Le 20 décembre 2017, le Conseil constitutionnel a publié
un discret communiqué, après que le Président Macron ait annoncé, lors d'une visite à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) le 31 octobre 2017, la ratification par la France du
Protocole n° 16 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Ce texte organise une procédure facultative de consultation de la CEDH par les "
plus hautes juridictions" des Etats parties. Un
projet de loi de ratification a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 20 décembre, exactement le même jour que le communiqué du Conseil constitutionnel.
Aussi discret soit-il, ce communiqué est intéressant, car il traduit deux revendications du Conseil constitutionnel. L'une est apparente et clairement mise en avant, l'autre avance masquée mais ses enjeux dépassent largement la simple mise en oeuvre du Protocole n° 16.
La procédure consultative
Le Conseil constitutionnel souhaite d'abord, et c'est la revendication clairement mise en avant, pouvoir user de la procédure consultative mise en place par le Protocole n° 16. Elle autorise les "hautes juridictions nationales" à demander à la CEDH un avis consultatif sur "des questions de principes relatives à l'interprétation ou à l'application des droits et libertés définis par la Convention pour ses protocoles". Encore faut-il que la juridiction demanderesse intervienne "dans le cadre d'une affaire pendante devant elle". Elle doit en outre motiver sa demande et produire les éléments pertinents du contexte juridique et factuel de l'affaire pendante.
L'utilisation de cette procédure ne pose aucun problème juridique dans le contentieux électoral dans lequel le Conseil n'est pas juge de la conformité de la loi à la Constitution et peut donc se fonder sur la convention européenne des droits de l'homme. Dans son communiqué, le Conseil admet ainsi qu'il "ne juge du respect de certaines stipulations
de la Convention européenne que pour une part de son rôle
juridictionnel, à savoir le
contentieux des élections législatives et
sénatoriales".
Le Conseil ne limite cependant pas sa revendication au seul contentieux électoral. Il reconnaît certes que "
dans le contrôle de la constitutionnalité des lois qu'il effectue sur le
fondement des articles 61 et 61-1 de la
Constitution, il ne procède pas au contrôle de la «
conventionnalité » de la loi", mais c'est pour ajouter immédiatement que "
cette situation n'est pas remise en cause
par la possibilité qu'il aura de saisir pour
avis la Cour de Strasbourg (...)". Par cette formulation, le Conseil constitutionnel reconnaît que les engagements internationaux ne constituent, en aucun cas, des normes de référence dans l'exercice de son contrôle de constitutionnalité. Selon
une formulation aujourd'hui bien connue, il affirme ainsi régulièrement : "
S'il revient au Conseil constitutionnel (...) de s'assurer que la loi respecte le champ de l'article 55 de la Constitution, il ne lui appartient pas en revanche d'examiner la conformité de celles-ci aux stipulations d'un traité ou d'un accord international". En d'autres termes, le Conseil n'a pas à examiner la loi qui lui est déférée au regard de la Convention européenne des droits de l'homme.
Il ne s'agit pas d'un détail car un traité n'est obligatoire en droit français que sur l'unique fondement de
l'article 55 de la Constitution. Celui-ci précise qu'un traité régulièrement ratifié, et c'est évidemment le cas de la Convention européenne des droits de l'homme, a "
une autorité supérieure à celle des lois". Un traité est donc supérieur à la loi, mais inférieur à la Constitution dès lors qu'il trouve en elle le fondement de sa validité. Il appartient donc aux juges du fond et aux juridictions suprêmes, tant de l'ordre judiciaire qu'administratif, d'apprécier les actes qu'ils ont à juger au regard de la Convention européenne des droits de l'homme et de la jurisprudence de la CEDH. Le Conseil constitutionnel, quant à lui, ne peut apprécier la conformité de la loi par rapport à une convention.
La demande d'un avis purement consultatif n'implique pas que le Conseil constitutionnel décide désormais d'exercer un contrôle de conventionnalité. Sans doute, mais on peut alors se demander pourquoi il demande un avis, s'il ne lui sert à rien.
Dans sa célèbre
décision QPC du 4 avril 2013, le Conseil a saisi pour question préjudicielle non pas la CEDH mais la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Il lui a demandé comment il convenait d'interpréter les termes d'une décision-cadre de l'UE de 2002, à l'origine de dispositions législatives organisant le mandat d'arrêt européen. Cette décision peut cependant difficilement être considérée comme un précédent, une sorte d'anticipation de la procédure mise en oeuvre par le Protocole n° 16. Le Conseil se prononce en effet sur le fondement de l'article 88-2 de la Constitution qui énonce que "
la loi fixe les règles relatives au mandat d'arrêt européen en
application des actes pris par les institutions de l'Union européenne". En l'espèce, l'article 88-2 précise que le législateur met en oeuvre la décision de l'UE, selon des principes fixés par l'Union elle-même. Si le Conseil s'interdisait de demander à la CJUE des précisions sur le contenu et l'interprétation de ces principes, son contrôle de la loi se trouverait paralysé. Tel n'est pas le cas dans l'hypothèse du contrôle de constitutionnalité de droit commun qui n'a pas réellement besoin d'interpréter la Convention européenne pour s'exercer.
On pourrait néanmoins considérer la procédure consultative revendiquée par le Conseil trouve sa justification dans le dialogue des juges. Le juge constitutionnel demanderait ainsi son avis à la CEDH par curiosité intellectuelle, pour bénéficier d'éléments contextuels. L'idée est séduisante, mais sa mise en oeuvre délicate car la question posée est celle de la réception de l'avis. Supposons un instant que le Conseil demande un avis à la CEDH à l'occasion d'une QPC en cours. Il n'a alors que deux solutions. Soit il applique l'avis, et il risque d'être suspecté de se soumettre purement et simplement à la CEDH, au mépris de la hiérarchie des normes. Soit il ne l'applique pas et, dans ce cas, le dialogue des juges risque de conduire à un constat de divergence, voire à un conflit.
On en vient donc à se demander si le Conseil constitutionnel ne revendique pas l'usage de cette procédure non pas pour s'en servir, mais pour d'autres motifs.
Dialogue des juges
Les catcheurs. Les Frères Jacques. 1966. Archives de l'INA
Une "haute juridiction nationale"
Derrière cette revendication s'en cache une autre, qui est sans doute l'enjeu de la démarche. Si le Conseil se voit accorder le droit de faire usage de cette procédure, il sera qualifié de "haute juridiction nationale". Or il faut observer que le Conseil constitutionnel n'a jamais été officiellement qualifié de juridiction. La Constitution ne précise pas sa nature juridique et le considère comme une institution sui generis. Elle lui consacre un titre spécifique, le titre VII, distinct du titre VIII qui, quant à lui, traite "De l'autorité judiciaire". Les membres du Conseil, quant à eux, n'ont pas le statut de magistrats.
Bien entendu, il n'est pas contestable que le Conseil est qualifié de juridiction dans le langage courant, par référence à la notion de "juris-dictio". N'a t il pas pour mission de dire le droit ? On parle ainsi volontiers des "juges" constitutionnels alors que le droit positif les qualifie seulement de "membres du Conseil constitutionnel". Il n'empêche que la qualification de "juridiction" demeure un enjeu non négligeable, en particulier dans le contexte des relations du Conseil avec la CEDH.
L'examen de la jurisprudence de la CEDH incite en effet à penser que le Conseil constitutionnel ne saurait être considéré comme une juridiction au regard de la convention européenne des droits de l'homme. Or, il n'est pas impossible que celle-ci soit un jour saisie de cette question. La CEDH ne s'interdit pas, en effet, d'apprécier la procédure mise en oeuvre devant les tribunaux constitutionnels des Etats. Dans un arrêt
Süssmann c. Allemagne de 1996, elle contrôle ainsi que le tribunal de Karlsruhe respecte les règles du procès équitable garanties par l'article 6 § 1 de la Convention européenne. Depuis l'intégration de la QPC dans le droit positif, on doit envisager l'hypothèse du requérant débouté après une QPC, qui choisira d'aller jusqu'au bout du parcours contentieux, et saisira la CEDH en invoquant notamment le défaut d'impartialité du Conseil constitutionnel.
Pourquoi pas, dès lors que le principe d'impartialité trouve précisément son fondement dans l'article 6 § 1 de la Convention ? Dans sa décision
Adamkiewicz c. Pologne du 2 mars 2010, la CEDH rappelle que le respect du principe d'impartialité ne se limite pas à interdire aux membres du tribunal de prendre parti publiquement sur un dossier en cours, prohibition que la Cour qualifie d'impartialité subjective. Elle s'étend à l'impartialité "objective" qui affirme qu'une institution est impartiale quand elle a les apparences de l'impartialité, quand elle inspire la confiance aux requérants. Ce n'est donc pas l'attitude des juges qui est en cause mais l'organisation elle-même. Que penserait la CEDH d'une institution dont le Président assume en même temps des fonctions auprès d'une organisation internationale ? dont les membres interrompent parfois leurs activités pour aller faire une campagne référendaire ? Pire encore, accepterait-elle une institution appelée à juger du compte de campagne d'un ancien Président de la République au moment où celui-ci en devient membre de droit ? D'une manière générale, ces membres de droit constituent une sorte de bombe à retardement juridictionnelle devant la CEDH, car on n'imagine guère qu'elle les considère comme des "magistrats" au sens de la Convention européenne.
Si l'on revient au communiqué du Conseil constitutionnel, on s'aperçoit alors qu'il ne manque pas de sel. En effet, le Conseil instrumentalise la procédure d'avis à la Cour européenne
pour être qualifié de juridiction, alors que la jurisprudence de
cette même Cour va à l'encontre d'une telle qualification. Cela prouve au moins que le Conseil constitutionnel ne s'estime pas lié par la jurisprudence de la CEDH, du moins pas encore.
Il reste évidemment à envisager les suites de cette demande. Au regard du Protocole n° 16, ce sont les "Hautes Parties Contractantes", c'est-à-dire les Etats membres qui dressent eux-mêmes la liste des "plus hautes juridictions" concernées par la procédure nouvelle. Le communiqué du Conseil constitutionnel montre seulement qu'il s'attribue lui-même cette qualité. Mais le point de savoir s'il est une juridiction, ou s'il doit faire l'objet de certaines réformes pour être qualifié comme telle ne saurait résulter de sa seule volonté. C'est évidemment au parlement d'apprécier cette question et on espère qu'il l'examinera lors du débat qui va s'ouvrir sur le projet de loi de ratification du Protocole n° 16.
Sur l'indépendance et l'impartialité du Conseil constitutionnel : Chapitre 3 section 2 § 1 A du manuel de libertés publiques :
version e-book,
version papier
Très belle analyse. Il reste que le Conseil s'est prononcé alors même qu'il n'a de compétence que celle fixée par la Constitution et les lois organiques. Sa compétence consultative est, comme celle juridictionnelle, d'attribution. Enfin... était....
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