Le Conseil constitutionnel publie, le 11 mars 2022, un nouveau règlement intérieur "sur la procédure suivie (...) pour les déclarations de conformité à la Constitution". Il avait bien besoin que l'on parle de lui autrement que pour s'amuser de récentes nomination placées sous le double signe de l'incompétence juridique et de la proximité politique.
Comment s'affirmer comme une juridiction suprême, alors que le Président de la République se permet de nommer un membre du gouvernement, ancien professeur d'histoire-géographie, dont l'ignorance totale en matière de contentieux constitutionnel a suscité une onde de gaîté lors des ses auditions devant les commissions des lois de l'Assemblée Nationale et du Sénat ? Comment s'affirmer comme une juridiction suprême, alors qu'un ancien Président de la République, dont le compte de campagne a été rejeté par le Conseil, en est toujours membre de droit et pourrait choisir de revenir y siéger ? Comment s'affirmer comme une juridiction suprême, alors que cinq membres nommés sur neuf sont d'anciens ministres ou parlementaires ?
La situation est d'autant plus délicate pour le Conseil qu'il ne bénéficie guère du soutien du Président de la République et du gouvernement.
La place du Conseil constitutionnel dans les institutions
Le premier n'a pas trouvé le temps, trop occupé à régler le conflit ukrainien, de recevoir les trois membres nouvellement nommés pour qu'ils prêtent serment devant lui. Le résultat est que les membres nommés le 12 février 2013, Mesdames Claire Bazy-Malaurie et Nicole Maestracci semblent toujours siéger au Conseil alors que leur mandat de neuf ans a pris fin il y a un mois. De fait, on pourrait se demander si les décisions prises depuis le 13 février 2022 ne sont pas affectées par un vice de forme un peu fâcheux. C'est d'autant navrant que figure parmi ces décisions celle du 7 mars 2022 dressant la liste officielle des candidats à l'élection présidentielle. Il serait amusant qu'un candidat évincé fasse un recours contre cette décision en se fondant précisément sur ce vice de forme. Heureusement, il n'y a pas de recours possible contre les décisions du Conseil, sauf, peut-être, devant la Cour européenne des droits de l'homme.
Quant au gouvernement, il suffit de se référer aux propos de son porte-parole, Gabriel Attal. Invité sur CNews après le choix du Président de la République de nommer Jacqueline Gourault, il a déclaré : "Le Conseil constitutionnel, ce n'est pas une Cour Suprême". Cette affirmation lui permet ensuite de justifier la nomination d'une personne qui "a fait la loi" quand elle était membre du Sénat et qui "a été pendant vingt-cinq ans maire d'une commune de 4000 habitants, dans la ruralité". En revanche, le porte-parole n'éclaire pas le téléspectateur. On sait que le Conseil n'est pas une Cour Suprême, mais on ignore toujours ce qu'il est.
Une auto-désignation comme "haute juridiction nationale"
Le gouvernement aurait tout à fait le droit de considérer que le Conseil constitutionnel n'est pas une Cour Suprême... si seulement il ne l'avait pas laissé affirmer le contraire en décembre 2017. En visite à la Cour européenne des droits de l'homme en octobre 2017, le Président de la République a en effet annoncé la ratification par la France du Protocole n° 16 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Ce traité met en place un mécanisme facultatif de consultation, pour avis, de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) par de « hautes juridictions nationales ». Cette ratification a été officiellement réalisée le 12 avril 2018, après le vote de la loi du 3 avril qui l'autorisait. Mais le Conseil constitutionnel n'a pas attendu l'achèvement de la procédure de ratification pour se proclamer, de sa propre autorité, "haute juridiction nationale", par un discret communiqué du 20 décembre 2017. A l'époque, aucune voix ne s'est fait entendre pour s'étonner d'une telle initiative. Aucun porte-parole n'a alors affirmé que le Conseil, "ce n'est pas une Cour Suprême". Il y avait pourtant un sujet d'étonnement dans cette démarche unilatérale. Le Conseil n'étant pas juge de la conformité de la loi à la Convention européenne des droits de l'homme, on pouvait en effet se demander à quoi pouvait bien servir cette question préjudicielle. A moins qu'il s'agisse uniquement de se qualifier de ""haute juridiction nationale" ?
De toute évidence, les évènements récents montrent que le Conseil constitutionnel n'est plus à l'abri des critiques. Le mythe des "sages" est quelque peu écorné. C'est la raison pour laquelle le Conseil lance aujourd'hui sa campagne de communication avec le règlement intérieur du 11 mars 2022.
Parodie. Guy Béart. 1973
La QPC tire le contentieux vers le respect du contradictoire
Il s'agit cette fois d'approfondir la procédure contradictoire dans le domaine du contrôle de la loi a priori, avant la promulgation. Ce respect du contradictoire ne va pas de soi, et le constituant de 1958 n'y avait pas songé. Il a été introduit peu à peu par le Conseil constitutionnel lui-même. Peu à peu, les rapporteurs ont pris l'habitude de solliciter l'avis des auteurs de la saisine et des rapporteurs du texte contesté au Parlement. Le texte de la saisine et les observations en défense sont désormais accessibles sur le site du Conseil, comme d'ailleurs les contributions extérieures, dénommées les "portes étroites", depuis un communiqué du 24 2019.
Le contentieux de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a eu évidemment pour effet de tirer celui de l'article 61 vers un respect accru du contradictoire. En effet, la QPC s'inscrit dans un contentieux qui se déroule devant les juridictions ordinaires, ce qui a imposé, dès l'origine, le respect de certaines procédures : procédure écrite contradictoire, audience publique avec plaidoirie de l'avocat du requérant et réponse du secrétariat général du gouvernement.
Le règlement intérieur du 11 mars 2022 veut donc renforcer le contradictoire dans le contrôle de la loi avant promulgation. Certes, mais son contenu montre qu'il s'agit au moins autant d'affirmer la puissance du Conseil que de renforcer le contradictoire.
- Les parlementaires plaidant leur cause
Rappelons que cette saisine est le plus souvent effectuée par soixante députés et/ou soixante sénateurs. Jusqu'à présent, seule la lettre de saisine était publiée. Aujourd'hui, l'article 10 du règlement autorise le Conseil à procéder à l'audition des parlementaires désignés par le groupe des signataires, de la même manière qu'il peut entendre "les services compétents désignés par le Premier ministre". Il ne s'agit évidemment pas d'une audience, mais d'auditions successives, ce qui signifie que seul le Conseil a accès à l'ensemble des interventions. Surtout, on peut se demander s'il est tout-à-fait logique que des représentants du peuple, élus au suffrage universel, soient ainsi conduits à plaider leur cause devant le Conseil, institution dont les membres sont nommés par des amis politiques. Le Conseil semble ainsi affirmer son autorité sur les membres du pouvoir législatif.
- De la "porte étroite" à l'"amicus curiae"
Certains se réjouiront sans doute de voir institutionnalisée la pratique des "amici curiae". On le sait, l'amicus curiae est un expert, sollicité par une juridiction pour l'éclairer. Cela n'a rien de choquant, surtout si l'on considère qu'il est désormais demandé de n'avoir aucune compétence en contentieux constitutionnel pour être nommé au Conseil constitutionnel. Il n'est donc pas inutile de demander l'éclairage de ceux qui connaissent ces questions.
Sans doute, mais la question est alors posée de l'articulation entre l'intervention de l'"amicus curiae" et celle de la "porte étroite". Cette formule étrange désigne les personnes, juristes, lobbyistes divers, militants de toutes tendances, qui envoient spontanément leurs analyses au Conseil, à propos de tel ou tel texte. Le problème est que ces "portes étroites" se sont multipliées, au point que le dossier mis en ligne par le Conseil sur la décision relative à la loi sur le passe vaccinal comportait 1742 pages. Compte tenu des délais imposés au Conseil pour rendre cette décision, il est bien clair que le dossier n'a pas été lu par les membres du Conseil, même ceux qui ont quelques lumières contentieuses.
Sans supprimer les "portes étroites", le Conseil fait désormais le choix d'officialiser le rôle de l'"amicus curiae", expert qui n'agit plus spontanément mais qui est sollicité par le Conseil. Il est fort probable que l'objet de cette évolution est de tarir le flux des "portes étroites" qui seront désormais conscientes du faible impact de leur intervention. Le débat juridique fera intervenir des experts choisis par le Conseil lui-même. Nul doute que les militants des "portes étroites" ne seront pas conviés.
Renforcer la puissance des conseils
Au terme de l'analyse, on s'aperçoit donc que cette nouvelle procédure contradictoire renforce la puissance du Conseil constitutionnel, mais aussi, plus discrètement, celle du Conseil d'État. Aux termes de l'article 4 du règlement, "le président désigne un rapporteur parmi les membres du Conseil constitutionnel". Rien que de très naturel. Mais imaginons un instant le cas d'un membre du Conseil totalement incapable, faute de connaissances, de rapporter sur une saisine. Dans ce cas, un peu d'aide s'impose. Les rapporteurs adjoints ont précisément cette mission d'assistance humanitaire aux malheureux membres égarés dans la jurisprudence. La plupart de ces rapporteurs adjoints sont des maîtres des requêtes au Conseil d'Etat, placés sous l'autorité du secrétaire général, actuellement M. Girardot, évidemment conseiller d'Etat. Renforcer la puissance du Conseil constitutionnel, c'est aussi, par ricochet, renforcer celle du Conseil d'Etat. Les liens entre les deux institutions sont puissants et indéfectibles. Ce n'est M. Seners, membre du Conseil d'Etat et nouvellement nommé au Conseil constitutionnel par le président du Sénat qui dira le contraire. Il fut Secrétaire général du Conseil d'Etat de 2012 à 2014, avant de rejoindre le cabinet de Gérard Larcher au Sénat. Indépendance, sans doute, entre-soi certainement.
Sur le Conseil constitutionnel : Chapitre 3 section 2 § 1 du Manuel