Dans trois arrêts du 13 mai 2024, le Conseil d'État affirme qu'une collectivité locale peut accorder une subvention à une association internationale humanitaire, à la condition toutefois que cette aide soit exclusivement destinée au financement de cette action humanitaire.
L'association
SOS Méditerranée France se donne pour objectif d'affréter des navires chargés de
secourir des migrants en Méditerranée. Son rôle humanitaire ne fait
guère de doute et son navire l'Ocean Viking,
a secouru de nombreux passagers entassés sur des embarcations
précaires, les sauvant parfois d'une mort certaine. Sans doute, mais le
sujet demeure très sensible, et certains ne manquent pas d'observer que
ces navires humanitaires apportent aussi une aide aux migrations
irrégulières, et donc une aide aux passeurs. Ils conduisent en effet les
migrants dans les ports européens, précisément là où ils désiraient se rendre. Leur activité a ainsi suscité des tensions au sein de
l'Union européenne, notamment l'irritation des autorités italiennes qui accusent ces groupements d'apporter une aide à l'entrée irrégulière sur leur territoire.
Le débat n'a pas manqué de rebondir lorsque le Conseil de Paris, a décidé d'accorder une subvention de 100 000 € à SOS Méditerranée France. Des décisions similaires ont été prises par la ville de Montpellier et le département de l'Hérault, ce qui explique que trois arrêts aient été rendus. Leur lecture montre que le juge administratif a entendu poser un cadre juridique clair à l'octroi de ce type de subvention.
De la politique étrangères aux engagements internationaux de la France
On se souvient que dans une décision du 3 mars 2022 M. A. B., la Cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris) avait annulé la subvention ainsi que le jugement du tribunal administratif de Paris qui affirmait sa légalité. A l'époque, la CAA estimait que la subvention à SOS Méditerranée France n'avait pas un objet exclusivement humanitaire. En accordant cette subvention, affirmait-elle, "le Conseil de Paris doit être regardé comme "ayant entendu prendre parti et interférer dans des matières relevant de la politique étrangère de la France et de la compétence des institutions de l’Union européenne, ainsi que dans des différends, de nature politique, entre Etats membres ». L'analyse repose sur l'idée qu'une collectivité locale peut avoir une activité humanitaire au plan international, mais qu'elle ne saurait emporter une ingérence dans la politique extérieure française. Aux yeux de la CAA, l'ingérence était démontrée par les réactions italiennes.
La position de la CAA n'était pas sans précédent. Par un jugement du 29 mai 2019, le tribunal administratif de Cergy Pontoise avait ainsi annulé une délibération de la ville d'Arnouville annonçant une Charte d'amitié avec une collectivité locale du Haut-Karabagh. Pour le juge, ce document, dont la nature juridique était loin d'être claire, portait "sur une affaire relative à la politique internationale de la France et à son intervention dans un conflit de portée internationale, compétence qui relève exclusivement de l’Etat, en vertu de l’article 52 de la Constitution".
Le Conseil d'État écarte finalement une analyse qui reposait sur la recherche d'une sorte de frontière entre l'action humanitaire et la politique extérieure de la France, analyse évidemment délicate. Il préfère revenir au texte de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige : "Dans le respect des engagements internationaux de la France, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en oeuvre ou soutenir toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire". Les collectivités locales peuvent subventionner des associations humanitaires, mais dans le respect des engagements internationaux de la France. Cela signifie concrètement, et le Conseil d'État le précise, que ces subventions ne doivent pas interférer avec la conduite par l’État des relations internationales et ne doivent pas conduire une collectivité territoriale à prendre parti dans un conflit de nature politique.
En Méditerranée. Georges Moustaki. 1971
L'affectation à une action de coopération humanitaire
En revanche, ces dispositions n'interdisent pas à une collectivité locale de financer une ONG qui prend des positions, qui participe au débat public sur tel ou tel sujet. Encore faut-il, dans ce cas, que la subvention soit précisément affectée à une action de coopération humanitaire. Autrement dit, ce financement ne doit pas être utilisé à d'autres fins que cette coopération humanitaire. De fait, le Conseil d'État affirme la légalité de la subvention parisienne, les élus ayant pris la précaution de préciser qu'elle serait exclusivement affectée à l'affrètement d'un nouveau navire. Il en est de même de la subvention de 20 000 € accordée par le département de l'Hérault, affectée au sauvetage des personnes en détresse. En revanche, la subvention montpelliéraine de 15 000 € est annulée, car la ville "ne précise pas la destination de la subvention".
Le Conseil d'État précise que le respect de cette condition d'affectation de la subvention doit pouvoir être contrôlée par la collectivité territoriale. L'article L1115-1 du code général des collectivités territoriale énonce ainsi qu'elles peuvent, "le cas échéant, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères". Cet instrument contractuel, dans le cas de la Ville de Paris, prévoit ainsi que l'utilisation par SOS Méditerranée de la subvention à d'autres fins entraîne la restitution de tout ou partie des sommes déjà versées, et que la Ville peut effectuer des contrôles, y compris sur pièces et sur place, pour s'assurer du respect de ces obligations.
Le Conseil d'État définit ainsi un cadre juridique pour l'action extérieure humanitaire des collectivités locales. Elles peuvent donc continuer à financer des ONG, dans le respect de ces règles. On constate tout de même que les requérants, dans les trois affaires, sont des contribuables peu enthousiastes à l'idée que leurs impôts soient utilisés à des fins bien éloignées des affaires locales, au sens traditionnel du terme. Mais ces subventions figurent au budget de la collectivité et elles sont publiques. Et il y a toujours un moment où le contribuable devient un électeur.
La liberté d'association : Chapitre 12, section 2 § 1 du manuel de libertés sur Amazon