Un gouvernement démissionnaire ou renversé par l'Assemblée nationale est chargé d'"expédier les affaires courantes", jusqu'à la nomination d'un nouveau Premier ministre, chargé de constituer une nouvelle équipe gouvernementale. On comprend aisément qu'il s'agit, dans une période incertaine, d'assurer la continuité de l'État. Certes, mais l'organisation même de cette période demeure mal connue. Des informations contradictoires circulent, alors même que le problème se pose avec une particulière acuité dans le cas du gouvernement Attal. Celui-ci en effet semble appelé à gérer les affaires courantes pendant... un certain temps.
Le dies a quo
La première question est celle du point de départ de cette période. A partir de quand un gouvernement gère-t-il les affaires courantes ? Dans le cas présent, le Premier ministre a présenté sa démission au Président de la République le 8 juillet, au lendemain de l'échec du parti Renaissance aux élections législatives. Cela ne signifie évidemment pas qu'il ait commencé à gérer les affaires courantes à cette date, car le Président de la République a alors refusé cette démission. Le gouvernement Attal est donc demeuré un gouvernement de plein exercice.
Les "affaires courantes" ont commencé le 16 juillet, date à laquelle le Président Macron a finalement accepté la démission du Premier ministre, ce qui s'est traduit par un décret portant cessation des fonctions du gouvernement. Le gouvernement gère donc les affaires courantes depuis ce décret.
Cette analyse est exactement celle du Conseil d'État, dans un arrêt
Commune de Pomerol du 20 janvier 1988. Saisi d'un décret adopté par
le gouvernement Mauroy le 17 juillet 1984, soit le jour même de sa
démission, le juge administratif constate que ce texte a été signé avant
que la fin des fonctions du gouvernement ait été actée par le décret nommant le nouveau Premier ministre.
Certes, l'article 23 de la Constitution, celui-là même qui énonce que "les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire (...)", est résolument violé. Le Premier ministre, comme d'autres ministres, est désormais élu au parlement, et il assume même les fonctions de président du groupe Renaissance. Cette inconstitutionnalité pourrait être invoquée à l'appui d'une motion de censure, voire d'une mise en cause du Président de la République devant la Haute Cour, mais elle n'a pas d'impact sur la notion d'affaires courantes.
Le temps ne fait rien à l'affaire. Georges Brassens. 1961
Le dies ad quem
Jusqu'à quand les affaire courantes peuvent-elles courir ? La réponse semble simple, car la nomination du Premier ministre est un pouvoir propre du Chef de l'État, selon l'article 8 de la Constitution. Il est parfaitement libre de son choix. Les pressions du Nouveau Front Populaire ne peuvent donc lui imposer le nom de Lucie Castets. Il peut donc rechercher une alternative, par la création d'une autre coalition gouvernementale. Le Président Macron a d'ailleurs fait savoir qu'il souhaitait « laisser un peu de temps aux forces politiques pour bâtir [des] compromis avec sérénité et respect de chacun ». De fait, il semble que le nom du nouveau Premier ministre sera connu après la fin des Jeux Olympiques.
On imagine bien que la fin des Jeux n'est pas une date imposée par le droit positif. La Constitution n'impose en effet aucun délai pour la nomination du futur Premier ministre. Cela ne signifie pas que le Président Macron puisse faire durer les affaires courantes aussi longtemps qu'il le souhaite, car précisément, la notion d'affaires courantes a un contenu, et il réduit de manière très substantielle le champ de compétence du gouvernement démissionnaire.
Un "principe traditionnel du droit public"
Il n'est pas contesté que la notion d'affaires courantes ne figure pas dans la Constitution de 1958. Elle figurait, en revanche, dans l'article 52 de celle de 1946 : " En cas de dissolution, le Cabinet, à l'exception du président du Conseil et du ministre de l'intérieur, reste en fonction pour expédier les affaires courantes". Cette disposition est aujourd'hui bien oubliée, car le droit de dissolution était extrêmement difficile à mettre en oeuvre sous la IVe République.
Le Conseil d'État, dans un arrêt d'Assemblée du 4 avril 1952, Syndicat régional des quotidiens d'Algérie et autres, considérait que la gestion des affaires courantes par un gouvernement démissionnaire était un "principe traditionnel du droit public". La jurisprudence sur ce sujet n'est évidemment pas nombreuse, mais elle a tout de même été réaffirmée sous la Ve République. A propos de la dissolution de 1962, l'arrêt Brocas du 19 octobre 1962 écarte un recours dirigé contre deux décrets du 6 octobre, relatifs à l'organisation du référendum du . Le Conseil d'État affirme alors que "selon un principe traditionnel du droit public, le gouvernement démissionnaire garde compétence, jusqu'à ce que le président de la République ait pourvu par une décision officielle à son remplacement, pour procéder à l'expédition des affaires courantes". Une formule exactement identique sera reprise dans l'arrêt du 22 avril 1966, Fédération nationale des syndicats de police de France, à propos d'un décret pris par un gouvernement démissionnaire, et organisant une élection professionnelle. Une telle mesure entre, aux yeux du juge, dans le champ des "affaires courantes".
L'espace des affaires courantes
Il y a donc un "espace des affaires courantes". Dans ses conclusions sous l'arrêt de 1952, le commissaire du gouvernement (dénommé aujourd'hui rapporteur public) Jean Delvolvé, faisait figurer dans les affaires courantes deux types de décisions. D'une part, celles touchant aux affaires quotidiennes nécessaires aux fonctionnement de l'Etat. En principe, un ministre en affaires courantes peut payer les factures de son ministère, mais n'a pas le droit de lancer un appel d'offres et de choisir le vainqueur. D'autre par, les affaires urgentes, qui doivent impérativement être traitées pour assurer la sécurité de la population et la vie du pays, lorsqu'il est confronté à des difficultés graves. On imagine ainsi l'hypothèse d'une attaque terroriste ou d'une catastrophe naturelle. A cela s'ajoutent les affaires en cours et considérées comme presque terminées au moment de la démission du gouvernement.
Bien entendu, le champ d'application des affaires courantes n'est pas clairement établi, tout simplement parce que la Ve République n'a pas vraiment connu, jusqu'à aujourd'hui, de gouvernement démissionnaire réglant les affaires courantes plus de quelques jours. Mais le Conseil d'État est précisément chargé d'en définir les contours, au fil des contestations. On sait que des recours ont déjà été déposés ou annoncés contre des décrets pris le gouvernement Attal démissionnaire. Tel est le cas du décret du 10 juillet 2024 autorisant les "vendanges sept jours sur sept", supprimant le repos hebdomadaire dans certaines activités agricoles, ou du décret du 8 juillet 2024 modifiant la répartition du produit d'une taxe payée par les étudiants, pour le plus grand profit de l'enseignement supérieur privé.
Il appartient donc au Conseil d'État de définir les limites des affaires courantes, jusqu'à ce que le Président de la République remplisse son obligation de nommer un nouveau Premier ministre.