La "petite reconnaissance"
L'association, créée et déclarée en 1956, n'est pas reconnue d'utilité publique, mais elle revendique ce qui est généralement qualifié de "petite reconnaissance". Cette procédure, initiée dans une loi du 14 janvier 1933, permettait alors à des associations déclarées de recevoir des libéralités entre vifs ou testamentaires, lorsqu'elles avaient pour but exclusif l'assistance et la bienfaisance. A ensuite été ajoutée la recherche scientifique et médicale avec la loi du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat.
Avec cette législation, le champ des associations susceptibles de recevoir des libéralités demeurait très restreint. Par ailleurs, le risque que les préfectures interprètent de manière différente ces dispositions n'était pas négligeable. La loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire a donc finalement choisi de se livrer à une énumération, qui figure aujourd'hui à l'article 200-1-b du code général des impôts. Relatif à la réduction d'impôt sur le revenu de 66 % pour les dons des particuliers à des associations, il vise celles "ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel, ou concourant à l'égalité entre les femmes et les hommes, à la mise en valeur du patrimoine artistique, (...), à la défense de l'environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises". L'association requérante estime avoir un caractère philanthropique, et c'est exactement ce que lui refuse le Conseil d'État, cassant sur ce fondement la décision de la Cour administrative d'appel (CAA).
La philanthropie, version étriquée
Le Conseil d'État se borne ainsi à sanctionner la CAA pour avoir jugé "que l'association avait un objet à caractère philanthropique alors qu'elle a pour seul objet la protection animale".
L'argument essentiel du Conseil d'État est donc étymologique. En effet le mot "philanthropie" vient du grec "anthropos" qui signifie humain. Les animaux sont aujourd'hui qualifiés par l'article 515-14 du code civil d'"êtres vivants dotés de sensibilité". Ils imposent des devoirs aux êtres humains, mais ils ne sont pas des êtres humains. A l'appui de cette analyse, le ministre invoque un arrêt du 18 juin 1937, Ligue française pour la protection du cheval contre les mauvais traitements. Le Conseil d'État jugeait alors que l'acceptation d'un legs ne pouvait être autorisée dans le cas d'une association ayant pour unique objet la protection des animaux.
La philanthropie ainsi définie apparaît pour le moins étroite, pour ne pas dire étriquée. L'action de l'association ne concerne que les animaux. L'erreur de droit est ainsi démontrée et la décision de la CAA est cassée. Le Conseil d'État aurait-il craint une baisse des recettes fiscales ? Cela semble peu probable car l'écrasante majorité des dons et legs s'oriente vers les associations reconnues d'utilité publique.
Observons tout de même que cet arrêt a été rendu sur conclusions contraires du rapporteur public, Laurent Domingo. S'attachant à l'examen de ce que fait réellement l'association, il réfute l'opposition simpliste entre l'humain et l'animal. Il propose de valider la décision de la CAA, en faisant prévaloir une conception plus souple de la notion de philanthropie. Elle n'est pas seulement l'aide et le secours apportés aux êtres humains, mais peut être étendue "à tout ce qui peut améliorer la condition humaine". Or peut-on un instant douter que la protection apportée aux animaux améliore la condition humaine ? Le lait de l'humaine tendresse passe par l'attention portée aux animaux. Un élément d'humanité qui a échappé au Conseil d'État, et c'est bien triste.