La décision Association Meuse nature environnement et autres rendue par le Conseil constitutionnel sur question prioritaire de constitutionnalité (QPC) le 27 octobre 2023 va certainement susciter beaucoup de commentaires. Il déclare en effet conformes à la Constitution les dispositions législatives organisant la création d'un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactif. Sur ce plan, la décision ne satisfera pas l'Association Meuse nature environnement et la vingtaine de groupements écologistes qui s'étaient joints à la QPC. En revanche, elles trouveront davantage de satisfaction dans le fondement juridique de la décision. Le Conseil constitutionnel se fonde en effet, pour la première fois, sur les dispositions de la Charte de l'environnement, qui imposent au législateur de "veiller à ce que les choix destinés à répondre aux
besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations
futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en
préservant leur liberté de choix à cet égard". Comme bien souvent, l'affirmation de ce nouveau fondement du contrôle exercé par le Conseil s'accompagne d'une décision de rejet de la requête.
La QPC s'inscrit dans un contentieux de contestation de la décision de créer à Bure un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs. Nul n'ignore que cet enfouissement se heurte depuis longtemps à l'opposition résolue des différents mouvements écologistes. Les associations requérantes ont demandé au Conseil d'État l'annulation du décret du 7 juillet 2022 déclarant d'utilité publique le centre de stockage la création du centre de stockage de Bure. A cette occasion une QPC a été déposée, portant sur la conformité à la Constitution de l'article L. 542-10-1 du code de l'environnement. Ce texte qualifie un centre de stockage de déchets radioactifs en couche géologique profonde d'installation nucléaire de base. Il précise que son organisation juridique et matérielle doit prévoir la réversibilité, définie comme la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l'exploitation des tranches successives d'un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion.
Pour les requérants, la condition de réversibilité n'était pas garantie, puisque l'article L 542-10-1 énonce que la loi autorisant la création d'une telle installation doit assurer la réversibilité du stockage pour une durée minimale de cent ans. Autrement dit, à l'issue de ce délai de cent ans, la réversibilité n'a plus à être garantie. A leurs yeux, de telles dispositions portent atteinte au droit des générations futures de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.
La Charte de l'environnement
La Charte de l'environnement a intégré la Constitution par une révision, votée en 2005 par une écrasante majorité du Congrès. L'enthousiasme était alors d'autant plus grand que la Charte comportait des dispositions suffisamment imprécises pour satisfaire tout le monde, et que cette imprécision même laissait penser qu'elle ne pourrait pas servir de fondement juridique solide à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Dès sa décision du 19 juin 2008 sur une loi relative aux organismes génétiquement modifiés, le Conseil a pourtant énoncé que les droits et les devoirs figurant dans la Charte avaient pleine valeur constitutionnelle. Quant aux sept alinéas qui servent de préambule à la Charte, le Conseil précise, dans une décision du 7 mai 2014, qu'ils ont valeur constitutionnelle, "sans pourtant instituer un droit ou une liberté que la Constitution garantit". Autant dire que ce préambule était analysé comme un droit déclaratoire qui ne saurait fonder une contrainte juridique.
Retour vers le futur. Robert Zemeckis. 1985
La Charte et son préambule
Précisément, la QPC du 27 octobre met fin à cette distinction entre les articles de la Charte et son préambule. Le Conseil constitutionnel exerce son contrôle, en utilisant le double fondement de l'article 1er de la Charte et du 7e alinéa de son préambule. L'article 1er énonce que "chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé". Quant à l'alinéa 7, il affirme que "les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures (...) à satisfaire leurs propres besoins ». Le Conseil impose ainsi au législateur de prendre en considération ces éléments lorsqu'il prend des décisions environnementales qui engagent l'avenir. Les générations futures deviennent ainsi, non pas un sujet de droit, mais un objet de droit, imposant à l'État le devoir d'envisager les conséquences à long terme de ses décisions environnementales. Derrière l'apparente ambition de la formulation, on peut se demander si l'obligation ainsi imposée au législateur ne serait pas satisfaite par un simple étude d'impact.
Renforcer le pouvoir du Conseil constitutionnel
La suite des motifs énoncés par le Conseil est sans doute encore plus intéressante que cette affirmation solennelle de la valeur constitutionnelle des dispositions de la Charte. En effet, le Conseil exerce alors un contrôle de proportionnalité, en affirmant que "les limitations apportées par la loi au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé doivent être liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi". En d'autres termes, il appartient au Conseil, et à lui seul, de contrôler cette proportionnalité. L'imprécision des termes de la Charte lui laissent alors un pouvoir discrétionnaire pour préciser le contenu de ses obligations.
En l'espèce, le Conseil considère que la loi relative aux installations nucléaires d'enfouissement des déchets ne compromettent pas "la capacité des générations futures (...) à satisfaire leurs propres besoins". Certes, il relève qu'une telle installation est susceptible de portée une atteinte grave à l'environnement, surtout si l'on considère la dangerosité et la durée de vie de ces déchets. Mais le Conseil note que le législateur s'est préoccupé des risques à long terme et que la charge de la gestion des déchets n'est pas reportée sur les seules générations futures. Il s'est donc préoccupé de la protection de l'environnement et de la santé, deux obligations imposées par l'article 1er de la Charte. Sur un plan très concret, l'obligation de réversibilité est respectée, dans la mesure où les solutions de gestion des déchets pourront évoluer, incluant une éventuelle réévaluation des choix. Le Conseil précise que l'autorisation accordée pour ce genre d'installation s'accompagne d'études très poussées, faisant intervenir aussi bien l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs que l'Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologique. Sont alors envisagées la sûreté du centre pendant son fonctionnement que son éventuelle fermeture. Pour tous ces motifs, le Conseil déclare donc les dispositions du code de l'environnement conformes à la Constitution.
Comme bien souvent, la décision vise à satisfaire tout le monde. Les mouvements écologistes vont pouvoir se réjouir de cette référence à la Charte de l'environnement qui sera présentée comme un instrument fort utile pour faire prévaloir leurs intérêts. Quant au gouvernement, il se réjouira aussi de pouvoir mener à terme les travaux du centre de stockage de Bure. Mais le plus heureux de tous sera sans doute le Conseil constitutionnel lui-même. Libre d'interpréter à sa guise des dispositions au contenu imprécis, il peut désormais décider que tel ou tel texte garantit, ou pas, les droits des générations futures. A cet égard, la Charte de l'environnement apparaît, selon la formule du professeur Sur, comme une "bombe à fragmentation" dont les effets se développeront dans le futur, sans que l'on puisse les envisager de manière précise. Seul le Conseil constitutionnel peut les maîtriser et interpréter les dispositions de la Charte à sa guise, au fil de ses besoins.