Il était demandé au Conseil de se prononcer sur la conformité à la Constitution de l'article 2141-2 du code de la santé publique qui énonce : « L'assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet parental. Tout couple formé d'un homme et d'une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ont accès à l'assistance médicale à la procréation (...)". Cette disposition, issue de la dernière loi bioéthique du 2 août 2021, est bien connue, car elle a libéralisé l'accès à l'AMP. Le "projet parental" auquel fait référence le législateur n'est plus seulement celui d'un couple hétérosexuel, mais peut être celui d'un couple de femmes ou d'une femme seule.
La GPA dans le droit français
Bien entendu, nul n'ignore que la société française, et heureusement s'accommode fort bien d'autres formes de couples, et notamment des couples homosexuels masculins qui ne bénéficient pas de cette réforme. Les causes sont d'ordre technique, car l'AMP, pour deux hommes, implique nécessairement le recours à la gestation pour autrui (GPA). Or la GPA n'est pas conforme à l'ordre public français, car, nous dit le droit positif, elle constitue une incitation à l'abandon d'enfant. L’assemblée plénière de la Cour de cassation, dans un arrêt du 31 mai 1991, considère ainsi « que la convention par laquelle une femme s’engage, fut-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes ».
Cette jurisprudence n'a jamais été remise en question, même si les juges se montrent aujourd'hui plus libéraux envers les enfants nés d'une GPA, en leur permettant d'avoir la nationalité du couple qui a eu recours cette technique ainsi qu'un lien de filiation clairement établi à l'égard de chacun de ses membres. Sur le plan législatif, rien ne permet d'entrevoir une évolution dans le sens d'une libéralisation de la GPA en faveur des couples homosexuels masculins. Une proposition de loi a même été déposée le 21 février 2022, suggérant d'ajouter une phrase à l'article 16-7 du code civil : « La procréation ou la gestation pour autrui est interdite en France". Certes, ce texte n'a aucune chance de prospérer, mais il témoigne néanmoins du fait que la GPA demeure, en droit français, une sorte de tabou. On peut y recourir à l'étranger, mais pas chez nous.
Les transgenres et l'AMP
Il était donc inutile d'attaquer la loi bioéthique du 2 août 2021 en se fondant sur une discrimination au détriment des hommes. L'association requérante a donc préféré invoquer une discrimination qui ne met pas en cause la GPA, et elle invoque le droit des transgenres. Depuis un arrêt Rees c. Royaume-Uni du 17 octobre 1986, confirmé par une décision B. c. France du 25 mars 1992, la CEDH considère que le droit d'une personne de mettre son identité en rapport avec son apparence relève de son droit à la vie privée. Dans un arrêt du 11 décembre 1992, la Cour de cassation prend acte de cette jurisprudence européenne et estime que, en cas de transsexualisme médicalement constaté, "le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l'apparence".
Si le changement d'état civil est acquis depuis longtemps, la jurisprudence récente a modifié le moment auquel il peut intervenir. En 1992, on considérait la transformation physique comme un préalable au changement d'état civil. La CEDH a sanctionné cette approche dans son arrêt Garçon et Nicot c. France du 6 avril 2017, et la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice permet désormais d'obtenir le changement d'état civil, sans avoir achevé le processus physique de transformation. La conséquence de cette évolution est que des hommes transgenres qui ont obtenu le changement de sexe à l'état civil peuvent avoir conservé un appareil génital féminin. Ils peuvent donc avoir des enfants, alors même qu'ils sont déjà de sexe masculin pour l'état civil.
C'est précisément cette hypothèse, il est vrai fort rare, qu'envisage l'association requérante. Elle invoque une discrimination, dans la mesure où ces hommes transgenres se voient refuser l'accès à l'AMP sur la seule mention de leur sexe à l'état civil.
Certes, mais le Conseil rappelle que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge au principe d'égalité pour des motifs d'intérêt général. Or, selon le Conseil constitutionnel, permettre le recours à l'AMP par des transsexuels n'ayant pas achevé leur transformation reviendrait à "reconnaître l'existence d'une nouvelle catégorie sexuelle" empruntant au sexe masculin pour l'état civil et au sexe féminin pour l'AMP. Et le Conseil ajoute que l'invocation du principe d'égalité dans ce domaine "supposerait l'existence d'un droit". Or ajoute-t-il, "un enfant est une personne et ne saurait être l'objet d'un droit exigé".
Le Conseil n'est pas législateur
La décision se traduit ainsi par un effet boomerang souvent constaté dans le cas des recours déposés par des militants. Les requérants aboutissent en effet à un résultat totalement contraire à ce qu'ils espéraient. En l'espèce, le Conseil affirme clairement, qu'en l'état actuel du système juridique, l'AMP n'est pas un droit, mais seulement une technique médicale strictement encadrée par le législateur. De fait, ce ne sont pas seulement les transsexuels mais aussi les homosexuels masculins qui sont, en quelque sorte, les victimes de cette décision. Ils ne peuvent plus, en effet, revendiquer un droit à l'AMP.
Le Conseil constitutionnel n'exclut pas une évolution dans ce domaine, mais il précise qu'il ne lui appartient pas "de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, d'une telle différence de situation". Certains commentateurs se sont offusqués de cette formulation, présentée comme un refus de se prononcer sur cette question. A leurs yeux, il appartient au Conseil constitutionnel d'étendre l'accès à l'AMP au fur et à mesure que se révèlent de nouvelles demandes.
Ce point de vue suscite tant de questions que l'on peut se demander si les conséquences d'une telle démarche ont été sérieusement envisagées. Peut-on sérieusement affirmer qu'un groupe de neuf personnes nommées selon des critères reposant exclusivement sur l'amitié politique est plus démocratique que les représentants du peuple élus au Parlement ? A-t-on envie de voir apparaître une sorte de Cour Suprême proche de celle qui existe aux États-Unis, capable d'imposer son idéologie conservatrice au Congrès ? En affirmant qu'il ne saurait se substituer au législateur, le Conseil constitutionnel semble vouloir s'opposer à une telle dérive, et c'est une bonne nouvelle pour la démocratie. Reste qu'un débat sur cette question au parlement sera évidemment le bienvenu.
Sur les bénéficiaires de l'AMP : Chapitre 7 section 3 § 2 B du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.