Le 24 juillet 2020, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a diffusé une liste de chaînes présélectionnées pour obtenir une autorisation de diffusion nationale sur la télévision numérique terrestre (TNT). Le nombre de fréquences est limité, et après examen des dossiers et audition des 24 candidats, 15 sont sélectionnés :
BFM TV, Canal +, Canal + cinéma, Canal + Sport, CNews, Cstar, Gulli, LCI, OF TV, Paris Première, Planète +, RéelsTV, TFX, TMC, W9.
On le constate, deux chaînes candidates au renouvellement de leur autorisation ne figurent pas dans la liste, NRJ 12 et C8. L'exclusion de NRJ 12 n'est guère contestée. La chaîne représentait moins de 1 % des parts d'audience de la TNT en 2023 et se trouve dans une situation financière très mauvaise. Les programmes se résumaient à des rediffusions en boucle de séries déjà multi-diffusées. La situation financière de C8 n'est guère meilleure, et certains se demandent si son exclusion de la TNT n'est pas une bonne affaire pour le groupe Bolloré.
Quoi qu'il en soit, l'exclusion de C8 suscite une certaine agitation médiatique. A droite, Jordan Bardella dénonce une manoeuvre de "la gauche, qui ne supporte aucune remise en cause de son hégémonie culturelle" et il ajoute que "les censeurs se réjouissent d'avoir fait taire une voix pluraliste". A gauche, on regrette plutôt que l'Arcom n'ait pas fait un pack entre C8 et CNews pour exclure les deux de la TNT. Aurélien Saintoul (LFI), rapporteur de la commission d'enquête sur ce sujet, déplore "une victoire un peu limitée. J'ai du mal à comprendre pourquoi ce qui vaut pour C8 ne vaudrait pas pour CNews".
Le débat est donc très politique et, comme bien souvent, le droit positif est plus ou moins manipulé par tout le monde. Observons d'ailleurs que la censure dénoncée n'existe guère, car rien n'interdit à C8 d'exister ailleurs que sur la TNT, notamment dans un bouquet payant. De même rien n'interdit à l'émission de Cyril Hanouna, certainement la pointe de diamant de la chaîne si l'on considère le nombre de ses spectateurs, de migrer sur une autre antenne.
La liberté de communication audiovisuelle
Observons d'emblée que la liberté de communication audiovisuelle, comme la liberté de presse, comporte deux facettes. D'une part, le droit de s'exprimer dans les médias, d'y écrire ou d'y parler librement. Nous sommes là dans l'espace de la liberté d'expression, organisée selon le régime dit "répressif". Cela signifie que l'on a le droit de s'exprimer librement, sauf à rendre des compte devant le juge pénal, ou devant l'Arcom, pour des propos illicites, par exemple l'injure ou la diffamation. D'autre part, le droit de créer un organe de presse ou de communication audiovisuelle relève davantage de la liberté d'entreprendre, et c'est sur ce point que les systèmes juridiques divergent.
La liberté de créer un journal relève de la célèbre loi du 29 juillet 1881. A l'origine, la procédure reposait sur une déclaration faite au procureur de la République, mais cette obligation a été supprimée par la loi de simplification du 22 mars 2012. Ne subsiste plus que l'obligation, réaffirmée par loi du 1er août 1986, de publier un "ours" mentionnant le directeur de la publication, l'éditeur et l'imprimeur. Ces informations permettent de poursuivre les éventuels responsables des délits de presse. Ce régime, désormais un régime répressif classique, est très libéral. Chacun peut créer un journal, à condition de disposer des fonds nécessaires. La seule contrainte est finalement celle du marché.
La liberté de créer une chaîne de télévision, notamment sur la TNT, repose, en revanche sur un régime d'autorisation préalable, le moins libéral de tous les modes d'organisation des libertés. Les contraintes techniques sont mises en avant pour justifier un tel régime, car le nombre limité de réseaux commande de faire un
choix entre les entreprises candidates. Dans le cas de la télévision, une sorte de concours, avec dépôt de dossiers et auditions, est organisé devant l'Arcom, et les résultats peuvent faire l'objet d'un recours devant le Conseil d'État.
En l'espèce, le fondement juridique de la procédure d'autorisation se trouve dans les articles 29, 30 et 30-1 de la loi du 30 septembre 1986. Parmi d'autres critères nombreux, liés notamment à la viabilité financière du projet, au nombre d'oeuvres originales diffusées, en particulier françaises et européennes etc, figure "l'impératif prioritaire de pluralisme des courants d'expression socio-culturels". La liberté de communication audiovisuelle s'exerce donc conformément à la loi qui la réglemente, et la loi impose le pluralisme.
La complainte de la télé. Léo Ferré. 1959
Les pluralismes
Dans sa décision du 11 octobre 1984, le Conseil constitutionnel a fait du pluralisme un « objectif à valeur constitutionnelle ». Initié en matière de presse, le pluralisme est ensuite étendu aux médias audiovisuels par la décision du 18 septembre 1986 qui précise qu’il « constitue une des conditions de la démocratie ».
Aujourd'hui, il est divisé en deux branches bien distinctes. Le pluralisme externe suppose la présence sur le marché d’une offre suffisamment large pour refléter tous les courants d’opinions. Cette exigence se traduit par des aides à la presse et un dispositif anti-concentrations d'ailleurs bien peu appliqué. Le pluralisme interne, quant à lui, impose un véritable droit à l’expression des courants minoritaires. La loi de 1881 sur la presse est muette sur l'exigence de pluralisme interne, se bornant à fixer quelques seuils en matière de concentrations. En revanche, la loi de 1986 sur la communication audiovisuelle se montre plus attachée au pluralisme interne.
Il appartient à l'Arcom de s'assurer du respect de cette obligation de pluralisme. A la suite d'une injonction du Conseil d'État prononcée le 13 février 2024, l'Autorité a d'ailleurs modifié les conditions de son contrôle, en intégrant, dans un délibération du 17 juillet 2024,
non seulement les responsables politiques mais aussi les chroniqueurs
et animateurs dans son appréciation du respect du pluralisme.
Les obligations contractuelles
Précisément, l'octroi de l'autorisation d'émettre se traduit concrètement par la rédaction d'un cahier des charges, séries de règles imposées par l'Arcom et sur lequel les responsables de la chaîne apposent leur signature. Dans le cas présent, le groupe Bolloré avait, au nom de C8, signé la convention le 29 mai 2019. Dans son article 2-2-1, ce texte affirme que « L’éditeur est responsable du contenu des émissions qu’il diffuse. Il conserve en toutes circonstances la maîtrise de son antenne. »
Si le défaut de pluralisme a été souvent remarqué, ce n'est pas le fondement principal des 7 500 000 € d'amende dont la chaîne a dû s'acquitter. Les sanctions sont essentiellement fondées sur le défaut de maîtrise de l'antenne. Bien entendu, les débordements de l'émission Touche pas à mon poste animée par Cyril Hanouna sont les plus grands pourvoyeurs de mises en demeure et d'amende diverses. La chaîne a dû s'acquitter d'une amende de 300 000 € pour une émission d'octobre 2022 dans laquelle la maire de Paris, qui n'était pas présente, a été invitée à « fermer sa gueule » et à « chasser les rats la nuit au lieu de dire des conneries », a été mise au nombre d’une « bande d’abrutis » etc. Une autre amende de 3 millions d'euros a été prononcée pour un canular téléphonique homophobe, sans oublier les violences sexuelles, voire les invités qui en viennent aux mains...
L'absence de maîtrise de l'antenne, obligation contractuelle, pourrait être considérée comme l'image de marque de Touche pas à mon poste. Il faut bien reconnaître que le groupe Bolloré s'est borné à payer les amendes, mais n'a jamais sanctionné ni même averti son animateur vedette. Aujourd'hui, le non-renouvellement de l'autorisation vise la chaîne pour l'ensemble de son oeuvre.
Ce non-renouvellement est donc, avant tout, un refus de passer contrat avec une entreprise. Sur le plan juridique, la situation est sensiblement celle d'un non-renouvellement d'un marché public pour non-respect du cahier des charges. S'il est exact que l'État peut sanctionner un co-contractant privé pendant l'exécution du contrat, il peut aussi choisir, en considérant notamment le nombre de sanction prononcées, de passer contrat avec une autre entreprise, jugée plus sérieuse. C8 n'est pas victime d'un cumul de sanctions, mais d'un refus de contracter lié aux sanctions qui ont jalonné sa pratique.
Les deux fréquences libérées sont attribuées à GMI France (Daniel Kretinsky) pour Réels TV, et au groupe Ouest-France pour OF TV. Si Jordan Bardella a le droit de voir dans l'éviction de C8 de la TNT une manoeuvre de la gauche, force est de constater qu'elle n'en a guère profité. Les deux groupes en question ne sont pas vraiment gauchistes, et Le Média, chaîne de LFI, n'a pas réussi à convaincre.
En tout état de cause, la procédure n'est pas achevée. Les cahiers des charges concernant les 15 entreprises sélectionnées ne sont pas encore signés, et C8 comme NRJ 12 ne devront quitter la TNT qu'en février 2025. Mais que les fans de Cyril Hanouna se rassurent. Il a déjà annoncé son arrivée sur Europe 1 à la rentrée, et il est probable que son émission sera reprise par une autre chaîne de la TNT, peut-être CNews ? Ce serait tout de même dommage qu'une émission culturelle d'un si haut niveau ne retrouve pas une place dans le paysage audiovisuel.