"La langue officielle de la République est le français." L'article 2 de la Constitution est limpide et ne se semble guère appeler de commentaire ni de contentieux. Des militants des langues régionales s'efforcent pourtant, avec persévérance et régularité, de le remettre en cause jusque devant les juges. Cette fois, ce sont les promoteurs de la langue catalane qui se sont livrés à une nouvelle tentative. Elle vient de tourner cours avec la décision de la cour administrative d'appel de Toulouse (CAA) datée du 12 décembre 2024.
Par une délibération du 5 juillet 2022, la commune d'Amélie-les-Bains-Palalda a modifié l'article 17 de son règlement intérieur. Il s'agissait d'autoriser, mais pas d'imposer, l'usage du catalan au conseil municipal. Les propos tenus en catalan seraient ensuite traduits en français. Le préfet des Pyrénées-Orientales a alors vainement demandé le retrait de cette délibération. Il a donc saisi le tribunal administratif de Montpellier d'un déféré, et la délibération litigieuse a été annulée par un jugement du 9 mai 2023. La cour administrative de Toulouse confirme ce jugement.
La décision présente l'intérêt de se fonder directement sur l'article 2 de la Constitution, écartant finalement les débats sur l'applicabilité, ou non, d'autres textes.
L'ordonnance de Villers-Cotteret
Le plus célèbre est évidemment l'ordonnance de Villers-Cotteret du 25 août 1539, toujours en vigueur. L'État impose l'usage de la langue française dans les documents officiels : "Nous voulons d'oresnavant que tous, arrests, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soit de gregistres, enquestes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autres quelconques actes et exploicts de justice (...) soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement". Ce texte fondateur, rédigé dans une si belle langues, demeure aujourd'hui notre droit positif.
Il concerne toutefois les seules décisions de juste, et l'on ne saurait qualifier comme telle la délibération d'un conseil municipal. La première chambre civile de la Cour de cassation l'a rappelé dans un arrêt du 22 septembre 2016, refusant de s'appuyer sur l'ordonnance de 1539 pour apprécier la régularité du contrat de location d'un dispositif médical accompagné d'une certification en langue anglaise. Logiquement, la CAA écarte donc l'ordonnance de Villers-Cotteret.
Pau Casals. Concert de la Maison-Blanche. 13 novembre 1961
La loi Toubon et la loi du 21 mai 2021
L'article 1er de la loi Toubon du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française dispose que "Langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France. Elle est langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics". Un conseil municipal délibère, à l'évidence, sur les services publics de la commune et, à ce titre, il paraît soumis à l'obligation de se dérouler en français.
Mais le législateur de 2021, très attaché au "en même temps", a voté la loi du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, texte sur lequel se fonde la revendication de la commune d'Amélie-les-Bains-Palalda. L'article 21 de ce texte précise que les dispositions de la loi Toubon "ne font pas obstacle à l'usage des langues régionales et aux actions publiques et privées menées en leur faveur". L'article L 1 du code du patrimoine, dans sa rédaction issue de cette même loi, intègre à la fois la langue française et les langues régionales dans le patrimoine immatériel de la France. Elle ajoute que "l'État et les collectivités territoriales concourent à l'enseignement, à la diffusion et à la promotion de ces langues".
Ce texte est d'une remarquable ambiguïté, car le législateur ne précise par en quoi peuvent consister ces actions publiques et privées menées en faveur des langues régionales, ni le rôle de l'État et des collectivités territoriales. La loi affirme seulement que ces personnes publiques ont un rôle.
La CAA prend note de ces incertitudes, en observant que la combinaison de ces deux texte ne permet pas de trouver une solution au problème posé. En effet, ils "n'interdisent ni n'autorisent expressément les élus d'un conseil municipal à s'exprimer dans une langue régionale au cours de leurs interventions orales devant ce conseil municipal". La CAA semble penser que ce n'était pas la peine de voter deux lois pour finalement ne poser aucune règle relative à la langue des conseils municipaux.
Les bienfaits de la hiérarchie des normes
Au lieu de s'interroger sur l'articulation entre deux textes législatifs également muets sur la question, la CAA se contente de passer par-dessus ce débat, et décide de se fonder directement sur la Constitution. Ce choix est d'ailleurs le seul qui soit juridiquement fondé, car il consiste simplement à imposer le respect de la hiérarchie des normes. Il fait donc prévaloir l'article 2 de la Constitution.
Ce faisant, il se voit contraint de préciser l'articulation entre cet article 2 et l'article 75-1 de la Constitution. Issu de la révision de 2008, il énonce que "les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France". La CAA affirme que ces dispositions n'apportent aucune restriction à l'application de l'article 2. Pour la cour, l'article 75-1 a "entendu marquer l'attachement de la France aux langues régionales", mais "n'a pas pour autant créé aucun droit ou liberté opposable au profit des particuliers ou des collectivités territoriales et n'a pas, notamment, entendu amoindrir la portée de l'article 2 de la Constitution".
Les choses sont clairement dites, et l'article 75-1 est finalement présenté comme ce qu'il est, une disposition déclaratoire destiné à donner une satisfaction toute morale à la partie de l'électorat attachée aux langues régionales.
La puissance de l'article 2 demeure inchangée. On pourrait même considérer qu'elle est renforcée , dès lors que la CAA précise que le fait que l'usage du catalan soit une simple faculté, ou qu'il s'accompagne d'une traduction en français, est sans influence sur la règle posée par l'article 2. En d'autres termes, les conseillers municipaux doivent s'exprimer en français, et seulement en français.
Ensuite, en sortant du conseil municipal, ils pourront se rendre dans un café d'Amélie-les-Bains, pour y boire un verre d'un excellent vin catalan, et discuter en catalan. Sortis du conseil municipal et des actes officiels, ils retrouvent leur liberté linguistique. Elle est pas belle la vie, en pays catalan ?