'appel déduit que la CAF n'a pas commis d'erreur manifeste en refusant la subvention, dès lors que le principe de neutralité n'est pas respecté. 

La décision rendue par la CAA de Douai n'est évidemment par surprenante. Elle témoigne du fait que la charte de la laïcité, ou plutôt les chartes de la laïcité, ne sont que la réaffirmation des principes posés par la loi de Séparation du 9 décembre 1905. Son article 2 mentionne que "la République ne subventionne aucun culte". Certes, cela n'empêche pas une subvention aux activités non religieuses d'un organisme à caractère confessionnel, et l’on a vu le Conseil d’État admettre, dans un arrêt du 4 mai 2012, la subvention d’un colloque par la ville de Lyon, alors même qu’il était prévu d’interrompre les travaux pour permettre aux participants de remplir leurs devoirs religieux. Mais le sujet du colloque n’était pas spécifiquement religieux, et réunissait des intervenants de différentes confessions.

Tel n'est pas le cas dans la décision de la CAA de Douai, car les enfants accueillis au Patronage Saint Roch baignaient dans une ambiance religieuse qui était l’objet même de leur présence, leurs parents ayant choisi de leur donner cette éducation. De fait, il était parfaitement impossible à la CAF de dissocier les activités religieuses et non religieuses, de subventionner les unes sans subventionner les autres. Le principe de neutralité interdit donc toute subvention publique, le financement du Patronage devant ainsi être pris en charge par le diocèse et les parents des enfants qui y sont accueillis.