« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


dimanche 30 septembre 2018

L'avis 129 du Comité d'éthique : évolution ou révolution ?

L'avis 129 du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) a été adopté le 18 septembre 2018. Il s'inscrit dans la mission générale du  Comité qui est de donner son avis "sur les problèmes moraux qui sont soulevés par la recherche dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé". Il doit ainsi être percevoir les évolutions de la société dans ce domaine et suggérer d'éventuels mouvements législatifs.

L'avis 129 est d'abord le produit des "Etats généraux" qui se sont achevés en juin 2018 par la publication d'un rapport de synthèse. Cette procédure était imposée par l'article 46 de la loi du 7 juillet 2011 qui précise, dans son article 46, que "tout projet de réforme sur les problèmes éthiques doit être précédé d'un débat public sous forme d'états généraux. Ceux-ci sont organisés à l'initiative du Comité consultatif national d'éthique (...)". Mais l'avis 129 n'est pas seulement le point d'aboutissement d'un débat public, il est aussi la contribution du CCNE au prochain débat parlementaire sur la révision de la loi de bioéthique. Rappelons en effet que cette même loi de 2011 comporte une "clause de revoyure", imposant "un nouvel examen d'ensemble par le Parlement dans un délai maximal de sept ans après son entrée en vigueur" (art. 47). De fait, l'avis du CCNE n'a évidemment aucune force contraignante, et il nous permet seulement, mais c'est déjà beaucoup, de connaître les points qui seront au coeur du débat.

Si l'avis se présente comme une "table d'orientation", destiné à montrer les voies dans lesquelles le débat être développé, il répond aussi à des préoccupations plus concrètes, tant dans le domaine de la recherche que dans celui de la procréation.


Une "table d'orientation"



Sur le fond, l'avis se veut une "table d'orientation"mettant en lumière les différents points de vue, et envisageant d'éventuelles évolutions. La prudence est de mise, et le Comité refuse les évolutions hâtives. Dans le domaine de la fin de vie, le CCNE refuse de se prononcer en faveur d'une euthanasie active, suicide assisté réclamé par certains groupes mais qui ne fait pas l'objet d'un consensus. Il fait observer que la dernière loi sur le sujet est récente. Elle date en effet du 2 février 2016, et met en place un véritable droit de mourir dans la dignité. Le Comité demande donc qu'elle soit mieux connue, mieux appliquée, et mieux respectée. Il affirme aussi la nécessité de développer les soins palliatifs d'améliorer la formation des professionnels de santé dans ce domaine.

De la même manière, l'avis dresse une liste des chantiers de réflexion qui devront être engagés dans l'avenir. Y figurent notamment le développement des neurosciences, l'usage du numérique en matière de santé et en particulier de l'intelligence artificielle qui fait craindre l'émergence d'une médecine robotisée, ou encore l'environnement et le traitement des "crises écologiques". Ces sujets sont certes essentiels, mais envisagés comme objets de réflexions à long terme. Le législateur va-t-il s'en saisir, ou pas ? La question est évidemment posée.

L'essentiel de l'avis du CCNE se trouve cependant dans des questions plus immédiates, concernant la recherche et la procréation.


La recherche sur l'embryon et les cellules souches



L'avis du CCNE révèle une évolution très sensible sur la recherche scientifique qu'il ne s'agit plus de freiner mais d'encadrer. Les progrès considérables de l'assistance médicales à la procréation (AMP) ont ainsi suscité la création d'embryons in vitro destinés à être réimplantés dans le cadre d'une fécondation in vitro (FIV). Mais tous ne sont pas réimplantés in utero, et la question a été rapidement posée de savoir si les embryons surnuméraires, ceux qui ne donnent pas lieu à un projet parental, pouvaient être utilisés à des fins de recherche. L'enjeu était important car les cellules souches embryonnaires sont porteuses d'immenses espoirs pour le traitement de certaines maladies. 

La première loi bioéthique de 1994 avait purement et simplement interdit toute recherche sur les embryons, suscitant un retard considérable de la recherche française dans le domaine des thérapies géniques. Peu à peu des dérogations ont été possibles, et finalement la loi du 6 août 2013 a levé l'interdiction, soumettant toutefois ces recherches à un régime d'autorisation par l'Agence de la biomédecine. Aujourd'hui, les progrès de la recherche conduisent le CCNE à suggérer une distinction entre les cellules souches, qui pourraient faire l'objet de recherches sur une simple déclaration, et les embryons pour lesquels le régime d'autorisation serait maintenu. Par ailleurs, le législateur devrait se pencher sur la création d'embryons transgéniques, c'est-à-dire dont le génome est modifié durant l'expérimentation, et sur celle d'embryons chimériques qui consistent à injecter quelques cellules souches humaines dans un embryon animal. Ces techniques, aujourd'hui techniquement possibles, ne sont en effet pas encore réellement encadrées par le droit.

Elle a fait un bébé toute seule. Jean-Jacques Goldman. 1987

La GPA


L'avis du CCNE est présenté comme particulièrement innovant en matière de procréation. Cette analyse doit d'abord être nuancée. On observe que la question de la Gestation pour autrui (GPA) est peu discutée, alors même que beaucoup d'associations contestent son interdiction en France et que bon nombre de couples n'hésitent pas à recourir aux services d'une mère porteuse à l'étranger. Les juges eux-mêmes se voient contraints de prendre acte de cette pratique dans l'intérêt de l'enfant, pour lui procurer un statut civil qui ne soit pas discriminatoire. L'avis du CCNE se limite pourtant à rappeler l'interdiction de la GPA en droit français, estimant qu'il "ne peut pas y avoir de GPA éthique". Nul doute que le débat continuera de se développer, en dehors du Comité d'éthique.

L'autoconservation des ovocytes

 

En revanche, le CCNE se montre favorable à l'autoconservation des ovocytes. L'usage de cette technique est demandé par des femmes qui souhaitent repousser une grossesse. Il s'agit très concrètement de prévenir d'éventuels problèmes de fertilité qui, selon l'état des connaissances médicales, sont susceptibles d'apparaître après l'âge de trente-cinq ans. Dans l'état actuel du droit, la conservation des gamètes n'est licite que dans deux cas. D'une part, et cela concerne aussi bien les hommes que les femmes, elle est autorisée depuis la loi du 6 août 2004 au profit des personnes qui suivent un traitement médical susceptible d'altérer leur fécondité. D'autre part, la loi du 7 juillet 2011 offre aux donneurs de sperme et aux donneuses d'ovocytes qui n'ont pas encore procréé la possibilité de recueil et de conservation de leurs gamètes, pour qu'ils puissent ultérieurement les utiliser s'ils rencontrent, plus tard, des difficultés à procréer. 

Convient-il d'offrir cette autoconservation des ovocytes "de précaution" à toutes les femmes qui la souhaitent et plus seulement à celles qui pratiquent un don altruiste ?  Dans avis tout récent, du 27 juin 2017, le Comité s'était montré réticent, estimant qu'une telle généralisation était "difficile à défendre". Il invoquait alors le fait que cette pratique pouvait laisser croire aux femmes qu'elles souscrivaient une sorte d'assurance, leur garantissant une grossesse ultérieure. Or tel n'est pas le cas et le succès de la fécondation in vitro n'est jamais garanti. Il invoquait aussi le risque de pression des entreprises sur les femmes jeunes pour qu'elles repoussent leur projet familial, celles qui s'y refusent risquant d'être écartées des postes les plus élevés.

Ces craintes ont-elles disparu ? Sans doute pas, et le CCNE emploie d'ailleurs une terminologie un peu embarrassée, mentionnant que l'on pourrait désormais "proposer sans l'encourager", une autoconservation ovocytaire de précaution. L'Académie de médecine n'est sans doute pas étrangère à cette évolution. Dans un avis du 19 juin 2017, elle s'était déclarée favorable à cette technique. Observons d'ailleurs que d'autres aspects de cette technique ne sont pas évoqués. Sa généralisation n'empêcherait pas, en effet, celles qui y ont eu recours de concevoir un enfant "à l'ancienne". De nombreux ovocytes seraient alors inutilisés, mais potentiellement réutilisables, à titre de don au profit de couples stériles.

L'AMP des femmes seules ou en couple



L'élément qui a le plus attiré l'attention des médias dans l'avis du CCNE demeure l'ouverture l'AMP aux couples de femmes ou aux femmes seules. Il était pourtant attendu, figurant déjà dans l'avis précédent de juin 2017.  La demande sociale était en effet très forte en faveur d'une technique simple, l'insémination avec donneur (IAD) qui permet à une femme de procréer avec les gamètes d'un donneur anonyme. A l'appui de ce choix, le Comité fait valoir la diversification actuelle des formes de vie familiale et le fait que les enfants élevés par un couple de femmes se construisent de manière identique à ceux élevés dans une famille hétérosexuelle.

Sur ce point, le CCNE entérine une situation qui existe déjà. Dans l'état actuel des choses, les femmes seules ou les couples d'homosexuelles se rendent tout simplement dans un pays proche, par exemple la Belgique, pour obtenir une IAD. Elles rentrent ensuite tranquillement en France pour faire suivre leur grossesse et accoucher dans les conditions du droit commun. D'une certaine manière, le CCNE valide ainsi ce qui existe déjà depuis bien longtemps.

L'avis du CCNE opère ainsi une évolution, certes sensible, mais pas une révolution. On peut penser que certaines suggestions figureront dans la future loi. L'AMP en faveur des femmes seules ou en couple était ainsi une promesse électorale du candidat Emmanuel Macron et il dispose d'une majorité plus que suffisante pour faire passer cette réforme. Les autres propositions seront-elles admises par le législateur ? Pour le moment, il est impossible d'anticiper, et nous devrons donc attendre avec patience le débat parlementaire pour connaître les effets de l'avis 129 du Comité d'éthique.


Sur l'AMP : Chapitre 7, Section 2 du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.






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